Les enfants sont coûteux, mais cela n’explique pas toute notre ambivalence à leur égard

Un nouveau livre explore les raisons pour lesquelles ce qui était autrefois une étape normale de la vie apparaît aujourd’hui comme un choix de plus en plus cornélien.

Christianity Today June 19, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Images sources : Getty

Dans un récent article du Guardian sur les « champions américains du pronatalisme », la journaliste fait entendre son présupposé selon lequel « la principale raison pour laquelle il est difficile d’avoir des enfants est qu’il est aujourd’hui incroyablement coûteux de les élever. »

« Non », répond le père de la famille que présente l’article. « Pas du tout. »

À bien des égards, je pense qu’il a raison. Et nous sommes rejoints par Anastasia Berg et Rachel Wiseman, autrices d’un ouvrage récemment publié intitulé What Are Children For: On Ambivalence and Choice (« À quoi servent les enfants ? L’ambivalence et le choix »).

Berg et Wiseman (tout comme moi-même) sont loin de faire fi des difficultés financières réelles auxquelles sont confrontés de nombreux futurs parents. Au contraire, elles consacrent le premier des quatre principaux chapitres de leur livre à un examen sérieux de ce type de « facteurs externes ».

Mais l’intérêt du livre est qu’elles ne s’arrêtent pas là. Les deux autrices rejettent toutes deux l’affirmation — que l’on retrouve dans de nombreux articles de qualité variable sur les enfants — selon laquelle ces facteurs externes constituent l’essentiel de la question, et que toutes nos hésitations pourraient disparaître grâce à un ensemble de politiques visant à prolonger le congé parental et à rendre les services de garde d’enfants plus abordables.

Tel n’est pas le cas, et What are Children For? vient heureusement corriger ce récit simpliste. Comme le titre l’indique, Berg et Wiseman entendent offrir une analyse culturelle et philosophique approfondie de la question, en examinant avec rigueur, mais sympathie, un « monde à la fois pro- et antinataliste ». Bien qu’elles finissent par adopter au dernier moment une position à laquelle elles paraissent résister tout au long du texte, leur entreprise est un succès.

Un océan de possibles

Autrefois, avoir des enfants n’était pas un choix. Aujourd’hui c’en est un, et notre ambivalence moderne à l’égard de notre potentielle progéniture est très liée à ce changement colossal. Cette affirmation centrale de What Are Children For? me ramène à la manière dont le philosophe chrétien Charles Taylor aborde la sécularisation dans A Secular Age.

Taylor définit la sécularisation comme ce qui se produit lorsqu’une société passe d’une situation « où la croyance en Dieu est incontestée et ne pose aucun problème à une situation où elle est considérée comme une option parmi d’autres, et souvent pas la plus facile à adopter ». De même, alors qu’autrefois avoir des enfants était « simplement ce que les gens faisaient », écrivent Berg et Wiseman, il s’agit aujourd’hui de quelque chose que nous avons l’impression de devoir « soupeser face à un océan d’autres options », dont beaucoup sont, au moins en apparence, plus faciles, plus agréables, moins risquées et plus simples à bien faire.

Une citation de 1976 de la psychologue Nancy Felipe Russo rapportée par Berg et Wiseman souligne le caractère récent et profond de ce changement. Le fait d’avoir des enfants était autrefois tellement admis que « même si le contraceptif parfait pouvait être mis au point et utilisé », pensait Russo, « les forces sociales et culturelles qui imposent l’obligation de la maternité se perpétueraient ». Aujourd’hui, à mon avis, ce serait plutôt le contraire : même si tous les moyens de contraception disparaissaient demain, nos angoisses ne s’évanouiraient pas pour autant.

Nous ne serions en effet pas davantage en mesure de savoir comment décider. Pour beaucoup de nos contemporains, affirment Berg et Wiseman, « avoir des enfants devient de plus en plus une pratique inintelligible et de valeur discutable ». Internet permet de mettre en avant bien des questions relatives au mal et à la souffrance humaine, et nous en venons à douter du bien-fondé de la prolongation de l’existence humaine. « Nous manquons de ressources pour répondre à de telles questions », estiment les auteurs. « Les anciens cadres, quels qu’ils soient, ne semblent plus fonctionner. Et les nouveaux nous ont rendus beaucoup moins sûrs du bien-fondé des enfants. »

Vie, histoire, littérature

What Are Children For? commence et se conclut par des sections écrites individuellement par chacune des deux autrices. Rachel Wiseman commence avec son choix de devenir mère. Anastasia Berg conclut sur la vie qui advient lorsque ce choix se trouve concrétisé. Entre les deux, le chapitre sur les facteurs externes cartographie très bien un territoire familier pour tous ceux qui suivent les débats sur les défis à affronter pour devenir parent : préoccupations financières, inquiétudes concernant les libertés et opportunités professionnelles perdues, incapacité à trouver un partenaire adéquat, etc.

On y trouve des passages clés sur la nouveauté du choix des enfants, ainsi qu’une section remarquablement lugubre sur les rencontres amoureuses à l’ère contemporaine, dont certaines parties étaient déjà parues dans un essai de 2022 dans The Atlantic titré « The Paradox of Slow Love. » Je n’ai pas la place ici de lui rendre justice, mais l’esquisse que tracent Berg et Wiseman d’un fossé de plus en plus profond entre vie amoureuse et familiale est alarmante.

Le deuxième chapitre, consacré à l’histoire du débat féministe sur la reproduction, fournit un contexte intellectuel précieux. Naturellement, pour les lecteurs issus de milieux évangéliques plus conservateurs, ce contexte expliquera mieux les motivations et les impulsions d’autres personnes que les leurs. Certains des penseurs que Berg et Wiseman explorent ici sont très loin des courants dominants parmi nous, mais leur influence sur la culture en général est évidente.

La partie la plus forte de ce chapitre est peut-être sa critique d’une claire abdication masculine de certaines responsabilités au nom du progrès. « Dans les milieux de centre gauche », écrivent Berg et Wiseman, « la conviction que les femmes devraient pouvoir déterminer leur propre destin en matière de procréation et exercer autant d’autonomie sur leur corps que les hommes a peu à peu donné lieu à une forme de présupposé que la question de fonder ou non une famille est du ressort des seules femmes. »

Parfois, reconnaissent-elles, cette passivité masculine peut être bien intentionnée : si la maternité est aussi coûteuse que notre culture en est venue à le croire, « comment un homme pourrait-il demander à la femme qu’il aime de se soumettre à un tel destin ? » Mais parfois, ce qui « peut ressembler à première vue à une marque de considération désintéressée (si tu veux un enfant, nous pouvons en avoir un) fonctionne plutôt comme une manœuvre d’évitement » :

Des offres de coopération sans enthousiasme peuvent faire obstacle à un choix fait en toute confiance et sans réserve. Qui voudrait mettre au monde un enfant avec quelqu’un qui, lorsqu’on lui demande s’il veut être père, n’a qu’un faible « si tu insistes » à offrir en retour ? La réponse « ce que tu veux, c’est comme tu veux » est déjà suffisamment agaçante lorsqu’il s’agit de choisir un film à regarder ou un restaurant où commander un plat à emporter ; elle est insupportable lorsqu’il s’agit de répondre à la question « veux-tu avoir un enfant avec moi ? ».

Le troisième chapitre, consacré à la littérature, prolonge cette exploration du contexte culturel jusqu’à nos jours : « Les romanciers de l’ambivalence maternelle sont prémonitoires », montrent Berg et Wiseman, « dans la mesure où l’état d’esprit général qui règne aujourd’hui sur la parentalité est celui du doute ».

À ce stade, je dois admettre que je commençais à m’impatienter et avais hâte d’arriver au quatrième chapitre, qui aborde directement la question du titre. Mais ce dernier effort pour poser le décor m’a permis un tour d’horizon d’un genre que je savais influent, mais que je n’avais pas abordé personnellement. Pour ceux qui liraient déjà ce type de littérature — peut-être pas toujours de manière très critique — ce livre pourrait être instructif.

Une défense de la vie elle-même

Dans le dernier chapitre avant la conclusion de Wiseman, les autrices traitent de deux arguments principaux contre les enfants : « la vie est un mal imposé à l’humanité » et « l’humanité est elle-même un mal imposé au monde ».

À ces deux questions, Berg et Wiseman donnent une réponse simple : une revalorisation de la vie. Il ne s’agit cependant pas d’une réponse simpliste : elles s’attaquent à des philosophes sérieux sur des siècles de pensée classique, juive, chrétienne et postchrétienne. L’ensemble est élaboré avec audace et avec un ancrage sans complexe dans l’intuition et l’expérience humaines communes.

En bref, elles affirment que l’humanité a de la valeur, que notre capacité à faire le mal s’accompagne d’une réelle capacité à reconnaître et à choisir le bien, que nous pouvons poursuivre des fins inconditionnellement et universellement bonnes, « comme l’amitié et la justice », qui « font qu’il vaut vraiment la peine de vivre une vie humaine », et que l’affirmation de cette bonté ne signifie pas qu’il faille « fermer les yeux sur nos luttes et nos manquements humains ».

En ce qui concerne la maternité, Berg et Wiseman affirment que le fait de mettre au monde une nouvelle vie redit à propos des autres ce que nous affirmons déjà à propos de nous-mêmes. En fait, écrivent-elles, demander « à quoi servent les enfants ? » revient fondamentalement à demander « pourquoi accorder de la valeur à la vie ? ».

Qu’espère-t-on entendre en réponse ? Une liste d’avantages ? Valoriser la vie, ce n’est pas lui apporter une justification théorique. C’est reconnaître ses mérites et contrer les accusations de ses détracteurs. En décidant d’avoir des enfants, on adopte une position pratique sur l’une des questions les plus fondamentales qu’une personne puisse se poser : la vie humaine, malgré toutes les souffrances et les incertitudes qu’elle comporte, vaut-elle la peine d’être vécue ?

La conclusion est à la fois frappante et provocante, notamment en raison de sa formulation manifestement non sectaire. Serais-je convaincue si je n’avais pas déjà une vision de l’humanité qui rend compte de ces tensions entre le bien et le mal, la dignité et la souffrance, le hasard et la vertu ? Je n’en suis pas sûre. En lisant ce livre en tant que chrétienne, je me suis trouvé en accord avec Berg et Wiseman sur bien des points d’importance diverse, mais souvent de manière fortuite. Nous étions arrivées au même endroit par des voies apparemment différentes.

Parfois, cette différence de perspective était constructive. Je serais heureuse de voir les autrices dialoguer avec l’écrivain catholique Timothy Carney, dont le diagnostic de « tristesse civilisationnelle » dans Family Unfriendly résonne profondément avec les notes finales de What Are Children For? Et je réfléchis encore à l’observation de Berg et Wiseman selon laquelle « de tous les miracles accomplis par le Christ, il n’a jamais aidé une femme stérile à concevoir ».

D’un autre côté, même si je peux imaginer comment Berg et Wiseman pourraient concilier leur appel à « valoriser la vie » avec les multiples soutiens apportés par le livre au droit à l’avortement, le lien entre les deux reste pour moi problématique.

Une question à laquelle vous seul pouvez répondre ?

Il est courant d’entendre qu’un choix de vie aussi important que celui d’avoir ou non des enfants est quelque chose que chacun doit faire pour lui-même. Berg et Wiseman soutiennent cette idée, mais tout au long de What Are Children For? elles semblent insatisfaites du chemin où celle-ci nous entraîne.

Elles rejettent une approche de la décision à propos des enfants comme une quête solitaire consistant à « se trouver soi-même » et à découvrir « ce que l’on veut vraiment », au détriment de « tout le reste de ce qui nous tient à cœur ». Elles critiquent les hommes qui se dérobent à leur rôle dans le processus décisionnel et déplorent un isolement similaire vis-à-vis des amis et de la famille. Elles s’insurgent contre l’intériorité très marquée de la littérature sur l’ambivalence maternelle, contre la façon dont elle prive les personnages comme les lecteurs d’un recul sur les « infinies façons dont chacun de nous peut être opaque à lui-même, aveugle à ses propres faiblesses, trompé sur ses motivations ». Elles se félicitent également qu’un écrivain ait rappelé « que ce qui est en jeu dans la décision d’avoir des enfants n’est pas seulement une série d’expériences personnelles dont on peut jouir et souffrir, mais la possibilité d’une vie humaine ».

Tout cela me semble être bien plus qu’une invitation à ce que ces questions soient davantage abordées publiquement. J’y entends un appel à expérimenter de véritables communions, à élargir le cercle des personnes de bon conseil ayant une réelle influence dans votre vie, qui se soucient de ce qui vous tient à cœur, qui vous diront quand vous leur paraissez mal orienté ou que vous vous trompez, qui vous aideront à répondre à cette question difficile et aux défis qui suivront si vous répondez par l’affirmative.

Malgré tout, la dernière ligne du dernier chapitre écrit à deux mains souligne qu’étant donné le poids de l’engagement en faveur de la vie que représente le fait d’avoir des enfants, « vous seul pouvez déterminer si c’est la bonne chose à faire pour vous ».

En un sens étroit, oui, c’est vrai. Je n’ai certainement pas la nostalgie du temps des mariages forcés ou d’une version brutale et totalitaire du pronatalisme. Mais s’il s’agit ici d’affirmer la valeur de la vie, la vie que nous voulons valoriser n’est-elle pas une vie commune ?

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today.

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