L’une des plus importantes méga-Églises de France s’est rassemblée cet automne pour se souvenir de ceux qui étaient décédés à cause de la COVID-19. Ce culte, en hommage à ceux qui sont partis, fut « personnellement très éprouvant » et a représenté « un vrai déchirement » pour le pasteur principal Samuel Peterschmitt, tant la communauté avait été atteinte tragiquement par le virus.
A peine neuf mois plus tôt, l’Église Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse, en France, avait tenu sa conférence d’adoration annuelle, au cours de laquelle les participants avaient prié pour les malades, vu de belles guérisons et loué Dieu avec l’ensemble des 2 200 personnes présentes, la plupart venant d’Europe, mais aussi certaines d’aussi loin que d’Afrique et d’Amérique Latine.
Mais l’événement de quatre jours, qui a eu lieu des semaines avant que la France n’entre en confinement, a contribué à l’une des premières avancées du coronavirus dans la région. Au moins 500 personnes de la Porte Ouverte furent contaminées, 82 furent hospitalisées – y inclus Samuel Peterschmitt lui-même – et 32 en sont décédées.
L’assemblée pentecôtiste a dû faire face alors au traumatisme à la fois spirituel et physique qui s’en est suivi. Pire, la Porte Ouverte fut rapidement rendue responsable par des voisins et les médias pour leur imprudence supposée, bien que la conférence de février ait débuté alors qu’aucune directive sanitaire sérieuse n’avait été communiquée. Isolés et endeuillés, des membres de l’Église durent, de plus, faire face à des insultes et à des menaces de mort ; des responsables ont, par ailleurs, eu besoin de protection lorsqu’ils retournèrent dans leur bâtiment pour des cultes diffusés en direct par internet.
Samuel Peterschmitt, dont le père a fondé la communauté, il y a 54 ans, dans le Nord-Est de la France, a ressenti le poids du ministère qu’il a poursuivi pendant la pandémie. De son lit de malade, il priait par téléphone avec les membres de sa communauté, notamment avec une soeur en Christ hospitalisée comme lui, dont le mari est décédé aux soins intensifs. Ce fut « une maigre consolation » d’être juste capable de lui offrir de suivre en viséo les obsèques de son mari, alors qu’elle était toujours hospitalisée. « C’est pour vous dire à quel point la situation était difficile, mais en même temps à quel point la relation fraternelle a été importante dans ces moments-là » a précisé le pasteur.
La Porte Ouverte ne sera plus la même après cette irruption de la pandémie en son sein. Samuel Peterschmitt, comme beaucoup dans sa communauté, s’est demandé pourquoi Dieu avait permis que ce fléau atteigne leur communauté et pourquoi il en avait épargné certains mais pas d’autres. « Mes amis qui sont décédés » a-t-il dit « avaient une foi aussi ferme que la mienne ».
Alors que la Porte Ouverte s’approche de la fin d’année la plus difficile de son histoire, le pasteur Samuel Peterschmitt s’est entretenu avec Jean-Paul Rempp, un collègue pasteur français, également directeur régional du Mouvement de Lausanne pour l’Europe, à propos de l’impact de la contamination de la COVID-19 sur son Église. Ses membres ont, en effet, été amenés à une compréhension plus profonde de la providence de Dieu, à une plus grande estime de l’humilité et à un désir plus fervent de rechercher Dieu dans l’affliction.
Alors même que vous aviez vu des guérisons lors de cette conférence, quelles ont été vos premières pensées lorsque vous avez soudainement réalisé que certains des participants avaient été contaminés par la COVID-19 ?
Il y a eu dans un premier temps un questionnement puisque je disais au Seigneur : « D'un côté, nous avons vu la gloire du Seigneur, et de l'autre côté, nous avons vu également ton peuple être touché par la maladie. » Et ce qui est finalement essentiel pour moi, c'est, dans ce moment-là, d'accepter le fait que Dieu, dans sa souveraineté, ne fait pas d'erreur, même lorsqu’il semble que ce soit un paradoxe : d'un côté, des guérisons et d’un autre, la maladie. Nous croyons, et je crois profondément, que même cette situation pénible et difficile contribuera à la gloire de Dieu.
Évidemment, je ne peux aujourd’hui encore qu’avoir une pensée très forte pour toutes les familles qui ont perdu un être cher… J’ai perdu plusieurs de mes amis. En tant que frères et soeurs, nous avons servi le Seigneur ensemble pendant de longues années et je l'ai vécu réellement comme un vrai déchirement. Mais en même temps, il y a eu cette consolation de la part du Seigneur par rapport à cette espérance que nous avons tous de nous revoir un jour.
Quels ont été vos plus grands défis lorsque, dans cette situation de contamination personnelle, vous avez cherché à exercer un ministère auprès de personnes malades, souffrantes et en situation de quarantaine ?
J’ai été isolé à l'hôpital, puis j'ai été ré-isolé à la maison, ce qui fait qu’il était difficile, justement, d'accomplir ce ministère à l'égard des malades puisqu’il n'était pas possible d'aller les visiter. Il n'était pas possible de leur imposer les mains, comme l'Écriture nous l'enseigne.
Lorsque j’étais hospitalisé, j’étais évidemment également sous oxygène, donc j’étais essouflé. Mais j'avais des membres de l'Église qui étaient hospitalisés en même temps que moi. Certains étaient au même étage que moi, d'autres deux étages en dessous. D'autres étaient en réanimation ou au sous-sol. Et ce que je faisais, c’est qu’autant que je le pouvais, je prenais mon téléphone. J'essayais de les joindre. Cela ne durait pas longtemps. Nous prenions le temps – même courtement – de prier les uns pour les autres.
Quels sont les passages des Écritures, quels sont les cantiques ou alors les exercices spirituels qui vous ont particulièrement aidé ?
Je dois dire que lorsque j'étais au plus bas, j'ai vraiment vécu des visitations de la part du Seigneur, comme je n'en ai que rarement vécues dans ma vie. Et ce furent des temps autant par son Esprit que par sa Parole où Dieu a parlé à mon âme. Il m’a amené à une repentance extrêmement profonde. Ce furent des temps de repentance, en particulier lorsque je lisais les psaumes. Et ceux-ci dans cette période-là se sont révélés d'une aide extraordinaire. J'avais le sentiment que David les avait écrits pour moi. Ils étaient devenus littéralement personnels.
Et il y a eu un chant qui m'a beaucoup accompagné, que nos amis américains connaissent certainement, c’est Show me your face de Don Potter, et qui était un chant qui m'a fait énormément de bien, dans lequel je disais moi aussi : « Seigneur, révèle-moi encore plus ta face, montre moi qui Tu es dans cette période où, finalement, mon âme est passée au scanner. »
Dans ces moments, j'ai réalisé que finalement, Dieu n'avait pas besoin de me dire quoi que ce soit ou de me reprocher quoi que ce soit. Sa seule présence, eh bien m'a amené à me juger moi-même. Et c'est sa présence qui m'a amené à avoir un regard sur moi qui finalement me donnait une telle conviction de péché que je disais : « Est-ce possible que j'ai été cet homme-là ? Est-ce possible que j'ai pu avoir ces attitudes-là ? » Ce fut un moment, paradoxalement d'une grande tristesse et en même temps d'une grande espérance, des moments de profonde désolation quant à moi-même et en même temps des moments de changement dans mon cœur et dans mon âme que je ne regrette à aucun moment.
Y a-t-il eu des moments où vous-même ou votre Église avez questionné le plan de Dieu qui a permis la contamination de votre Église par le virus ?
Oui, évidemment. Je pense que le contraire n'aurait pas été normal. Je crois que si nous ne nous étions pas arrêtés pour nous poser la question, cela aurait été anormal. Je me suis mis, mais pas seulement moi, les pasteurs, et chacun dans la communauté, à me poser des questions comme : « Mais pourquoi est-ce que ça nous est arrivé ? Pourquoi nous ? ». Je ne vais pas vous dire que j'ai toutes les réponses aujourd'hui. J'ai vu tout ce que cela a amené, comme le changement dans mon propre coeur. Je l'ai exprimé tout à l'heure, et je bénis Dieu pour cela.
Cela nous a aussi amenés à beaucoup d'humilité, puisque cette contamination nous a, bien-sûr, rappelé la souveraineté de Dieu de laquelle nous étions déjà conscients auparavant, mais cela nous a aussi rappelé que Dieu agit tantôt d'une manière et tantôt d’une autre. Nous en avions déjà la conscience, mais là, nous avons été communautairement amenés à accepter tous ensemble cette réalité. Donc, pas en acceptant sa souveraineté dans la vie d'une personne individuelle que nous aurions accompagnée, pour laquelle nous aurions prié, et, qui serait quand-même décédée, mais plutôt en acceptant sa souveraineté comme communauté. Car soudainement, c’est en tant que communauté que nous la vivons, et nous la vivons à une échelle quand-même relativement importante puisque nous avons beaucoup de nos paroissiens qui ont été contaminés par la COVID, et puis, un nombre élevé qui en est décédé.
Une dernière chose que je voudrais dire, c'est que lorsque j'ai posé cette question au Seigneur : « Pourquoi nous ? », une des réponses qui m'est venue a été la suivante : « Mais comment aurais-tu réagi si ça s'était passé dans un autre milieu ? Oui, je prends l'exemple. Si ça s'était passé dans une mosquée. Comment aurais-tu réagi ? ». Il est évident, et je dois le dire avec tristesse, certainement que j'aurais vécu ou j'aurais interprété cela comme un jugement de Dieu. Et le Seigneur m'a montré là que finalement, nous jugeons très vite, en particulier quand cela arrive chez les autres.
Cela a amené à un changement de regard pas fondamentalement sur l'islam, mais un changement de regard sur le jugement que l'on pouvait rapidement avoir lorsqu'un malheur arrivait, surtout lorsqu'il arrivait aux autres en cherchant toujours à conclure par une explication, par une cause.
Si c'était intervenu dans un autre milieu, probablement que j'aurais réagi malheureusement, comme certains ont réagi à notre égard, puisque nous avons été immédiatement jugés de la part même des chrétiens, nous avons été mis à l'index. Certains ont tout de suite essayé d'expliquer spirituellement pourquoi ces choses nous sont arrivées, en disant que nous ne faisons pas assez ceci ou trop cela, etc. Mais je dois dire avec humilité que finalement, aujourd'hui, je ne peux que leur pardonner parce que, peut-être, que je n'aurais pas été meilleur qu’eux.
Vous avez parlé sur la façon dont vous avez mis en pratique le pardon à l’égard de ceux, médias compris, qui rejetaient la responsabilité sur votre Église.
Nous avons, dès le départ, décidé simplement de nous rallier à ce que Jésus disait lui-même lorsqu'il dira que vous serez tous haïs à cause de mon nom.
Nous avons réalisé que – au-delà de la pandémie qui avait pris place, de la maladie dont on nous accusait d'être les porteurs – il y avait une vague réellement anti-chrétienne, et c'est face à cela que nous avons décidé de pardonner et de rester dans une attitude de pardon. Nous l'avons eue dès le début, et je crois pouvoir dire que l'ensemble de la communauté a eu cette attitude-là. Nous avons exprimé le pardon également dans les médias, qu'ils soient télévisés ou qu'ils soient écrits.
Qu’en est-il aujourd’hui de la vie de votre Église, la Porte Ouverte ? Y a-t-il des différences que vous voyez par rapport à avant la pandémie ?
Il y a, bien-sûr, une différence qui est flagrante, c'est que le nombre de personnes présentes est très limité, puisque nous devons respecter la distanciation sociale, nous devons respecter les règles sanitaires. Ce qui fait que dans une église dans laquelle on pouvait mettre 2 400 personnes, aujourd'hui nous mettons entre 600 et 700 personnes. La deuxième chose, c'est que, évidemment, certains de nos paroissiens ont aussi éprouvé une certaine crainte, ce que je peux aisément comprendre. Mais parallèlement à cela, ce que je dois dire, c'est que, dans cette même période, j'ai découvert également notre assemblée avec un visage peut-être différent, dans ce sens où j’ai vu une solidarité se mettre en place que je n'aurais pas soupçonnée.
Même si je savais que les frères et sœurs étaient solidaires : une manifestation d'amour et de soutien dans la prière qui était pour moi extraordinaire.
C'est, par exemple, la mise en place d’une chaîne de prière 24 heures sur 24, spontanément, et depuis, elle existe et n'a plus jamais arrêtée. Nous avons vu spontanément nos jeunes gens pendant la pandémie – alors que nous étions tous confinés – les jeunes gens prendre à cœur d'appeler. Nous avons plusieurs centaines de personnes âgées, eh bien, ils appelaient les personnes âgées, voire allaient leur faire les courses, etc.
Nous avons vu l'importance de nos groupes de maisons. Plus que jamais, nous pensons que l'Église de Christ doit vraiment arriver à cette maturité où ceux qui la composent soient vraiment des disciples. Il faut que ce ne soient pas seulement des paroissiens et des membres. Il faut que ce soient des disciples.
Et nous, nous prions pour cela. Et je sens qu'il y a un profond désir d'aller dans cette direction-là. D’ailleurs, après le déconfinement, notre premier culte a été extrêmement fort au niveau de la communion fraternelle. Il y a eu une joie, une explosion de joie, nous n’avions pas commencé le culte que les gens se sont mis à applaudir. Et cela a duré, je ne pourrais pas vous dire combien de temps ça a duré, mais c’était juste une fête de se retrouver, une vraie fête !
Quels sont les effets spirituels persistants, engendrés par la pandémie, visibles au niveau de votre Église ?
Il y a, et je le sens profondément et je le vois, un mouvement de sainteté. Nombreux ont été les témoignages de ceux qui m’ont dit : « Mais cela a bouleversé mon regard sur ma vie spirituelle. Cela m'a rapproché du Seigneur. Il y a des choses que je ne peux plus faire aujourd'hui. Je ne veux plus perdre de temps avec ce que le monde m'a volé pendant un temps. » Il y a vraiment un retour vers une consécration et un élan d'amour pour le Seigneur, qui est extraordinaire.
Évidemment, parallèlement à cela, vous avez des personnes qui, elles, ayant peu de racines, un peu comme dans la parabole du semeur, eh bien, certains se dessèchent, d'autres ont la peur un peu d’étouffer. Mais pour moi, il est encore trop tôt pour faire un bilan. Cependant, cet élan de sainteté, le désir de la présence de Dieu, a été flagrant, vraiment flagrant.