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Elisabeth Elliot, une figure imparfaite dont Dieu s’est servi de manière extraordinaire

Tout comme son mari martyr, la célèbre autrice et conférencière peut être à la fois inspirante et décevante.

Christianity Today July 7, 2023
Illustration by Ūla Šveikauskaitė

Elisabeth Elliot fut l’une des personnalités évangéliques les plus extraordinaires et les plus controversées de l’après-guerre. Toute personne un tant soit peu en lien avec la communauté missionnaire américaine connaît l’histoire émouvante et tragique d’Elisabeth et de son premier mari, Jim Elliot, qui fut tué en Équateur par des tribus Waorani en 1956.

Elisabeth Elliot: A Life

Elisabeth Elliot: A Life

Crossway

624 pages

$22.99

Fait peut-être encore plus remarquable, Elisabeth Elliot et Rachel Saint (dont le frère Nate était également mort dans l’attaque) s’en allèrent vivre parmi les Waorani en 1958. Avant son retour aux États-Unis, Elisabeth Elliot était devenue l’une des évangéliques les plus connues des États-Unis, la mort de Jim Elliot et son endurance sur le terrain de la mission ayant fait l’objet de reportages dans des publications nationales de premier plan comme le magazine Life.

Dans Elisabeth Elliot : A Life, Lucy S. R. Austen nous offre une biographie à la hauteur de son sujet. Plongeant dans la vaste correspondance et les autres écrits d’Elliot, elle présente de celle-ci un portrait exceptionnellement détaillé et parfois contrasté. Près des trois quarts du livre couvrent l’histoire d’Elliot jusqu’en 1963, date à laquelle elle rentre aux États-Unis après avoir quitté l’Amérique du Sud. À cette époque, Elliot est une autrice à succès dont les désormais classiques Through Gates of Splendor (1957) et Shadow of the Almighty: The Life and Testament of Jim Elliot (1958) étaient en passe de devenir des ouvrages de référence pour les évangéliques.

Les biographes de personnalités comme Elliot ont souvent du mal à trouver le ton juste. Certains auteurs chrétiens adoptent des approches hagiographiques, présentant leurs sujets à l’image de saints devant susciter l’inspiration. Ces dernières années, un nombre croissant d’auteurs iconoclastes — en particulier des universitaires — ont opté pour l’autre extrême, vilipendant des figures évangéliques autrefois vénérées et les jugeant irrécupérables en raison de leur complicité dans divers péchés.

Lucy Austen se situe avec bonheur dans un sage équilibre entre les deux. Elle opte pour une forme de sympathie critique. Parfois, elle éprouve manifestement de la frustration face à son sujet. Austen est particulièrement sévère à l’égard de Jim Elliot, qui apparaît à la fois comme un missionnaire courageux et comme un prétendant hésitant (au mieux) dans la cour ridiculement longue qu’il fait à Elisabeth. Le cœur de leur problème, selon Austen, était la vision naïve du discernement de la volonté de Dieu que la culture évangélique de l’après-guerre donnait aux jeunes.

Une grande partie du livre raconte comment Elliot, à travers des souffrances répétées et largement inexplicables, a gagné en sagesse quant à ce que signifie suivre véritablement le Seigneur. Nous nous attachons à Dieu pour son caractère et pour ce qu’il a accompli dans la mort et la résurrection du Christ, et non pour la paix ou la prospérité du monde.

Vue sous cet angle, la vie d’Elliot réfute les assurances chrétiennes courantes selon lesquelles si nous obéissons, tout ira bien. Au contraire, Elliot conclut que Dieu « n’a jamais promis de résoudre nos problèmes. Il n’a pas promis de répondre à nos questions. » Et pourtant, nous rappelle-t-elle, Dieu a les paroles de la vie éternelle. Où d’autre pourrions-nous aller ?

Elisabeth (Howard) Elliot est née en 1926 dans une famille de missionnaires américains servant en Belgique. Pour leur part, Jim Elliot et sa famille étaient des membres inconditionnels de l’Église des Frères de Plymouth. Les frères, un mouvement protestant soucieux de retour aux sources et datant des années 1820 en Irlande et en Angleterre, laissèrent une empreinte profonde sur la piété d’Elisabeth et de Jim.

L’Église manifestait une combinaison particulière de préoccupation pour la sainteté, de place accordée aux laïcs, de zèle missionnaire et de goût pour l’apocalyptique. Parmi les figures fondatrices des frères, on trouve John Nelson Darby, l’un des premiers promoteurs des grands schémas prophétiques du prémillénarisme dispensationaliste. On peut aussi nommer George Müller, pionnier de la prise en charge des orphelins et de la « mission par la foi », qui a exercé une influence considérable et affirmait que les missionnaires ne devaient jamais solliciter de soutien financier, faisant plutôt confiance à Dieu pour subvenir à tous les détails de leurs besoins.

Elisabeth Howard semblait destinée à une carrière missionnaire avant même de rencontrer Jim Elliot au Wheaton College. Leur relation amoureuse fut intense et souvent déroutante, d’une manière qui pourra sembler familière aux diplômés des universités chrétiennes. La relation se prolongea à des niveaux d’intimité émotionnelle et de marques physiques d’affection de plus en plus avancés, mais Jim resta inflexible pendant des années sur le fait qu’il n’avait pas reçu le feu vert de Dieu pour faire sa demande en mariage. Austen semble y voir un type de piété exaspérant et hyperindividualiste.

Au cours de leur relation amoureuse, les décisions d’Elisabeth et surtout de Jim semblaient principalement régies par des impressions et des textes supposés servir de preuve. Dans un passage typique de cette pensée, Elisabeth écrit que personne ne peut dire « à un autre ce que Dieu veut qu’il fasse ». Pour discerner la volonté de Dieu, Dieu fait coïncider « les circonstances, le témoignage de la Parole et votre propre tranquillité d’esprit. »

Jim masque son indécision à l’égard d’Elisabeth avec de pieux sentiments de dépendance à l’égard du Seigneur. Il lui arrivait de s’autocondamner en parlant de son émotivité excessive. Dans une exclamation révélatrice, il écrit qu’il ne comprend pas ce qui, dans « le fait de l’aimer, fait de moi une telle femmelette. » Pour lui, les hommes n’étaient pas censés se laisser ballotter par des sentiments amoureux.

Les Elliot ressemblent parfois à des pièces de musée de la culture évangélique d’après-guerre. Pourtant, Dieu utilisa ces jeunes gens sans expérience pour accomplir des choses extraordinaires en Équateur. Leur courage et leur zèle exceptionnels pourraient en avoir fait les exemples de missionnaires les plus inspirants du 20e siècle.

Je soupçonne que notre gêne à l’égard de certaines biographies chrétiennes plus authentiques est liée à notre vision trop exaltée des personnes que Dieu utilise à son service. Dans le récit d’Austen, les Elliot sont des chrétiens ordinaires, marqués par l’inconstance, l’arrogance culturelle et le péché pur et simple. Mais elle suggère que si Dieu est à l’origine de tout ce qui est bon dans les missions et le ministère des chrétiens, nous ne devrions pas être choqués de découvrir des lacunes évidentes chez nos héros de la foi. Peut-être sont-ils plus proches de vous et de moi que nous ne l’imaginons. Si Dieu a pu se servir d’eux, il pourrait peut-être se servir de nous aussi.

Elliot elle-même se montrera de plus en plus choquée par les attentes stéréotypées des évangéliques américains à l’égard des missionnaires. À son retour d’Amérique du Sud, elle se lance dans des tournées de conférences, une vocation qui, avec l’écriture, occupe la majeure partie de son temps. Tous les auditeurs savaient que la mort de Jim et des « martyrs d’Auca » était tragique, mais beaucoup semblaient s’attendre à ce qu’Elisabeth intègre son expérience dans un récit simpliste où Dieu fait finalement tout concourir au bien. Ils voulaient entendre que cette perte dramatique avait un sens et qu’elle s’inscrivait harmonieusement dans le grand dessein de Dieu.

Cette attente était peut-être prévisible. Mais le public d’Elliot n’avait pas à faire face à sa solitude, à des rêves déchirants et récurrents du retour de Jim, ou à une jeune enfant qui perd peu à peu le souvenir d’un père décédé. Comment Elliot pouvait-elle expliquer au public américain qu’elle avait eu du mal à accepter la mort de Jim ? De même, comment pouvait-elle expliquer qu’elle avait cessé de travailler avec les Waorani en partie à cause de divergences irréconciliables avec Rachel Saint ? Comme le dit Austen, elle et Rachel Saint ont été deux des missionnaires pour lesquelles on a le plus prié à travers l’histoire. Et pourtant, elles n’arrivaient pas à s’entendre.

La perspective d’Elliot sur la mission et la vie chrétienne normale se complexifia après son retour aux États-Unis. Son expérience du deuil devint encore plus vive avec la mort de son second mari, Addison Leitch, des suites d’un cancer. Les amis et la famille prièrent pour la guérison de Leitch, ou au moins pour la paix. Elle écrit franchement qu’ils n’eurent ni l’un ni l’autre. Il décéda dans d’atroces souffrances quatre ans après leur mariage.

C’est à cette époque qu’Elliot (qui conserva le nom de famille de Jim) commença à écrire et à parler des rôles des hommes et des femmes dans le mariage et dans l’Église. Elle devint un grand avocat du complémentarisme (l’idée que Dieu a assigné aux hommes et aux femmes des rôles complémentaires et clairement différents).

Le complémentarisme moderne se cristallisa en opposition au féminisme chrétien émergeant des années 1960 et 1970. Austen n’explique pas vraiment pourquoi Elliot devint une complémentarienne de premier plan, hormis peut-être son passé confessionnel et ses lectures de C. S. Lewis, qu’elle citait parfois à ce sujet. Le réalisme peu sentimental d’Elliot alimentait également une critique sévère de tout ce qu’elle considérait comme de la mondanité chrétienne. Pour elle, le féminisme était synonyme de compromis avec les valeurs du monde, et elle le dépeint comme infidèle et dépourvu de sens.

Ses positions sur la soumission des femmes dans le mariage, le leadership masculin dans les Églises et la pureté sexuelle avant le mariage ont fait d’Elliot une figure décriée dans les cercles chrétiens progressistes. Plus délicat encore, Elliot a régulièrement pris la parole lors d’événements parrainés par l’Institute in Basic Life Principles de Bill Gothard, populaire à l’époque parmi les complémentariens et les chrétiens pratiquant l’école à la maison. Lorsqu’Elliot commença à collaborer avec Gothard au milieu des années 1990, des accusations publiques de longue date concernant l’abus de pouvoir et le harcèlement sexuel en série de femmes employées par Gothard étaient déjà connues. (Le conseil d’administration de Gothard a confirmé nombre de ces allégations en 2014.)

Elliot, comme beaucoup d’éminentes femmes conservatrices, manifesta également certaines contradictions dans son plaidoyer en faveur du complémentarisme. Bien qu’elle ait insisté sur le fait que seuls des hommes qualifiés pouvaient exercer la fonction de pasteur, elle enseignait à des auditoires intégrant généralement des hommes adultes. Avec son second mari, elle rejoignit l’Église épiscopale, l’une des confessions où un débat tendu sur l’ordination de femmes pasteures allait s’ouvrir. Elliot fondait son argumentation en faveur de la soumission des femmes sur la doctrine de la « subordination fonctionnelle éternelle », ou l’idée que le Fils de Dieu existe éternellement dans une relation de subordination au Père, une position que même de nombreux théologiens complémentariens considèrent comme non orthodoxe.

En fin de compte, Austen dépeint Elliot comme une personne complexe et imparfaite, mais puissamment utilisée par Dieu, en particulier pour la cause de la mission. « Pour Elisabeth Elliot », conclut Austen, « le fondement de la vie était la confiance en l’amour de Dieu. » Il ne s’agissait pas d’un simple pieux poncif. Il y avait là une conviction profonde, née d’expériences répétées de souffrance, un peu à la manière de Job.

On peut ainsi espérer que son histoire continuera d’inspirer une suivance radicale de Christ et l’engagement missionnaire, tout en renforçant la confiance dans le fait que, selon les mots d’Austen, « c’est à la fin que toutes choses dans le ciel et sur la terre seront restaurées ».

Thomas S. Kidd est professeur d’histoire de l’Église au Midwestern Baptist Theological Seminary. Son dernier ouvrage s’intitule Thomas Jefferson: A Biography of Spirit and Flesh.

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