Repenser la guerre évangélique des sexes

Les lignes de fracture entre égalitariens et complémentariens ne se trouvent peut-être pas au bon endroit.

Christianity Today February 21, 2024
Illustration d’Abigail Erickson/Images sources : Getty

L’année dernière, je suis tombé sur des mots acerbes à l’encontre du ministère d’enseignement de Beth Moore. Ses prêches et ses enseignements étaient décrits comme une « drogue d’initiation au féminisme radical », déclarait un jeune conservateur. J’ai trouvé la rhétorique consternante, mais je n’ai pas pu le dire à l’auteur de ces mots, car il n’existe plus. Il s’agissait de Russell Moore, en 2004.

J’avais assurément tort à propos de Beth Moore, mais l’expression « drogue d’initiation » me fait encore plus réfléchir. Le débat sur les genres entre complémentariens et égalitariens a souvent été houleux parce qu’il portait justement sur cette question : quelles affirmations étaient des « drogues d’initiation » menant à quel abîme, quelles « pentes glissantes » conduiraient à quelle erreur.

Certains étaient convaincus que les égalitariens nous éloigneraient de ce que la Bible déclare être bon : que Dieu nous a conçus comme des hommes et des femmes, que nous avons besoin de mères et de pères, que l’expression sexuelle devrait être limitée à l’union entre un mari et une femme. D’autres mettaient en garde contre le fait que les arguments complémentariens faisaient une utilisation fautive des Écritures, semblable à celle employée dans les générations précédentes pour défendre la suprématie blanche et l’esclavage.

Ces dernières années, nombre d’entre nous ont vu d’anciennes alliances et certitudes brisées en mille morceaux. Nous avons également découvert des « pentes glissantes » dans des endroits imprévisibles. Parmi les plus traditionnels, une frustration se manifeste face à une définition de plus en plus étroite d’un certain complémentarisme, de plus en plus conditionné par la lutte contre ses « ennemis » plutôt que par la recherche d’un véritable consensus biblique. Des questions de premier ordre définissant la catholicité de l’Église ont été traitées comme des problématiques internes, tandis que des questions secondaires ou tertiaires relatives aux « rôles des hommes et des femmes » ont été mises en avant comme des questions cruciales définissant les possibilités d’unité.

Plus important encore, de récents scandales ont montré que certaines craintes des égalitariens en matière de pentes glissantes étaient au moins partiellement fondées. Pour certains, ce qui se cachait derrière le zèle pour l’« autorité masculine » relevait moins d’un désir d’agir de manière responsable devant Dieu que d’un dégoût pathologique des femmes ou, pire, d’une couverture pour la manière sadique dont des femmes et des jeunes filles étaient réduites au silence. La chose est apparue non seulement dans les horreurs découvertes elles-mêmes, mais aussi avec ceux qui ne donnent aucune preuve qu’ils satisfont aux exigences de 1 Timothée 2 pour le ministère, des gens qui, au lieu de mettre fin à la « colère » et aux « disputes » (v. 8), s’empressent d’appliquer le reste du chapitre pour fustiger des femmes qui oseraient être l’oratrice invitée d’une église le jour de la fête des Mères.

Quoi que l’on puisse penser de la rhétorique du « leader serviteur » d’organisations masculines comme les Promise Keepers il y a une génération, nous ne sommes certainement pas plus avancés avec certaines tendances virilistes « theobro » soucieuses de s’opposer à des attributs prétendument féminisants tels que l’empathie et la gentillesse. Il s’est avéré que dans de nombreux propos décrits comme « bibliques », il y avait plus de John Wayne que de Jésus, plus de masculinisme que d’Écriture.

De nombreux égalitariens évangéliques se sont également retrouvés « sans domicile fixe ». Dans les milieux progressistes, leur « féminisme » est mis en doute parce que, pour eux, la question est de savoir comment interpréter au mieux les Écritures inspirées et faisant autorité — y compris les lettres de Paul — et non de les « déconstruire ». Aujourd’hui, alors que les idéologies du genre présentent bel et bien une pente glissante lorsqu’elles remettent en cause la binarité entre homme et femme, les évangéliques égalitariens se retrouvent fréquemment à devoir défendre l’idée qu’il existe réellement une complémentarité entre l’homme et la femme, mais pas de type patriarcal.

Comme me l’a dit une pasteure, « je ne peux pas participer à des conférences auxquelles je veux assister — avec des gens avec lesquels je suis d’accord sur 99 % des sujets — parce qu’ils pensent que je suis “libérale”, tandis que certaines des personnes qui se réjouiraient de mon ordination sont horrifiées par le fait que je n’abandonnerai jamais le langage biblique fondamental de Dieu en tant que Père, Fils et Saint-Esprit. »

Beaucoup d’entre nous ont besoin de reconsidérer les personnes qu’ils considéraient autrefois comme des « ennemis » ou des « alliés ». Peut-être les lignes de fracture n’étaient-elles pas au bon endroit depuis le début. Les partisans du baptême des croyants, par exemple, ont plus en commun avec les évangéliques qui pratiquent le baptême des enfants qu’avec les mormons qui baptisent les adultes. Ceux qui ne sont pas d’accord sur la manière dont Galates 3.28 s’accorde avec Éphésiens 5, mais qui veulent voir les hommes et les femmes pleinement engagés dans l’accomplissement du mandat confié par Jésus ont plus en commun les uns avec les autres qu’avec ceux qui voudraient que le genre soit tout ou rien.

Une nouvelle génération d’hommes et de femmes chrétiens arrive. Pour ce qui est de leur apprendre à marcher ensemble et à se soutenir mutuellement pour enseigner et conduire l’Église, je fais en tout cas bien plus confiance à Beth Moore qu’au Russell Moore de 2004.

Russell Moore est rédacteur en chef de CT.

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