Pendant longtemps, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) renvoyait principalement à quelques clichés : l’enfant distrait qui fait l’idiot pendant un match ou l’élève agité qui se désintéresse des cours.
Personne n’imaginait un pasteur d’âge mûr essayant de terminer le brouillon de son sermon tard dans la nuit de samedi à dimanche.
Mais comme les taux de TDAH continuent d’augmenter — avec une hausse des diagnostics chez les femmes et les adultes — l’image de ce trouble est devenue plus nuancée, et de plus en plus de personnes acceptent leur TDAH, y compris dans le cadre de leur ministère.
Les symptômes du TDAH peuvent représenter un défi particulier pour les pasteurs, dont la vocation généraliste se déploie souvent sans l’aide administrative dont ils auraient besoin. Lorsque Chad Brooks voit un pasteur atteint de TDAH, il voit quelqu’un qui va soit s’épuiser dans le ministère, soit représenter l’avenir de l’église.
Brooks est pasteur et coach et travaille avec les pasteurs de l’Église méthodiste unie (UMC) au sein du ministère Passion in Partnership. L’UMC exige que tous les pasteurs fassent une évaluation de leurs compétences à mi-carrière. Brooks a observé que les pasteurs qui viennent le voir pour un coaching et ont obtenu des résultats médiocres en matière de prédication dans leur évaluation ont souvent un diagnostic clinique de TDAH.
Il a mis au point un cours intitulé « Prêcher malgré la distraction » pour aider les pasteurs à apprendre à travailler plus efficacement pendant la semaine plutôt que d’utiliser l’adrénaline de la procrastination pour produire un sermon le samedi soir. Un nombre croissant de pasteurs s’adressent à lui pour un coaching individuel parce que leur TDAH rend trop difficile la concentration dans une salle de classe.
« Ces personnes sont profondément passionnées par les gens et le ministère, et si nous ne parvenons pas à trouver un moyen de marcher avec elles, nous passerons à côté de choses dont nous avons désespérément besoin en ce moment », estime-t-il.
Russell Barkley, expert en TDAH, explique que ce trouble se comprend mieux comme une déficience des fonctions exécutives, la maîtrise de soi nécessaire pour soutenir une action en vue d’atteindre un objectif. Les fonctions exécutives contrôlent des fonctions cérébrales telles que l’inhibition du comportement, le contrôle des émotions, la planification et la résolution de problèmes… en d’autres termes, les choses dont vous avez besoin pour vivre en adulte normal.
La définition de Barkley traduit la myriade de façons dont le TDAH peut perturber la vie. Pour les pasteurs souffrant de TDAH, les aspects essentiels du pastorat moderne tels que la planification des réunions, la gestion des rendez-vous, l’étude des Écritures et la préparation des sermons sont de réels défis. Parallèlement, de nombreuses personnes atteintes de TDAH font état d’une capacité d’hyperfocalisation, même si leur cerveau ne se fixe pas sur des choses productives.
La prévalence des diagnostics de TDAH, qui ont encore augmenté pendant la pandémie, est largement passée inaperçue et n’a pas été prise en compte par l’Église, même si de plus en plus de pasteurs souffrant de cette maladie en ressentent les effets.
Avec la réduction de la taille des églises aux États-Unis, celles-ci attendent de leurs pasteurs qu’ils soient des généralistes capables de tout gérer et les pasteurs dont les fonctions exécutives sont altérées luttent à la fois contre la honte et contre eux-mêmes.
Pour Brooks, une grande partie de son travail consiste à aider les pasteurs à être honnêtes avec eux-mêmes sur leurs forces et leurs faiblesses et à développer des habitudes qui correspondent à la façon dont Dieu les a créés.
Il demande à ses clients de documenter la façon dont ils passent leur temps, car la gestion du temps est un problème majeur pour les personnes atteintes de TDAH. En planifiant la décomposition de tâches telles que la préparation des sermons, les pasteurs peuvent gérer leur charge de travail sans attendre la montée d’adrénaline découlant de la procrastination.
Casey Cease est un pasteur laïc et coach qui travaille également dans le domaine du marketing et de l’édition. Il estime que sa capacité à passer d’un domaine à l’autre est l’un des résultats de son TDAH. Il apprécie la variété.
Bien qu’il ne travaille plus comme implanteur d’église, Cease se souvient à quel point il redoutait d’écrire ses sermons. En tant qu’implanteur d’église au sein du réseau Actes 29, Cease pensait que son style de sermon personnel devait correspondre aux styles académiques et intellectuels de Don Carson, Tim Keller et John Piper. Pourtant, plus il essayait de rédiger ses sermons comme les autres pasteurs, plus ses sermons devenaient mauvais.
« J’avais l’impression d’être déficient », raconte-t-il.
Aujourd’hui, il prêche environ une fois par mois. Il s’autorise pour cela à s’appuyer sur ce qui lui permettra d’être fidèle au texte, attentif à sa communauté et ouvert à l’action de l’Esprit saint.
La planification est essentielle. Il réserve le mardi comme jour de préparation du sermon et prévoit un temps d’activité physique ce même jour pour aider à sa concentration. Il imprime le texte et utilise des stylos et des surligneurs pour interagir physiquement avec le passage pendant qu’il y réfléchit. À la fin de la journée, il espère avoir un plan général du sermon, de sorte que, s’il n’a pas le temps d’y revenir avant le samedi, il puisse toujours prêcher un sermon fidèle à l’Écriture.
Pour Cease, accepter son TDAH signifie aussi accepter que son meilleur travail de préparation de prédication se fasse naturellement le dimanche matin tôt. Lorsqu’il a appris à travailler avec son cerveau plutôt que contre lui, « le stress de la procrastination a disparu », dit-il.
La préparation des sermons est toujours un défi, mais avec un plan pour décomposer les tâches, la chose ne semble plus insurmontable.
Comme pour la préparation de ses sermons, le pasteur a découvert des moyens d’optimiser sa pratique des disciplines spirituelles afin que ses pensées ne vagabondent plus autant. Sortir pour s’isoler, prier en marchant, rédiger des prières — plus Cease implique ses sens, plus il parvient à gérer ses pensées.
Le fait que le ministère pastoral de Cease ait consisté à fonder une église est également un atout. Les personnes atteintes de TDAH sont souvent enthousiasmées par les grandes idées et leur énergie est contagieuse. Elles attirent les autres avec une vision convaincante et laissent ensuite à des personnes plus douées sur le plan administratif le soin de s’occuper des détails.
Brooks relève que de nombreuses personnes atteintes de TDAH sont douées pour rassembler les gens, ce que le populaire module d’évaluation CliftonStrengths appelle le charisme. Cease relate qu’il s’est montré franc avec sa communauté au sujet de ses luttes avec le TDAH, de son anxiété et de sa dépression, instaurant la transparence dès les premiers jours de l’église.
Matt Podszus pense lui que son TDAH lui permet d’entrer en contact avec les gens. Il est naturellement curieux et intuitif, et lorsqu’il a commencé un ministère parmi les étudiants avec l’organisation The Navigators, son TDAH lui a donné de l’énergie pour les premiers jours de cette nouvelle entreprise, lorsque l’avenir n’était pas défini. Il constate aujourd’hui que son TDAH l’aide à envisager des connexions et des possibilités inexploitées que d’autres personnes ne voient pas.
Son ministère s’est développé, mais les responsabilités se sont accrues. Gérer des projets, répondre à davantage de courriels et assister à davantage de réunions ont mis Podszus à rude épreuve. « Je le ressens viscéralement comme un vent contraire », témoigne-t-il.
De nombreux pasteurs interrogés dans le cadre de cet article sont des implanteurs d’églises ou ont lancé de nouveaux ministères. Pour eux, ces nouveaux ministères offraient une diversité intéressante et correspondaient bien à leur énergie et à leur capacité à rassembler les gens autour d’une vision.
Mike Emlet, accompagnateur chrétien et médecin, explique que les personnes atteintes de TDAH ont parfois honte de ne pas travailler ou de ne pas penser comme les autres. Qu’il s’agisse de pasteurs ou de paroissiens, il constate que les personnes atteintes de TDAH intériorisent l’idée que ce diagnostic les définit.
« Nous devons dissocier notre valeur, notre utilité et notre justice de nos performances », souligne-t-il. « À la place, l’Évangile nous invite à nous demander à quoi ressemble la fidélité aujourd’hui. »
Parfois, la fidélité à l’Évangile consiste à prendre les médicaments nécessaires pour aider le cerveau à se concentrer.
« Je remercie souvent Dieu de m’avoir fourni mes médicaments lorsque je les prends », dit Cease.
Les médicaments et un accompagnement ont permis à Jeff Davis de retrouver une vie plus agréable. Il est aujourd’hui un actif responsable laïc de la Stonebriar Community Church, près de Dallas, mais il lui était beaucoup plus difficile d’enseigner l’école du dimanche et d’animer des petits groupes avant qu’il ne commence à suivre un traitement pour le TDAH. En réalité, il a été sans abri pendant près de deux ans. Il raconte que ses fonctions exécutives déficientes l’empêchaient de trouver et de conserver un emploi.
Il souffrait d’obésité morbide parce que la suralimentation lui semblait être le seul moyen de calmer son cerveau. Un suivi et des médicaments pour le TDAH l’ont aidé à trouver de meilleures façons de gérer ses symptômes, et il a perdu plus de 35 kilos depuis l’automne 2022.
Autrefois sans domicile fixe, cet ingénieur informatique est aujourd’hui vice-président de l’ingénierie d’une entreprise spécialisée dans les modules conversationnels d’intelligence artificielle.
Il y a peu d’écrits sur le TDAH d’un point de vue chrétien. Davis propose donc quelques articles sur le sujet afin de déstigmatiser une lutte qui a défini sa vie. Si les formes plus légères de TDAH peuvent présenter des avantages, le sien le tirait fondamentalement vers le bas.
« Est-ce que c’est une maladie ? J’étais sans domicile fixe. J’ai vécu dans mon camion pendant 20 mois. Si ce n’est pas une maladie mentale, je ne sais pas ce que c’est. »
Selon lui, les réactions à son blog ont été positives, de nombreux lecteurs le remerciant de parler enfin d’un sujet qui est rarement abordé dans les églises. Il se sent frustré lorsque les chrétiens considèrent le TDAH comme une simple incapacité à se concentrer.
Podszus raconte que le mot « juste » est source de stress pour lui, « parce que tout ce qui va être dit après cela ne sera pas faisable ». Par exemple, « juste » répondre à un courriel ou « juste » suivre un engagement.
Il étudie au North Park Seminary et même la demande d’un aménagement raisonnable pour les études est difficile pour une personne atteinte de TDAH — raison pour laquelle un tel aménagement serait d’emblée nécessaire. Remplir des demandes, organiser des rendez-vous et obtenir des documents exige une attention aux détails et un suivi qui semblent impossibles à l’esprit de celui qui vit avec ce trouble.
Mike Emlet rappelle que 1 Corinthiens 12 enseigne que chaque croyant est doué et nécessaire pour le corps du Christ.
Le TDAH peut apporter des avantages, en particulier en matière de résolution de problèmes hors des sentiers battus. Selon Podszus, son manque d’attention aux détails lui permet de donner à ses équipes les moyens de faire leur travail sans les microgérer.
Pour Brooks, les dons d’entrepreneur et l’énergie présents chez tant de pasteurs atteints de TDAH les rendront indispensables à l’avenir de l’Église.
« Nous allons avoir besoin de ces responsables, car dans les régions où je travaille, j’aurais besoin de 20 pasteurs entrepreneurs pour hier. » « Ce sont les pasteurs dont notre époque a le plus besoin. »