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La mer sert Dieu auprès des pauvres

Selon un théologien indonésien, aider les écosystèmes marins à s’épanouir, c’est prendre part à l’œuvre de Dieu.

Christianity Today May 14, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Source Images : Unsplash

L’Indonésie est le plus grand archipel du monde. Elle est composée d’un ensemble impressionnant de 17 000 îles, et 70 % de sa population vit dans les zones côtières. Nombreux sont ceux qui considèrent ce pays comme un paradis pour les plongeurs. Il abrite encore des récifs coralliens extraordinaires qui regorgent de poissons de toutes les couleurs. C’est également là que l’on trouve les plus grands écosystèmes de mangrove de la planète.

Malheureusement, mon pays est aujourd’hui confronté à une grave crise écologique marine due à une activité de pêche destructrice, à la pollution, au changement climatique et aux émissions de gaz à effet de serre. Tout notre écosystème de mangroves, d’herbiers marins et de récifs coralliens est en déclin. Les stocks de poissons diminuent également, tandis que d’autres créatures marines subissent de fréquents empoisonnements dus à la pollution terrestre.

Cette crise constitue une menace tout particulièrement sérieuse dans le contexte indonésien, où vie écologique et sociale sont inséparables. Plus de la moitié de l’apport protéique annuel de la population provient du poisson et des fruits de mer. La subsistance d’environ 7 millions de personnes dépend donc fortement de la mer. Mais aujourd’hui, plus de 2,5 millions de ménages indonésiens pratiquant la pêche à petite échelle voient leur mode de vie et leur source de revenus grandement menacés. Et avec des zones de pêche de plus en plus limitées, les conflits entre ces pêcheurs traditionnels s’intensifient.

Les populations pauvres de nos régions côtières sont celles qui souffrent le plus de leur dépendance à l’égard de la mer pour leur survie. Afin de se nourrir, bon nombre d’entre elles utilisent des techniques et des équipements traditionnels pour récolter à marée basse diverses sortes de fruits de mer. Par exemple les pudi, des barrages de pêche qui canalisent les poissons vers un endroit particulier, ou les bubu, des pièges à poissons en bambou.

Cependant, la crise écologique marine détruit de plus en plus leur source de nourriture. Elle met également à mal notre culture de solidarité avec les plus démunis, car les communautés côtières donnent souvent la priorité aux pauvres lorsqu'il s'agit de puiser des provisions dans la mer.

En d’autres termes : chez nous, la mer est non seulement lieu d’approvisionnement en nourriture, mais aussi de compassion pour les plus pauvres. Tout cet équilibre est à présent en danger.

Dans ce contexte et suite à ma réflexion sur les pratiques traditionnelles des communautés et églises côtières indonésiennes, j’aimerais mettre en avant le concept et la pratique de ce que j’appelle la diaconie « bleue ». Le mot diakonia en grec désigne le service pour le bien de la communauté. C’est de lui que dérive le mot diacre.

Les études de la diaconie dans le Nouveau Testament et dans les sources grecques anciennes réalisées par l’universitaire australien John N. Collins soulignent que ce service et ce ministère humain renvoient au mandat donné par Dieu de prendre soin des pauvres. C’est aussi le point de vue du missiologue danois Knud Jørgensen qui voit dans la diaconie une invitation à participer à l’œuvre de Dieu en prenant soin des pauvres, des marginaux et des opprimés et en les aidant à sortir de leur condition.

La plupart des croyants indonésiens considèrent ce service comme essentiellement humain. Il s’agit d’aider les pauvres en leur fournissant de la nourriture ou un soutien financier. Mais cette conception des choses n’intègre pas ce que la création elle-même fait pour les populations défavorisées.

Or, c’est la mer qui nourrit les pauvres et donne la vie à ceux qui dépendent d’elles. Nous devrions donc la considérer comme participante active à l’œuvre du Dieu trinitaire et développer une « diaconie bleue » qui mette tout en œuvre pour reconnaître cette action et la soutenir.

Un avant-goût du royaume

Une enquête réalisée en 2023 par l’agence gouvernementale Statistics Indonesia a révélé que 25,9 millions de personnes vivent dans la pauvreté dans le pays. La diaconie est donc une pratique cruciale pour les chrétiens, qui représentent 11 % de la population dont la majorité est musulmane.

Selon le théologien indonésien Yosef Purnama Widyatmadja, trois modèles de diaconie sont largement pratiqués dans les communautés chrétiennes indonésiennes : la diaconie caritative (pratique de la charité), la diaconie formative (développement individuel et communautaire par la formation) et la diaconie transformative (transformation structurelle et sociale). Mais l’intégration de l’écologie dans ces pratiques présage d’un nouveau développement prometteur. En effet, une approche théologique connue sous le nom d’écodiaconie suscite un intérêt croissant au sein des églises indonésiennes. Elle cherche à garantir que la nature continue à exercer son action, en particulier nourricière, et que les pauvres y aient accès de manière durable.

Dans l’idée d’une diaconie bleue, c’est spécifiquement la mer — et non la nature au sens large — que les chrétiens s’efforcent de servir et de protéger. Les eaux qui recouvrent la surface de cette planète font partie de la bonne création de Dieu. Elles englobent aussi toutes les créatures qui y vivent et sont bénies par le Seigneur qui leur a donné le pouvoir « d’être fécondes, de se multiplier et de remplir les eaux des mers » (Gn 1.10, 20-22). La mer et les créatures marines font l’expérience de l’amour de Dieu, qui veille sur elles et les renouvelle (Ps 104.24-30 ; 145.9).

Et elles font pleinement partie du Royaume à venir. Pour le théologien américain J. Richard Middleton, l’affirmation qu’il n’y aura « plus de mer » en Apocalypse 21.1 signifie avant tout que la mer ne sera plus utilisée par l’Empire romain pour étendre son pouvoir d’exploitation économique. Au sein de la nouvelle création, les eaux prendront bien part à l’adoration de Dieu. Leurs créatures se joindront aux autres dans le ciel, sur la terre et sous la terre pour chanter à « celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau » (Ap 5.13).

Dans cette perspective, les églises peuvent rendre témoignage de l'Évangile (Mc 16.15) en offrant à la mer et à ses créatures un avant-goût du royaume de Dieu à venir. Ce que fait la diaconie bleue, préserver et restaurer la mer pour qu’elle continue à jouer son rôle nourricier, en particulier pour les pauvres, est un prélude au Royaume à venir.

C’est ainsi que, depuis 5 ans, l’église évangélique Gereja Masehi Injili di Timor (GMIT) s’efforce d’améliorer les conditions de vie marine dans la province orientale de Nusa Tenggara.

En 2020, l’église s’est associée au ministère indonésien des Affaires maritimes et de la Pêche pour transplanter des corauxdans le parc marin national de la mer de Savu, situé dans cette province, afin de restaurer l’écosystème du parc. Depuis 2021, la GMIT a également planté et entretenu des mangroves sur l’île de Savu. Ce projet est « l’expression de notre foi, car nous préservons le don de Dieu qu’est la vie, en restaurant et en protégeant les mangroves, tout comme les mangroves nous protègent des cyclones », nous déclare l’ancienne coordinatrice synodale de la GMIT, Mery Kolimon.

« Nous ne pouvons pas laisser l’écosystème de la mangrove se détruire. Nous devons aider à le restaurer, car c’est notre vocation en tant que peuple de Dieu », ajoute Rowi Kaka Mone, l’un des responsables du projet.

D’autres églises indonésiennes exercent des activités visant à préserver les eaux qui les entourent. Depuis de nombreuses années, deux églises en particulier — Gereja Protestan Maluku (GPM) et Gereja Kristen Injili di Tanah Papua — perpétuent la pratique de pêche durable traditionnelle du sasi laut. Cette méthode veille à la préservation des écosystèmes marins en interdisant les activités de pêche dans une certaine zone pendant une période donnée, allant de trois mois à deux ans.

Les gens appellent souvent la pratique de sasi laut par la GPM par un autre nom : sasi gereja, ou « sasi de l’église ». Cet usage « implique la bénédiction de l’église locale et, pour les croyants, la crainte de Dieu. Enfreindre le “sasi de l’église”, c’est commettre un péché », peut-on lire dans un reportage du site Forests News.

Prendre soin de la veuve et de l’orphelin

Mais soulignons-le, la mer ne doit pas être considérée uniquement comme bénéficiaire de cette diaconie – le service et le ministère chrétiens – car cette optique pourrait éclipser son rôle au sein de la création.

S’il est vrai que la mer a besoin de l’homme pour prendre soin d’elle, elle dispose également de ses propres moyens d’action que nous devrions reconnaître. La mer n’est pas un élément passif qui dépend entièrement de l’homme. Elle joue un rôle vital dans l’accomplissement de la mission de Dieu, même lorsqu’elle doit se rétablir des dommages causés par l’homme. En cela, nous réalisons que nous ne devons pas travailler uniquement pour elle, mais aussi avec elle.

Cela signifie que la mer elle-même peut également être considérée comme un diakonos, un diacre ou un serviteur de Dieu à l’œuvre pour prendre soin des pauvres en leur fournissant de la nourriture. C’est de cette manière que les communautés côtières d’Indonésie la perçoivent : comme une entité vivante qui assure leur subsistance physique. Par exemple, le peuple maritime de Lamalera, dans l’est de la province de Nusa Tenggara, appelle la mer ina fae belé ou sedo basa hari lolo. Ces expressions la décrivent comme une mère remplie d’amour qui pourvoit à tous les besoins de ses enfants.

Une étude menée en 1997 par le théologien et anthropologue indonésien Tom Therik sur la pêche à Pantai Rote, la communauté maritime de l’île de Semau, offre une belle image de la manière dont la mer prend soin des pauvres. Dans la langue locale et dans la poésie traditionnelle, les pauvres sont appelés ina falu (veuves) et ana mak (orphelins). Comme ces personnes vulnérables n’ont ni bateau ni matériel de pêche adéquat, elles ont la priorité pour aller deux fois par jour récolter des plantes aquatiques et des créatures marines à marée basse. Cette forme de solidarité est bien ancrée dans la communauté, car les pauvres ne peuvent compter que sur la générosité de la mer pour leur subsistance quotidienne.

Toute la solidarité de cette région est façonnée par la mer : ses eaux font partie du Triangle de Corail, également connu sous le nom d’« Amazone des mers » parce qu’il contient la plus grande biodiversité marine de la planète. Il abrite 76 % des espèces de coraux ainsi que six des sept espèces de tortues marines, et sert de zone de reproduction et de nurserie pour le thon.

Envisager la mer comme servante de Dieu, comme je le fais ici, n’est pas étranger à notre foi chrétienne. La Bible personnifie explicitement la mer et la terre. Dans Genèse 1.22, Dieu bénit les créatures marines et leur ordonne « d’être fécondes, de se multiplier et de remplir les eaux de la mer ». Dans Genèse 4.11-12, la terre s’oppose au mal en ouvrant sa bouche pour recevoir le sang d’Abel et en refusant de céder ses récoltes à Caïn.

D’après la bibliste indonésienne Margaretha Apituley, ces personnifications bibliques de la création nous permettent également de reconnaître le rôle significatif de la mer dans la libération des Israélites de l’oppression égyptienne. Exode 14 nous raconte que les flots se retirent et se dressent en rempart pour permettre au peuple d’Israël de passer à sec tout en empêchant l’armée de Pharaon de le poursuivre.

Percevoir la mer à la manière d’un diakonos — un émissaire de l’œuvre de Dieu — correspond donc à un certain cadre biblique. Tout comme la mer de Galilée facilite l’œuvre du Christ en fournissant deux poissons pour nourrir la multitude (Mc 6.30-44), les mers indonésiennes facilitent l’œuvre du Christ en offrant tout ce qui y vit comme nourriture pour les pauvres des communautés côtières de l’archipel.

La diaconie bleue telle que je l’envisage est une mission pour et avec la mer. Elle reconnaît et respecte la mer en tant que participante active à l’œuvre de Dieu. Dans le soutien à la préservation des mers comme moyen de nourrir les pauvres, les chrétiens et la mer deviennent co-diacres, ou co-serviteurs de Dieu.

La rencontre entre les cultures maritimes traditionnelles indonésiennes et les pratiques chrétiennes est l’occasion pour les églises de s’attaquer à la crise écologique marine et à ses effets négatifs sur les pauvres. Mais j’espère que la tâche de la diaconie bleue ne s’arrêtera pas aux églises indonésiennes et sera reprise par les églises de toute la planète, pour répondre à l’appel de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » (Mc 6.37)

Elia Maggang est titulaire d’un doctorat de l’université de Manchester, au Royaume-Uni. Basé en Indonésie, son travail théologique s’articule autour des intersections entre le christianisme et les traditions indigènes, en particulier la théologie et les pratiques concernant la mer et la relation de l’homme avec la mer.

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La fête des Mères, terrain miné ?

Ou comment fêter les mamans sans blesser les autres.

Christianity Today May 11, 2024
Darrell Coshill/UnSplash

À l’approche de la fête des Mères, je me sens généralement pousser des ailes. Chaque année, j’attends avec impatience ce moment où bien des églises distribuent fleurs et hommages aux mamans. Après tout, ne l’ai-je pas mérité ? J’ai mis au monde et élevé une fille et cinq fils. J’ai persévéré pendant 29 ans dans l’abnégation qui caractérise si souvent la vie des mamans. J’accueille donc avec joie tout ce que la fête des Mères offre comme encouragement, même le beignet bien gras (mais délicieux) qui fut une année distribué dans mon église.

Je découvre cependant de plus en plus la face cachée de cette fête. Quelques jours avant la fête, j’ai posté cette simple question sur les réseaux sociaux : « Que pensez-vous de la célébration de la fête des Mères à l’église ? » En une journée, j’ai reçu une bonne centaine de réponses véhémentes qui m’ont ouvert les yeux : le dimanche de la fête des Mères est, pour beaucoup, le jour le plus pénible de toute l’année ecclésiastique.

Comme du sel sur une blessure

La plupart des églises tentent d’honorer les mamans d’une manière ou d’une autre à l’occasion de cette fête. Malheureusement, cette attention laisse à certaines un goût amer. D’autres fuient carrément le culte ce dimanche-là.

Plusieurs femmes m’ont expliqué pourquoi. Certaines mamans célibataires comparent cette attention d’un jour à un soufflé qui retombe. Une fois la journée passée, c’est le retour à la lutte quotidienne pour élever seules leurs enfants. Bonnie, quant à elle, mère d’une magnifique fille adoptée, raconte qu’un jour de fête des Mères, son pasteur avait invité les enfants à distribuer des friandises en chocolat à leur maman en précisant qu’il devait bien s’agir de la femme qui les avait mis au monde. Cette maladresse avait laissé Bonnie horrifiée. Sandra, elle, a perdu sa maman très tôt et n’a jamais pu avoir d’enfant malgré son fort désir. Le jour de la fête des Mères, elle me dit qu’elle se sent « comme abandonnée par le peuple de Dieu ». Shari, qui a tragiquement perdu sa fille en raison d’un cancer, est lourdement éprouvée par les célébrations de son église, comme si on lui mettait « du sel sur une plaie ». En ce jour, de nombreuses femmes pleurent des enfants qu’elles n’ont jamais eus ou qu’elles ont perdus. Elles pleurent des mères qu’elles n’ont jamais eues ou qui ont disparu. Et à bien y réfléchir, je pourrais moi aussi associer mon lot de douleurs à cette journée.

Même s’ils sont bien intentionnés, les messages de la fête des Mères prononcés du haut de la chaire peuvent aussi faire partie du problème. Amy, qui s’est mariée sur le tard et a accueilli comme siens les enfants de son mari, est lasse des sermons qui glorifient la maternité et l’entretien de la maison. Certains pasteurs vont même jusqu’à dire ou laisser entendre que la vie de maman et de femme au foyer est la vocation suprême d’une femme. Judy, une théologienne qui enseigne dans le monde entier, se souvient d’un sermon de la fête des Mères sur la femme de Proverbes 31, qui se terminait par une exhortation, à toutes les femmes, à se réengager dans les tâches domestiques et à « travailler de leurs mains ». Carrie, mère de cinq enfants qui s’est pleinement dévouée pour son foyer et sa famille, me dit qu’après le traditionnel sermon sur la maternité, elle repart toujours avec un sentiment d’échec. Avouons-le : la fête des Mères peut tourner au véritable cauchemar.

À ce stade, je voudrais tout de même rendre hommage au travail de nos pasteurs. Quels que soient leurs erreurs et manques de sensibilité, la tâche qu’ils doivent accomplir à l’occasion de la fête des Mères est ardue. Comment honorer les mamans sans blesser les autres membres de leur communauté ? La plupart d’entre eux ont du mérite de s’aventurer courageusement sur ce terrain miné.

Ou peut-être ne devraient-ils même pas essayer ? Parmi toutes les femmes que j’ai interrogées, beaucoup m’ont dit : « Laissons la fête des Mères aux marchands de cadeaux, et que l’église s’occupe de l’adoration de Jésus ». Mais je ne suis pas d’accord.

Nous ne pouvons ni ne devons ignorer la fête des mamans

Nous ne pouvons et ne devrions pas ignorer la fête des Mères à l’église, pas plus que nous ne pouvons et devrions ignorer Noël. Certes, notre société y trouve une occasion de pousser à la consommation, mais il s’agit aussi de célébrer l’amour des mamans. Pour l’Église, il ne serait pas bon de rester silencieuse. Toutes celles d’entre nous qui sont mamans, qu’elles travaillent ou non à l’extérieur, ont besoin de cette reconnaissance et de cet encouragement dans une culture qui semble de plus en plus privilégier le travail et la carrière par rapport à l’éducation des enfants. Malgré les excès non bibliques que l’on peut entendre dans certains sermons — que la maternité serait notre plus grande vocation —, la maternité est et reste une magnifique vocation, voulue par Dieu lui-même comme un creuset d’amour, de bénédiction et de vie. Marie, la mère de Jésus, est un bel exemple de ce don volontaire de soi pour donner la vie et contribuer aux desseins rédempteurs de Dieu. Mais il n’est pas toujours facile de s’en souvenir face aux défis du quotidien. Pendant plus de 20 ans, tandis que j’étais enceinte, que j’allaitais ou que j’apprenais la propreté à mes enfants, je peux dire que j’ai mené de grands combats, même s’ils étaient invisibles et silencieux pour le monde. Pendant cette période, la fête des Mères — aussi bien à la maison qu’à l’église — fut chaque fois pour moi un temps de ressourcement et de rappel au sens de ce que je faisais.

Et la Bible souligne l’importance de se souvenir. Le cinquième commandement, « Honore ton père et ta mère » (Ex 20.12), est toujours essentiel au bien-être du peuple de Dieu. Bien sûr, on ne distribue pas les cadeaux à l’église un jour par an pour pouvoir cocher ce commandement sur notre liste de choses à faire. Mais cela nous offre un moment pour pouvoir, tous ensemble, rendre hommage à celles qui nous ont donné la vie, quelles qu’elles soient.

Ne pas célébrer la fête des Mères à l’église me pose un autre problème. Dans notre culture très identitaire, nous nous définissons de plus en plus par nos traumatismes : femme sans enfant, victime d’abus, orpheline, délaissée. Pourtant, en tant que membres du corps du Christ, nous sommes appelés à être bien plus que cela et à « nous réjouir avec ceux et celles qui se réjouissent, à pleurer avec ceux et celles qui pleurent » (Rom 12.15). S’il nous faut reconnaître honnêtement nos propres afflictions, nous sommes aussi appelés à prendre part aux joies et aux douleurs des autres.

La fête des Mères nous offre une belle occasion de faire preuve de compassion et d’empathie. Que la future maman, épuisée par sa grossesse, réconforte celle qui vit un deuil en l’absence d’enfants. Que les maris fassent l’éloge de leur épouse. Que les enfants remercient leurs mères spirituelles. Que la maman heureuse réconforte la fille abandonnée. En d’autres termes, que le corps du Christ prenne soin de ses propres membres, car c’est là notre véritable famille. Jésus lui-même nous le rappelle : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? […] Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux est mon frère, ma sœur et ma mère. » (Mt 12.48-50) Jésus a constamment approfondi et élargi la famille de Dieu de cette manière. Même dans ses derniers moments sur la croix, il a attiré l’un vers l’autre Marie, sa maman, et Jean, son disciple bien-aimé, comme une mère et son fils.

En faire plus

Comment pourrions-nous donc mieux vivre cette célébration des mamans ? Plutôt que d’en faire moins (comme l’ont suggéré de nombreuses femmes déçues et résignées), je pense que nous devrions en faire plus. Il nous faut plus qu’une distribution de fleurs et des applaudissements. Plus que des idées étriquées ou idéalisées sur la maternité. Plus que la limitation à une unique émotion. Ce dont toutes les mamans et les femmes ont besoin en ce jour de fête des Mères, c’est de ce dont l’Église a besoin tous les jours : que nous « gardions l’unité de l’Esprit » (Ep 4.3) et que nous « nous aimions profondément, du fond du cœur » (1 P 1.22).

Nous pourrions commencer par reconnaître les réalités de la maternité dans un monde profondément meurtri. Laissons se reposer la femme surmenée de Proverbes 31 et faisons plutôt de la place aux complexités et aux luttes que nous vivons toutes au quotidien. Pourquoi ne pas inviter les femmes à partager leur histoire, quelle que soit la manière dont elles choisissent de la raconter ? Faisons passer le micro dans les bancs (comme le fait mon église), en donnant du temps et de l’espace à ces histoires à la fois belles et tragiques. Et que celles qui ne peuvent ou ne veulent pas parler écrivent leur récit. Le bulletin de l’église pourrait peut-être les donner à lire. En favorisant un tel partage et une écoute sincères, celles qui n’ont pas de mère pourraient en découvrir une en Christ. Et celles qui n’ont pas d’enfants pourraient se découvrir des fils et des filles spirituels.

Oui, ces bénédictions nous offriront des rires et des réjouissances. Mais oui, il y aura aussi des larmes. Il ne faut pas les craindre. Si nous sommes plutôt doués pour louer et célébrer ensemble, nous ne savons souvent pas comment nous lamenter. Il est temps que nous l’apprenions. Les Psaumes nous donnent la liberté et des mots pour nous réjouir, mais aussi pour nous plaindre et pleurer les uns avec les autres. Et la fête des Mères nous offre une belle occasion de le faire. Les pasteurs, eux qui « paternent » et « maternent » nos communautés, pourraient élargir la place ce jour-là pour une magnifique expression de la vie du corps du Christ, dans le partage et l’attention manifestée les uns envers les autres.

Y aura-t-il encore des maladresses et des personnes blessées ? Bien sûr ! Nous qui formons l’Église restons toujours humains. Mais, en ce jour spécial, nous devons prendre le risque de réimaginer la manière de nous honorer les uns les autres. Nous avons là une magnifique occasion d’être la famille pour laquelle le Christ s’est donné.

Leslie Leyland Fields est l’autrice de 10 livres, dont Crossing the Waters : Following Jesus through the Storms, the Fish, the Doubt and the Seas et Forgiving Our Fathers and Mothers: Finding Freedom from Hurt and Hate. Elle vit avec sa famille sur l’île de Kodiak, en Alaska.

Traduit par Anne Haumont

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Nos cœurs ne brûlaient-ils pas en nous ?

Ascension – L’œuvre mystérieuse de Dieu entre consolation et discrétion

Christianity Today May 9, 2024
Stream in the Woods, par Elizabeth Bowman. Huile sur toile. 2023.

Ce même jour, deux disciples se rendaient à un village appelé Emmaüs, éloigné de Jérusalem d’une douzaine de kilomètres. Ils discutaient ensemble de tout ce qui s’était passé. (Luc 24.13-14)

Lecture proposée : Luc 24.13-35

Une chose que j’aime dans la Bible, c’est sa tendance à simultanément éclairer et voiler, réconforter et déconcerter. Cette dynamique unique est à l’œuvre le jour même de la résurrection de Jésus, lorsque l’Évangile de Luc attire notre attention sur le chemin d’Emmaüs. Nous peignant deux disciples anonymes au milieu d’une conversation, Luc les décrit dans un état de perplexité, car ils ont commencé à entendre des rumeurs sur la résurrection de Jésus. Tout en marchant, les deux se remémorent les événements marquants des trois derniers jours et les étranges possibilités que recèlent ces nouveaux bruits. Bien qu’ils ne fassent pas partie des Douze, ils semblent avoir été suffisamment proches de ce cercle intérieur pour avoir eu vent de l’impossible nouvelle que Jésus serait vivant.

Puis les choses prennent une tournure inattendue : « Pendant qu’ils parlaient et discutaient, Jésus lui-même s’approcha et fit route avec eux » (Lc 24.15). Jésus ressuscité interrompt leur discussion, mais ils ne le reconnaissent pas. Luc attribue leur cécité à une intention divine : Jésus ne se révèle pas. Il les accompagne simplement dans leur long voyage, incognito, en discutant de ce qui les préoccupe.

La conversation pourrait avoir été longue sur les près de douze kilomètres qui séparent Jérusalem d’Emmaüs. En moyenne, les gens marchent à un rythme d’environ trois à quatre kilomètres par heure, ce qui pourrait signifier que Jésus a cheminé avec eux pendant près de trois heures. Il finit par transformer le dialogue en un long et profond exposé biblique. S’appuyant sur les Écritures, il leur explique pourquoi ils ne se sont pas trompés sur l’identité de Jésus telle qu’ils l’ont espérée. Et à un moment donné du voyage, une lumière commence à poindre dans les cœurs de ce duo assombri.

Puis soudain, la révélation de Jésus se produit en un clin d’œil, résumée en seulement deux courts versets. Lorsqu’ils arrivent enfin à Emmaüs, Jésus fait semblant de vouloir continuer son chemin, mais ils insistent pour qu’il reste, et c’est ce qu’il fait. Ils s’assoient tous les trois à une table, Jésus prend du pain et le bénit. Il rompt le pain et le leur donne. Et c’est alors qu’ils voient. Puis il disparaît.

Jésus disparaît au moment précis où les deux disciples le reconnaissent. La consolation est à la fois douce et éphémère. Ils sont tellement remplis de joie qu’ils décident de refaire les douze kilomètres qui les séparent de Jérusalem, dans l’obscurité de la nuit, mais à la lumière de la foi.

Que faire aujourd’hui de cette histoire ? Observez les deux disciples attristés. Lorsqu’ils quittent Jérusalem, ils sont désorientés et déçus, portant le lourd fardeau d’un sentiment d’abandon. Alors qu’un groupe plus vaste attend certainement de voir si la résurrection de Jésus est une réalité, Jésus se révèle d’abord à eux qui se sentent seuls, découragés et sans espoir.

Et pourtant, d’une certaine manière, Dieu continue à se cacher. « Tu es vraiment un Dieu qui te caches », dit le prophète Ésaïe (45.15). Peut-être certaines grâces ne fonctionnent-elles qu’en secret. Peut-être certaines réalités et certaines blessures nous rendent-elles si fragiles que tout ce qui n’est pas l’attention patiente et discrète de Dieu nous émietterait comme une feuille desséchée, nous ramenant à la poussière que nous sommes. Quelle que soit notre situation, nous pouvons être sûrs que notre Sauveur est proche. Le Grand Médecin s’occupe de nous avec une douce attention et une grande précision, et avec la lente patience qui permet notre guérison au plus profond de nous-mêmes.

Je crois que ce passage nous offre une précieuse vision de notre propre histoire. Nous contemplons ici la situation du point de vue de Dieu : nous savons ce qui se passe réellement, alors même que les disciples ne le savent pas. Si nous n’avons pas le privilège de bénéficier de cette perspective dans notre vie quotidienne, nous savons cependant ainsi quelque chose qu’ils ne savaient pas à l’époque. Les deux disciples pensaient être sur le chemin d’Emmaüs, mais ils étaient en fait sur le chemin d’une table : une table où Jésus vivant a nourri leurs cœurs affamés, guéri leurs blessures les plus profondes et les a embrasés du réconfort déconcertant de la résurrection. Cette table nous attend aussi.

À méditer



Pensez-vous que vous seriez resté avec les autres disciples pour savoir ce qu’il en était de cette folle nouvelle d’une possible résurrection ? Ou pensez-vous que vous seriez passé à autre chose, comme ces deux disciples ? Pourquoi ?

Il est toujours plus facile de voir les choses avec du recul, surtout dans notre vie avec Dieu. Y a-t-il eu des moments dans votre vie où Dieu s’est caché pour se révéler ou révéler son plan bien plus tard dans votre histoire ?

Jon Guerra est un auteur-compositeur-interprète basé à Austin, au Texas. Il écrit de la musique religieuse, compose pour des films et a sorti deux albums.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Notre rôle de pasteurs n’est pas de changer les cœurs

On ne peut pas contrôler ses paroissiens. Tenter de le faire ne causera que des dégâts.

Christianity Today May 7, 2024
Adaptations par Christianity Today. Sources : Getty / Anthony Saint James / Chrispecoraro / Wikimedia Commons

Deux heures du matin. Il fait nuit. Et je suis complètement réveillée.

D’habitude, ce sont mes enfants qui causent ce genre de situation… Ils ont fait un mauvais rêve ou ils ont faim. Ou ils ont oublié de me raconter une blague qu’ils ont entendue à l’école. Des choses urgentes. Mais pas cette nuit. Cette nuit, c’est pire. Ce qui me tient éveillée, ce ne sont pas mes enfants, mais le stress, l’angoisse à propos d’un conflit dans l’église dont nous sommes pasteurs, mon mari, Ike, et moi. Des amis proches, qui connaissent bien notre famille et nos enfants, qui se sont engagés avec nous pour l’Évangile, n’apprécient pas une décision que nous avons prise. Ils sont tellement contrariés qu’ils menacent de partir.

Dès que mes yeux s’ouvrent dans l’obscurité, les pensées qui se bousculent depuis des jours dans mon esprit reprennent le dessus :

Peut-être que si je leur parlais de ce texte biblique…

Peut-être que si j’abordais la question sous cet angle théologique…

Peut-être que si je leur répétais encore les conseils avisés que nous avons reçus de la part d’experts de notre communauté…

Peut-être que s’ils entendaient le point de vue de personnes blessées dans notre église…

Et ainsi de suite…

Tout au long de mon ministère, il m’est arrivé de connaître quelques nuits blanches dues à des conflits, mais comme pour beaucoup d’autres, la période de la pandémie a conduit à une augmentation de ces situations. Aux États-Unis, en 2020, alors que les responsables d’église étaient confrontés à la triple menace de la pandémie, des tensions raciales à l’échelle nationale et d’une élection présidentielle extrêmement polarisée, ils ont aussi vu se dégrader le climat à l’intérieur de leurs communautés. Nos assemblées, depuis lors polluées par un profond esprit partisan, ont commencé à interpréter à travers un filtre politique chaque décision, chaque déclaration, chaque sermon et chaque message sur les réseaux sociaux émanant de leurs pasteurs.

Comme le risque de malentendu était très élevé, mon mari et moi avons consacré beaucoup de temps et de soin à nous expliquer. Nous avons montré que les Écritures guidaient nos décisions et avons fait preuve de transparence quant aux avis sages et bien informés que nous avions écoutés. Nous savions que c’était nécessaire pour inspirer confiance à notre assemblée. Mais si cela a fonctionné pour certains, cette expérience nous a également appris une dure leçon.

Ce que nous avons compris au fil de ce processus, c’est que, quelle que soit l’exégèse biblique que vous utilisez, quel que soit le soutien théologique auquel vous faites appel, quels que soient les données, les experts ou votre propre intégrité, vous ne pouvez pas convaincre les gens de quelque chose qu’ils ne veulent pas croire.

Pourquoi ? Parce que l’information a beaucoup moins d’impact que nous ne le pensons.

Dans A Failure of Nerve: Leadership in the Age of the Quick Fix, l’auteur et thérapeute familial Edwin Friedman décrit ainsi la limite de notre influence : « Un malentendu abyssal de notre époque est l’idée qu’expliquer les choses peut produire un résultat sur des personnes qui ne sont pas motivées pour changer. »

Même si nous aimerions qu’il en soit autrement, communiquer des informations a beaucoup moins d’influence qu’on pourrait le croire. Télécharger des « faits » dans le cerveau d’une personne ne va pas la faire changer d’avis comme par magie. Mais je dois bien admettre que cela ne m’a pas empêchée d’essayer. Lorsque des personnes de mon église ou de mon entourage ont (selon moi) « besoin d’être corrigées », je brandis toute une batterie d’arguments pour les faire changer. Si je parviens à prendre un peu de temps avec elles, il me suffira de quelques secondes pour leur présenter une centaine de faits pertinents pour les convaincre de la vérité.

Mais le Seigneur m’a fait comprendre qu’en réalité, je ne fais pas là de l’accompagnement. J’exerce un contrôle. J’utilise la connaissance, l’information et les vérités issues de la Parole de Dieu comme les rênes d’un cheval, pour diriger instantanément les autres dans la direction où je veux qu’ils aillent.

Le temps et l’expérience m’ont heureusement permis de comprendre que je surestime gravement mon propre pouvoir de persuasion. Jésus lui-même me semble évoquer le pouvoir limité de nos arguments lorsqu’il conclut certains de ses enseignements les plus ardus par ces mots : « Que celui qui a des oreilles entende » (Mt 11.15). Certains n’entendront pas. Ils ne comprendront pas, non pas parce qu’ils ne peuvent pas comprendre, mais parce qu’ils ne le veulent pas. Aucun effort pour les convaincre, même à force de preuves et de logique, ne les fera changer d’avis. En tous les cas, pas s’ils ne veulent pas être touchés.

La recherche en psychologie corrobore ce constat. Essayer de changer l’opinion de quelqu’un en lui présentant des arguments qui contredisent ses propres croyances peut, dans certains cas, avoir le résultat inverse. En psychologie, on parle d’effet « retour de flamme » (backfire effect) pour décrire la tendance à renforcer ses croyances face à des informations qui les contredisent.

Plutôt que de prendre en compte ce qui a été prouvé de manière objective et d’ajuster nos croyances en conséquence, nous aurions tendance à durcir nos idées erronées.

D’autres études ont montré que ce phénomène est particulièrement courant lorsque la croyance en question est liée à l’identité. Lorsqu’une personne perçoit une nouvelle information comme une menace envers son identité ou son mode de vie, elle sera beaucoup plus encline à la rejeter.

Au fil de ces dernières années de ministère, Ike et moi avons appris à discerner les personnes réceptives au changement de celles qui ne le sont pas. Les accusations de mauvaise foi sur nos motivations ou le manque de curiosité sincère à l’égard de ce que nous aimerions mettre en place nous laissent comprendre que nos explications ne serviront à rien.

Pourtant, même quand je perçois un manque de réceptivité réelle de mon entourage, je ne parviens pas toujours à lâcher l’illusion de pouvoir influencer les gens. Malgré toutes les expériences contraires, je continue à croire profondément en ma force de persuasion. Je peux passer des jours à ruminer l’argumentation parfaite avec toutes les preuves qui, selon moi, la rendront impossible à réfuter. Mais si, dans la vie réelle, j’aborde les gens comme un avocat au lieu d’une pasteure, cela se retournera contre moi. Cela m’est arrivé. Cette manière d’agir ne fonctionne pas. Comme toutes les autres formes de contrôle, cela ne fait qu’alimenter mon stress et envenimer mes relations avec les autres.

Pouvoir identifier cette tendance au contrôle m’a beaucoup aidée de deux manières. Premièrement, quand je la détecte et que je mets des mots dessus, je peux la maitriser. Quand je sens des tensions dans le cou, le dos et la mâchoire, que j’entre dans une spirale de pensées anxieuses et une phase d’insomnies, je sais que j’essaie de contrôler quelque chose que Dieu ne m’a pas demandé de contrôler. Le fait de nommer cette tentation m’aide à recadrer ce qui se passe réellement en moi : je ne suis pas en train de prendre soin du troupeau, j’essaie d’en prendre le contrôle.

Deuxièmement, cette prise de conscience de ma volonté de contrôle a remis en évidence, pour moi, la priorité de l’écoute dans le ministère pastoral. Notre culture est devenue de plus en plus polarisée, en partie parce que tout le monde essaie de convaincre et contrôler tout le monde, ce qui a l’effet pervers de conforter chacun dans ses positions. Dans un environnement aussi tendu que celui-ci, la pratique consistant à être « prompt à écouter, lent à parler » n’est pas seulement conforme à l’Écriture (Jc 1.19), mais constitue également un impératif missionnaire.

Nous nous efforçons donc, Ike et moi, que ce soit informellement ou de manière plus structurée, de nous mettre à l’écoute active de nos fidèles, en particulier de ceux qui sont mécontents ou en colère. Cette écoute intentionnelle constitue un témoignage contre-culturel au sein d’une société déchirée par ses problèmes de contrôle.

La prise de conscience de cette tentation permanente du contrôle a été cruciale pour ma propre santé spirituelle et ma mission de pasteure. Prendre l’ascendant sur nos fidèles ne fait que causer des dégâts. Face aux limites de notre influence, nous avons le choix de nous agripper ou, au contraire, de lâcher un fardeau que nous ne sommes pas censés porter. Les limites de notre influence ne sont pas forcément une conséquence du péché. Elles témoignent souvent du bon ordre des choses. Elles nous rappellent que nous pouvons prendre sur nous le joug le plus léger et faire pleinement confiance à l’Esprit — celui qui anime nos cœurs et éclaire nos esprits — pour faire le gros du travail à notre place.

Sharon Hodde Miller conduit la Bright City Church à Durham, en Caroline du Nord, avec son mari, Ike. Elle a obtenu un doctorat sur les femmes et la vocation. Son dernier livre s’intitule The Cost of Control.

Certaines parties de cet article ont été adaptées de The Cost of Control par Sharon Hodde Miller (Baker Books, une division de Baker Publishing Group, © 2022), avec la permission de l’éditeur.

Traduit par Anne Haumont

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Les excuses ne suffisent pas. L’Écriture appelle à faire demi-tour

Nous avons besoin de prendre en compte toute la richesse du vocabulaire biblique pour faire face à notre péché.

Christianity Today May 7, 2024
Illustration by Abigail Erickson / Source Images: Getty

La version française de cet article a fait l’objet d’une adaptation.

Il nous faut une théologie des excuses.

S’excuser peut paraître simple. Vous avez fait quelque chose de mal (péché) ; vous vous en sentez attristés (affliction ou componction) ; vous l’admettez et en acceptez la responsabilité (confession) ; vous l’exprimez auprès de la ou les personne(s) que vous avez lésées, ainsi qu’auprès de Dieu (repentance) ; et vous prenez les mesures appropriées pour rétablir la situation (réparation).

Voilà pour la théorie. Les choses s’avèrent cependant souvent plus complexes. Il est possible de présenter des excuses sans admettre de faute ni éprouver de regrets. Nous pouvons nous sentir désolés pour des choses dont nous ne sommes pas responsables, comme lorsque nous apprenons qu’un ami est atteint d’un cancer. Il arrive aussi que certains demandent pardon sans avoir l’intention de réparer les torts causés.

Et il est possible — et de plus en plus fréquent — que des institutions s’excusent pour des faits dont seuls certains de leurs membres sont coupables. Les choses se compliquent encore lorsqu’il s’agit des péchés de nos prédécesseurs. Devrions-nous nous excuser pour des choses qui se sont produites avant notre naissance ? Les confesser ? S’en repentir ? Offrir une réparation ?

En se tournant vers les Écritures, on observe quelque chose qui pourrait être surprenant : les personnages bibliques n’emploient pas vraiment les termes que notre monde associe couramment à ce genre de situation. Personne ne se dit réellement « désolé » ou ne demande à être « excusé » face à son péché. […] Esdras, « désolé » ou « atterré » face au péché de son peuple, semble faire figure d’exception. Les invités au repas de noces d’une des paraboles de Jésus demandent certes à être « excusés » (Lc 14.18-19), mais on voit bien la légèreté qui les caractérise.

On pourrait donc penser que la Bible offre peu de ressources pour élaborer une théologie des excuses. À bien des égards, c’est pourtant tout le contraire. Au lieu d’expressions vagues comme « désolé » ou « excuse-moi », le Nouveau Testament distingue face à notre péché trois réponses distinctes, mais liées entre elles. Cette richesse me semble pouvoir nous aider à démêler ce qui se passe lorsque des individus ou des institutions « s’excusent ».

Un premier terme, lupeō, exprime le fait de ressentir du chagrin, de la peine ou de la douleur. Il y a assurément là une juste réponse au péché. Il s’agit souvent de la première étape, comme lorsque les Corinthiens sont « attristés » d’une manière qui les conduit à la repentance (2 Co 7.9). Cette tristesse n’implique cependant pas nécessairement l’acceptation d’une responsabilité. Hérode est peiné à l’idée de décapiter Jean, mais il le fait quand même. Ce n’est pas la faute des disciples si Jésus est crucifié, mais ils sont néanmoins « profondément attristés » (Mt 17.23).

Cette notion est à distinguer de celle véhiculée par homologeō ou exomologeō, tous deux renvoyant à l’idée d’aveu, au fait d’admettre ou de reconnaître quelque chose. Des individus « confessent » ainsi leur méchanceté face à la prédication de Jean-Baptiste ou de Paul (Mt 3.6 ; Ac 19.18). Jean rassure ses lecteurs en employant la même idée : « Si nous reconnaissons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner et pour nous purifier de tout mal. » (1 Jn 1.9) Il y a là quelque chose d’autre que le chagrin ou le regret. Il s’agit de reconnaître notre échec, d’en assumer la responsabilité et de demander pardon.

Vient finalement le terme metanoeō, d’une richesse extraordinaire, qui traduit l’idée de se repentir, de faire demi-tour et de changer d’attitude et de vie en conséquence. Il est courant de ressentir de la tristesse ou des regrets pour nos erreurs. Beaucoup d’entre nous sont même heureux de les admettre et de les confesser, en particulier celles qui sont culturellement acceptables. Mais le Christ nous appelle à quelque chose de plus : un demi-tour, un changement total de direction et d’allégeance, une mort à soi-même et une nouvelle vie en lui, avec toutes les transformations qui en découlent.

Si ce retournement ne produit pas de bons fruits, il ne s’agit pas d’une véritable repentance (Mt 3.8 ; 7.16-20). Mais si notre vie en est changée — jusqu’à nous pousser à réparer les torts que nous avons causés — alors le salut est bel et bien entré dans notre maison (Lc 19.8-10).

L’affliction, la confession et la repentance sont des choses distinctes. Cependant, tous trois nous sont nécessaires lorsque nous constatons la réalité et l’horreur de notre péché et la grâce du Dieu qui offre le pardon. À l’instar de Néhémie, nous nous affligeons et nous pleurons (Né 1.4). Puis nous confessons et admettons nos torts (v. 6-7). Finalement, nous faisons demi-tour et revenons à l’obéissance (v. 8-9). Dans certains cas, nous pouvons aussi avoir à reconnaître les péchés de nos prédécesseurs dans la mesure où nous les partageons nous-mêmes. Et nous terminons en faisant appel à la miséricorde de Dieu, certains que celui qui nous a appelés et rachetés entendra notre prière (v. 10-11).

Andrew Wilson est pasteur enseignant à la King’s Church de Londres et auteur de Remaking the World.

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Jésus renverserait-il la table de votre conseil ?

J’ai siégé au sein d’un conseil d’administration défaillant. Les chrétiens exerçant des responsabilités pourraient tirer des leçons de mes manquements.

Christianity Today May 7, 2024
Illustration de Jack Richardson

L’air de la pièce était chaud. Je fixais la table blanche immaculée devant moi, en prenant soin de ne pas lever les yeux, les muscles tendus. À ma gauche siégeaient des membres du conseil d’administration international de Ravi Zacharias International Ministries (RZIM), assis à la table ou présents par vidéo interposée. À ma droite, des avocats. L’un d’eux s’apprêtait à nous lire le rapport de 12 pages d’une enquête de plusieurs mois sur des accusations d’agression sexuelle à l’encontre du fondateur du ministère, Ravi Zacharias.

La tension était palpable. Même si cette obscurité correspondait à l’ambiance du moment, la salle de réunion semblait trop sombre ; certains d’entre nous n’étaient pas prêts pour la pleine lumière.

Mon expérience en tant que membre du conseil d’administration de RZIM a complètement changé la façon dont je vois le ministère aujourd’hui. Je pense que de nombreux conseils rassemblant des chrétiens sont défaillants, ou du moins très mal préparés aux défis auxquels ils peuvent être confrontés. Mon objectif est d’encourager la réflexion sur la manière d’y remédier.

En parlant de « conseils », je veux utiliser le terme au sens large. Vous et les personnes que vous connaissez ne siégez peut-être pas au conseil d’administration d’une organisation à but non lucratif de renommée internationale, comme RZIM à son apogée. Mais vous faites peut-être partie du conseil des anciens de votre communauté, d’un conseil diaconal, d’un conseil d’administration d’une œuvre locale ou d’un comité de recherche pastorale. Peut-être encore tentez-vous de soutenir l’école chrétienne de vos enfants ou aidez de manière informelle à diriger une banque alimentaire locale ou le comité de planification de l’école du dimanche à l’église.

Les leçons douloureuses que j’ai apprises peuvent s’appliquer à presque tous les types d’organismes de gestion d’un groupe, dans les contextes de ministère chrétien en particulier, mais aussi de manière plus générale. Cela dit, les besoins spécifiques et les circonstances varient. C’est la raison pour laquelle je partage ces leçons sous forme de questions que les chrétiens actifs dans un type ou un autre de conseil devraient sérieusement se poser, à eux-mêmes et à leurs collègues.

1. Les membres d’un conseil devraient-ils être tenus de suivre une formation continue ?

Non seulement j’étais mal équipée pour être membre de ce conseil d’administration, mais je n’étais pas préparée à l’assaut constant des crises qui allaient submerger cette organisation au fil de mon court mandat. D’après ce que j’ai pu observer, même les membres de longue date du conseil n’étaient pas préparés à ce qui semblait être une « situation sans précédent », l’expression à la mode pendant ces années-là.

Rétrospectivement, l’un des problèmes est qu’il ne s’agissait pas, en réalité, d’une situation sans précédent. Il arrive que des responsables engagés dans un ministère manquent à leurs devoirs. Il arrive que les signaux d’alarme ne soient pas remarqués ou, pire, délibérément ignorés. Comprendre les théories de la trahison institutionnelle et comment les personnalités abusives sèment le doute et attaquent verbalement leurs victimes tout en se défaussant de leur responsabilité m’a aidé à mieux comprendre la trajectoire de RZIM. Mais il aurait été beaucoup plus utile de savoir tout cela avant que les crises ne surviennent.

Si vous siégez dans un conseil, réfléchissez aux lacunes de vos connaissances qui pourraient limiter votre capacité à bien servir. Quelles sont les questions importantes qui reviennent régulièrement dans les réunions ? Quelles sont les autres perspectives dont vous pourriez avoir besoin pour comprendre les enjeux ? Êtes-vous simplement ouvert à apprendre et évoluer, ou véritablement désireux de le faire ? Comment pouvez-vous acquérir les connaissances et les compétences dont vous avez besoin pour servir fidèlement et encourager vos collègues à faire de même ?

2. Qui sont les membres du conseil ?

Le conseil d’administration de RZIM était composé en grande majorité de membres de la famille et d’amis de Ravi Zacharias. Ils étaient tous très investis dans le ministère et dans l’homme ; ils faisaient don de leur temps, de leur expertise, de leur argent et de leurs contacts en raison de cette relation personnelle. De mon point de vue d’observatrice extérieure, ils semblaient tous avoir des compétences très similaires. La loyauté était particulièrement valorisée.

J’étais un ajout inattendu à ce groupe et la première femme à siéger au comité de gouvernance. Je n’avais aucune relation avec Ravi. Je ne dirigeais pas une entreprise prospère et je n’avais pas une impressionnante liste de contacts. Cela me mettait dans une position extrêmement défavorable lorsque j’exprimais mes préoccupations. Les compétences que les autres membres du conseil voyaient comme utiles lorsque j’étais d’accord avec eux — ma volonté d’apprendre de nouvelles choses, mon empressement à écouter et ma capacité à m’exprimer sur les choses auxquelles je croyais — passaient pour un handicap lorsque nos opinions divergeaient.

Comment les membres de votre conseil sont-ils choisis ? Je ne parle pas seulement des procédures, qui sont certes importantes, mais souvent établies par des règlements ou des traditions dénominationnelles sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle. J’entends surtout par là les qualités et les compétences qui sont privilégiées au niveau de la culture du groupe. Tenez-vous compte des dons et de la maturité spirituelle ? Comment complétez-vous le panel au-delà des rôles principaux ? Êtes-vous à la recherche de personnalités inattendues qui pourraient vous offrir d’autres éclairages ?

3. Comment envisagez-vous le rapport à l’argent ?

Pour de nombreuses organisations à but non lucratif dans mon contexte, il est évident que la plupart des membres du conseil d’administration sont choisis pour leur capacité à faire des dons et à collecter des fonds. Après avoir passé du temps au sein de RZIM, je considère qu’il s’agit d’un dangereux mélange entre pouvoir et argent. La richesse ne peut pas être la mesure de l’engagement, de la foi ou de la contribution d’un responsable d’organisation. Cette manière de faire peut pousser les membres du conseil d’administration à une certaine arrogance et donner un sentiment de sécurité trompeur à l’équipe dirigeante. Lorsque les sièges du conseil d’administration ne sont occupés que par ceux qui assurent la stabilité financière du ministère, il y a une concentration des pouvoirs dans la structure qui peut conduire, et conduit souvent, à des relations malsaines.

Votre conseil néglige-t-il des membres potentiels parce qu’ils ne sont pas en mesure de faire des dons importants ? En êtes-vous inconsciemment venu à penser que plus une personne paraît importante, meilleure elle sera pour cette responsabilité ? Comment vous assurer de ne pas oublier la veuve et son simple denier et le fait que sagesse et richesse ne coïncident pas toujours ?

4. Comment votre conseil communique-t-il ?

La vérité et la transparence ont toujours été importantes pour moi, mais jamais autant qu’après mon passage dans RZIM.

L’organisation disposait d’un comité exécutif qui se réunissait en privé, à l’écart du conseil d’administration. Ce comité prenait toutes les décisions importantes et, si mon souvenir est bon, le conseil d’administration dans son ensemble n’a jamais reçu ou examiné leurs procès-verbaux au cours de mon année de service. Le comité envoyait des recommandations au reste du conseil d’administration et nos votes étaient fortement encouragés à être unanimes. J’ai observé — et on m’a dit — que l’abstention valait mieux qu’un vote négatif. Au fur et à mesure de l’évolution de la crise des abus, ce cloisonnement au sein du conseil d’administration a causé de graves problèmes, tout comme d’autres procédures « normales » de RZIM.

Votre conseil dispose-t-il de ce genre d’oligarchie secrète ? Le secret est-il la mesure par défaut ou l’exception dans votre organisation ? Est-il nécessaire d’invoquer un danger juridique pour que les membres du conseil fassent ce qui est nécessaire ? La protection fiscale de l’institution est-elle toujours prioritaire ? Les membres du conseil sont-ils en train de recycler les habitudes du monde à l’usage du ministère ? Êtes-vous prêts à dire toute la vérité, à vous-mêmes et aux autres, même si cela risque de créer du trouble ?

5. De quelle manière êtes-vous redevable de votre travail ?

Les membres d’un conseil sont censés veiller à la redevabilité institutionnelle des ministères qu’ils gèrent. Mais qui veille à la redevabilité du conseil ?

Au fur et à mesure que la saga RZIM progressait, nous avons entendu de nombreux appels à la démission du conseil d’administration de la part de donateurs et d’individus clés en dehors du cercle restreint. Le conseil d’administration n’a pas voulu démissionner. J’ai entendu des excuses telles que : « C’est nous qui devrions régler ce problème » ou « Si nous démissionnons, qui dirigera ? » Ce conseil n’est pas parvenu à écarter un prédateur sexuel de son organisation, mais a continué à rejeter les appels à la transparence, exigeant même l’anonymat pour lui-même, refusant la redevabilité la plus élémentaire qui soit, celle d’être nommé publiquement.

Avant qu’une crise ne survienne, il est essentiel de répondre aux questions suivantes : y a-t-il un certain point à partir duquel un conseil se montre généralement incapable de se corriger ? Que devrait-il se passer pour que des membres du conseil ne puissent plus siéger ? Un grave manquement public requiert-il une repentance publique ? Comment votre conseil s’autoévaluera-t-il ou se soumettra-t-il à une évaluation externe ? Concrètement, à quoi ressemble la redevabilité pour vous ?

6. Pour qui vous prenez-vous ?

Siéger au conseil d’administration d’un ministère international brassant plusieurs millions de dollars offre un certain statut. Lorsque les gens ont appris que je siégeais au conseil d’administration de RZIM, ils étaient impressionnés, curieux et fascinés par le pouvoir qu’ils percevaient en moi.

En interne, l’état d’esprit général du conseil était que Jésus avait besoin de nous pour faire ce travail. Les bannières Twitter affichaient fièrement des photos des membres du conseil d’administration apparaissant lors d’événements organisés par RZIM ou avec des célébrités liées à ce ministère. On pouvait lire des publications sur Facebook à propos du travail formidable que le conseil faisait pour le royaume. Nous avons eu droit à des dîners spéciaux, à des hôtels chics, à de belles installations et à un sentiment général de supériorité. Les réseaux sociaux étaient un beau moyen de mettre en avant nos réalisations, jusqu’à ce qu’il apparaisse qu’ils pouvaient aussi être un moyen d’exiger que nous rendions des comptes.

Les membres de votre conseil comprennent-ils bien l’attitude de service qui devrait être la leur dans l’exercice de cette responsabilité ? Dans quelle mesure fondent-ils leur identité dans leur place au sein de ce conseil ? Comment nous assurer que le pouvoir est toujours exercé de manière responsable, non seulement selon nos règles et procédures formelles, mais aussi dans nos cœurs ?

La devise officieuse de RZIM était qu’aucune question n’est interdite. En tant que membre du conseil d’administration, il m’est apparu clairement que tel n’était pas le cas. J’ai été directement confrontée à l’échec institutionnel. J’ai échoué, d’abord à croire les victimes, puis à aider à réformer un système défaillant.

Mais l’échec n’a pas à nous définir ; il doit plutôt nous permettre d’affiner les choses. Pour moi, cet échec a alimenté une passion pour aider les membres d’autres conseils à prévenir le type de dysfonctionnement et d’abus que nous n’avons pas empêché pour RZIM. Au lieu de se cacher et de se dédouaner de leurs responsabilités, les chrétiens qui exercent des responsabilités devraient pouvoir librement admettre et corriger leurs manquements institutionnels et personnels. Nous devrions être les premiers à reconnaître que le Dieu qui nous a offert un pardon plein et entier peut nous relever de chacun de nos manquements.

Les enjeux sont importants, mais les conseils ayant la responsabilité de nos divers ministères peuvent et doivent être un lieu où l’on observe les meilleurs exemples d’une réelle mentalité de service. Posez-vous donc la question : Jésus renverserait-il la table de votre conseil ?

Stacy Kassulke a une passion pour encourager les croyants à utiliser leurs dons afin de faire ce qui est juste au service de Christ et de son royaume. Elle a siégé au conseil d’administration de Ravi Zacharias International Ministries de février 2020 à mars 2021.

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La Bible a une histoire complexe, mais celle-ci peut renforcer notre foi.

Dans les faits, les détails historiques sont encore plus confus que ne le décrit un récent ouvrage.

Christianity Today May 7, 2024
Illustration by Christianity Today / Source Images: WikiMedia Commons / Getty

Qu’est-ce que la foi a à voir avec l’histoire ? Tout. Paul le souligne dans 1 Corinthiens 15. Le Christ est mort. Il a été enterré. Il est ressuscité le troisième jour. Ensuite, « il est apparu à Céphas, puis aux douze », et enfin « à plus de 500 frères et sœurs à la fois » (v. 5-6). L’œuvre de Jésus pour son peuple s’est déroulée ici-bas pour que chacun puisse en être témoin. Ce que les apôtres ont annoncé relevait donc bien d’événements historiques.

La foi est indissociable de l’histoire. Elle est adhésion à l’interprétation donnée par Jésus et ses apôtres aux événements historiques que sont la mort et la résurrection du Messie : le Christ est mort pour nos péchés (1 Co 15.3) et a été ressuscité pour notre justification (Rm 4.25). La tradition chrétienne a depuis longtemps fait sienne l’idée de « foi en quête d’intelligence ». Celle-ci implique de pouvoir réfléchir et poser des questions sur le contenu de notre foi, comme le fait Augustin dans ses Confessions, mais toujours avec en toile de fond la confiance ultime en Dieu et dans les vérités de l’Écriture.

Susan C. Lim offre un bel exemple de cette approche dans Light of the World: How Knowing the History of the Bible Illuminates Our Faith (« Lumière du monde : comment la connaissance de l’histoire de la Bible éclaire notre foi »). Lim, professeure d’histoire à la Biola University, en Californie, nous raconte tout le développement de l’Écriture, détaillant toutes les péripéties, les débats et les réflexions complexes qui ont abouti à une tradition bien établie quant aux livres qui constituent la Sainte Parole de Dieu. Cette histoire, comme elle le démontre, est loin d’être nette et ordonnée. Pourtant, bien comprise, elle peut renforcer notre confiance dans la Bible et dans la direction souveraine de Dieu sur les affaires humaines. Dans un esprit semblable à celui de la Vierge Marie interrogeant sans se départir de sa foi l’ange Gabriel – « Comment cela se fera-t-il ? » (Lc 1.34) – Lim nous entraîne à interroger l’Écriture.

Son ouvrage n’est pas une simple histoire de la Bible. En mêlant son témoignage chrétien à des chapitres sur l’histoire de la Bible, elle fait preuve d’une franchise rafraîchissante, même lorsqu’elle fait part des doutes et des interrogations qui ont précédé sa « seconde confession » : que toute la Bible est la Parole de Dieu. Contrairement au sien, tous les livres relatant l’histoire de la Bible ne contiennent pas un chapitre sur les miracles ou n’abordent pas les questions d’interprétation, de preuves archéologiques ou de fiabilité historique des récits bibliques eux-mêmes.

Lim retrousse ses manches et se penche sur la manière dont la Bible protestante en est venue à compter 66 livres (39 dans l’Ancien Testament et 27 dans le Nouveau Testament). Convaincue que la connaissance de l’histoire de la Bible peut vivifier notre foi, elle présente simplement les faits aux lecteurs, tout en admettant que ces faits nécessitent une interprétation. Elle sait que le sujet peut être controversé, car les données conduisent parfois sur des chemins qui ne vont pas là où nous le souhaiterions. De nombreux lecteurs se retrouveront dans l’intention et les orientations de Lim dans ce livre. Tel est assurément mon cas.

L’Ancien Testament et le canon hébraïque

Je ne peux donc qu’encourager à l’étude de l’histoire de la Bible, peut-être cependant un peu au-delà même du de Lim. À mes yeux, celui-ci contient malheureusement plusieurs inexactitudes ou théories dépassées. J’en donne quelques exemples plus bénins avant d’aborder des questions plus importantes.

Prenons, par exemple, l’affirmation de Lim selon laquelle Jérôme, le prêtre de l’Église primitive qui a traduit la Bible en latin, « pourrait avoir proposé » Esdras comme auteur du Pentateuque, les cinq premiers livres de l’Ancien Testament. Jérôme, pourtant, dans son traité Contre Jovinien, est plus proche d’affirmer que Moïse en est l’auteur ; dans un autre ouvrage, La virginité perpétuelle de la bienheureuse Marie, il se contente de laisser ouverte la possibilité qu’Esdras ait restauré le Pentateuque, et non pas écrit. Un peu plus loin, Lim affirme également à tort que l’Évangile de Thomas a circulé en deux versions plutôt que d’y voir deux œuvres littéraires différentes (l’autre s’intitule Évangile de l’enfance selon Thomas).

Dans son récit de l’émergence de la Bible protestante, Lim expose la relation entre les canons hébraïques et protestants. Juifs et protestants ont le même contenu dans ce qu’ils appellent respectivement la Bible hébraïque (Tanakh) et l’Ancien Testament, même si chaque groupe numérote, ordonne et classe les livres différemment. Quant à la question de savoir si le Tanakh (acronyme désignant les trois parties du canon hébraïque) est la Bible que Jésus a lue, Lim avance prudemment qu’il « était considéré comme une tradition à l’époque de Jésus » et que « nous ne connaissons pas la réponse définitive à cette question ». Ailleurs, cependant, elle conclut avec plus d’assurance que le Tanakh « a servi de fondement au ministère de Jésus et à la naissance du christianisme ».

Mais le fait est que lorsque les protestants ont commencé à dresser la liste des livres de l’Ancien Testament, ils n’ont nulle part fait référence au Tanakh. Par exemple, la Bible de Martin Luther (1534) énumère le contenu de l’Ancien Testament selon les 24 livres de la Bible hébraïque, mais conserve dans l’ordre histoire, poésie et prophétie. Cette structure remonte aux premiers chrétiens, comme Grégoire de Nazianze, qui énumère 22 livres selon le nombre de lettres de l’alphabet hébreu et les divise en trois parties : 12 livres historiques (comme Josué), 5 livres poétiques (comme les Proverbes) et 5 livres prophétiques (comme Ésaïe).

Le Tanakh, pour Lim, facilite l’interprétation de livres individuels tels qu’Esther, puisque sa classification en trois parties — Loi, Prophètes et Écrits — fournit des indices sur la manière dont les premiers lecteurs interprétaient ceux-ci. Ses observations sur Esther à cet égard sont dignes d’intérêt. Cependant, elle aurait pu guider ses lecteurs vers d’autres structures et catégories du canon hébraïque ancien (toujours visibles dans la plupart des bibles contemporaines) qui auraient pu éclairer la façon dont les premiers lecteurs interprétaient les livres à la lumière de leur emplacement à côté d’autres livres.

En se plongeant dans son ouvrage, le lecteur découvrira par ailleurs certains termes et catégories que les premiers chrétiens ont élaborés pour décrire leur littérature religieuse. Tels sont notamment les homologoumena, ou « livres incontestablement inclus dans le canon », les antilegomena, ou livres « initialement classés comme canoniques mais ultérieurement contestés », et les pseudepigrapha, des livres « de nature religieuse mais externes au canon ». Une quatrième catégorie, les apocryphes de l’Ancien Testament, regroupe les « livres ajoutés à la Septante mais jamais inclus dans l’Ancien Testament hébreu ».

Les chercheurs qualifient aujourd’hui un grand nombre de livres (comme 1 Enoch) de pseudépigraphes, mais les premiers chrétiens n’utilisaient pas souvent ce terme (Cyrille de Jérusalem mentionne des évangiles « faussement intitulés » comme celui de Thomas) et auraient qualifié ces livres d’apocryphes ou de « livres cachés ». Ce n’est que dans le feu de la polémique que Jérôme qualifie un jour d’« apocryphes » Tobie, Judith, l’Ecclésiastique (également connu sous le nom de Ben Sira ou Siracide), la Sagesse de Salomon ou encore 1 et 2 Maccabées. Mais ailleurs, il recommande ces livres comme des lectures édifiantes, même si ce n’est pas dans le but de confirmer les doctrines de l’Église.

Jérôme rejoint ainsi d’autres premiers chrétiens comme Athanase en prenant en compte une catégorie intermédiaire de littérature religieuse : ni canonique, ni apocryphe, mais utile et bénéfique. Lim ne mentionne pas cette catégorie intermédiaire, ce qui pose un problème lorsqu’elle reconstruit la compréhension qu’avaient les pères de l’Église de la genèse de la Bible. De nombreux premiers chrétiens ont pu avoir une haute opinion de ces livres intermédiaires, mais ne les auraient pas décrits comme canoniques, contestés ou apocryphes.

Cela débouche sur un réel problème dans le propos de Lim sur la Septante (une collection de livres grecs notoirement difficile à définir) et les apocryphes. Elle soutient que certains scribes juifs étaient responsables de l’ajout à la Septante de livres qui ont été connus plus tard sous le nom d’apocryphes. Plus loin, elle affirme que « les apocryphes ont été annexés à la Septante, dans ce qui a été connu sous le nom de “liste d’Alexandrie” ». Cette liste a été compilée à Alexandrie, en Égypte, bien que les Juifs n’aient jamais considéré les apocryphes comme canoniques. La confusion se serait ensuite installée, écrit Lim, lorsque certains pères de l’Église « ont mal compris la tradition hébraïque et ont considéré certains livres apocryphes comme canoniques ».

L’histoire est plus complexe. Il n’existe aucune preuve que les Juifs d’Alexandrie aient rédigé une liste canonique ou qu’ils aient possédé un canon différent de celui des autres Juifs. Cette théorie a été largement abandonnée depuis les années 1960. En outre, de nombreux premiers chrétiens décrivaient le canon de l’Ancien Testament chrétien comme établi selon le canon hébreu. Par la suite, des chrétiens comme Augustin ont développé une tradition parallèle affirmant que le canon biblique englobe les livres que les églises lisaient et acceptaient.

En somme, l’Ancien Testament protestant reflète une pensée chrétienne primitive limitant l’Ancien Testament au canon hébreu, tandis que l’Ancien Testament catholique romain reflète un autre canon chrétien primitif articulé par Augustin et les synodes d’Hippone et de Carthage. Il paraît donc inexact d’affirmer que le Concile de Trente au 16e siècle, principal moteur de la « Contre-Réforme » catholique, a été le premier à considérer les apocryphes comme canoniques. Trente n’a été que le premier concile à prononcer l’« anathème » à l’encontre de ceux qui refusaient d’accepter son canon.

Le quatrième siècle et ce qui le précède

Dans les sections suivantes du livre, Lim aborde des défis similaires dans la formation du canon du Nouveau Testament. Elle y aborde des hérésies telles que le gnosticisme et le marcionisme, ainsi que d’autres œuvres littéraires chrétiennes primitives telles que le Berger d’Hermas et la Didaché. Là encore, l’histoire de la formation du Nouveau Testament est confuse, mais en la comprenant bien, comme le soutient Lim, il est possible de voir que la souveraineté de Dieu n’a jamais été contrecarrée. L’autrice estime plutôt que les chrétiens devraient être rassurés par le fait que le canon du Nouveau Testament a été constitué au quatrième siècle et pas plus tôt, car ce fait reflète les efforts des pères de l’Église pour distinguer les livres canoniques des autres.

Lim interprète la conversion de l’empereur romain Constantin au christianisme au 4e siècle comme un « pivot » pour l’établissement de l’Église et la confirmation du canon du Nouveau Testament. Elle évite à juste titre d’attribuer au concile de Nicée (325 apr. J.-C.) la création du canon, mais l’accent qu’elle met sur les débats du concile concernant l’orthodoxie et l’hérésie laisse ouverte la question de savoir comment ces débats ont été liés à la formation du Nouveau Testament.

Pour Lim, la fin du quatrième siècle — l’époque des synodes d’Hippone (393 apr. J.-C.) et de Carthage (397 apr. J.-C.) — a été marquée par la reconnaissance officielle du canon du Nouveau Testament. Assurément, le quatrième siècle a clarifié le statut de livres comme 2 Jean, 3 Jean et 2 Pierre, qui n’étaient pas clairement reconnus auparavant.

Mais l’accent mis sur le 4e siècle pourrait amener les lecteurs à ignorer d’importants développements antérieurs dans l’histoire du canon, comme l’assemblage des quatre évangiles ou des lettres pauliniennes. Vers l’an 250, Origène d’Alexandrie avait déjà dressé la liste des 27 livres du canon du Nouveau Testament. Ainsi, le noyau du Nouveau Testament était déjà établi au quatrième siècle. Si certains considèrent la 39e lettre festale d’Athanase (367 apr. J.-C.) comme une définition autoritaire du canon du Nouveau Testament, il ne s’agissait que d’une étape dans ce processus, et non de sa résolution finale.

Faire de l’histoire est complexe. Cela implique des personnes et des documents, et les éléments que nous possédons ne nous permettent pas de répondre à toutes nos questions. Mais pour Lim, l’histoire du développement de la Bible ne doit pas entraîner le désespoir ou l’abandon de la foi. Plutôt que de fragiliser notre foi, cette histoire permet de l’étayer et de la renforcer. J’oserais même dire qu’elle a quelque chose d’inspirant. La « foi en quête d’intelligence » part de notre confiance en la sage providence de Dieu, mais notre compréhension s’accroît par le questionnement et l’interprétation des données.

J’espère ainsi que les lecteurs du livre de Lim se joindront à elle dans la joie toujours plus grande de découvrir l’histoire de notre Bible et la façon dont elle éclaire la foi chrétienne. Si les lecteurs en sortent un tant soit peu plus confiants dans la fiabilité et l’authenticité de l’Écriture et encouragés dans leur propre cheminement de foi, alors Lim pourra considérer que sa mission comme accomplie.

John D. Meade est professeur d’Ancien Testament et directeur du Text & Canon Institute au Phoenix Seminary. Il est coauteur de Scribes & Scripture : The Amazing Story of How We Got the Bible (Crossway).

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Des mineurs sud-africains exploités se tournent vers les églises pour trouver de l’aide

Des pasteurs aident des veuves à percevoir des pensions retenues et négocient la paix dans de violents conflits du travail.

Christianity Today April 29, 2024
Illustration de Marco Lawrence

Comme d’autres veuves de mineurs sud-africains, Jane Anele a été doublement lésée par l’industrie. Cette femme de 58 ans a perdu son mari dans une mine de charbon il y a déjà 10 ans et l’employeur de ce dernier n’a jamais versé son dû à la famille.

« Mon mari est mort d’une maladie pulmonaire après avoir creusé le charbon pendant 20 ans, et sa pension n’a jamais été versée parce que la mine de charbon a été fermée », nous rapporte-t-elle. « Nous sommes trop pauvres pour engager des avocats qui nous demandent 90 000 rands sud-africains (4 500 USD) pour poursuivre ceux qui nous doivent cet argent. Nous ne sommes pas des gens très instruits. Comment faire face aux historiques de pensions à fournir et aux formulaires complexes à remplir ? »

Son dernier espoir a été de se tourner vers l’Église.

Dans un pays où les avocats, les services de ressources humaines des entreprises et la police sont regardés avec méfiance, des responsables chrétiens interviennent pour défendre les travailleurs noirs des mines d’Afrique du Sud et leurs familles.

« Nous nous tenons aux côtés des mineurs noirs et de leurs descendants pour toute leur vie. Je me suis attiré beaucoup d’ennemis et j’ai été vilipendé dans les cercles du gouvernement et de l’industrie minière à cause de ma position », raconte celui qui se présente comme le prophète Paseka Mboro, un pasteur pentecôtiste charismatique controversé. « Ces sociétés minières d’or et de platine sont cotées en bourse, mais certains de leurs anciens ouvriers n’ont parfois plus les moyens de se payer [des antidouleurs] dans leur vieillesse. »

Les mines d’Afrique du Sud ont pris leur essor à la fin des années 1800, lorsque le magnat impérialiste des mines Cecil Rhodes et la famille Oppenheimer ont trouvé de l’or et des gisements de diamants. Pendant plus d’un siècle, le pays a fait tourner ses célèbres mines d’or, de platine et de charbon à la sueur des travailleurs migrants noirs.

Aujourd’hui, alors que cette industrie connaît un lent déclin, les travailleurs souffrent, vieillissent dans la pauvreté et meurent des suites de maladies contractées dans les mines. Et le travail devient à la fois de plus en plus dangereux et de moins en moins stable.

Tapiwa Nhachi, ancien chercheur en sciences sociales au Centre for Natural Resources dans la région, explique qu’obtenir justice pour les travailleurs migrants est un véritable cauchemar. Certains ont été amenés des pays africains voisins dans les années 1960 pour travailler sans papiers d’identité et sont aujourd’hui simplement décédés.

« J’ai travaillé pendant cinq ans pour Optimum Coal Mine. J’ai été blessé par une chute de pierres sous terre. J’ai été licencié avec deux mois de salaire et les prestations d’invalidité n’ont pas été versées à ce jour », nous rapporte Wandile Mashaba, 60 ans. « Depuis, la mine a fait faillite, a changé de propriétaires, et mon dossier a disparu. »

Des milliers de travailleurs noirs des mines d’Afrique du Sud, considérés comme l’un des pays connaissant les plus fortes inégalités financières au monde, n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat et comptent sur le secours de chrétiens comme Paseka Mboro.

Si ceux-ci sont prêts à affronter les grandes sociétés minières, c’est en raison des appels bibliques à la justice et des condamnations divines « contre ceux qui exploitent le salarié, qui oppriment la veuve et l’orphelin, qui font tort à l’étranger » (Mal 3.5).

« Les pasteurs nous ont beaucoup aidés », dit Nolwazi Makhulu. « C’est grâce à leur engagement assidu et courageux face aux propriétaires de mines que les 400 000 rands [20 000 USD] d’invalidité et de pension de mon défunt mari ont finalement été réglés par un fonds fiduciaire, bien que la mine de diamants ait cessé ses activités depuis longtemps. »

Le Wall Street Journal rapporte que le secteur minier sud-africain, d’un poids de près de 24 milliards de dollars, « s’affaiblit sous la pression de la criminalité violente, de l’augmentation des coûts et de l’incertitude réglementaire, ainsi que de l’épuisement des mines ». Le journal évoque également la baisse du nombre d’emplois accompagnant celle de la production, ainsi que l’augmentation des conflits du travail violents et des décès.

Ainsi, en octobre et décembre de l’année dernière, des mineurs mécontents ont pris en otage des centaines d’autres mineurs à des kilomètres sous terre afin d’obtenir des concessions de la part des propriétaires de mines appartenant à de grandes sociétés.

« Dans le sillage de ce déclin, les tactiques violentes et l’injustice perdurent », dit Thula Maseko, coordinateur d’une branche du syndicat national des mineurs.

Lorsque la police et les propriétaires de mines craignent ou refusent de négocier dans des situations de prise d’otages, ce sont à nouveau des églises qui interviennent. S’appuyant sur des décennies de confiance établie, des responsables chrétiens servent de négociateurs de paix pour empêcher les effusions de sang potentielles, rapporte le syndicaliste.

Les milliers d’ouvriers miniers noirs d’Afrique du Sud ne font guère confiance aux grandes sociétés minières, aux avocats d’affaires, aux tribunaux et aux syndicats compromis, affirme Tito Dingane, pasteur militant de l’Église chrétienne de Zion, une vaste dénomination d’initiative africaine qui compte un million de membres en Afrique du Sud.

« Ce n’est que grâce à notre intervention et à nos négociations au nom de l’Église chrétienne de Zion que trois veuves de mineurs ont récemment reçu une modeste compensation pour la mort de leur mari », nous dit-il. « [Les responsables de l’exploitation minière] avaient rejeté leur demande, affirmant que leurs maris étaient de faux mineurs. »

Cela fait des décennies que des églises poursuivent des propriétaires de mines au nom de travailleurs atteints de maladies pulmonaires. L’année dernière, l’Église catholique a intenté une action collective contre BHP, le géant australien des mines de cuivre, au nom de « 17 travailleurs et anciens travailleurs des mines qui ont demandé de l’aide à l’Église catholique après avoir contracté la pneumoconiose incurable des travailleurs du charbon », selon un article paru dans la presse spécialisée.

« Les évêques sont notre dernier espoir », dit Fazela Ntoto, un ancien mineur d’or. Profitant de son illettrisme, des avocats fiduciaires l’avaient dépouillé de sa pension obtenue de haute lutte. Ses pasteurs ont cependant pris fait et cause pour lui et se sont efforcés de récupérer ce qui lui était dû.

Le père Stan Muyebe, directeur de la Commission Justice et Paix de la Conférence des évêques catholiques d’Afrique australe, souligne que l’Église est appelée à se joindre aux « cris pour la justice » et à offrir son aide :

« L’Église d’Afrique du Sud est mise au défi de devenir une Église samaritaine, en entendant les cris des anciens mineurs malades et en voyant [en eux] le visage souffrant du Christ, en et à travers celui qui nous a dit un jour : “J’étais malade et vous m’avez visité”. »

Nyasha Bhobo est une journaliste indépendante établie au Zimbabwe et travaillant sur l’Afrique australe.

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Books

Rencontrer le Dieu insaisissable dans les espaces finis de la poésie

Scott Cairns, poète orthodoxe oriental, nous parle de son nouveau recueil, de son chemin de foi et des ressources de la poésie pour appréhender des réalités insondables.

Christianity Today April 25, 2024
Illustration by Christianity Today / Source Images: WikiMedia Commons

Les fans de la série Harry Potter se souviennent peut-être des tentes magiques que l’on voit apparaître dans le quatrième tome. Dans l’adaptation cinématographique de Harry Potter et la coupe de feu, lorsque ses amis emmènent le héros assister à la Coupe du monde de leur sport favori, le Quidditch, le public semble loger dans des myriades de petites tentes apparemment conçues pour n’accueillir qu’une ou deux personnes chacune. C’est donc avec étonnement que Harry voit ceux qui l’accompagnent entrer les uns après les autres dans une unique tente, qui peut en réalité contenir bien plus que sa taille extérieure ne laisse supposer. En suivant le mouvement, le jeune homme se retrouve alors émerveillé face à un intérieur spacieux contenant plusieurs chambres, une salle à manger et un grand salon.

Cette scène offre en quelque sorte une image des idées et réalités que Scott Cairns aborde dans son nouveau recueil de poèmes, Lacunae. L’auteur est un poète orthodoxe oriental à l’origine de dix recueils de poèmes, de divers essais, de mémoires spirituelles et du texte de deux oratorios. Les poèmes de Lacunae touchent régulièrement au mystère des choses divines. La portée de celles-ci est infinie, mais elles s’inscrivent à leur manière dans des espaces et des temps finis. Tout comme Harry Potter est surpris de découvrir tout ce que contenait une tente apparemment si petite, le lecteur se retrouvera ainsi émerveillé de contempler la plénitude de Dieu contenue en Marie et, plus encore, en chaque chrétien par l’inhabitation de l’Esprit saint.

Joey Jekel, écrivain et professeur de lettres classiques au Texas, a interrogé le poète au sujet de son dernier recueil, de la nature de la poésie et de la théologie qui inspire la sienne.

Pour reprendre l’expression de Dostoïevski dans Les Frères Karamazov, pourriez-vous nous parler brièvement de votre « histoire sainte » ?

J’ai été élevé comme baptiste, bien que mon baptisme se soit avéré relativement fragile. Je suppose que la grâce de ces années-là est que mes parents vivaient le fondamentalisme de notre communauté de manière relativement douce. Mon père aimait dire qu’un chrétien devrait chercher à être « engageant pour que d’autres aient envie de s’engager ». En tout cas, je ne me suis jamais senti sous pression comme d’autres semblent l’avoir été ; en réalité, l’amour profond de Dieu que j’ai découvert dans cette communauté m’a permis de me sentir délicieusement libre, serein et ouvert.

À l’université, suite à l’exemple de mon frère aîné, Steve, j’ai commencé à lire ce que nous appelons « les pères de l’Église primitive ». C’est dans leur témoignage que j’ai reconnu que bien des réticences ressenties à l’égard de ce que j’entendais dans notre église baptiste reposaient sur des intuitions historiquement fondées. Pendant des années, j’avais pensé que je devais être hérétique, mais il s’est avéré que je me trompais. Il m’a fallu de nombreuses années de lecture de cette antique tradition pour finalement trouver le chemin de l’orthodoxie en 1998. Lorsque je l’ai fait, j’ai eu le sentiment que je rentrais à la maison.

Vous utilisez fréquemment les mots noûs et noétique dans vos poèmes et vos écrits. Pouvez-vous expliquer comment et pourquoi vous utilisez ces termes ?

Au début de mon lent cheminement vers la plénitude de la foi que l’on trouve dans l’orthodoxie, j’ai noté une série de dichotomies insatisfaisantes dont j’avais en quelque sorte hérité en raison, en particulier, de la division de l’Église entre l’Est et l’Ouest. Certaines de ces dichotomies résultent de traductions malheureuses et le choix, dans la plupart des traductions, de rendre noûs par « pensée » est peut-être l’un des plus problématiques.

Bien que le terme ait quelque peu évolué au cours des millénaires, la plupart des traditions de l’Église primitive voient là plus que l’esprit, la raison ou la pensée ; comme le disait l’évêque Kallistos Ware, il s’agirait plutôt de « l’aptitude intellective du cœur ». En d’autres termes, le noûs est le point de rencontre de l’intellect et de la connaissance ressentie, de l’esprit et du cœur.

L’orthodoxie m’a appris que la personne humaine se comprend mieux comme un animal complexe, doté d’une âme — un esprit — et entretenant une relation noétique avec le Dieu unique. Et puisque notre Dieu se caractérise par les termes interpersonnels de Père, Fils et Saint-Esprit, nous sommes également en relation noétique avec d’autres personnes humaines. En fait, on pourrait dire que notre personnalité même dépend de ces relations.

Nous ne sommes pas — contrairement à ce que j’avais pu comprendre dans l’église de mon enfance — des esprits sans lien avec le corps. Nous n’aspirons pas à transcender notre corps. Nous ne sommes pas des anges et nous n’avons pas vocation à le devenir. Notre vocation, cependant, est de devenir comme Dieu ; créés à son image, nous sommes appelés à grandir à sa ressemblance. Nous n’éclipserons jamais sa sainteté infinie et inépuisable, mais par notre adoption et notre identification avec Jésus, nous devenons semblables au Dieu qui nous a appelés à l’existence.

Qui est « Isaac le Petit », un nom auquel vous attribuez de nombreuses épigraphes et poèmes tout au long de vos recueils ?

Mon cheminement vers l’Église orientale a nécessité trois décennies de lecture des écrits de l’Église primitive. J’avais fini par adopter une grande partie de ce que je lisais dans ces textes, mais lorsque j’ai découvert les Homélies ascétiques de saint Isaac le Syrien, mon cœur est enfin rentré à la maison. Ces homélies m’ont conduit sur le dernier bout de chemin pour reconnaître dans ces écrits un grand nombre des multiples intuitions que j’avais perçues en cours de route. Lorsque je suis entré officiellement dans l’Église orthodoxe grecque, je l’ai fait en tant qu’Isaac, saint Isaac le Syrien étant — comme nous le disons — mon « saint patron ». Le personnage d’Isaac le Petit est depuis lors devenu mon interlocuteur fictif dans une grande partie de mon travail.

L’iconographie occupe une place importante dans votre travail, en particulier dans Lacunae celle de Notre-Dame du signe. Pourriez-vous nous parler un peu du rôle des icônes dans la foi orthodoxe et dans votre recueil ?

L’icône formule en quelque sorte une affirmation théologique. Les icônes du Christ, en particulier, sont considérées comme une confession du fait que le Christ était à la fois Dieu et une personne pleinement humaine qui peut être représentée dans l’icône. J’ai souvent été gêné par une formule courante qui fait des icônes des « fenêtres sur le ciel ». Elle me semble trop mettre l’accent sur la distance et le caractère étranger de Dieu et de ses saints. Le rôle profond d’une icône est plutôt de souligner la présence du Christ ici avec nous, de même que les saints — cette immense nuée de témoins (Hé 12.1) — sont également ici avec nous. Les illusions du temps et de la distance sont atténuées par le fait que nous nous trouvons ainsi en présence de ces moments et personnages historiques chers à notre cœur.

Quant à la belle icône qui figure sur la couverture de Lacunae, c’est une icône très courante qui orne le dôme au-dessus des autels dans la plupart de nos églises. En grec, elle est décrite comme la Πλατυτέρα των Ουρανών, ou « plus vaste que les cieux ». Elle met en scène le fait que le Dieu que nul ne peut contenir était néanmoins contenu dans le sein humain de Marie. Ce mouvement est au cœur de ce que j’entends lorsque je parle de la manière dont opère le langage poétique ; j’ai souvent caractérisé cette opération comme la présence et l’action de quelque chose d’immense, inépuisable et insaisissable appréhendées dans un espace de sobriété. C’est ma sensibilité à cette qualité essentielle de la poésie qui m’a amené à me fixer sur cette idée de lacunae — ou lacunes — des ouvertures ou des espaces qui suggèrent plus que ce qu’ils ne semblent contenir.

Je pense à cet étrange passage de l’épître aux Colossiens où Paul affirme qu’il se réjouit de ses souffrances pour l’Église par lesquelles il comble dans sa chair « ce qui manque encore » aux souffrances du Christ (1.24). Cette traduction me paraît malheureuse. Nous sommes réticents à imaginer qu’il manque quoi que ce soit dans ce que le Christ accomplit. Ma propre traduction ne serait pas ce qui manque, mais ce qui reste à faire. À mes yeux, il y a là l’offrande de notre participation volontaire à cette souffrance.

Votre poésie aborde aussi le thème de la distraction et de l’éloignement. Comment un chrétien peut-il gérer les distractions de la vie ?

Je pense que la meilleure réponse est de prier sans cesse. Il faut développer un sens constant de la proximité de Dieu, la conscience qu’il est toujours avec nous. Cela nous aide à traverser toutes sortes de distractions, qu’elles proviennent de personnes cruelles ou ignorantes, de tragédies naturelles ou non, de nos souffrances ou de notre propre péché. Pour autant que je sache, le meilleur chemin pour développer ce sens est la Prière de Jésus : « Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. » Pendant près de deux millénaires, de nombreux croyants ont compté sur cette pratique pour les aider à se maintenir dans la conscience de cette réalité lumineuse de Dieu avec nous.

La liturgie orthodoxe est également très utile à cet égard. Le fait de vivre l’année au fil du calendrier ecclésiastique, soutenu par le rythme des offices, permet également que notre foi ne reste pas seulement une série de propositions, mais que se développe en nous un sens croissant de qui nous sommes et de celui auquel nous appartenons.

Dans ses Lettres à un jeune poète, le poète Rainer Maria Rilke établit un lien entre l’art de la poésie et l’art de vivre. Voyez-vous un lien entre ces deux choses ?

Je pense que notre art premier doit être de nous façonner nous-mêmes. Je pense également que toute entreprise que l’on puisse à juste titre qualifier de vocation se comprend mieux comme un moyen de mieux appréhender qui nous sommes et ce que nous sommes appelés à devenir. Ainsi, oui, pour ceux qui sont appelés à l’art de la poésie, cet appel est totalement lié à leur art de vivre, de bien vivre, d’une manière qui soutient notre propre cheminement spirituel, tout en soutenant celui des autres.

Le succès dans l’art de la poésie et dans l’art de vivre dépend de l’approfondissement de l’art de la prière. Au départ, j’avais tendance à résister à l’association de la poésie et de la prière, mais, à l’âge mûr, j’ai abandonné cette résistance. Si nous comprenons que la prière est moins affaire de requêtes que de communion et que la poésie est moins affaire d’expression que de quête verbale d’illumination, alors nous pouvons entrevoir comment l’une peut servir l’autre.

Pourriez-vous expliquer le concept de théologie apophatique et son attitude d’humilité devant le mystère de l’Écriture ? Quelles sont la valeur et la beauté de cette approche théologique ?

La théologie existe sous deux formes : cataphatique et apophatique. Les deux approches sont présentes dans l’Église, tant historiquement que de nos jours. L’approche cataphatique — qui, d’une manière générale, est plus à l’aise pour formuler des définitions à propos de Dieu et de sa nature — est peut-être la plus familière en Occident. L’approche apophatique — on peut clairement le dire — tient le haut du pavé en Orient.

Les dangers principaux d’une approche cataphatique se manifestent chaque fois qu’un pasteur ou un théologien prétend expliquer entièrement les mystères dont témoignent les Écritures, chaque fois qu’une paraphrase désinvolte menace d’éclipser les profondeurs inépuisables d’un texte L’Église orientale privilégie une approche plus hébraïque, plus rabbinique du commentaire théologique, se limitant à proposer un sens provisoire de ce qu’un passage peut offrir. Cette approche plus humble face au mystère me semble une disposition bien préférable à l’arrogance d’un pasteur qui proposerait sa propre interprétation sous le label « Voici ce que Dieu dit ».

Que voulez-vous dire en affirmant qu’« il n’y a qu’une seule Église véritable, diversement appréhendée » ?

Cela me rappelle une question piège que j’ai entendue il y a quelque temps. La question était : « Combien d’églises avez-vous dans cette ville ? » La seule réponse correcte était « Une ».

Si l’Église est considérée comme le corps du Christ, il doit aller de soi que tous ses membres, malgré leurs différences, sont membres de ce corps unique.

Ainsi, oui, indépendamment des divisions que nous connaissons — et du terme profondément regrettable de dénominations — le corps du Christ est invariablement un. Je pense que la plupart des divisions historiques peuvent être interprétées comme les conséquences de diminutions successives de la foi.

Cela me rappelle également ce que mon premier prêtre, le père George Paulson, m’a dit lorsque je l’ai rencontré pour lui annoncer que je voulais me « convertir » à l’orthodoxie. « Te convertir ? », m’a-t-il répondu. « Qu’est-ce que tu es actuellement ? Musulman ? Hindou ? » Il m’a encouragé à considérer que devenir orthodoxe signifiait pour moi « embrasser la plénitude de la foi » et pas me « convertir ».

Ainsi, oui, — que cela nous plaise ou non — nous sommes tous membres d’un seul corps, d’une seule Église ; nous percevons simplement ce corps de manière différente, à des degrés divers de plénitude.

Y a-t-il autre chose que vous aimeriez mentionner, que ce soit à propos de ce recueil de poèmes ou de votre travail en général ?

Je voudrais simplement dire que je ne considère aucun de mes recueils successifs de poèmes comme l’expression d’un nouveau départ ou d’une nouvelle approche. Je vois chacun comme une étape de développement dans la direction que j’espérais prendre dès le départ. Les poèmes sont ma façon d’examiner mon cœur et mon esprit. Ils sont ma façon de pouvoir vivre, ne serait-ce que provisoirement, avec ce que j’entrevois au cours de cet examen.

Je continue à me préoccuper du devenir, de notre devenir collectif, sachant qu’aucun d’entre nous ne cessera jamais de devenir. Le Dieu à la ressemblance duquel nous évoluons est un Dieu inépuisable et notre cheminement vers la participation à la sainteté de Dieu est un cheminement sans fin.

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La disparition de communautés artistiques est une perte pour l’Église

Les écrivains et artistes chrétiens ont besoin d’espaces partagés afin de pouvoir servir au mieux l’Église et le monde avec ce qui les passionne.

Christianity Today April 23, 2024
Blend Images/Walter Zerla/Getty

Je me souviens bien de ce moment où de petits magazines littéraires sont entrés dans ma vie pour y exercer une influence subtile, mais bien réelle. Je parlais avec mon père de certains cours que je suivais à la fin de mes études universitaires et je lui racontais qu’une idée m’avait récemment traversé l’esprit : « J’ai envie de lancer un magazine. Je vais inviter des amis qui aiment écrire et qui font de la photographie à présenter leur travail. J’imprimerai 10 ou 20 exemplaires et je verrai ce qui se passe. »

Surpris, mon père m’a montré du doigt un journal à couverture bordeaux, soigneusement imprimé, posé sur son bureau et orné du titre Image, suivi de 3 mots : Art. Faith. Mystery (« Art. Foi. Mystère »). En tant que doyen responsable des étudiants d’une université chrétienne d’arts libéraux, il connaissait bien ce que je commençais tout juste à découvrir.

Ce moment-là a définitivement changé le cours de ma vie. Un monde s’ouvrait à moi qui prenait au sérieux les choses que j’aimais : la foi, les livres, l’imagination, la création culturelle et l’art. Une passion était née.

Mais dix ans plus tard, j’ai l’impression que ce monde est en train de s’écrouler, ou du moins qu’il vacille. En février, le magazine Image annonçait qu’après 35 ans d’existence, il ne serait plus publié, et ce pour des raisons financières. Puis, en mars, nous apprenions, avec joie, sa reprise grâce à une vague de dons. D’autres petits magazines et maisons d’édition n’ont malheureusement pas connu un tel revirement de situation. Le journal Christians in the Visual Arts a par exemple annoncé sa dissolution l’année dernière.

Pour moi, ces fins de parution ne dénotent pas un manque d’énergie, de talent ou d’intérêt pour les arts et la littérature dans l’Église. D’une certaine manière, les mouvements associant arts et foi — menés par des écrivains, des peintres, des poètes ou encore des photographes dont la vie créative n’est souvent pas mise en avant dans les communautés chrétiennes — semblent même s’amplifier.

Mais le manque de viabilité et de soutien institutionnels est palpable. Les grands courants qui alimentaient l’écosystème littéraire et artistique de l’Église américaine semblent en partie s’être taris.

Les artistes en herbe et les écrivains chevronnés se sentent livrés à eux-mêmes. Dans ce contexte, les réflexions de Lore Ferguson Wilbert et de Jen Pollock Michel sur le monde de l’édition ont fait l’objet d’un large débat. Les rencontres créatives pour les chrétiens sont souvent difficiles à financer et à organiser ; il semble que leur existence doit sans cesse à nouveau être justifiée. Ce n’est pas une coïncidence si tant d’écrits chrétiens aujourd’hui sont de nature personnelle et confidentielle et que l’on entend s’élever de la part de nos artistes un appel discret à l’émergence d’une véritable communauté spirituelle et esthétique.

Certains petits magazines peuvent répondre à ce besoin en servant de « laboratoires expérimentaux et de plateformes communautaires pour les écrivains et les leaders d’opinion, qu’ils soient débutants ou confirmés », estime Sara Kyoungah White, ancienne rédactrice pour le Mouvement de Lausanne travaillant aujourd’hui pour Christianity Today.

Elle me dit avoir trouvé une communauté parmi les rédacteurs de petits magazines comme Ekstasis (le magazine publié par CT et né de la conversation avec mon père), Foreshadow et Fathom. Écrire dans ces pages lui permettait d’explorer sa foi avec des nuances et une poésie qui se fait de plus en plus rare dans notre monde très porté sur l’information. Elle pouvait interagir avec les œuvres de créateurs partageant les mêmes idées et se faire une place dans le paysage littéraire et culturel, tout en gardant les yeux fixés sur le Christ. Ces communautés évoquent pour elle celles de grands artistes et écrivains comme Gertrude Stein, Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Henri Matisse et James Joyce, qui se réunissaientdans les salons parisiens.

Mais il n’est pas nécessaire d’être écrivain ou artiste pour être au bénéfice de communautés littéraires et artistiques chrétiennes florissantes. « La meilleure façon d’envisager les publications littéraires est de les considérer comme faisant partie d’un écosystème d’idées plus large », déclare, lors d’une interview, Paul J. Pastor, responsable senior des acquisitions chez Zondervan.

« Tout écologiste vous dira que la résilience et la vitalité d’un écosystème dépendent autant des “petits”, et parfois plus, que des “grands” », explique-t-il. « Tout comme dans une forêt, où les espèces qui sont la clé de voûte de l’équilibre écologique sont souvent invisibles et sous-estimées, les petites publications littéraires offrent une contribution spécifique qui pourrait bien être essentielle et irremplaçable — et que l’on ne perçoit pleinement que par le manque qu’elle induit lorsqu’elle disparait. »

Sans ce recul, cependant le soutien institutionnel à ce type de communauté littéraire s’avère difficile à mettre en place dans l’Église. Un magazine littéraire n’apportera probablement pas de nouveaux convertis et ne permettra pas de payer l’éclairage de la salle de culte. Pourquoi devrions-nous soutenir financièrement un travail qui n’a pas de valeur quantifiable ?

Nous devrions le faire pour nourrir dans nos églises une culture de vie et de beauté. Dieu a ancré en nous la soif de beauté. Son amour de la beauté est évident dans sa Parole. On peut le voir dans l’appel créatif adressé à Betsaleel pour tisser les grenades de fils rouges, violets et bleus sur les robes portées dans le Saint des Saints (Ex 28.31-35 ; 35.30-35) ; dans la structure poétique magistrale des Psaumes ; dans le langage épique de l’Apocalypse et des prophéties.

En tant que chrétiens, nous devrions prêter attention à la manière dont nous assouvissons notre soif de beauté. Développons-nous une attirance pour ce qui est bon et une aversion envers la saveur âcre du mal ? Qu’est-ce qui a le plus d’influence sur nous ? La beauté qui nous pousse vers l’œuvre étrange et inattendue de Dieu dans le monde ? Ou les slogans politiques et les livres de développement personnel ?

Le pouvoir du travail littéraire à petite échelle réside dans sa capacité à nous confronter à de nouvelles idées, à développer notre goût pour l’inconnu, l’étrange, l’inattendu, le plaisir. Cela ne sera jamais très mesurable, mais ce n’est pas inutile pour autant. « La contribution des “petits” écrivains et publications littéraires est immense, malgré la difficulté que l’on a parfois à retracer leur influence », nous dit Paul J. Pastor. « On ne sait jamais comment une image ou une idée développée dans un poème ou une nouvelle peut éveiller quelque chose chez un lecteur qui, des années plus tard, l’exprimera par écrit ou par la parole, la peinture, la sculpture et touchera des milliers de personnes, ou peut-être juste une personne dont la vie sera sauvée à son tour. Qui sait ? »

« Mais », ajoute-t-il, « ce dont ces artistes ont besoin, ce dont un tel mouvement a toujours besoin, c’est d’un public passionné et impliqué. »

Pour raconter des histoires inédites, il faut des soutiens et des protecteurs. À la Renaissance, ce soutien se faisait par le patronage des plus fortunés. Au milieu du 20e siècle, il pouvait prendre la forme de « subventions, de résidences, d’affiliations et de postes universitaires ». Aujourd’hui, nous avons peut-être besoin d’un nouveau modèle pour faire de la place à ce qu’Anne Snyder, rédactrice en chef de Comment, décrit dans une interview comme « la nécessaire lutte avec des questions plus difficiles : les arguments, les débats de fond, le cran d’être politique lorsque c’est nécessaire, les appels difficiles à choisir la voie de Jésus […] une combinaison d’audace culturelle et d’émerveillement face à l’imago Dei ».

L’idée peut paraître audacieuse, voire risquée, mais Paul J. Pastor est plein d’espoir. « Une nouvelle génération produit des œuvres absolument remarquables. Les organisations qui nous soutiennent sont fragiles, mais il en a toujours été ainsi ». Dans un siècle, prédit-il, on se souviendra du nôtre « comme d’un moment de renouveau dans la littérature chrétienne. Et nous avons tous l’opportunité d’y participer. »

Le travail incessant de création, de formation et d’attention aux profondeurs de l’esprit humain se poursuivra. Il est possible de le faire avancer grâce à des institutions audacieuses et innovantes œuvrant à créer le lien entre l’image et la parole, l’esprit et la pensée. Et tout cela pour le bien de l’Église.

D’une manière ou d’une autre, les êtres humains chercheront à étancher leur soif de beauté. En tant que peuple de Dieu, nous devrions organiser ce festin !

Conor Sweetman est directeur de l’innovation et de la collaboration pour Christianity Today et éditeur d’Ekstasis.

Traduit par Anne Haumont

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