Encore Bolsonaro ? Les évangéliques hésitent.

À l’approche des élections d’octobre, plus d’un tiers d’entre eux envisagent d’apporter leur soutien à la gauche.

Une femme évangélique en prière dans une mégaéglise au Brésil.

Une femme évangélique en prière dans une mégaéglise au Brésil.

Christianity Today September 27, 2022
Image : Source : Associated Press / Adaptations par Christianity Today

Dieu seul sait comment les évangéliques voteront lors des prochaines élections au Brésil. Mais les sondages prédisent un degré de clivage remarquable : un article du mois d’août parle de 49 % des évangéliques indiquant une préférence pour le président Jair Bolsonaro, tandis que 32 % disent avoir l’intention de soutenir le principal challenger de gauche, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Lors des dernières élections, environ 70 % des électeurs ont voté pour Bolsonaro, l’ancien capitaine conservateur de l’armée qui s’est engagé à « placer le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ».

Caroline Vidigal de Albuquerque, une évangélique qui travaille comme secrétaire de direction à Rio de Janeiro, était l’une d’entre eux. Elle a aimé la façon dont Bolsonaro défendait « la pensée chrétienne, contraire au marxisme ». Elle estimait que les voix de gauche avaient dominé pendant trop longtemps, et n’est pas restée insensible au fait que le politicien catholique a partagé la scène avec des leaders évangéliques et pentecôtistes pendant la campagne.

Alors qu’elle s’apprête à se rendre à nouveau aux urnes, Caroline Vidigal de Albuquerque examinera le bilan du président et le comparera à celui de Lula, qui a été au pouvoir de 2003 à 2010. « Nous pouvons comparer les actions avec les discours de la période électorale », explique-t-elle. « Dans ce cas, comme pour le reste, la réalité doit toujours s’imposer. »

Bon nombre des frères et sœurs évangéliques de Caroline Vidigal de Albuquerque — qui représentent environ 30 % de la population brésilienne — pourraient également avoir des priorités différentes cette fois-ci. Jorge Henrique Barro, pasteur presbytérien et professeur de théologie à la Faculdade Teológica Sul Americana (« Faculté théologique sud-américaine »), pense que les préoccupations économiques pourraient l’emporter cette année sur les préoccupations idéologiques. Les évangéliques sont souvent parmi les plus pauvres au Brésil et ont été durement touchés par l’inflation et le chômage.

Entre le COVID-19 et l’impact de l’invasion russe en Ukraine, l’inflation a dépassé 11 % en avril, le taux le plus élevé depuis deux décennies. Le chômage est d’environ 9 pour cent en septembre, même après que l’économie se soit légèrement remise de la pandémie.

« La population exclue, pauvre, noire, à faible revenu et peu éduquée, est exposée à des risques en matière de logement et de santé », rapporte le pasteur. « Les attentes les plus importantes de ces électeurs ont trait à leurs besoins fondamentaux. »

La question cruciale pour eux dans les urnes, selon lui, sera probablement « Qui est le plus capable d’aider le Brésil à sortir de la situation dramatique dans laquelle il se trouve ? »

À gauche : le président brésilien Jair Bolsonaro | À droite : L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.Image : Source : Getty/Stringer
À gauche : le président brésilien Jair Bolsonaro | À droite : L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Les voix évangéliques ne sont cependant pas unanimes. Au congrès national, 196 députés et sept sénateurs appartiennent au Frente Parlamentar Evangélica (« Front parlementaire évangélique »). Ils sont répartis dans 19 partis politiques différents. Le groupe le plus important, 42 d’entre eux, fait partie du Parti libéral de droite de Bolsonaro, mais ce n’est pas une majorité.

Si la plupart des évangéliques soutiennent les éléments clés du programme du Parti libéral — la défense de la famille traditionnelle, la liberté de religion et les enfants à naître — ils divergent sur certains points. Le gouvernement de Bolsonaro a cherché à assouplir les réglementations environnementales, par exemple, alors que 85 pour cent des évangéliques du pays disent que s’attaquer à la nature est un « péché contre Dieu ». Certains pasteurs évangéliques continuent de soutenir Bolsonaro, mais expriment cette fois-ci plus clairement des réserves.

« Je ne porte pas un T-shirt avec son visage imprimé dessus », déclarait Jaime Soares, un pasteur des Assemblées de Dieu à Rio de Janeiro, au Los Angeles Times. Mais, ajoutait-il, « c’est lui qui défend nos valeurs ».

Lors des dernières élections présidentielles, les sondages ont montré que seuls 19 % des évangéliques ont pris leurs instructions politiques de leurs responsables religieux. Mais Bolsonaro a clairement tenté de se rapprocher visiblement des leaders chrétiens. Il est apparu aux côtés de télévangélistes et de responsables pentecôtistes bien connus, dont Silas Malafaia, Marcos Feliciano et Edir Macedo, l’évêque de la plus grande dénomination prêchant l’Évangile de la prospérité dans le pays. Le président a également participé à la « Marche pour Jésus », conférant à l’événement un grand prestige.

Plus important, en 2021, Bolsonaro a tenu une promesse de campagne et a nommé un évangélique à la Cour suprême. Il a décrit cet ancien ministre de la justice, titulaire d’un doctorat en état de droit et d’un master en stratégies anticorruption de l’université de Salamanque, en Espagne, comme quelqu’un de « terriblement évangélique ».

Les leaders pentecôtistes — en particulier ceux qui prêchent la prospérité — semblent s’être rapprochés du président au cours des quatre dernières années. Certains dirigeants de l’Église presbytérienne du Brésil, également très proches de Bolsanaro, ont utilisé leur chaire pour inciter les gens à voter pour lui et ont envisagé de prendre des mesures disciplinaires contre les chrétiens qui soutiennent des candidats progressistes ou de gauche.

D’autres chrétiens du pays ont toutefois vivement critiqué l’alliance de certains dirigeants ecclésiaux avec Bolsonaro. Il est bon pour les évangéliques de s’impliquer dans la politique, disent-ils, mais il y a un danger dans l’allégeance au pouvoir.

« Cette communauté aspire au pouvoir politique », déclare Peniel Pacheco, un pasteur des Assemblées de Dieu et professeur de théologie qui a déjà siégé au Congrès. « Elle cherche à s’enrichir des bénéfices de l’État pour garantir des avantages économiques et fiscaux à ses fiefs confessionnels. »

Récemment, certains évangéliques ont été pris dans des scandales de corruption. En mars, les journaux ont obtenu un enregistrement audio de Milton Ribeiro, un pasteur presbytérien et chef du département de l’éducation, avouant apparemment un trafic d’influence. Le bureau du procureur général a ouvert une enquête.

« L’Église était trop loin du pouvoir, et maintenant elle en est trop proche », estime William Douglas, un juge fédéral de Rio de Janeiro. « Nous devons avoir une vie politique, mais nous ne pouvons pas laisser l’Église être prise en otage. »

Certains chrétiens espèrent que les quatre dernières années inciteront les évangéliques à réfléchir à leur témoignage et à leur vocation. Ils encouragent à une réévaluation en vue des prochaines élections.

« J’espère et je m’attends à ce que l’Église évangélique se mette au travail, afin d’être en mesure d’agir plus efficacement dans la sphère publique, plus efficacement dans la diffusion des valeurs de […] citoyenneté », déclare Ed René Kivitz, pasteur d’une mégaéglise baptiste à São Paulo. « La plus grande contribution de l’Église évangélique à la démocratie brésilienne est la préservation de l’environnement et de l’esprit démocratique de ses communautés. »

Reste à voir si Lula pourra en tirer parti et attirer les électeurs évangéliques. Beaucoup pensent simplement qu’il ne respectera pas leurs valeurs.

En avril, avant le début de la campagne, Lula défendait la dépénalisation de l’avortement au Brésil. Il considérait que l’avortement faisait partie des soins de santé. Après de vives critiques, le candidat a finalement expliqué qu’il était personnellement opposé à l’avortement.

Pour l’essentiel, il évite les problématiques culturelles et se concentre sur l’économie.

« Je ne pense pas qu’il soit impossible pour le [Parti des travailleurs] d’ouvrir des voies de négociation avec les évangéliques », estime l’anthropologue Juliano Spyer, auteur de Povo de Deus : Quem São os Evangélicos e Porque eles Importam ? (« Peuple de Dieu : Qui sont les évangéliques et pourquoi ils comptent. »), un livre sur les évangéliques et le Brésil contemporain.

Mais cette approche pourrait ne pas être exploitée avant le deuxième tour du scrutin, qui ramènera le nombre de candidats de 12 à deux.

« Cinq mois, c’est une période trop courte pour cette approche plus efficace », pense Juliano Spyer. « Le fossé est très profond. » Le premier vote aura lieu le 2 octobre.

Même si les électeurs évangéliques ne ressentent pas de lien naturel avec Lula et le Parti des travailleurs, plus d’un tiers d’entre eux envisagent de soutenir l’ancien président. Au cours de ses deux mandats, il a introduit avec succès des réformes sociales qui ont permis à 20 millions de personnes de sortir de la grande pauvreté tout en réduisant la dette nationale. La classe moyenne a grossi de près de 50 % sous sa présidence.

L’ancien président a pourtant été pris dans une vaste enquête sur un scandale de corruption et a été condamné en 2018 pour avoir accepté des pots-de-vin d’une société d’ingénierie qui voulait remporter un contrat lucratif avec la compagnie pétrolière publique Petrobras. Il a été condamné à 12 ans de prison, mais la condamnation a été annulée par la Cour suprême pour des raisons techniques, impliquant des erreurs de juridiction et de procédure. La réalité des accusations et leur importance en 2022 divisent la nation, et les évangéliques.

Rodrigo Cavalcanti Rabelo, un évangélique qui a voté pour le Parti des travailleurs en 2018, dit être lassé de voir les chrétiens embrasser la « polarisation agressive ».

Il espère qu’au cours de cette élection, les évangéliques se rappelleront comment se parler entre eux en tant que frères, sœurs et citoyens.

« La faculté de dialoguer est essentielle pour surmonter la grave situation économique et sociale que nous connaissons. »

Marcos Simas est titulaire d’un doctorat en études religieuses. Carlos Fernandes est reporter au Brésil.

Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet, découvrez le dossier spécial sur les élections au Brésil préparé par notre équipe lusophone, disponible en portugais et en anglais.

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