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Décès de l’autrice Letha Dawson Scanzoni, précurseure du féminisme biblique

Sa lecture égalitarienne des écritures lui valut des critiques et son soutien à la reconnaissance de la communauté LGBTQ la mit à l’écart du monde évangélique.

Christianity Today February 20, 2024
Letha Scanzoni/éditions de Rick Szuecs

Letha Dawson Scanzoni, célèbre pour avoir initié un mouvement en faveur d’un « féminisme biblique », avait perdu de son influence auprès des évangéliques en raison de son soutien à la reconnaissance des personnes LGBTQ. Elle est décédée à l’âge de 88 ans.

Dans les années 70, avec deux articles publiés dans le magazine Eternity puis un livre, coécrit avec son éditrice Nancy Hardesty, Scanzoni a poussé les évangéliques à repenser ce que la Bible dit des femmes. À ses yeux, l’idée que les hommes et les femmes étaient égaux et qu’il fallait libérer les femmes des coutumes et cultures dévalorisantes à leur égard n’était pas d’origine séculière. Pour elle, il s’agissait d’abord d’une idée biblique.

« Les évangéliques ont pour tradition de prendre les Écritures très au sérieux », expliquait un jour Scanzoni. « Nous les avons examinées et avons découvert qu’elles ne limitaient pas les femmes, mais qu’elles les libéraient. »

Au début des années 1970, elle et un petit groupe de femmes qui rejoignaient sa pensée créèrent l’Evangelical Women’s Caucus. Cette initiative fut développée dans le cadre de l’association Evangelicals for Social Action (ESA), un groupe chrétien progressiste, auteur de la Déclaration de Chicago. Celle-ci était un appel évangélique à s’opposer au racisme, au matérialisme, au militarisme et aux forces qui engendrent les inégalités économiques. Le groupement de femmes convainquit l’ESA d’y ajouter l’opposition au sexisme.

Au bout de quelques années, l’Evangelical Women’s Caucus (aujourd’hui appelé Christian Feminism Today ou Evangelical and Ecumenical Women’s Caucus) comptait près de 1 500 membres et organisait des conférences annuelles indépendantes.

Dans les années 1980, le groupe perdit cependant plus de trois quarts de ses membres, suite à une controverse sur l’homosexualité. Scanzoni, coautrice avec la théologienne Virginia Ramey Mollenkott, de l’ouvrage Is the Homosexual My Neighbor? (« L’homosexuel est-il mon prochain ? ») cessa, à cette époque, d’être invitée à prendre la parole dans la plupart des institutions évangéliques et ne put plus publier d’articles dans la plupart des magazines du mouvement.

Malgré sa marginalisation, Scanzoni continua à s’identifier comme évangélique et à affirmer que ses croyances étaient fondées sur la Bible.

« Elle connaissait les Écritures », écrit la biographe Kendra Weddle, « et pouvait en citer des versets et des chapitres, comme les biblistes les plus érudits. Mais plus encore, la Bible était pour elle une source constante d’inspiration et d’orientation. Et elle vivait une riche relation avec le Christ. »

Brian McLaren, leader du mouvement de l’Église émergente, a retenu du parcours de Scanzoni la conviction qu’un engagement fidèle à l’Écriture conduit presque inévitablement à un conflit avec les gardiens de l’orthodoxie évangélique.

« Les textes bibliques que ces (hommes blancs) gardiens évangéliques utilisaient pour opprimer les autres, je la voyais les utiliser au contraire pour les libérer », écrit-il. « Pour moi, elle est avant tout une courageuse interprète de la Bible. »

Letha Dawson Scanzoni était née le 9 octobre 1935 à Pittsburgh et grandit à Mifflintown, dans le centre de la Pennsylvanie. Ses parents, James et Hilda Dawson, tenaient une station-service et un restaurant. Ils travaillaient la plupart des dimanches et n’étaient pas pratiquants, mais ils envoyaient Letha à l’église avec sa meilleure amie, la fille d’un pasteur. À l’âge de 11 ans, la jeune Letha vécut une expérience de conversion et, encouragée par la femme du pasteur, elle répondit à un appel devant l’assemblée.

Elle se rappellera plus tard qu’il avait beaucoup été question de péché et de repentance, mais qu’elle s’était avant tout sentie submergée par l’amour de Dieu. Plus tard, elle avait regardé le ciel et s’était émerveillée de sa grandeur, remplie d’admiration pour ce Créateur qui se souciait si profondément et si personnellement d’elle.

Scanzoni était une tromboniste talentueuse et avait été admise, à l’âge de 16 ans, à l’Eastman School of Music de Rochester, dans l’État de New York. Elle jouait également pour des églises et lors de rassemblements religieux, comme lors d’une campagne d’évangélisation organisée par Billy Graham. Lors de ce genre d’événements, elle fut petit à petit amenée à partager son témoignage, à apporter une méditation ou à diriger une étude biblique. Mais très rapidement, elle fut aussi soumise, en tant que femme, aux limites strictes concernant la manière dont elle pouvait s’exprimer et les conditions dans lesquelles elle pouvait le faire.

Ces limites n’étaient pas toujours claires pour elle. L’historien Isaac Sharp raconte à son propos qu’elle avait été déconcertée lorsque, lors d’un concert de trombone pour des prisonniers, un pasteur lui avait demandé de parler de sa foi. Elle savait que ce pasteur était d’avis que les femmes n’étaient pas habilitées à enseigner aux hommes. En revanche, il lui assurait qu’elle pouvait donner son témoignage, ce qui pour lui n’était pas la même chose. Pour Scanzoni, cette distinction n’avait pas de sens.

En tant que jeune femme, elle apprit également qu’elle ne pourrait pas toujours compter sur le plus élémentaire respect de la part des chrétiens. Un responsable du groupe de Youth for Christ auquel elle prenait part à Eastman l'embrasse un jour sans son consentement.

En 1954, après ses études à Eastman, Scanzoni s’inscrit à la section musique de l’Institut biblique Moody. C’est là qu’elle rencontre John, son futur mari. Pour suivre celui-ci dans un ministère qui lui avait été proposé puis dans la poursuite de ses études en sociologie des familles, elle quitte son cursus académique sans diplôme.

Durant cette période, Scanzoni aide son mari à rédiger plusieurs textes de sociologie. Elle le suit à Bloomington, dans l’Indiana, où il avait obtenu un poste d’enseignant à l’université. Tout en élevant ses deux garçons, Scanzoni commence à écrire ses propres articles et livres, alliant sagesse biblique et connaissances sociologiques pour parler de la vie familiale moderne.

À l’époque, elle écrit plusieurs livres dont Youth Looks at Love, Sex and the Single Eye et Sex Is a Parent Affair à propos de l’éducation sexuelle des enfants . Le second de ces ouvrages fut soutenu par le fondateur de Focus on the Family, James Dobson, qui en rédigea également la préface.

Scanzoni ne se considérait néanmoins pas comme une agitatrice ou une féministe en croisade. D’ailleurs, personne à l’époque ne la considérait de la sorte.

« La plupart des gens me voyaient comme une ménagère, une mère au foyer », raconte-t-elle. « Je n’étais pas le genre de personne à prendre la parole pour contester hardiment les professeurs de théologie et les interprétations traditionnelles de la Bible. Je passais mes journées à m’occuper de mes enfants et à écrire en tant qu’indépendante. »

En 1963, cependant, Scanzoni s’insurge contre un article publié dans le magazine Eternity. Charles Ryrie, professeur de théologie systématique au Dallas Theological Seminary, y affirmait que « une femme ne peut pas faire le travail d’un homme à l’Église, pas plus qu’un homme ne peut effectuer le travail d’une femme à la maison. »

Scanzoni voulut répliquer par un texte qui devint vite trop long pour un simple courrier des lecteurs. Elle le mit de côté, mais y revint plus tard pour en faire un article qui fut publié par Eternity en février 1966 sous le titre « Woman’s Place: Silence or service? » (« La place des femmes : silence ou service ? ») Scanzoni y affirmait que « l’incohérence associée à l’inflexibilité produit de nombreux problèmes » pour les femmes chrétiennes, dont beaucoup ont été douées par le Saint-Esprit pour répondre aux besoins de l’Église et accomplir le mandat missionnaire donné par Jésus.

« Pendant que, dans leurs tours d’ivoire théologiques, les hommes débattent de la place des femmes chrétiennes, » écrivait Scanzoni, « ces femmes travaillent fidèlement dans les vignes, craignant “d’enfreindre un commandement de Dieu”, mais encore plus effrayées à l’idée de voir le travail rester inachevé. »

Deux ans plus tard, elle publiait un article sur le mariage égalitarien, intitulé « Elevate Marriage to Partnership » (« Élever le mariage au rang de partenariat »). Celui-ci lui valut l’appréciation de Nancy Hardesty qui l’édita à l’époque. « Je viens de terminer l’édition de votre article et je suis très impressionnée par celui-ci », écrivit-elle à Scanzoni. « Et je ne pense pas du tout qu’il soit radical ou provocateur. C’est tout simplement juste et vrai, comme il se doit. Mais évidemment, je ne suis qu’une femme. »

Scanzoni lui répondit en l’invitant à collaborer à la rédaction d’un livre. Toutes deux se mirent à travailler sur All We’re Meant to Be: Biblical Feminism for Today (« Tout ce que nous sommes appelées à être. Un féminisme biblique pour aujourd’hui ») et le livre sortit en 1974.

L’année suivante, l’Evangelical Women’s Caucus organisait sa première réunion indépendante, coordonnée par Cheryl Forbes, éditrice chez Christianity Today, et deux autres personnes. Virginia Ramey Mollenkott ouvrit la conférence en déclarant : « La Bible soutient les principes fondamentaux du féminisme. »

Plusieurs éminentes personnalités évangéliques n’étaient cependant pas d’accord et commencèrent à mettre en doute le respect des Écritures affiché par les femmes égalitariennes. Pour eux, certaines féministes dépassaient les bornes et n’étaient plus réellement évangéliques.

« Certains des plus ardents défenseurs de l’égalité dans le mariage, en opposition à la hiérarchie, parviennent à leur conclusion en reniant directement et délibérément la Bible comme règle infaillible pour la foi et la pratique. Ce faisant, ils ont cessé d’être évangéliques », écrivait Harold Lindsell, autre éditeur de Christianity Today, en 1976. « Quiconque souhaite défendre l’égalitarisme dans le mariage est libre de le faire. Mais s’il ou elle dénigre l’Écriture en cours de route, le prix à payer est trop élevé. »

Le groupe Evangelical Women’s Caucus continua cependant à se développer jusqu’à ce qu’il se divise à la suite d’une controverse autour des chrétiens LGBTQ. Celle-ci éclata en 1978 lors de la parution d’un livre dans lequel Scanzoni et Mollenkott plaidaient pour la pleine inclusion de ces personnes dans l’Église.

Au départ, le livre avait une portée plus large. Les autrices avaient prévu d’aborder les problèmes sociaux les plus urgents, avec des chapitres sur le divorce, l’avortement, la censure et l’homosexualité. Mais pendant la rédaction de l’ouvrage, Mollenkott fit son coming out et révéla à Scanzoni qu’elle était lesbienne. Passé le choc provoqué par cette nouvelle, la pensée de Scanzoni évolua. Pour elle, les arguments utilisés pour la libération des femmes s’appliquaient également aux personnes LGBTQ.

« Elle appelait son approche “Aimer son prochain”, et mettait l’empathie et les relations au centre de ses préoccupations, plutôt que les règles ou les restrictions », écrit sa biographe. « Elle était convaincue que l’amour de Dieu était libérateur, ce qui la poussait vers la Bible, plutôt que de l’éloigner. »

Pour de nombreux évangéliques conservateurs, cependant, cela confirma l’idée que le féminisme était le début d’une pente glissante. La question fut abordée au sein de l’Evangelical Women’s Caucus en 1978, puis en 1982 et en 1984, et finit par diviser le groupe en 1986. L’organisation adopta une résolution affirmant que « les personnes homosexuelles sont des enfants de Dieu » et prit « une position ferme en faveur de la protection des droits civils des personnes homosexuelles ».

Il s’ensuivit une vague de démissions et la création d’une organisation concurrente, Christians for Biblical Equality (« Chrétiens pour l’égalité biblique »). Au même moment, des évangéliques opposés au féminisme chrétien lancèrent le Council on Biblical Manhood and Womanhood (« Conseil sur la masculinité et la féminité biblique »). Ce groupe était nécessaire, selon eux, en raison de la « prévalence et de l’acceptation croissante de bizarreries herméneutiques conçues pour réinterpréter le sens apparemment clair des textes bibliques. »

Scanzoni, quant à elle, ne fut plus la bienvenue dans les milieux évangéliques où elle avait auparavant sa place. Elle ne fut plus conviée à prendre la parole lors de conférences et de rencontres universitaires. On n’accepta plus de publier ses propositions d’articles. Et James Dobson lui retira son soutien lors de la réédition dans les années 1980 de son livre sur l’éducation sexuelle des enfants. Le message était clair : elle n’était plus la bienvenue.

« Si la fidélité à l’autorité de la Bible signifiait également qu’il fallait rester dans un certain éventail de conclusions interprétatives fixées par les tenants du pouvoir dans le mouvement évangélique », écrit l’historien Isaac Sharp, « les féministes évangéliques n’avaient aucune chance de succès. »

Scanzoni ne parut cependant pas particulièrement troublée par sa marginalisation au sein des milieux évangéliques. Elle avait la conviction que le Christ l’appelait à continuer à écrire, enseigner et prêcher. Et c’est ce qu’elle fit.

« En Luc 4, il nous est dit que Jésus est venu dans le monde pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, libérer les captifs, rendre la vue aux aveugles et affranchir les opprimés », rappelait-elle. « Ce n’est rien de moins qu’un appel à la justice. Chacun d’entre nous peut y prendre part. Chacun d’entre nous peut être un petit ruisseau qui vient élargir le fleuve. »

Letha Scanzoni est décédée à Charlotte, en Caroline du Nord, le 9 janvier dernier. Elle laisse derrière elle ses fils David et Stephen.

Traduit par Anne Haumont

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