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Le monde dit « accélère ». L’Église dit « demeure en Dieu ».

La prière, le jeûne et la lecture communautaire des Écritures élargissent nos journées.

Christianity Today November 26, 2024
solidcolours / Getty

Si Moïse avait sorti son téléphone pour filmer le buisson ardent au lieu de lui prêter toute son attention, aurait-il manqué les paroles du Seigneur ? Si Marie avait été en train de naviguer sur son téléphone pendant une pause dans ses tâches quotidiennes, aurait-elle été trop distraite pour remarquer l’arrivée d’un ange ?

Moïse et Marie ont été les témoins de l’irruption de l’éternel dans le temporel, du miraculeux dans le banal. Ils étaient pour cela pleinement présents dans le moment.

Pouvons-nous en dire autant ? Nous nous inquiétons de la fuite du temps et désespérons d’échapper aux multiples sollicitations qui l’engloutissent : la télévision et les informations, les notifications et les courriels. Paradoxalement, nous nous tournons vers ces mêmes technologies pour accélérer le temps lorsque nous nous ennuyons ou que nous voulons nous distraire. Les vidéos et les photos sur nos téléphones nous éloignent constamment d’une pleine expérience du moment.

Que l’on cherche à gagner du temps ou à le faire passer, les journées ne font qu’avancer de plus en plus vite. Notre temps s’écoule constamment, comme d’un sablier dont le fond serait troué, et nous nous retrouvons bien souvent surpris de constater que tout le sable a disparu. Comment réparer le sablier et commencer à récupérer, un par un, les grains de notre temps ?

Pendant les six années où j’ai vécu à Washington, DC, le temps était la source d’une tension constante. Je voulais qu’il accélère. Je voulais qu’il ralentisse. Lorsque je me déplaçais — à pied, à vélo ou en métro — je comptais obsessionnellement les minutes. Si je me retrouvais figée — dans la file d’attente à l’épicerie ou dans le bus — je sortais immédiatement mon téléphone pour faire défiler les images, tentant d’échapper au temps, espérant effacer les minutes qui s’écoulaient. Je serais passée à côté du buisson ardent ou serais restée les yeux rivés sur mon téléphone à l’arrivée d’un ange.

Mon conflit avec le temps m’a amené à tenter quelques expériences. Je me suis lancée avec ferveur dans la pratique du sabbat, les retraites de solitude, les longues promenades sans mon téléphone, l’utilisation du Livre de la prière commune et les jeûnes des réseaux sociaux. Ce n’était jamais assez. Je ressentais souvent ces pratiques comme une pression supplémentaire pour grappiller des minutes dans un emploi du temps surchargé. Et j’avançais souvent en solitaire. La vie était un combat entre moi et une culture qui voulait toujours consommer plus de temps plus de moi, qu’il s’agisse de pression au travail ou d’appétit de regarder Netflix, de parcourir les réseaux sociaux ou de rester informée. Je luttais pour ne pas prendre de retard, pour garder le rythme, tout en préservant du temps pour les amis, la famille, l’église et le repos, autant de choses qui commençaient à ressembler à des obligations.

J’avais suffisamment lu pour savoir qu’une relation désordonnée avec le temps n’était pas juste mon problème personnel, mais un problème culturel, et une source d’anxiété particulière pour les plus jeunes. Mais je n’avais pas vraiment réfléchi à la manière dont une communauté de foi aurait pu m’aider. Transformer le temps par moi-même, pour le peu que je le pouvais, n’avait guère de résultats pérennes. Il fallait l’Église.

La communauté anglicane que je fréquentais à Washington avait lancé un nouveau programme de formation chrétienne collective. Lorsque j’ai lu pour la première fois le formulaire d’engagement, j’ai immédiatement pensé : Impossible. Les exigences semblaient inatteignables dans une ville comme Washington. Mais je n’arrivais pas à faire taire le sentiment tenace que je devais m’y lancer.

Le programme de six semaines comprenait une longue liste de pratiques spirituelles à incorporer progressivement en vue à la fois du « détachement » et de l’« attachement ». Les pratiques de détachement comprenaient le renoncement aux réseaux sociaux, à regarder des vidéos seul (trois heures par semaine avec d’autres personnes étaient autorisées), à écouter autre chose que la Bible et de la musique centrée sur le Christ, et le renoncement à toute lecture autre que l’Écriture ou des textes passant le filtre de Philippiens 4.8.

Les pratiques d’attachement comprenaient la participation à une rencontre de groupe hebdomadaire, 30 minutes de prière par jour dans une posture d’abandon, une immersion quotidienne dans la Bible, un service bénévole hebdomadaire, un jeûne hebdomadaire, un temps hebdomadaire d’hospitalité et d’« amitié spirituelle », un sabbat hebdomadaire, une retraite de 10 heures et la participation à un repas par mois pendant quatre mois après la fin du programme de six semaines.

J’ai tout de suite été frappée par le lien entre ces pratiques et le temps. Les pratiques de détachement encourageaient à passer moins de temps (ou à ne pas en passer du tout) à se distraire. Les pratiques d’attachement encourageaient à passer plus de temps en communion avec d’autres personnes, avec la Parole de Dieu et avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Pour beaucoup d’entre nous, la question inquiétante que posait la première semaine était simple : Que vais-je faire en rentrant chez moi après une longue journée de travail ? Regarder le mur ? On nous a recommandé de nous préparer en dressant des listes d’activités possibles et de personnes ou de situations pour lesquelles nous prierions pendant le temps prévu à cet effet.

Dans The Congregation in a Secular Age, Andrew Root soutient que notre rapport moderne au temps est analogue à une sorte de profonde faim — un désir insatiable non seulement d’avoir plus d’heures dans la journée, mais aussi de pouvoir vivre chaque moment de manière plus pleine et significative. La Silicon Valley nous appelle à innover, accélérer et maximiser, cherchant à devenir multitâches à l’infini, à faire plus et plus vite. Ironiquement, les appareils qui prétendent nous faire gagner du temps sont précisément ceux qui nous donnent l’impression de ne jamais en avoir assez. Nous ne pouvons pas ralentir suffisamment pour nous écouter penser, et encore moins pour entendre les murmures de l’Esprit saint.

Cette frénésie fait qu’il est particulièrement difficile pour l’Église de guider les communautés dans le temps du sacré. Au lieu de cela, « le temps est vidé au profit de la rapidité » ; l’objectif de l’Église devient le changement, la croissance compulsive, plutôt que la « transformation dans l’Esprit ». Nous avons besoin que l’Église aille à l’encontre de la tendance culturelle à l’accélération et qu’elle soit un lieu où nous apprenons à habiter le saint, le mystérieux et l’éternel.

Au fur et à mesure que je me plongeais dans le programme de notre groupe, le temps s’est modifié. Le trajet en métro s’est allongé, les soirées à la maison sont devenues plus spacieuses et les 30 minutes de prière matinales sont devenues une source de réconfort plutôt qu’une tâche à accomplir. Quelques-unes des pratiques de détachement me sont venues facilement. Mais les pratiques d’attachement, comme la mémorisation des Écritures, le bénévolat et le jeûne, me semblaient excessivement difficiles à intégrer dans mon emploi du temps chargé. Certaines semaines, je n’ai pas du tout réussi à les intégrer, et la faim provoquée par les repas manqués me mettait sur les nerfs.

La pratique qui m’a le plus surprise est celle de l’écoute de la Bible. Je l’ai écoutée pendant que je préparais le repas ; je l’ai écoutée pendant que je faisais la vaisselle. Peu à peu, les sons dans mon esprit ont changé. Au lieu du chaos et du bruit, j’ai fait l’expérience d’une paix et d’un calme vivifiants.

Consommer moins, se limiter à « tout ce qui est vrai, tout ce qui est noble, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est beau, tout ce qui est admirable » a été libérateur. Au lieu de me gaver de contenu pendant mes trajets en métro ou mes soirées à la maison, je jouissais d’un moment pour être au calme avec mes pensées et, si on me le demandait, pour prier — un appel que j’aurais pu manquer si j’avais pianoté sur mon téléphone ou regardé Netflix.

Mais c’est la communauté qui a fait la différence. Les jours où nous nous réunissions en groupe, le temps perdait entièrement sa structure, car nous étions absorbés par les récits des uns et des autres. Nous sympathisions en voyant à quel point ces pratiques étaient difficiles à intégrer et nous nous encouragions mutuellement dans notre volonté commune d’habiter le temps d’une manière nouvelle.

Le partage de nos expériences avec d’autres personnes — avec des larmes, des rires et des paroles de sagesse — crée des moments qu’Andrew Root qualifie de « résonance », la réponse à notre faim de temps. La résonance, selon Root, c’est un temps rassemblé, rempli de sens et de direction. Pour créer un espace de résonance, nous devons sortir de nous-mêmes et de nos téléphones. Dans une rencontre avec Dieu ou une autre personne, en un mouvement d’élargissement, nous nous faisons vulnérables, ouverts à expérimenter un moment de grâce offert par Dieu. La résonance remplit le sablier. Elle nous rassasie au lieu de nous épuiser.

En discutant avec l’un des pasteurs qui coanimaient mon groupe, il m’a dit que ce qui rendait le programme efficace, c’était sa simplicité — un retour aux « bases » de la foi chrétienne. Ces rythmes faits de détachement et d’attachement, axés sur l’engagement plutôt que sur les résultats, sont une nouveauté à une époque où l’on nous exhorte à optimiser notre temps. Le jeûne et la prière ne sont pas « productifs » d’une manière immédiatement visible.

Pourtant, se réunir, lire les Écritures et s’asseoir en silence sont des pratiques simples et bien attestées à toutes les époques de l’histoire. À Washington, classée comme la ville la plus solitaire des États-Unis, mon pasteur estime que nous devrions aussi considérer la communauté comme une discipline spirituelle. Nous ne pouvons pas revenir en solitaire à ce qu’il y a de sacré dans le temps. La technologie est trop puissante et addictive. La tâche est trop ardue pour un humain isolé.

Ce programme contre-culturel a transformé ma relation avec le temps — le temps comme abondant plutôt que rare ; le temps comme une opportunité plutôt qu’un fardeau ; le temps comme quelque chose à habiter avec les autres plutôt qu’à dépenser pour nous-mêmes. Comme nous le dit le Psaume 90, nous devons apprendre à compter nos jours et être pleinement attentifs à la manière dont nous passons notre temps à la lumière de l’éternité, « car 1000 ans sont à tes yeux comme la journée d’hier » (v. 4).

Au cours des mois qui ont suivi la fin du programme, plutôt que de persévérer seule à contre-courant de notre culture, j’ai coanimé des week-ends de retraite silencieuse et participé à des repas hebdomadaires. Je me suis engagée à prier quotidiennement le matin et à lire les Écritures, cette fois-ci avec une amie. Le temps passé ensemble dans la louange et la prière semble se multiplier et ralentir. Le temps se remplit, mais ne submerge pas ; le temps est en résonance. Le buisson ardent scintille et le Seigneur parle.

Une église connue pour sa capacité à conduire les gens dans un temps transcendant et sacré offre un véritable répit dans une culture avide de consommation et d’accélération. C’est un lieu où il fait bon demeurer, au passé, au présent ou dans l’avenir.

Aryana Petrosky est étudiante de troisième cycle à l’université d’Édimbourg où elle étudie l’intersection du monachisme œcuménique, des disciplines spirituelles et de la foi sur la place publique. Elle a participé au lancement de The After Party: Toward Better Christian Politics et a travaillé auparavant pour l’American Enterprise Institute’s Initiative on Faith & Public Life.

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