L’intervention en Afghanistan : succès ou gâchis ?

Alors que le monde entier débat du retrait des États-Unis, 15 personnalités réfléchissent à la manière d’appliquer leur foi à ce qui s’est passé, et à ce qui suivra.

Des fresques murales le long des murs de l’ambassade américaine encore paisible, le 30 juillet 2021 à Kaboul, Afghanistan.

Des fresques murales le long des murs de l’ambassade américaine encore paisible, le 30 juillet 2021 à Kaboul, Afghanistan.

Christianity Today August 31, 2021
Paula Bronstein / Getty Images

Il sera difficile d'oublier les images d'Afghans se ruant sur les avions en partance, certains s’y accrochant à mains nues dans leur désespoir de quitter leur pays après la prise de Kaboul par les talibans.

La mise en œuvre par le président Joe Biden du retrait d'Afghanistan prévu par l'ancien président Donald Trump, la prise de pouvoir rapide des talibans et l'absence apparente de coordination et de planification pour évacuer les traducteurs et autres personnes menacées de persécution ont suscité une intense indignation et une grande tristesse dans le monde entier.

Les chrétiens ne sont pas tous d'accord sur ce que le gouvernement et l'armée américaine auraient dû faire. Mais ils essaient de mettre leur foi en pratique pour tenter de comprendre au mieux ce qui est juste après ces événements.

Christianity Today a interrogé 15 personnalités pour savoir ce qu'elles déplorent dans le retrait américain et la prise de pouvoir des talibans, comment elles prient pour l'avenir de l'Afghanistan, ce qu'elles pensent que les chrétiens américains peuvent apprendre de cette guerre, quel en sera selon elles l'impact à long terme sur le champ missionnaire et si les décennies d'investissement des troupes américaines et des travailleurs chrétiens étrangers ont porté du fruit.

Nos contributeurs :

Chris Seiple

est président émérite de l'

Institute for Global Engagement

(« Institut pour l’engagement mondial) et auteur de

The US Military/NGO Relationship in Humanitarian Interventions

(« La relation entre armée américaine et ONGs dans les interventions humanitaires »).

Paul Miller

est professeur de pratique des affaires internationales à la

Georgetown University’s School of Foreign Service

(« École du service diplomatique de l’université de Georgetown »). Il a précédemment occupé le poste de directeur pour l'Afghanistan et le Pakistan au sein du Conseil national de sécurité américain..

Mariya Dostzadah Goodbrake

et sa famille étaient autrefois des réfugiés afghans. Elle est aujourd'hui directrice exécutive de

Global FC

, une organisation qui s'occupe des réfugiés dans la région de Kansas City.

Eugene

, un travailleur chrétien qui a servi en Afghanistan et au Pakistan pendant des décennies et qui a requis l'anonymat en raison de son ministère en cours.

Jenny Yang

est vice-présidente chargée de la promotion et de la politique de

World Relief

, la branche humanitaire de la

National Association of Evangelicals

et l'une des neuf agences américaines de réinstallation des réfugiés.

Mark Tooley

est l’éditeur de

Providence: Journal of Christianity & American Foreign Policy

et président de l’

Institute on Religion and Democracy

.

Humphrey Peters

est le primat de l'Église du Pakistan et l'évêque du diocèse de Peshawar, qui englobe Kaboul.

Ryan Brasher

a passé sept ans (2014-2021) comme professeur de sciences politiques au

Forman Christian College

de Lahore, au Pakistan.

Mark Morris

est directeur de RefugeeMemphis.com et professeur d'études théologiques urbaines à

Union University

.

Mansour Borji

est directeur de la promotion pour

Article 18

, une organisation qui soutient les chrétiens persécutés en Iran.

Josh Manley

est le pasteur principal de l'église de Ras Al Khaimah, aux Émirats arabes unis, et il a établi des relations avec des pasteurs afghans.

Fouad Masri

est président et directeur général de

Crescent Project

et pasteur libano-américain.

Hurunnessa Fariad

est une musulmane américaine d'origine afghane et directrice de l'action sociale du

Multi-Faith Neighbors Network

, qui établit des relations entre les communautés religieuses afin de diminuer la méfiance ou les oppositions.

Un autre contributeur est un ancien responsable missionnaire d'Asie du Sud-Est, qui a requis l'anonymat en raison du fait qu'il est toujours actif dans la région concernée.

Une dernière contributrice est une Afghane basée aux États-Unis et mariée à un pasteur afghan, qui a requis l'anonymat en raison de ses relations personnelles en Afghanistan.

Cliquez pour naviguer parmi les questions suivantes :

Que regrettez-vous le plus dans le retrait américain et la prise de pouvoir des talibans ?

Femme d'un pasteur afghan : C'est arrivé si vite et personne n'était prêt. Il avait été dit que ce serait pour septembre, mais ils sont partis si vite. Ma sœur célibataire n'a pas pu partir.

Hurunnessa Fariad : La première est de savoir qu'une nation pleine de gens résilients et persévérants va continuer à souffrir. Plus de 40 ans d'effusion de sang et de peur, c'est trop, et cela ne devrait pas se produire dans le monde d'aujourd'hui. L'Afghanistan est retourné à l'âge sombre, littéralement du jour au lendemain.

Deuxièmement, la lâcheté avec laquelle le président Ghani a abandonné sa responsabilité de servir le peuple afghan. […] Il a vendu et laissé l'Afghanistan aux loups. Troisièmement, le retrait américain a été si mal planifié et exécuté. La panique et la ruée qui ont suivi à l'aéroport de Kaboul auraient pu être évitées. Qu'advient-il des plus de 80 000 demandeurs de visa d’immigrants spéciaux (SIV) à qui le gouvernement américain avait promis la protection et qui sont pourtant bloqués à Kaboul, craignant pour leur vie alors que les talibans reprennent le contrôle ?

Quatrièmement, la violence et le contrôle qui seront exercés sur les femmes afghanes. L'idée que les femmes soient à nouveau contraintes de porter la burqa, qu'elles ne soient pas autorisées à sortir de chez elles sans une escorte masculine légale, qu'elles ne puissent pas aller à l'école ou travailler, qu'elles soient contraintes de se marier avec des membres des talibans, fait bouillir mon sang et saigner mon cœur pour mon peuple.

Paul Miller : Je ne sais pas par où commencer. Je déplore les vies perdues, les libertés perdues, l'injustice rampante, la victoire de la tyrannie et de la terreur. Les méchants ont gagné. Nous vivons dans un monde où une coalition des nations les plus riches et les plus puissantes de l'histoire s'est collectivement persuadée qu'elle était impuissante à arrêter la plongée d'une nation dans l'anarchie et la barbarie. Et, comme elle était impuissante, elle s'est racontée le mythe réconfortant que c'était inévitable, qu'il n'y avait rien à faire. Je déplore les mensonges que nous nous racontons et les mythes que nous tissons pour nous aider à nous sentir mieux face aux décisions moralement insensées et lâches que nous prenons.

Jenny Yang : Je suis préoccupé par les retombées humanitaires du retrait américain d'Afghanistan et par le manque de planification qui a placé de nombreux Afghans vulnérables dans une situation très difficile et limité les options pour ceux qui doivent être évacués. De nombreux groupes de personnes craignent les conséquences du retour au pouvoir des talibans : les personnes associées à l'armée américaine, les chrétiens et les autres minorités religieuses, les femmes et les jeunes filles, en particulier celles qui ont saisi l'occasion de poursuivre leur éducation. Nous sommes en deuil avec ces personnes et nous demandons aux États-Unis et aux autres pays de faire pression sur les talibans pour leur offrir le plus de protections possibles.

Mansour Borji : Le fait que les valeurs chèrement acquises des droits de l'homme et de la démocratie sont de plus en plus ternies en raison du manque de vision et d'engagement à long terme des puissances occidentales qui ne les défendent que du bout des lèvres, alimentant ainsi les idéologies et les régimes despotiques qui exploitent les pays et bafouent la dignité de leurs citoyens.

Josh Manley : Si je déplore de nombreuses réalités concernant la prise de contrôle de l'Afghanistan par les talibans, je déplore surtout la situation périlleuse dans laquelle cela place nos chers frères et sœurs de l'Église afghane. Pendant un certain temps, ils avaient connu un certain degré relatif de stabilité et de sécurité. Je déplore ce que les nouvelles circonstances pourraient signifier pour leur avenir. Je déplore la peur et l'inquiétude qui les assaillent en ce moment même.

Mark Tooley : Cette guerre, comme toutes les guerres, reflète la dépravation humaine. Celle-ci est inévitable et inéluctable. Et pourtant, nous pouvons admirer le sacrifice et le courage de tous les Américains, Afghans, et différents membres de l'OTAN et de nombreuses ONG qui ont travaillé et se sont donnés pour que l'Afghanistan échappe aux ravages du passé. Les succès ont été nombreux : une espérance de vie plus longue, une meilleure santé, plus d'éducation, plus de libertés, et ce pendant 20 ans. Ces victoires ne seront pas entièrement étouffées par les talibans. Et nous pouvons supposer que l'Église en Afghanistan, aussi petite soit-elle, a planté des graines dont les générations futures récolteront les fruits au-delà de ce que nous pouvons imaginer.

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Comment priez-vous pour l'avenir de l'Afghanistan ?

Femme d’un pasteur afghan : Pour la liberté des femmes.

Chris Seiple : Ma prière est que l’Église d'Afghanistan et du reste de l'Asie centrale découvre de nouvelles façons d'être équipée et de servir. J'espère en particulier que les Églises d'Afghanistan et de cette région, ainsi que de la région Moyen-Orient/Afrique du Nord, deviendront des lieux de prise en charge des traumatismes – et donc de réconciliation interne et externe – au service de toute la société.

Mark Morris : Prions pour le salut des dirigeants talibans. Prions pour que Dieu cache ceux qui courent le plus de risques aux mains malveillantes des hommes mauvais. Prions pour que l'Évangile progresse et que le Christ consolide son Église en Afghanistan.

Mansour Borji : Que la vie des gens soit épargnée, en particulier celle des personnes ayant une foi et/ou des convictions que des groupes intolérants comme les talibans jugent dangereuses et susceptibles de saper leur régime totalitaire. Que l'Afghanistan renaisse de ses cendres comme un phénix, cette fois plus fort et plus sage. La dernière fois que les talibans étaient au pouvoir, le peuple afghan a mesuré la vacuité des promesses faites par les révolutionnaires islamistes. Une nouvelle génération va revivre cette expérience.

Paul Miller : Je prie pour la victoire du royaume de Dieu, pour la paix et la justice, alors qu'il est manifestement humainement impossible que ces choses se réalisent dans un avenir prévisible.

Évêque Peters : Nous prions pour que le Saint-Esprit touche les talibans afin qu'ils restent tolérants et reconnaissent les droits de l'homme de tous les peuples. Le corps mondial du Christ doit exprimer l'amour et la compassion chrétienne aux talibans et partager la bénédiction et la joie que Dieu nous a données. Si, avant le retrait, nous priions une fois par jour pour l'Afghanistan, nous devrions maintenant prier dix fois.

Jenny Yang : Je prie en priorité pour ceux qui cherchent désespérément à s'enfuir, afin que Dieu préserve leur vie et leur permette – que ce soit par l'intermédiaire du gouvernement américain ou autrement – de trouver refuge dans un endroit sûr où leurs droits et leur dignité sont pleinement respectés. Au-delà de cela, je prie pour l'épanouissement du peuple afghan, en particulier de ceux qui sont particulièrement vulnérables, afin qu'ils fassent l'expérience de la liberté et de la joie au milieu d'un environnement difficile. Et je prie pour que la communauté internationale continue à pousser les talibans à préserver les droits et libertés des femmes et des enfants, des minorités religieuses et ethniques, et de tous ceux qui sont souvent en désaccord avec leur régime et pourraient en souffrir.

Hurunnessa Fariad : Je prie pour que les enfants afghans n'aient jamais à s'endormir au son des bombes et des coups de feu. Je prie pour que la nation soit florissante dans tous les domaines de la vie – éducation, affaires, tourisme – qu'elle encourage et protège les femmes et les droits de l'homme pour toutes les ethnies qui composent l'Afghanistan. Je prie pour que l'Afghanistan soit reconnu comme une nation forte, digne et persévérante, comme elle l'était avant l'invasion soviétique.

Eugene: Que le peuple afghan commence à penser son avenir sans la présence de militaires d'autres nations sur son territoire pour le contrôler et parler d'édification de la nation alors que le peuple de tout État a le droit de le faire lui-même. Que les talibans tiennent leurs promesses d'une société plus libre où les femmes participent à tous les aspects de la vie et où les filles/femmes sont scolarisées. Que les disciples de Jésus grandissent en nombre et en maturité et bénissent le pays par des actes et des paroles transformateurs.

Fouad Masri : Je prie pour la protection et la multiplication des croyants clandestins. Je prie pour que les Afghans voient qu'un groupe djihadiste ne peut être le leader légitime de toute la diversité du peuple afghan. Je prie pour que les Afghans hors de leur pays rencontrent des amis chrétiens qui les réconfortent.

Mariya Dostzadah Goodbrake : Je prie spécifiquement pour qu'une génération pleine de courage, de résilience et de détermination se lève. Je crois que la génération qui a reçu un avant-goût de la liberté et de la dignité la plus élémentaire n'oubliera pas. Nous servons un Dieu qui nous rappelle constamment de ne pas oublier, de nous souvenir, de réfléchir au chemin que nous avons emprunté. Ma prière profonde est que cette génération n'oublie pas le parfum de la démocratie mais se lève avec courage pour vaincre l'ennemi. Je prie pour une intervention surnaturelle dans le cœur du peuple afghan, pour que les valeurs et les principes du Royaume soient miraculeusement plantés comme des graines dans le sol afghan, pour qu'ils poussent comme des arbres et portent des fruits au-delà de notre compréhension. Aucune démocratie ne se construit en 20 ans. Rien n'est perdu.

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Quelles réflexions les chrétiens américains devraient-ils tirer de cette guerre ?

Ryan Brasher : Les chrétiens américains devraient a) être reconnaissants pour cette période d'ouverture dans l'histoire de l'Afghanistan ; b) faire preuve de sagesse et de discernement, plutôt que de patriotisme aveugle, lorsque le gouvernement américain propose des opérations militaires à l'étranger (qui peuvent très bien être justifiées, mais il y a très peu d'exemples, après la Seconde Guerre mondiale, d'interventions militaires réussies (et éthiques), en particulier dans le Sud) ; c) être ouverts à l'accueil des réfugiés d'Afghanistan et d'autres pays déchirés par la guerre – y compris dans leurs propres quartiers.

Chris Seiple : La formulation de la question en appelle une autre : Sommes-nous des Américains qui se trouvent être chrétiens, ou des chrétiens qui se trouvent être Américains ? Quoi qu'il en soit, il existe des façons séculières et ecclésiales de réfléchir à la guerre, en reconnaissant que Dieu est souverain – et que le Saint-Esprit travaille activement dans les deux cas.

Sur le plan « spirituel », il est juste de se demander si un chrétien devrait même se soucier de telles choses, d'autant plus que la « victoire est déjà remportée ». Je pense que oui – sans équivoque – puisque nous sommes appelés à construire le royaume de Dieu « sur la terre comme au ciel ».

Mais nous devons davantage travailler à notre théologie de la citoyenneté, ainsi qu'à notre théologie de l'engagement et à notre théologie de la souffrance, qui doivent toutes former et alimenter la théorie séculière du changement positif qui permette de comprendre comment la mise en œuvre de nos convictions sert le bien commun. Pour ce faire, nous devons être des chrétiens crédibles et des Américains crédibles. Et pour être crédibles, nous devons être qualifiés pour notre engagement. N'oubliez pas : Dieu n'a pas besoin de nous pour faire sa volonté. Mais il souhaite ardemment que nous prenions part à ce qu'il fait déjà. Nous ne nous engageons pas d’abord dans le monde pour le changer, mais parce qu'il nous a changés.

Mansour Borji : Les Américains ont payé cette guerre de leur sueur et de leur sang. Leurs impôts ont été investis dans l'effort de guerre et leurs jeunes sont morts sur les champs de bataille. Cette guerre avait pour but de déraciner une idéologie qui a engendré le 11 septembre. Cela n'a rien à voir avec un pique-nique ! Les chrétiens américains devraient demander des comptes à leurs gouvernements afin qu'ils démontrent les valeurs par lesquelles les Américains veulent être connus, et ne répètent pas les mêmes désastres de politique étrangère qui ne font qu'enhardir leurs ennemis.

Responsable missionnaire asiatique : Les chrétiens américains ne vont pas du tout (et ne devraient pas !) se sentir fiers de cette guerre et, pire encore, de la manière dont le retrait américain a été mené. Ils devraient faire preuve d'humilité chaque fois qu'ils rencontrent un Afghan et être prêts à le laisser parler et à l'écouter. Ils ne devraient pas essayer d'argumenter ou de justifier les actions américaines, mais faire preuve d'empathie et d'amour envers leur voisin afghan.

Hurunnessa Fariad : La guerre et les invasions ne devraient pas être la première réponse. La diplomatie et le dialogue avec les autres doivent être recherchés aussi loin que possible. Nous sommes tous des habitants de cette Terre et une guerre à un endroit affectera tout le monde partout ailleurs. En tant que musulmane, je peux dire que nous devons nous lever et nous battre pour ce qui est juste et moralement sain, et cela est également très important dans la foi chrétienne. Je pense simplement qu'en tant qu'Américains, nous avons abandonné la plupart de nos principes fondamentaux lorsque nous avons décidé de laisser l'Afghanistan aux mains des talibans.

Paul Miller : Une guerre juste est censée viser une paix meilleure, des conditions durables de shalom non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour nos ennemis et pour ceux qui vivent dans le pays où nous combattons. Nous devrions réfléchir longuement et sérieusement à la façon dont nous, électeurs, avons permis à nos élus d'ignorer ces exigences de justice par notre passivité, notre négligence et notre apathie. Nous avons mené une guerre de convenance, une campagne sans fin de chasse-taupes contre les terroristes sans nous soucier de créer des conditions de paix durables en Afghanistan ou pour nous-mêmes – parce que nous nous sommes dit que c'était trop difficile et trop cher. Nous sommes maintenant témoins du prix élevé de notre choix. Et voici le pire : construire des conditions de paix durables n’était pas une simple question de charité ; c’aurait été une stratégie prudente et plus efficace que ce que nous avons fini par faire.

Évêque Peters : Des millions de Pakistanais célèbrent le règne des talibans comme la victoire de l'Islam sur l'Amérique infidèle. La minorité chrétienne pakistanaise (1,2 % de la population) a réagi avec appréhension et prudence. Elle craint un développement de l'influence des talibans au Pakistan.

L'Église mondiale ne peut pas être critique et négative en permanence. L'analphabétisme et le chômage sont élevés dans cette région et les superpuissances britannique, russe et américaine n'ont pas réussi à y établir leur autorité. Compte tenu de cette volatilité, nous devons accepter le règne des talibans. Cela est d’autant plus important lorsque nous regardons la façon dont les talibans ont commis des atrocités et des effusions de sang en 1995. Cette fois-ci, jusqu'à présent, ils se sont comportés de façon beaucoup plus humaine. Cela peut être attribué aux 20 ans de présence américaine en Afghanistan.

Eugene : Je suis Américain et Suisse. J'ai vécu parmi les Afghans pendant 25 ans et j'ai été en relation avec eux pendant environ 40 ans. Dans toute guerre, et particulièrement dans celle-ci, en tant qu'Américains, nous portons une terrible responsabilité pour n'avoir pas permis aux peuples d'être libres. Nous avons fourni suffisamment de munitions aux Afghans pour vaincre les Russes, mais pas assez de soutien pour remplacer la culture de la guerre par les fondements d'une société civile robuste et saine. Nous sommes maintenant dans une position où nous ne pouvons pas dire que nous nous sommes comportés comme un peuple pieux dans ce pays.

Il est maintenant impératif que nous priions pour que les Afghans trouvent un moyen d'établir leur propre société civile et que nous donnions généreusement nos prières, notre temps et notre énergie pour soutenir sa croissance. Nous devons faire preuve d'une grande humilité en affirmant que nous sommes des disciples de Jésus et que nous avons le cœur brisé par la destruction de l'Afghanistan à laquelle notre pays a contribué. Ensuite, il nous faut partager et pratiquer l'amour du Christ et respecter les peuples d'Afghanistan dans leur quête d'avenir pour leur pays.

Mariya Dostzadah Goodbrake : Dans notre réflexion, nous voulons rester encouragés et nous rappeler les bonnes vérités chrétiennes : « Dieu vaincra », « Ce monde est brisé », « La justice n'est pas de ce côté de la vie », ou « Nous avons déjà la victoire ».

Oui, ces affirmations nous rappellent que nous avons un Dieu qui a déjà vaincu, mais pourrions-nous nous prendre un temps de deuil avant de revenir à ces vérités ? Pourrions-nous exprimer une juste colère ? Pourrions-nous dire que, pour ce moment, le mal l'a emporté ? Pourrions-nous simplement nous asseoir dans la douleur et l'injustice pendant un moment ?

Pourquoi faire ? Parce que ce n'est qu'ainsi que nous pourrons ressentir une once de la douleur et de la tourmente du peuple afghan et de ceux qui ont tant perdu et se sont sacrifiés pour la guerre. Puis, lorsque nous aurons fait cela, que nous nous serons alignés avec cette peine, nous nous souviendrons que demain nous continuerons le combat.

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Si les États-Unis se sont engagés dans une guerre peu judicieuse au départ, était-il bon de s'arrêter et de se retirer complètement, comme un signe de repentance ?

Femme d’un pasteur afghan : C'était une mauvaise décision de partir si vite. Ils devaient finalement partir, mais pas de cette façon.

Mark Morris : Avec tout mon respect, cette question n'est pas très utile. Nous pouvons tous spéculer et refaire le passé, à l'infini. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Oui, les habituelles bavures égocentriques, culturellement ignorantes et égoïstes en matière de politique étrangère ont été répétées par chacun de nos deux partis lorsqu'ils détenaient les rênes du pouvoir dans notre pays. Je ne m'attends pas à ce que les États-Unis se repentent. Nous verrons plutôt nos dirigeants se pointer du doigt et blâmer l'autre parti. Chaque dirigeant, chaque parti sera tenu responsable par Dieu des décisions qu'il a prises et des dommages ou du bien fait à l'humanité par ces décisions politiques. Maintenant nous devons décider de la manière dont nous devons réagir au présent.

Ryan Brasher : J'hésite un peu à parler de « repentance » en matière de politique étrangère ou militaire américaine. Le gouvernement américain n'est pas le représentant de l'Église ou d'un corps chrétien. En outre, il n'était pas évident en 2001 que les choses tourneraient comme elles l'ont fait. Il semble qu'il était sage de mettre fin à l'engagement américain en Afghanistan, même si la rapidité avec laquelle cela a été fait était peut-être imprudente.

Jenny Yang : Je ne suis pas en mesure de commenter la question du rôle militaire des États-Unis en Afghanistan, mais ce qui est clair pour moi – et pour de nombreux chrétiens – c'est que nous avons une obligation de nous préparer et d'aider ceux qui seront vulnérables lorsque nous partirons. Lorsque nous partirons, nous devrons le faire de manière à protéger les personnes qui ont risqué leur vie aux côtés des États-Unis. Abandonner nos alliés maintenant, après leur avoir promis pendant des décennies que nous les soutiendrions, serait une tache morale pour notre nation, dont les répercussions dureront des décennies. La façon dont nous quitterons l'Afghanistan laissera une empreinte durable dans l'histoire de notre nation.

Fouad Masri : Cette question est source de confusion. Je pense que nous confondons le rôle de l'Église et le rôle du gouvernement. Le rôle du gouvernement est de protéger le pays et d'arrêter le mal commis contre ses citoyens. Le rôle de l'Église est de faire preuve de miséricorde et de justice. En tant que ministre chrétien, je crois que la guerre ne résout rien. Jésus veut que nous soyons des artisans de paix. Jésus veut aussi que nous prenions la défense des plus petits. Le meurtre des femmes hazara, ouzbek et tadjik par les talibans doit cesser. La charia islamique est directement opposée aux commandements de Dieu. Il s'agit d'une guerre idéologique et nous la menons avec les mauvaises armes.

Responsable missionnaire asiatique : Si les militaires américains se sont engagés dans une guerre peu judicieuse, ils n'auraient dû se retirer que lorsqu'ils pouvaient le faire sans causer davantage de dommages et de répercussions. Cela signifie qu'ils auraient dû rester plus longtemps pour contribuer au développement du pays et s'assurer qu'au moment de leur départ, l'armée et le gouvernement afghans étaient suffisamment forts et disposaient des infrastructures et de la force nécessaires pour tenir par eux-mêmes sans aucun soutien étranger. Cela aurait pu prendre des années, mais cela aurait été le prix coûteux que les États-Unis devaient payer pour être entrés dans la guerre de manière imprudente.

Mariya Dostzadah Goodbrake : L'Amérique est entrée en Irak et en Afghanistan à la manière d’un franc-tireur. Il n'y avait pas de retour en arrière possible, quelle que soit la cause. La guerre n'était pas imprudente, elle était mal calculée. Les États-Unis ne sont pas entrés dans cette guerre dans le seul but de se venger des auteurs du 11 septembre, comme l'a déclaré le président Biden. Le président George W. Bush a conquis les cœurs des Afghans et des Américains avec l'idée d'apporter dignité, sûreté et sécurité au peuple afghan. Cette justification de la guerre était beaucoup plus durable et défendable. Les soldats américains ne sont pas restés en Afghanistan pendant 20 ans pour se venger des terroristes, ils sont restés pour libérer le cœur des Afghans et leur donner un nouvel espoir. Le fait que Biden réduise la guerre à une vengeance est un affront à ceux qui y ont perdu la vie et aux familles des soldats qui se demandent maintenant si leurs sacrifices ont été vains.

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Quel type d'impact à long terme pensez-vous que cela aura sur le champ de mission en Afghanistan et dans les régions avoisinantes ?

Femme d’un pasteur afghan : Si des personnes sont fragiles dans leur foi, certaines tomberont. Les médias sociaux seront détruits par les talibans, ce qui rendra difficile pour les croyants d'être encouragés de l'extérieur.

Mark Morris : La question suivante reste sans réponse : Où sont les missionnaires ? Où sont les organisations caritatives internationales ? Pendant que les expatriés postent sur Facebook pour exprimer leur gratitude envers le transport militaire qui les a fait sortir, les Afghans se sentent abandonnés. Des chrétiens afghans ont souligné aujourd'hui à quel point c'était déplacé. « Vous célébrez votre départ, mais vous ne mentionnez même pas ceux que vous avez laissé derrière vous pour dans la souffrance ». Il faut beaucoup de prudence dans les paroles que nous partageons à l'heure actuelle, car l'Occident n'est pas apprécié pour l'instant vu la nature de notre départ. Un meilleur plan aurait pu démontrer notre humanité et notre intérêt d'une manière plus tangible.

Mansour Borji : Pas plus tard qu'hier, j'ai appris que certains chrétiens afghans brûlent à présent de la littérature et d'autres documents chrétiens dans leurs maisons, car ceux-ci pourraient les exposer aux talibans qui fouillent à présent maison par maison pour identifier leurs cibles. Beaucoup de ces croyants qui cherchent désespérément la sécurité hors d'Afghanistan sont le fruit de nombreuses années de prière, de formation de disciples et de ministère fidèle dans un environnement difficile. Bien sûr, leur impact sur leurs communautés peut perdurer, mais peut-être pas aussi efficacement qu'auparavant. De plus, le régime iranien se sentira maintenant plus en sécurité car il n'aura plus de forces américaines de part et d'autre de son sol. Il a le sentiment qu'il peut poursuivre son règne de terreur qui a déjà fait du mal à l'Eglise non seulement en Iran, mais aussi en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban.

Paul Miller : L'Afghanistan sera un pays fermé aux missions, comme il l'était avant 2001. L'ouest et le sud du Pakistan seront probablement également fermés. Le travail missionnaire sera extrêmement dangereux et difficile.

Eugene : Il a toujours été difficile de gagner le droit de partager l'Évangile de manière holistique avec les Afghans ou d'autres peuples de ce contexte. Nous pouvons parler librement mais humblement du Christ et de sa merveilleuse puissance transformatrice, mais notre intervention déstabilisante basée sur la technologie et le retrait précipité qui s'en est suivi nous mettent face à d'énormes obstacles à surmonter.

Évêque Peters : La Chine a exprimé son intérêt pour l'établissement de relations diplomatiques avec l'Afghanistan. Donc, si la situation évolue dans ce sens, nous pensons que les Églises pakistanaises et chinoises pourraient jouer un rôle central en réalisant des percées à partir des enseignements islamiques. Les musulmans vouent un grand respect et une grande admiration à Jésus et à Marie. Il y a là un pont pour atteindre ces peuples.

Responsable missionnaire asiatique : Les Afghans locaux et les régions environnantes ne feront pas confiance aux Occidentaux aussi facilement, et surtout aux Américains, en raison du sentiment de trahison qu'ils éprouvent à leur égard. Ils seront probablement plus réceptifs ou ouverts aux personnes venant de pays non occidentaux. La Chine profitera probablement de son projet de « Nouvelle route de la Soie » pour établir des liens économiques avec l'Afghanistan, ce qui donnera l'occasion aux missionnaires chinois de s’y rendre en tant qu'hommes d'affaires.

Mais à plus long terme, la diffusion de l'Évangile devra être assurée principalement par les croyants afghans locaux, avec l'aide des croyants de la diaspora ainsi que des croyants iraniens dont la langue est proche du dari. La télévision par satellite et les technologies numériques et multimédias seront également des outils très importants pour aider à atteindre le peuple afghan, y compris les personnes déplacées.

Jenny Yang : Selon le Center for the Study of Global Christianity (« Centre pour l’étude du christianisme mondial »), moins de 3 % de la population afghane connaît personnellement un chrétien : non seulement presque personne n'a entendu l'Évangile, lu la Bible ou visité une église, mais presque personne ne connaît un chrétien. Malheureusement, avec les talibans au pouvoir, cette situation n'est pas prête de s'améliorer.

Cependant, alors que nous nous lamentons et pleurons sur une situation horriblement injuste qui force les gens à fuir leur pays, j'ai aussi vu comment Dieu a travaillé pour attirer des personnes à lui, ce qui, selon Actes 17.26-27, fait partie du dessein souverain de Dieu dans l'histoire, afin que les hommes et les femmes « le cherchent et peut-être tendent la main vers lui et le trouvent, bien qu'il ne soit éloigné d'aucun de nous ». Il y a une occasion unique pour les chrétiens des pays voisins d'accueillir les réfugiés afghans, et même aux États-Unis. Si l'Église mondiale accueille les réfugiés afghans, je crois que cela amènera de nombreux réfugiés afghans à comprendre et à ressentir l'amour du Christ.

Mark Tooley : La victoire des talibans est un coup énorme porté à tout ce qui pourrait ressembler à de la tolérance religieuse dans une région déjà très hostile aux voix non islamiques. Les persécutions seront plus nombreuses. Mais les affres du régime taliban finiront par discréditer sa version de l'islam, tout comme les théocrates iraniens ont créé des générations d'agnostiques et de sceptiques religieux, tandis qu'une Église encore très petite est en pleine expansion en Iran.

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Dans quelle mesure les décennies d'investissement des forces américaines et des travailleurs chrétiens étrangers en valaient la peine ou étaient-elles vaines ?

Femme d’un pasteur afghan : Cela en valait la peine, car en 2001, un grand nombre de personnes ont reçu le Christ et pratiquent leur foi parce qu'elles ont entendu l'Évangile par des étrangers.

Chris Seiple : Si votre objectif est spirituel et que vous ne définissez pas le succès par des mesures temporelles, mais par l’obéissance, le service concret assuré par la présence des disciples du Christ en Afghanistan portera des fruits que nous ne pouvons pas encore imaginer. Cela dit, de telles périodes sont propices pour que les ministères chrétiens reconsidèrent et réévaluent leur théologie de l’engagement et de la souffrance, en réfléchissant à ce que peut à présent être leur « présence ». En conséquence, les approches organisationnelles du leadership et de la gouvernance doivent également être revues, en veillant à ce que les stratégies d'engagement soient enracinées dans l'Écriture et la culture locale (et pas nécessairement dans celle du pays d'envoi).

Dit autrement, l'Église grandit toujours lorsqu'elle a de la compassion pour les populations locales, lorsqu'elle souffre avec elles. Le Nouveau Testament regorge d'histoires de chrétiens qui ne se sont pas plaints de leur situation, ni ne l'ont fuie, mais ont vu dans chaque situation difficile une occasion de partager l'amour du Christ, de manière pratique, en servant ceux qui ne pouvaient pas fuir la guerre, la famine et la peste. Puissions-nous être dignes de l'exemple de nos ancêtres spirituels.

Paul Miller : Pendant 20 ans, il n'y a eu aucune attaque terroriste internationale émanant de l'Asie du Sud. C'est une victoire qui ne pouvait pas être considérée comme acquise. Deuxièmement, nous avons donné à une génération d'Afghans le goût d'une vie meilleure, un souvenir qui, je l'espère, leur servira d'inspiration pour travailler à un avenir meilleur. Au-delà de cela, il est difficile de ne pas avoir le sentiment que tous nos efforts ont été réduits en cendres par la victoire des talibans, aidés et encouragés par la décision du gouvernement américain d'abandonner nos alliés, de trahir notre objectif et de rendre vains le sacrifice et les épreuves de milliers de personnes qui ont travaillé et servi là-bas.

Ryan Brasher : L'investissement des travailleurs chrétiens étrangers en valait vraiment la peine. L'œuvre du Christ ne dépend pas de la politique et des événements politiques, et elle en vaut toujours la peine. Quant à l'investissement du gouvernement et des militaires américains, je suis sûr que les talibans apprécient le développement massif des infrastructures du pays depuis qu'ils ont été chassés. Il leur sera plus facile de gouverner, pour le meilleur ou pour le pire ! L'Afghanistan est un autre exemple de bonnes intentions qui tournent mal, lorsque le développement n'est pas guidé par les conditions locales, les demandes locales, le partenariat local et la propriété locale, mais par des intérêts étrangers et les exigences de cycles de financement à court terme des donateurs internationaux. Les États forts et efficaces ne peuvent être importés ; ils doivent se développer à partir des conditions locales.

Eugene : La situation est ambivalente. Le travail d'un certain nombre de travailleurs des ONG et de groupes partageant les mêmes idées durera longtemps en raison de tout ce qui a été établi à travers une grande variété de programmes transformant la vie, tels que les soins oculaires, le développement communautaire, le travail auprès des personnes et des communautés concernant les personnes handicapées, les domaines médicaux, agricoles, économiques et autres. Il est également merveilleux de constater qu'il y a un nombre croissant de disciples de Jésus dans le pays et dans la diaspora afghane, car ces personnes et ces familles grandissent dans leur foi en Christ. Ces choses ne peuvent être enlevées.

Fouad Masri : Cela en vaut toujours la peine lorsque les gens ont la liberté d'étudier, d'aller à l'école, d'être créatifs et d'entendre les enseignements de Jésus. Quelle joie de rencontrer des croyants afghans. Quelle joie de voir Malala aller à l'école. Cela vaut toujours la peine de se sacrifier pour la liberté. Je pense à tous mes amis afghans qui ont eu l'occasion d'étudier, de voyager, de se distinguer et d'entendre la bonne nouvelle de Jésus. Ce que vous voyez, c'est un manque de réflexion à long terme de la part des nations, de l'Afghanistan, des États-Unis et de la communauté internationale.

Responsable missionnaire asiatique : Il y a eu des fruits spirituels, comme en témoigne le nombre croissant de croyants afghans clandestins ces dernières années. Les croyants qui sont restés sur place constitueront le noyau de l'Église clandestine qui poursuivra le travail d'évangélisation à l'avenir. Mais en regardant les sommes dépensées par le gouvernement américain, on se demande quel aurait pu être le résultat si une plus grande partie des dépenses avait été consacrée au développement des infrastructures, comme la construction d'écoles et d'hôpitaux, la création d'entreprises et d'emplois, et à l'amélioration de la vie de la population.

Mariya Dostzadah Goodbrake : Les graines de la démocratie ont été plantées dans le cœur des gens. Les travailleurs chrétiens ont laissé dans le pays des traces qui ne peuvent être effacées. Le sentiment de désespoir actuel n'est pas synonyme de défaite. Le sang des chrétiens et des soldats tombés au combat ne peut être emporté. Rien n'est jamais perdu […] ce que nous ne pouvons pas comprendre maintenant a encore le potentiel de faire beaucoup plus. Est-ce que tout cela en valait la peine ? Je ne suis pas sûre, mais ce à quoi je m'accroche, c'est que l'histoire de l'Afghanistan n'est pas terminée. Nous ne verrons peut-être pas la démocratie revenir dans le pays de notre vivant, mais cela nous rappelle simplement à l’humble réalité que nous ne jouons qu'un petit rôle dans une histoire bien plus vaste. Il y a un célèbre dicton afghan que mon père me rappelle en ce moment : « Dika Dika, Darya Maysha », qui se traduit par « goutte après goutte, une rivière se crée ». En ce moment, j'ai l'impression que cette rivière s'est asséchée ou vidée ; mais goutte après goutte, des progrès seront accomplis.

Mark Morris : Nos disciples de Jésus afghans me disent que cela en valait la peine.

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Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire ?

Femme d’un pasteur afghan : Souvenez-vous des chrétiens afghans. Priez pour eux. Encouragez-les. Les croyants se sentent abandonnés et sont désorientés. S'il vous plaît, priez pour nous.

Chris Seiple : L'Afghanistan est une des nombreuses questions – avec la pandémie, les questions raciales, la situation politique, etc. – qui devrait interpeller les chrétiens sur la façon dont ils s'organisent pour témoigner de leur espérance intérieure. Les organisations chrétiennes, locales et mondiales, devraient se demander si leur stratégie, leur structure et leurs effectifs sont adaptés à l'époque dans laquelle nous vivons, et si leur personnel a été suffisamment équipé pour s'engager d'une manière digne de l'Évangile.

Responsable missionnaire asiatique : On peut relever plusieurs similitudes ou parallèles entre la croissance rapide des Églises en Iran dans les années 1980 et 1990 après la révolution islamique et celle qui s’est produite en Chine après la révolution culturelle. Il serait intéressant de voir si l'Afghanistan connaîtra également une croissance rapide des Églises dans les 10 à 20 prochaines années après l'invasion des talibans. Ces pays présentent tous de nombreuses similitudes : l'existence de forts antécédents anti-occidentaux et anti-chrétiens ; une longue histoire de souffrance et de pauvreté ; des régimes gouvernementaux extrêmement autoritaires et durs ; un grand nombre de jeunes désenchantés en raison du manque de libertés sociales ; et des personnes qui ont perdu la foi en leur propre religion ou idéologie (p. ex., le communisme, l'islam), pour n'en citer que quelques-unes.

Josh Manley : Actuellement, nos frères et sœurs afghans se cachent. Songez au prix qu'ils doivent payer pour rester fidèles à l'Évangile. Bien que la politique soit essentielle et qu'elle ait assurément une réelle importance et une place qui lui revient, demandez-vous si nous n’aurions pas à apprendre de nos frères et sœurs en Afghanistan que nous avons placé trop d'espoir dans la politique.

Les chrétiens américains ont-ils perdu de vue la mission de l'Église en se tournant trop vers les politiciens américains pour accomplir leur mission ? L'acrimonie actuelle, les ruptures d'unité et les conflits évidents entre des chrétiens qui professent le même Évangile ne sont-ils pas autant d’indices en ce sens ?

La possibilité de participer au processus politique est une grande bénédiction pour nous, mais pourrions-nous aussi apprendre quelque chose de nos frères et sœurs afghans qui n'ont pas accès au pouvoir politique ? Nos frères et sœurs là-bas ne sont nullement désorientés quant à la manière de faire progresser la mission de l'Église et quant à savoir de qui ils dépendent pour le faire.

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Traduit par Léo Lehmann

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Comment prier pour Haïti après le nouveau séisme ?

Des responsables chrétiens en Haïti partagent ce qui a changé pour les croyants entre 2010 et aujourd’hui.

Christianity Today August 31, 2021

Au mois de juillet, le président Jovenel Moïse était assassiné. Puis, le samedi 14 août, un tremblement de terre de magnitude 7,2 a frappé ce pays des Caraïbes, faisant plus de 2200 morts et des milliers d’autres blessés et déplacés.

Les organisations humanitaires chrétiennes tentent de trouver l’équilibre entre la nécessité d’approvisionner d’urgence la zone sinistrée et celle de garder un œil sur la tempête tropicale Grace, de rester attentif à la situation du COVID-19 en Haïti et de faire face aux graves problèmes de sécurité qui affectent le pays.

World Vision a indiqué travailler avec le gouvernement local et la police pour protéger les familles contre le vol et le pillage à la suite du tremblement de terre. Alors que l’organisation humanitaire chrétienne disposait de fournitures immédiates pour 6 000 personnes, elle et d’autres groupes tels que Operation Blessing et l’association adventiste du septième jour ADRA International étaient en train de mobiliser du personnel et des fournitures pour Les Cayes, tout proche de l’épicentre du séisme. Samaritan's Purse a déployé dès le dimanche son avion DC-8 transportant 31 tonnes de secours tout en mettant en place une unité mobile de traumatologie de niveau 2. Le mardi qui a suivi la catastrophe, ils annonçaient l’ouverture d’un hôpital de campagne de 36 lits.

Le tremblement de terre appelle la comparaison avec celui de magnitude 7,0 qui avait frappé l’île en 2010, tuant plus de 300 000 personnes selon le gouvernement haïtien, et en blessant presque autant. Dans son sillage, le théologien haïtien Dieumeme Noelliste déclarait à Christianity Today qu’il ne s’attendait pas à ce que la crise amène son peuple à abandonner sa foi :

Ce n’est pas la première fois qu’une catastrophe nous frappe. C’est peut-être la plus brutale, mais il y a deux ans, nous avons eu quatre ouragans dévastateurs et même alors, les gens ne se sont pas retournés contre Dieu. Ils ont souffert beaucoup de choses des mains de leurs compatriotes haïtiens et sont restés fidèles à Dieu. Même à l’époque de l’esclavage, les Haïtiens ont été traités brutalement mais se sont ouverts à la version du christianisme que les propriétaires d’esclaves prêchaient. Les esclaves en redemandaient même ! Je vois l’Église continuer à grandir. Dans ces situations, les gens ont tendance à se tourner vers Dieu. C’est leur seul espoir.

Plus d’une décennie après le premier tremblement de terre, qu’est-ce qui a changé pour les chrétiens haïtiens maintenant confrontés aux conséquences d’un deuxième tremblement de terre dévastateur ? Au milieu de telles épreuves, ont-ils gardé la foi, et comment ?

Christianity Today a demandé à des dirigeants de l’Église haïtienne et des missionnaires de partager ce qu’ils voient sur le terrain  :

  • Edner Jeanty, directeur exécutif, Barnabas Christian Leadership Center
  • Lesly Jules, apologète et auteur de Objections rejetées : L’Approche Apologétique Classique
  • Dieumeme Noelliste, professeur d’éthique théologique, Denver Seminary
  • Luke Perkins, assistant du président, Séminaire de Théologie Évangélique de Port-au-Prince
  • Magda Victor, secrétaire générale de la Société biblique haïtienne

L’Église est-elle mieux préparée à faire face à ce tremblement de terre qu’au précédent ? Qu’est-ce que les chrétiens haïtiens ont appris en matière de théologie, de service et de témoignage ?

Jeanty : En termes de réponse à la crise, l’Église est mieux préparée aujourd’hui dans la mesure où elle a la mémoire vivante des expériences passées. J’avais convoqué une réunion entre divers groupes intervenus dans les efforts de secours face à l’ouragan Matthew et nous avons identifié quelques bonnes pratiques et erreurs à éviter. Ce document est en train d’être partagé avec divers groupes alors que nous envisageons des interventions pour cette nouvelle crise.

En matière de théologie, il y a probablement moins de gens pour dire qu’il s’agirait d’un jugement divin à cause d’un soi-disant pacte avec Satan que nos ancêtres auraient passé. Cela vient soit de la pression de la société, soit du fait que nous ne nous laissons plus convaincre par des explications simplistes du mal. Heureusement, les gens invoquent toujours le Seigneur et croient que, malgré les catastrophes naturelles, il est toujours le Dieu bon.

Pour ce qui est du ministère et du témoignage, l’une des leçons du tremblement de terre précédent et du confinement lié au COVID est que le ministère de l’Église ne se limite pas aux quatre murs de nos bâtiments. Par exemple, le ministère peut se faire en ligne et les réunions dans les foyers peuvent être stratégiques. Malheureusement, pour la plupart, les Églises continuent à exercer leur ministère de la même manière, atteignant les mêmes personnes, utilisant les mêmes méthodes et restant aveugles aux mêmes opportunités et défis. Il y a, cependant, une plus grande aspiration des dirigeants chrétiens à atteindre des positions politiques au niveau national. Mais il faut un enseignement généralisé sur l’engagement civique pour que la communauté évangélique ne continue pas à être naïve sur la réalité de la politique.

Dans une moindre mesure, on assiste à de nouvelles initiatives pour promouvoir le développement économique. De nos jours, le niveau de pauvreté au sein du mouvement chrétien haïtien est une limite importante au témoignage de l’Église, alors que la communauté chrétienne pourrait tirer parti de la confiance entre frères et sœurs dans la foi, des valeurs chrétiennes que nous partager, de la direction du Saint-Esprit, de l’esprit d’entreprise haïtien, et du nombre de leaders disponibles pour le coaching. Je crois que la création d’emplois et le fait de faire des affaires avec une éthique chrétienne est la voie durable vers un discipulat dynamique et une vie plus abondante dans ce pays.

Jules : Malheureusement, depuis le dernier tremblement de terre, les codes de la construction n’ont pas été appliqués par le gouvernement haïtien. Les Églises n’ont pas insisté sur la nécessité d’agir avec sagesse lorsqu’il est question de construire. Le sens littéral de la parabole du fou qui construit sa maison sur le sable n’a pas été mise en rapport avec les tremblements de terre.

La théologie n’a pas beaucoup évolué. Beaucoup de chrétiens croient encore que les catastrophes naturelles sont une punition de Dieu qui est en colère à cause de nos péchés. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que les catastrophes naturelles continuent de faire des victimes en Haïti. L’idée de gestion de la création en tant que mandat de Dieu doit être enseignée et appliquée si nous voulons faire face efficacement aux catastrophes naturelles.

Noelliste : D’une manière générale, l’Église haïtienne devrait être plus consciente de sa responsabilité cette fois-ci qu’il y a 11 ans. À la suite du tremblement de terre de 2010, plusieurs leaders religieux éminents se sont réunis et ont formé une organisation qui a été chargée de mobiliser et de préparer l’Église haïtienne pour l’exercice de son rôle prophétique dans la société. Le mouvement a produit une série de réflexions théologiques sur des valeurs clés jugées essentielles pour une vie de qualité dans toute société : intégrité, justice, bonne gouvernance et protection de l’environnement. Des séminaires et des colloques ont été organisés dans tout le pays pour diffuser les résultats de ces études. Du matériel de prédication a même été développé sur ces thèmes pour alimenter les chaires haïtiennes et rendre la prédication plus pertinente pour le contexte.

Le but de cet effort était de faire comprendre que la tâche de bâtir une nation respectable n’appartient pas à Dieu seul. Les gens en général, et le peuple de Dieu en particulier, ont un rôle important à jouer à cet égard. Dans ce projet, le caractère moral est un atout irremplaçable. Si un peuple n’est pas préparé et disposé à apporter cette contribution, Dieu ne peut être tenu responsable des calamités qui lui arrivent.

Perkins : Après le tremblement de terre de 2010, notre séminaire a vu une augmentation du nombre de nouveaux candidats. Les gens sont venus au séminaire en disant : « Dieu m’a fait la grâce de m’épargner, alors je veux être prêt à mieux le servir ».

Victor : Les deux tremblements de terre, celui qui a frappé Haïti en 2010 et celui qui ne date que de quelques jours, ont pris tout le monde par surprise, mais pour des raisons différentes. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 nous a surpris, car les Haïtiens s’étaient déshabitués de l’idée des tremblements de terre. Avant 2010, le dernier séisme majeur qui avait frappé Haïti remontait à 1842. Les gens avaient oublié à quoi ressemblait un tremblement de terre. Cela seul a causé la mort de nombreuses personnes.

Le dernier tremblement de terre nous a surpris d’une manière différente : personne ne s’attendait à ce que le pays soit à nouveau touché en si peu de temps. À l’heure où la nation panse ses plaies ― blessures infligées par l’émergence du variant Delta du COVID-19, par l’incertitude politique dans laquelle la nation a été plongée par le récent assassinat du président Jovenel Moïse, par toutes sortes de troubles sociaux et politiques ― un tremblement de terre 11 ans après le tremblement de terre dévastateur de 2010 était la dernière chose à laquelle nous nous attendions pour Haïti !

Mais nous, les Haïtiens, sommes très résistants. Malgré tout ce qui nous arrive, l’Haïtien moyen reste inébranlable dans sa conviction que « Bondye bon » (« Dieu est bon »). Cela permet à l’Église de maintenir relativement facilement l’affirmation que Dieu est parfaitement bon, tout-puissant et omniscient tout en permettant le mal et la souffrance dans le monde.

Mais l’Église est consciente de la vérité de ce dicton : « Les gens ne prêtent pas attention à ce que vous savez tant qu’ils ne savent pas que vous prêtez attention ». D’où l’accent mis par l’Église sur le ministère auprès du peuple haïtien au milieu des catastrophes les plus graves qui ont frappé le pays. Même les personnes les plus hostiles à l’Église reconnaissent son impact positif sur la société haïtienne, en particulier en période de catastrophe nationale.

En quoi les réponses de l’Église et de la société sont-elles différentes lorsqu’une catastrophe est naturelle ou causée par l’homme ?

Jeanty : En cas de catastrophe naturelle :

  • Personne n’est à blâmer
  • Les victimes sont touchées de manière indiscriminée
  • La solution est le soutien et la reconstruction
  • Il y a des appels à la compassion
  • Il y a un intérêt humain international à apporter de l’aide
  • La politique n’est pas la préoccupation principale

Dans une catastrophe causée par l’homme :

  • Les reproches passent d’un groupe à l’autre
  • Habituellement, les victimes sont ciblées
  • La solution comprend l’intervention sociale (négociation, etc.)
  • Il y a des appels à la justice
  • Il y a un intérêt étranger limité à aider
  • Des intérêts politiques sont en jeu

Jules : La société haïtienne est animiste. Quelle que soit la situation à laquelle nous sommes confrontés, la responsabilité en est attribuée à Dieu ou au diable. Toute bonne chose qui arrive est l’œuvre du Seigneur. Toute mauvaise chose qui arrive est l’œuvre du diable. Avec un tel état d’esprit, il est difficile d’envisager la responsabilité humaine ou le rôle de l’Église lorsqu’il s’agit de lutter contre le mal moral et le mal naturel dans la société.

Ainsi, il a été difficile pour certaines personnes de comprendre que ce n’était pas le tremblement de terre qui a tué les gens mais plutôt notre refus d’appliquer les codes de la construction. La compréhension commune est que Dieu a un plan pour Haïti. En temps voulu, Il fera d’Haïti la perle des Caraïbes comme on l’appelait autrefois. Que Dieu ait ou non un plan pour Haïti ne doit pas nous priver de notre responsabilité d’intendance.

Noelliste : Les catastrophes morales et naturelles causent douleur et souffrance aux gens. Les deux nous font pleurer. Dans le cas d’Haïti, les deux nous poussent à nous exclamer : « Combien de temps, Seigneur ! Combien de temps ! » Mais à côté des lamentations, lorsqu’une catastrophe survient, nos esprits se tournent vers la question : « Pourquoi ? » Notre tendance est de localiser la cause du désastre moral chez l’homme, et de recourir au mystère lorsqu’il s’agit d’expliquer un désastre naturel. Parfois, nous les appelons « actes de Dieu ».

Après une réflexion plus approfondie, j’en suis venu à croire qu’un grand nombre de catastrophes naturelles peuvent également nous être imputées. Plusieurs éléments appuient cette position. D’une part, la chute a eu un effet négatif sur la création. La terre a été maudite à cause de cela, et à ce jour, la Création est dans un état de fatigue, attendant le moment de sa délivrance. Mais la chute était un problème humain, pas un accident naturel. Plus que cela, il est maintenant établi que notre comportement a un effet délétère sur la Création. Notre usage, ou mésusage, de la terre a un impact négatif sur celle-ci. Ici aussi, la faute est nôtre. Enfin, les effets des catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et les ouragans dépendent de la façon dont nous gérons l’environnement. Les effets des tremblements de terre et des ouragans qui ont frappé Haïti seraient beaucoup moins graves et désastreux si le paysage haïtien n’était pas aussi fragile. Les mêmes catastrophes se produisent dans d’autres pays avec beaucoup moins de dégâts, de destructions et de pertes en vies humaines.

Perkins : Les trois dernières années ont été particulièrement pénibles, car il est difficile de savoir qui/quelle est la cause de ce qui arrive. Est-ce le gouvernement, ou l’opposition, ou les oligarques, ou une combinaison quelconque ? Si vous demandez à 10 personnes, vous obtiendrez 10 avis différents. Mais avec un tremblement de terre ou un ouragan, l’ennemi est facile à identifier et vous ne pouvez rien y faire. Alors les gens se rassemblent et travaillent pour s’entraider. Pour l’Église, la réponse est la même dans tous les cas : gardez les yeux fixés sur Jésus et aimez votre prochain.

Victor : Les catastrophes naturelles sont soudaines. L’étendue de la dévastation qu’elles provoquent est écrasante et choquante. Cependant, elles ont tendance à rassembler les gens et à faire ressortir le meilleur de nous. Des séquences vidéo qui nous sont parvenues des lieux touchés par le séisme nous ont fait pleurer et nous ont réconfortés lorsque nous avons vu les efforts déployés par la population pour secourir à mains nues les personnes piégées sous les décombres. Et ce ne sont pas nécessairement des membres de la famille ou des amis, mais, dans la plupart des cas, des voisins et de parfaits inconnus qui se sont sentis obligés d’aider à sauver les autres. De telles démonstrations spontanées de compassion et d’héroïsme ont apporté réconfort et espoir à votre cœur.

Les catastrophes d’origine humaine sont plus difficiles à gérer. Dans cette catégorie on retrouve meurtres, massacres, violences politiques, violences sociales, coups d’État et autres calamités infligées à une nation par des ennemis étrangers ou locaux. Haïti souffre des deux types de catastrophes. Notre histoire est marquée par le chaos politique, la violence (massacres, assassinats, tueries insensées, etc.) sans espoir que les coupables soient un jour traduits en justice. Une grande partie de la population se sent trahie et abandonnée par les « amis d’Haïti » au sein de la communauté internationale, qui soutiennent des dirigeants politiques qui ne font que perpétuer le sort du peuple haïtien.

Comment l’Église mondiale devrait-elle prier pour vous tous en Haïti pendant cette période ?

Jeanty : Merci de prier pour :

  • Un transport sûr des secours humanitaires et une distribution équitable de l’aide à toutes les victimes.
  • Un témoignage puissant de la compassion chrétienne pendant la crise.
  • Des contributions généreuses qui arrivent à temps pour la reconstruction, y compris pour les églises endommagées.
  • La limitation de la cupidité et de la mauvaise utilisation des fonds et du matériel de secours.
  • Une vision et une volonté politique des collectivités locales afin qu’elles recherchent avant tout le bien-être des populations.
  • Une avancée politique et une stabilité grâce à des négociations significatives entre les groupes politiques et la société civile, afin que la nation puisse aller de l’avant après l’assassinat du président.
  • Que des citoyens crédibles et expérimentés dans le pays et dans la diaspora soient trouvent une visibilité en tant que leaders politiques potentiels pour la nation.

Vous pouvez remercier pour :

  • Les vies épargnées parce que le tremblement de terre s’est produit pendant la journée.
  • Les réseaux de communication qui ne sont pas tombés en panne, de sorte que informations ont pu atteindre le monde extérieur rapidement.
  • Les principales organisations chrétiennes telles que Compassion, World Vision, MAF, la Fédération des Églises protestantes et l’Association évangélique des Églises d’Haïti.

Noëlliste : Cette catastrophe n’aurait pas pu frapper Haïti à un moment plus critique. L’assassinat du président Jovenel Moïse a créé un vide de leadership que le pays s’efforce de combler. Le vide est aggravé par le fait que le pays est confronté à une véritable crise constitutionnelle. Personne, y compris le président par intérim, n’a de mandat sanctionné par la Constitution pour assumer le pouvoir et exercer l’autorité. Personne ne satisfait aux dispositions prévues dans la constitution actuelle pour assumer le pouvoir.

Une demande de prière urgente va à une percée dans la recherche d’une issue à la crise constitutionnelle. Le pays a désespérément besoin d’un leadership qui ait la légitimité et l’autorité pour diriger. Une commission composée de personnes issues de la société civile, de l’Église et des partis politiques a été mise en place pour sortir de l’impasse, mais elles ne semblent pas en mesure de se mettre d’accord sur l’approche à adopter pour la tâche qui leur a été assignée.

Outre le vide de leadership, le pays est confronté à un grave problème de sécurité. Dans diverses parties de Port-au-Prince, les gangs règnent sans opposition. L’artère principale de la ville de Port au Prince, (Route Nationale #2) qui traverse la ville et relie la partie sud du pays à la partie nord, a été rendue impraticable en raison de la violence causée par les gangs concurrents. La loi et l’ordre se sont effondrés. Les gens ne peuvent pas aller travailler parce qu’ils craignent pour leur vie. Les grandes institutions doivent être relocalisées dans des zones plus sûres, laissant derrière elles les établissements qu’elles occupaient depuis des années. Tout récemment, une femme enceinte qui tentait de traverser cette voie dangereuse a été abattue avec son bébé dans le ventre ! Nous avons urgemment besoin de prière pour le retour à un minimum de sécurité afin que les gens puissent continuer leur vie.

Après l’assassinat de Moïse, un constitutionnaliste haïtien de renom a écrit un article analysant la situation dans laquelle se trouvait le pays. Il a conclu qu’il n’y avait pas de solution constitutionnelle. Mais il poursuit en suggérant que la seule solution est d’ordre moral. Il veut dire par là que la seule issue est qu’une entité dotée d’une autorité morale et d’un statut moral suffisants se lève et montre la voie en cette heure critique de l’histoire du pays. C’est un rôle que l’Église doit jouer. Mais hélas, il est douteux que celle-ci ait le poids moral et la crédibilité nécessaires pour fournir un service aussi vital. L’Église semble courir pour se mettre à l’abri. L’une des trois personnes impliquées dans le complot visant à assassiner le président est un pasteur qui a été mis en prison pour sa participation présumée à cet acte odieux !

Merci de prier pour la force du témoignage de l’Église haïtienne. Le pays a désespérément besoin d’une Église qui remplisse son rôle de sel et de lumière.

Perkins : Il y a de réelles inquiétudes quant à l’acheminement de l’aide dans la zone touchée. La seule route qui relie la zone au reste du pays vous oblige à passer par Martissant, une petite zone juste à l’ouest de la capitale, Port-au-Prince, qui est restée sous contrôle de gangs pendant des mois. [Note de la rédaction : Face à ces violences, l’ONU et le gouvernement haïtien ont appelé à la mise en place d’un « corridor humanitaire ».] Il y a quelques jours à peine, ces gangs ont ouvert le feu sur des véhicules qui tentaient de passer. Soit dit en passant, ce même gang a pris le contrôle de notre campus de séminaire à la fin de l’année dernière.

Priez que Dieu dégage un passage à travers ces obstacles afin que l’aide puisse circuler librement. Une organisation partenaire, Missionary Flights International, a envoyé un avion de Floride cette semaine pour soutenir la MAF et aider à fournir une sorte de pont aérien dans la région. Cela aidera, mais cette route devra tôt ou tard être dégagée.

De plus, les Haïtiens sont épuisés. Depuis juillet 2018, le pays connaît les pires troubles politiques depuis une génération. À toutes sortes de moments, les gens ont craint de quitter leur domicile de peur d’être pris dans des troubles ou d’être kidnappés. C’est la crise qui a conduit à l’assassinat du président, et qui reste irrésolue. Les gens étaient déjà épuisés et maintenant, il y a le traumatisme supplémentaire d’une catastrophe naturelle.

Victor : Notre nation a un besoin urgent de prière en ce moment critique de son existence. Nous avons besoin de justice, de paix et d’unité nationale sans lesquelles rien ne peut être réalisé : « Une maison divisée contre elle-même ne peut subsister » (Mt 12.25). Veuillez prier pour que ces choses se matérialisent dans la vie de notre nation.

Priez aussi pour que notre nation se repente afin que Dieu accomplisse sa promesse dans 2 Chroniques 7.14 de « guérir notre pays » de tous ses maux. Priez pour les victimes du tremblement de terre. Les autorités haïtiennes ont estimé le nombre de morts à plus de 1 400 ; les blessés à 1800 ; beaucoup sont portés disparus et beaucoup d’autres sont à présent sans abri. Priez que Dieu continue à nous montrer sa miséricorde et sa compassion. Car sans le grand amour du Seigneur, nous aurions déjà été anéantis. Malgré toutes les calamités qui ont frappé notre nation, nous pouvons dire : « Jusqu’à présent, le Seigneur nous a aidés. Ses compassions ne nous ont pas déçus » (1 S 7.12 ; Lm 3.22).

Traduit par Kervenly Calasse

Révisé par Léo Lehmann

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Charles Spurgeon savait qu’il est possible d’être fidèle et déprimé

Son exemple peut encourager les croyants qui « marchent dans les ténèbres » sans voir de lumière.

Christianity Today August 14, 2021
Ilbusca / Getty Images / Edits by Mallory Rentsch

Pour Charles Spurgeon, le célèbre prédicateur du 19e siècle, la dépression était plus qu’un simple phénomène circonstanciel. Les exemples qu’il utilisait à ce propos dans ses prédications et conférences, souvent enracinés dans sa propre expérience, tenaient compte d’une forme importante de la dépression : celle qui vient sans cause. Dans un sermon, il déclarait :

Lorsque votre esprit est déprimé, vous pouvez avoir à portée de main tous les réconforts qu’offre la vie et vous trouver pourtant dans une misère plus sombre que la mort. Vous pouvez n’avoir aucune cause extérieure de chagrin et pourtant, si l’esprit est abattu, le soleil le plus brillant ne soulagera pas votre tristesse. […] Il y a des moments où tout ce qui nous apparaissait évident s'obscurcit et où toutes nos joies s’enfuient. Bien que nous puissions encore nous accrocher à la Croix, c’est d'une façon désespérée.

Spurgeon comprenait que la dépression n’est pas toujours « logique » et que sa cause n’est pas toujours évidente. Il y a des moments, disait-il, où notre esprit nous trahit, et nous nous enfonçons dans les ténèbres. Nous sombrons dans des « abîmes sans fond » où nos âmes « peuvent saigner de dix mille façons et mourir encore et encore à chaque heure ». On ne peut pas raisonner cela, et il est difficile d’y trouver un remède. Comme il l’exprimait lors d'une conférence donnée à ses étudiants :

On peut aussi bien se battre avec la brume qu'avec ce désespoir informe, indéfinissable et pourtant si enveloppant. On ne s’accorde aucune pitié dans cette situation, parce qu’il semble déraisonnable, et même coupable d’être troublé sans cause manifeste ; et pourtant l’homme est réellement troublé, au plus profond de son esprit même […] Il faut une main céleste pour repousser ce désespoir […] car rien de moins ne sera capable de chasser ce cauchemar de l’âme.

Je suis extrêmement reconnaissante pour des citations de Spurgeon telles que celle-ci, parce qu'elles témoignent de sa compréhension de telles expériences. Je me souviens à quel point je me suis senti impuissante face à ma propre dépression, à quel point il me semblait que j’étais impuissante à faire quoi que ce soit pour y échapper. Certaines personnes s’attendaient à ce qu’il y ait un remède miracle, une solution logique, ou qu’une sorte de résolution spirituelle permette d’en triompher, mais la lumière et la joie continuaient à se dérober.

Spurgeon avait manifestement expérimenté cette impuissance, ainsi que la maladresse de beaucoup face à cet état. Il interpella d'ailleurs directement depuis la chaire ces « aides » dures et insensibles – promptes à blâmer, promptes à exhorter les personnes dépressives à se sortir de là, et lentes à faire preuve de compassion. Il ne tolérait pas non plus l’affirmation accusatrice selon laquelle les « bons chrétiens » ne pourraient pas être touchés par la dépression. « Le peuple de Dieu, prêchait-il, marche parfois dans les ténèbres sans voir de lumière. Il y a des moments où les meilleurs et les plus brillants des saints n’ont pas de joie. »

Pour lui, il était évident que le fait qu’elle passe par une dépression ne permettait pas de savoir si une personne était chrétienne ou non ; ce n’était pas non plus un signe que quelqu'un ne grandit pas dans sa foi. Il est possible d’être fidèle et déprimé : « La dépression de l’esprit n’est pas un indice que la grâce décline – la perte de la joie et l’absence d’assurance peuvent s’accompagner de la plus grande des avancées dans la vie spirituelle ». Puissent les pasteurs être toujours plus nombreux à prêcher ainsi !

Vous continuez d'être utile!

Peut-être faites-vous l’expérience que votre moral est si bas que vous ne pouvez rien faire, rien apporter aux autres. Vous êtes submergé et paralysé par la tristesse. Votre cerveau est brumeux, votre humeur est maussade. Tout est sombre. Puis apparaissent les questions : Et si cela perdurait ? Et si je ne pouvais plus jamais faire quoi que ce soit de valable ?

Spurgeon connaissait ce sentiment. C’est peut-être la raison pour laquelle, dans une conférence sur la dépression adressée à ses étudiants, il leur dit : « Ne pensez pas que c'en est fini de votre utilité ». Il fut abattu plusieurs fois physiquement et émotionnellement, mais cela n’a pas arrêté son ministère. Il a écrit des milliers de sermons et d’innombrables lettres, lu abondamment, rencontré des gens, prié avec eux, mis en place et structuré des ministères et enseigné au Pastor’s College (« Collège pour pasteurs »). Sa souffrance ne l’a pas empêché de continuer à être utile. Au contraire, tout cela a porté des fruits dans sa vie. Son expérience de la dépression lui a permis d’encourager et de soutenir d’autres personnes qui en souffraient également.

Ainsi, Spurgeon, exhortait ses étudiants à prendre conscience des situations dans lesquelles ils pourraient être plus susceptibles de souffrir de dépression. La liste qu’il leur donna a bien des traits autobiographiques :

  • quand vous avez une maladie qui se prolonge ou des problèmes physiques,
  • quand vous êtes plongé dans un travail mentalement ou émotionnellement intense
  • quand vous êtes seul ou isolé
  • quand vous menez une vie sédentaire et que vous surmenez votre cerveau
  • après le succès
  • avant le succès
  • après un coup dur
  • quand les ennuis et les découragements s'accumulent peu à peu
  • quand vous traversez une période d’épuisement et de surmenage

Mais la dépression peut aussi simplement advenir sans cause, sans raison, sans justification, ce qui, à ses yeux, était le cas de figure le plus douloureux de tous.

Spurgeon offrait également des conseils compatissants et pratiques à ses paroissiens, prêchant à propos de choses telles que le besoin de repos : « L’esprit a besoin d’être nourri et le corps a lui aussi besoin de nourriture. N’oubliez pas de prendre en considération ces questions ! Il pourra sembler à certaines personnes que je ne devrais pas mentionner de petites choses comme la nourriture et le repos, mais ce sont peut-être les tout premiers éléments qui devraient être mentionnées pour aider véritablement un pauvre serviteur de Dieu déprimé ». Prendre soin de soi n’est pas une simple idée moderne. Spurgeon avait appris de sa propre expérience que prendre bien soin de son corps représente une part importante de la lutte contre la dépression, et il partageait volontiers cette sagesse durement acquise.

Sa propre souffrance lui permettait également de mieux compatir avec les autres et les réconforter. Les gens venaient depuis des kilomètres à la ronde pour solliciter conseil et consolation, et ceux qui ne pouvaient pas venir lui écrivaient des lettres. C’était un « guérisseur blessé » qui utilisait son propre chagrin pour apporter du réconfort aux autres:

C’est un grand cadeau que d’avoir appris par expérience à compatir. « Ah !, leur dis-je, J’ai été là où vous êtes en ce moment ! » Ils me regardent, et leurs yeux affirment : « Non, tu n’as sûrement jamais ressenti ce que nous ressentons. » Je poursuis alors par ces mots : « Si tu te sens plus mal que je ne l’ai été, je te plains vraiment, car j’aurais pu dire avec Job : "Mon âme préfère la mort à la vie". J’aurais aisément pu me faire violence de mes propres mains pour échapper à l'état misérable de mon esprit ».

Il y a un profond réconfort à réaliser que quelqu’un d’autre comprend, au moins en partie, votre souffrance. Une telle personne peut offrir un secours différent de ce que tous les autres pourraient apporter. Survivre à des expériences douloureuses telles que la dépression nous place dans une position particulière et nous confère la responsabilité spécifique d’offrir présence et réconfort à d’autres. Spurgeon nous encourage à ne pas l’oublier : « Celui qui a été dans le cachot obscur connaît le chemin qui mène au pain et à l’eau. Si vous avez traversé la dépression et que le Seigneur est intervenu pour vous réconforter, soyez prêt à aider ceux qui sont maintenant dans une situation similaire à celle que vous avez connue ».

Vous êtes toujours utile, nous dit Spurgeon. Vous aussi, vous pouvez être un compagnon pour qui chemine dans l’obscurité.

Chanter dans les ténèbres

Quand je pense aux paroles que Spurgeon nous a transmises, héritage de ses propres luttes, cela me rappelle un hymne vigoureux que je me souviens avoir chanté dans l’Église de mon enfance :

Fondé sur les promesses inébranlables,
Quand les tempêtes hurlantes du doute et de la peur m’accablent,
Par la Parole vivante de Dieu je demeurerai stable
Fondé sur les promesses de Dieu.

Dans les moments les plus misérables de la vie de Spurgeon, ce sont les promesses de Dieu dans les Écritures qui le sortirent du désespoir. Dans les premières années de son ministère, alors même qu’il était déprimé et désemparé face aux critiques sévères qui lui étaient adressées, il fut réconforté grâce un verset de la Bible écrit de la main de sa femme Susannah : « Heureux serez-vous, lorsqu'on vous insultera » (Mt 5.11). Au fil des années, un autre verset le remplaça, toujours recopié par sa femme : « Je t’ai éprouvé dans le creuset de l’affliction » (Es 48.10). Après la catastrophe du Surrey Gardens Music Hall, alors que sept personnes avaient été piétinées à mort et de nombreuses autres blessées après une fausse alerte durant la prière de Spurgeon pendant un service bondé, ce sont les Écritures qui l'ont consolé et tiré du gouffre.

Et à de nombreuses reprises dans ses sermons, les paroles de l’Écriture et la vie des personnages bibliques l’encourageaient. Ils lui rappelaient la vérité. Ils l’aidaient à continuer à chanter. Ils le gardaient en vie. C’était là, où les promesses de Dieu se heurtaient à sa propre douleur, qu’il trouvait l’espérance.

Dans son introduction au Carnet de chèques de la Banque de la Foi, un livre de méditations rédigé alors qu’il luttait contre la compromission de la doctrine au sein du corps pastoral (durant ce qui a été appelé « The Downgrade Controversy »), Spurgeon écrit ceci : « Je crois à toutes les promesses de Dieu, et j’ai personnellement éprouvé et vu tenir beaucoup d’entre elles. […] Je dirais donc à mes [frères et sœurs chrétiens] dans leurs épreuves — Mes frères, Dieu est bon. Il ne vous abandonnera pas : il vous supportera. […] Tout le reste passera, mais sa parole ne passera jamais » .

« Tant mieux pour Spurgeon », pourrions-nous dire, « mais c’est si difficile ». Il le savait, bien évidemment. Il a connu cette lutte, la lutte pour la foi, pour continuer à croire, la lutte pour s’accrocher à l’espérance offerte par les promesses. Il connaissait les tentations du doute. Il savait combien la dépression les rendait encore plus difficiles à supporter, combien il semblait plus facile de remettre en question la bonté de Dieu, sa fidélité, sa présence continue : « Ce perpétuel assaut, ces coups de poignard incessants, ces cisaillements lancinants, ces constants coups de hache à l'encontre de la foi, ne sont pas choses faciles à supporter ». Mais il nous faut endurer. Et c’est précisément « en endurant qu’on apprend à endurer ». Nos épreuves enrichissent ces promesses et renforcent encore davantage notre foi en elles, car nous voyons encore et encore qu’elles sont suffisamment robustes pour nous soutenir. Elles nous enseignent l’humble dépendance à l'égard d’un Dieu fidèle.

Spurgeon ne voyait pas la solution à la souffrance et à la dépression dans les mantras que de nombreux chrétiens déprimés ont trop souvent entendu : Lisez la Bible, priez davantage, ayez la foi. Il n’y a pas de panacée à la dépression, pas de remède spirituel facile. Mais quand nous sommes dans les ténèbres, les promesses des Écritures sont suffisamment fortes pour nous garder attachés à lui. Savoir que nous appartenons au Christ est une ancre. Quand nous nous débattons, quand nous ne savons pas si nous pourrons continuer, quand nous nous sentons perdus, quand les ténèbres nous consument, nous pouvons encore nous accrocher aux promesses de Dieu, même quand nous avons à peine la force d’y croire. Ces promesses sont sûres, quels que soient nos sentiments, quel que soit notre état extérieur.

Lorsque nous voyons des personnages bibliques comme Eli, qui voulait mourir, ou les psalmistes, qui luttaient contre la dépression et des sentiments d’abandon par Dieu, et que « nous nous trouvons dans des situations similaires », déclarait Spurgeon, « nous sommes soulagés de découvrir que nous marchons sur un chemin que d’autres ont parcouru avant nous ». Nous voyons ces saints jetés dans les ténèbres. Mais nous voyons aussi la fidélité de Dieu. Et nous voyons aussi et surtout ses promesses suffisamment solides pour préserver ces personnes, comme elles peuvent le faire pour nous. Ne soyez donc pas consternés, leurs histoires nous rappellent qu'ils sont aussi passés par là. Et que c’est une épreuve que beaucoup ont dû endurer. Vous êtes toujours à lui. Le Christ qui vous a racheté ne vous abandonnera pas dans l’obscurité.

Spurgeon a dit un jour : « Dans la nuit du chagrin […] les croyants [sont] comme des rossignols, et ils chantent dans l’obscurité. Il n’y a pas de véritable nuit pour un homme qui a l’esprit d’un rossignol ». Cela me rappelle un message que j’ai reçu un jour d’un ami : « Tu es courageuse. Tu te tiens dans les ténèbres, te murmurant la Vérité à toi-même ». Je me sentais tout sauf courageuse à l’époque. Cela avait été une année difficile. Cela avait été une année de larmes, de questions et de nuits agitées. Et voici que mon ami le plus proche me disait courageuse. Je ne pouvais pas le croire. Je n’étais pas courageuse, j’étais désespérée. Que pouvais-je faire d’autre dans cet endroit sombre à part continuer à murmurer la Vérité ? C’était tout ce que j'étais capable de faire pour garder l’obscurité à distance, pour l’empêcher de m’étouffer.

Voilà ce que Spurgeon nous offre. Un appel à chanter les promesses de Dieu. Chantez sa fidélité. Même si vous ne pouvez pas encore la voir, même si vous ne la sentez pas, murmurez-vous la Vérité. Chantez dans l’obscurité.

Adapté de Companions in the Darkness de Diana Gruver. Copyright ©2020, Diana Janelle Gruver. Utilisé avec la permission de InterVarsity Press, P.O. Box 1400, Downers Grove, IL, 60516-1426 www.ivpress.com

Traduit par Jean-Paul Rempp

Révisé par Léo Lehmann

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Venus du monde entier, des athlètes olympiques chrétiens à encourager

Partez à la rencontre de femmes et d’hommes qui participent aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020 et font de leur foi une priorité.

Christianity Today August 4, 2021
VCG / Getty Images

Les Jeux de Tokyo 2020 se tiennent dans des conditions inédites. Le gouvernement japonais a pris la décision de dernière minute d’interdire les spectateurs, et un certain nombre d’athlètes ont dû abandonner après avoir été testés positifs à la COVID-19 ou mis en quarantaine car ils avaient été en contact avec ceux qui avaient été testés positifs.

Comme les autres athlètes, les athlètes chrétiens ont fait des sacrifices, ont affronté des épreuves dans leur santé mentale et ont repoussé leurs limites physiques pour se rendre aux Jeux. Mais ils ont pu le faire en sachant où repose ultimement leur identité. Beaucoup d'entre eux ont également utilisé leur notoriété comme tremplin pour témoigner de l’œuvre de Dieu dans leur vie et pour redonner en fonction de ce qu’ils ont pu accomplir. Voici 14 athlètes chrétiens du monde entier qui concourent à Tokyo.

Lucas Lautaro Guzman, Taekwondo (Argentine)

@lucastkd94

En 2012, Sebastián Crismanich est devenu le premier Argentin à remporter une médaille d’or en taekwondo aux Jeux olympiques. Lucas Lautaro Guzman espère devenir le deuxième.

En 2019, il a remporté une médaille de bronze aux Championnats du monde de taekwondo 2019 dans la catégorie poids légers hommes. Sa réussite est survenue trois mois seulement après le décès de sa mère à la suite d’une brève bataille contre le cancer du sein. Bien que cette perte ait été difficile, Guzman a approfondi sa foi et dit aujourd’hui qu’il a beaucoup de raisons d'être reconnaissant.

Juste avant le début des Jeux olympiques, Guzman a célébré son 27e anniversaire au Kazakhstan. Dans une légende accompagnant sa « dernière photo en tant que jeune homme de 26 ans », il écrivait : « Je ne pense pas mériter tout ce que je vis. […] Je ne peux rien demander de plus à Dieu, car il me donne tellement que je suis plus que satisfait et comblé. Indépendamment de tout le [succès] extérieur que je reçois, je dois avouer que ma relation avec le Christ est de loin ce qui m'est arrivé de meilleur. Et ce n'est pas que je veuille convaincre les autres de penser comme moi. En fin de compte, ce que nous disons est utile tant que cela fait ses preuves dans nos actions et notre conduite. »

Nicola McDermott, saut en hauteur (Australie)

@nicolalmcdermott

« À quoi ressemblerait une vie consacrée au sport ? » C'est la question que pose Nicola McDermott, athlète en saut en hauteur, dans sa bio Instagram, puis elle continue en disant qu'il faut mener sa vie en cherchant à donner une réponse sensée à cette interrogation. Sur le terrain de sport, McDermott, 24 ans, a remporté une médaille de bronze aux Jeux du Commonwealth de 2018 et a établi un record personnel l’année dernière après avoir quitté l’Australie pour s’entraîner en Europe pendant la pandémie. En dehors du terrain, elle a cofondé Everlasting Crowns, un ministère par lequel elle espère que « ses camarades athlètes puissent être transformés par l’amour parfait de Jésus, intégrés dans les Églises et formés pour être une bénédiction partout où ils sont envoyés ».

« Ma foi est la raison pour laquelle je suis restée si longtemps dans le sport », déclarait-elle au Guardian plus tôt cette année. « La foi, c'est la confiance dans les choses que vous n’avez pas vues, n’est-ce pas ? Penser sauter deux mètres, quand j’avais huit ans et que je sautais une hauteur de 1,15 m, il faut un peu de foi pour y croire. J’ai tellement pratiqué le sport jusqu’à mes 20 ans que je pensais que c’était ce qui me rendrait heureuse – et qu'une fois que je serais championne olympique, une fois que j’aurais atteint quelque chose, alors je serais heureuse. J’ai atteint un niveau où j’avais tout ce dont j’avais toujours rêvé, mais j’étais toujours insatisfaite – j’ai réalisé que j’avais mis mon identité dans la performance et la réussite. La foi pour moi, c’était de réaliser que je suis aimée indépendamment de mes performances – le saut en hauteur est simplement un moyen de me connecter à Dieu.

Ítalo Ferreira, surf (Brésil)

@italoferreira

Le surf a fait son entrée aux Jeux olympiques cette année et le champion du monde 2019 Ítalo Ferreira a remporté la première médaille d'or chez les hommes. L'athlète de 27 ans a utilisé les médias sociaux pour louer Dieu pour cette victoire, en partageant le mot d’ordre qu'il avait emporté avec lui au Japon : di amén que viene el oro (qu’on pourrait traduire par « dites amen et l'or viendra »). Ferreira explique qu'il avait prié ces mots depuis son lit, à partir de 3 heures du matin, en demandant à Dieu d'aider son rêve à se réaliser. « Et le voici ! Mon nom dans l'histoire du surf », a-t-il déclaré. Pour remporter l'or, Ferreira a dû surmonter des conditions agitées, une tempête qui a forcé les surfeurs à ramener la compétition de deux à un jour, et une planche qui s'est brisée dès les premières minutes de son tour pour la médaille d'or. Submergé par les larmes, il poursuit : « Je me suis beaucoup entraîné ces derniers mois et Dieu a fait de mon rêve une réalité. Je ne veux que remercier Dieu de m'avoir donné l'opportunité de faire ce que j’aime ».

Originaire d'une petite ville du nord-est du Brésil, Ferreira a remporté sa première compétition de surf deux mois après que son père, un homme qui achetait du poisson aux pêcheurs et le revendait aux restaurants, ait acheté une planche à son fils pour la première fois. Alors que Ferreira grimpait rapidement dans le monde du surf d'élite, il gagna suffisamment d'argent pour acheter à ses parents une maison sur la plage. « L'océan a beaucoup de poids dans ma vie. Mon père le premier a vécu de la mer en vendant du poisson, et moi je le fais en surfant », exprime Ferreira dans un spot vidéo encourageant à protéger l'océan. « Un avenir sans océan ? Ce serait terrible. Je pense que l'océan est un cadeau exceptionnel de Dieu pour les peuples. »

Charles Fernandez, Pentathlon moderne (Guatemala)

@charlesfernandez_5

Lorsque Charles Fernandez avait sept ans, sa famille a quitté les États-Unis pour s'installer au Guatemala, le pays d’origine de son père, pour y servir comme missionnaires. Des années avant la naissance de son fils, Carlos Fernandez avait participé à l’épreuve du pentathlon, qui comprend l’escrime, la nage libre, le saut d’obstacles équestre et une épreuve combinant le tir au pistolet et la course d'endurance. Carlos et sa femme Esther dirigent maintenant un ministère dans les montagnes aux abords d’Antigua, au Guatemala, au service de la communauté maya environnante.

Après avoir participé aux Jeux olympiques de 2016 à Rio, où il s’est classé 15e alors qu’il avait 20 ans, Fernandez a remporté les Jeux panaméricains en 2019. « Le retour dans mon pays avec deux médailles, c’est clairement une immense bénédiction de pouvoir partager ces moments avec ces personnes qui se battent chaque jour pour sortir de la pauvreté et leur donner l’espérance dans le Christ », déclarait Fernandez, après avoir remporté deux événements régionaux en 2018. « C’est pour cela que je fais ce que je fais, pour être une lumière du Christ pour les nations dans ce sport. » Tout au long de la pandémie, Fernandez, qui se considère également comme un travailleur social, a voyagé entre les États-Unis et le Guatemala pour essayer d’aider ses concitoyens. « Mon objectif en tant qu’athlète est de leur apporter de l’espoir, de leur montrer que tout est possible quand on travaille dur », a-t- il déclaré dans une interview l’année dernière. « Les deux façons dont je soutiens le pays (socialement et par le sport) sont différentes, mais Dieu merci, elles s’accordent d’une manière très spéciale. C’est la raison et la motivation pour ce que je fais aux Jeux olympiques. »

Jonatan Christie, Badminton (Indonésie)

@jonatanchristieofficial

Aucun pays n’a une plus grande population musulmane que l’Indonésie. Mais l’un de leurs athlètes les plus appréciés est un joueur de badminton de 23 ans qui aime Jésus. En voici une des raisons : en 2018, cinq ans après avoir remporté son titre senior à 15 ans, Christie a promis à Dieu que s’il parvenait à la finale du simple masculin de badminton aux Jeux asiatiques de 2018, il donnerait la moitié de sa prime. Quelques semaines plus tôt, un tremblement de terre avait frappé l’île de Lombok, faisant plus de 500 morts et déplaçant près d’un demi-million de personnes.

Christie a remporté les Jeux asiatiques et a ensuite payé pour reconstruire une école et deux mosquées, espérant que ce geste contribuerait à rassembler son pays. Malgré ses distinctions, Christie reste humble. « Je ne suis pas un homme parfait. Je suis loin d’être une bonne personne. Je ne pense pas être un bon modèle parce que je lutte encore moi-même contre de nombreux péchés », a déclaré Christie plus tôt cette année, lui qui est actuellement classé septième mondial. « J’ai beaucoup appris des gens qui m'entourent sur la façon de traverser les épreuves avec Dieu. Ma vie spirituelle ne se déroule pas toujours sans accrocs. Suivre Jésus ne signifie pas toujours que tout ira bien. Je dois encore faire face à de nombreuses épreuves. Mais pour moi, quelles que soient les épreuves que Dieu nous permet d'affronter, nous devons continuer à apprendre et à grandir. Si nous pouvons surmonter un problème avec Dieu, il doit y avoir une nouvelle porte qui s’ouvre, afin que nous puissions être plus mûrs pour faire face à nos problèmes.

Raelin D’Alie, Basketball 3×3 (Italie)

@rmdalie11

Raelin D’Alie mesure un mètre soixante et a grandi à Racine, dans le Wisconsin. Mais au cours des deux prochaines semaines, elle représentera l’Italie au sein de son équipe féminine de basket-ball à trois contre trois. La jeune femme de 33 ans, qui a représenté l’Italie au cours des 10 dernières années, a marqué le panier qui a qualifié l’Italie aux Jeux olympiques après un score de 0-9 au début du match.

L’année dernière, la saison de D’Alie avec Virtus Bologna a été interrompue en raison de la pandémie. « Je suis une personne de foi, donc ma réponse à la souffrance est de prier et de chanter pour Dieu. J’ai dit à mon colocataire : "C’est un coup dur pour l’Italie". Et nous avons prié pour que Dieu utilise ce moment pour donner aussi aux gens l’une des plus grandes joies qu’ils aient vécues en peu de temps », a-t-elle déclaré à The Journal Times. « Je sais que l’Italie est très fière que nous allions aux Jeux olympiques et j’espère vraiment faire quelque chose d’incroyablement spécial pour l’Italie, surtout à cause des souffrances qu’elle a endurées au cours des 18 derniers mois. »

Yohan Blake, Sprint (Jamaïque)

@yohanblake

Usain Bolt ne sera pas présent à ces Jeux olympiques, mais son partenaire d’entraînement de longue date, Yohan Blake, sera en compétition. En 2012, Blake a terminé derrière Bolt dans les sprints du 100 m et 200 m. Ensemble, avec deux autres coéquipiers jamaïcains, ils ont remporté l’or dans le relais 4×100 m. En 2016, ils ont réitéré leur succès. Au-delà de ses objectifs sportifs, Blake aspire à aider les gens. Selon la biographie de son site Web, il « se considère comme placé par Dieu sur terre pour aider et prendre soin de ses brebis comme un berger aimant. Cet état d’esprit a fait de lui l’individu gentil et dévoué qu’il est aujourd’hui ».

Blake, dont la présence sur les réseaux sociaux alterne versets bibliques et publicités pour son nouveau site Web, participera au 100 m masculin.

Odunayo Adekuoroye, Lutte (Nigéria)

Une seule athlète nigériane a déjà remporté une médaille d’or aux Jeux olympiques. La lutteuse Odunayo Adekuoroye pense qu’elle sera « certainement » la deuxième. « Je crois par la grâce spéciale de Dieu c'est mon heure briller », affirmait-elle plus tôt le mois dernier. « Donc, j’apporterai certainement la médaille d’or au Nigeria par Sa grâce ».

Adekuoroye a grandi dans le sud-ouest du Nigeria et, enfant, vendait des marchandises dans la rue. Elle s'est d'abord intéressée au sprint avant que son désir de voyager ne l’incite à se lancer dans la lutte, une décision que ses parents n’ont pas soutenue au début. Adolescente, Adekuoroye leur cachait son passe-temps. Quand ils ont découvert qu’elle faisait de la lutte en secret, ils n’ont cédé que lorsque son entraîneur a proposé de payer ses frais de scolarité et de l'accueillir chez lui. Sa carrière a transformé la situation financière de sa famille : Adekuoroye a pu acheter une voiture pour son père et ouvrir une boutique pour sa mère. « La lutte m’a rendu célèbre, m’a sorti de la pauvreté et m’a donné un nom. Nous n’avions rien à la maison, mais j’ai commencé à gagner de l’argent. Au moins maintenant nous ne sommes pas riches, mais nous sommes à l’aise », déclarait-elle l’année dernière.

Adekuoroye est double vainqueur des Jeux du Commonwealth et a atteint les quarts de finale à Rio. « En tant que chrétienne, je crois au principe du travail et je prie comme indiqué dans la Bible », a-t-elle témoigné avant une compétition en 2015. « Moi et mes entraîneurs travaillons, il reste donc au peuple nigérian de prier pour l’équipe. »

Nick Willis, Course de fond (Nouvelle-Zélande)

@willisnick

Après quatre Jeux Olympiques, le Kiwi Nick Willis est de retour pour sa cinquième édition. « Ce n’est pas de la vantardise ou de la fanfaronnade, mais cela m’étonne simplement que je puisse faire une course de deux heures et finir comme si c’était un jogging de 10 minutes. Être aussi en forme est une expérience unique que peu de monde peut comprendre », tweetait-il en 2019. Parfois, je veux prendre ma retraite, mais Dieu m’a donné ce don, alors je vais courir et courir !

Courir, c'est ce qu'il a fait. Willis a remporté deux fois des médailles olympiques pour la Nouvelle-Zélande au 1500 m ; il a remporté la médaille d’argent en 2008 à Pékin et une médaille de bronze en 2016 à Rio. Bien qu’il représente un pays d’Océanie, Willis vit à l’autre bout du globe après avoir déménagé pour étudier à l’Université du Michigan. C’est là que, sur les encouragements de son frère, il s’est impliqué dans avec Athletes in Action et a renoué avec sa foi d’enfant, un acte qui l’a aidé à faire face au chagrin qu’il ressentait encore après avoir perdu sa mère dans sa jeunesse. « Quelque chose a commencé à frapper mon cœur, me disant que ma mère regardait ma vie depuis le ciel. J’ai essayé de lutter contre cela avec plus d’alcool et de vie nocturne, mais ces battements au cœur sont devenus de plus en plus forts », écrivait-il . «C' est devenu impossible à nier. Je savais que Dieu me poursuivait, et ce depuis de nombreuses années. J’ai finalement décidé d’arrêter de Le fuir.

Au lieu de cela, Willis court aujourd’hui presque comme une façon de louer Dieu, comme le suggérait une conversation qu'il rapportait dans un tweet il y a plusieurs années :

« Papa, pourquoi tu cours toujours ? »

« Parce que je remercie Dieu de m’avoir donné des jambes rapides. »

« Est-ce que tu sens sa puissance dans tes jambes quand tu cours ? »

« Je suppose, oui ! »

Wayde Van Niekerk, Sprint (Afrique du Sud)

@waydedreamer

Lorsque Wayde Van Niekerk a remporté le 400 m à Rio et battu le record de longue date de Michael Johnson, il a immédiatement ouvert la bouche pour louer Dieu. « J’en rêvais depuis que j'étais petit », avait-il déclaré à la BBC. « La seule chose que je peux faire maintenant est de louer Dieu. Je me suis agenouillé chaque jour et j’ai dit au Seigneur de prendre soin de moi et de veiller sur moi à chaque pas. J'ai demandé au Seigneur de me porter tout a long de la course et je suis vraiment béni pour cette opportunité ».

L’année suivante, Van Niekerk remerciait encore Dieu après avoir remporté une médaille d’or aux Championnats du monde de l’IAAF. Mais le coureur sud-africain a à peine concouru depuis, après s’être déchiré le ligament croisé antérieur lors d’un événement caritatif de rugby. Pourtant, sa foi ne semble pas avoir vacillé. Des versets bibliques ornent ses publications sur Twitter et Instagram. « Soyez courageux dans le Seigneur », a-t-il tweeté dans une annonce pour une course récente. Dans une autre publication : « L’amour fidèle du Seigneur me soutient.

An Baul, Judo (Corée du Sud)

@anbaul

Avant d’entamer son combat pour la médaille d’or à Rio, An Baul a prié. « Je n’ai pas prié pour qu’An Baul remporte la médaille d’or. J’ai juste prié pour pouvoir faire de mon mieux et revenir sans regrets. […] Même quand ce ne sont pas les Jeux olympiques, j’ai tendance à prier comme ça avant chaque match ». Champion du monde 2015 et favori pour la médaille en 2016, An a été contré par l’Italien Fabio Basile, classé 29e dans sa catégorie de poids.

Envie de prier pour le judoka sud-coréen pour les Jeux Olympiques ? Voici ses sujets de prière : « J’espère bien finir le match avec tout le soutien des autres. Veuillez prier pour notre sécurité et notre santé pendant les Jeux olympiques, afin que nous puissions faire aussi bien qu'à l'entraînement, sans regrets. »

Latisha (Yung-jan) Chan, Tennis (Taïwan)

@latishayjchan

Latisha Chan et sa sœur aînée Chan Hao-ching participeront à leurs deuxièmes Jeux olympiques consécutifs et tenteront de passer les quarts de finale, où elles ont perdu en 2016. Actuellement classées 21e mondiales, les sœurs ont été éliminées en quart de finale à Roland-Garros et à Wimbledon plus tôt cet été. En tant que joueuse de double féminin et double mixte, Chan a remporté près de trois douzaines de tournois, dont l’US Open 2017 aux côtés de Martina Hingis, Championnats de France 2018, les Championnats de France 2019 et Wimbledon en 2019 avec Ivan Dodig.

En 2015, Latisha, sa sœur et sa mère se sont toutes fait baptiser ensemble. Pour faire face à la pression, Chan a souvent trouvé un coin tranquille, mis de la musique et prié. « La plupart de mes prières à notre Père céleste ne visent pas à gagner les matchs, mais à demander des conseils », a-t-elle déclaré en 2017. « Je prie pour que nous ne nous blessions pas et que nous fassions un bon match. De plus, je prie pour que quel que soit le résultat final, nous soyons en mesure de l’accepter et d’apprendre une attitude d’humilité tout au long du processus ».

Cherelle Thompson, Natation (Trinité-et-Tobago)

@cher_ellet

Cherelle Thompson voulait faire partie de l’équipe olympique l’an dernier. Mais comme ses collègues athlètes le savent si bien, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Empêchée d’entrer dans une piscine pendant les premiers mois de la pandémie l’année dernière, Thompson a reconnu son besoin de s’accrocher à sa foi pendant cette période. « Je reconnais ma vision limitée de la vie et de mon avenir, et je m'en remets à lui avec confiance en raison de Sa souveraineté et de Sa capacité à prendre bien soin des siens », a-t-elle écrit. « Autant j’aime contrôler tous les détails et savoir à quoi ressemblera chaque étape, autant je fais confiance à Dieu en lui abandonnant mon avenir. Je ne perds pas espoir (pour tout ce que je veux accomplir), mais je lui laisse l’autorité sur les parties de ma vie sur lesquelles je pensais avoir le contrôle ».

Maintenant de retour dans la piscine, la jeune femme de 29 ans s’est qualifiée pour les Jeux olympiques la dernière semaine de juin et participera à l'épreuve du 50 mètres en nage libre féminine.

Joshua Cheptegei, Course de fond (Ouganda)

@joshuacheptegei

En 2017, Joshua Cheptegei saluait sur Twitter les exploits de son collègue coureur de fond médaillé, Mo Farah. Puis un fan a répondu : « Joshua, maintenant c’est à toi de devenir champion ». Cheptegei a accepté l’invitation. « Regardez simplement l’espace, DIEU a tellement d’ors pour moi en réserve, IL me fortifiera, je suis le serviteur du Seigneur », a-t-il tweeté .

En 2020, Cheptegei a établi le record du monde des courses de 5 000 m et 10 000 m. Malgré ce succès, le coureur ougandais connaît bien l’échec.

Lorsque l’Ouganda a accueilli les Championnats du monde de cross-country en 2017, Cheptegei était la meilleure chance du pays hôte de décrocher une médaille d'or. C’était à peine quatre mois avant de publier ce tweet, et Cheptegei était sur le point de remporter la course senior de 10 km. Mais dans son dernier tour, devant le public local, il a ralenti au point de prendre la 30e place, une défaite qui l’a laissé tellement déprimé qu’il a essayé d’éviter les gens pendant des semaines. Aujourd’hui, il utilise sa voix pour plaider contre les mutilations génitales féminines.

Simone Manuel, Natation (États-Unis)

@swimone

En 2016, Simone Manuel a remporté quatre médailles olympiques, deux d’or et deux d’argent : l’or au 100 m nage libre et au relais 4×100 m quatre nages ; l’argent au relais 4×100m nage libre et au 50m nage libre. La co-capitaine de l’équipe de natation, âgée de 24 ans, sera de retour aux Jeux olympiques cette année, mais elle a eu du mal à se rendre aux jeux.

Pendant des mois, Manuel a souffert de surentraînement, un état qui la laissait mentalement déprimée et physiquement épuisée, ce qui a contraint son médecin à lui ordonner d’arrêter de s’entraîner pendant trois semaines en mars de cette année. Lors des essais olympiques de juin, elle n’a pas réussi à se qualifier pour la finale du 100 m nage libre. Mais elle est maintenant à Tokyo après s’être qualifiée sur le 50m nage libre. « Je devais juste prendre un moment pour louer Dieu », a déclaré Manuel à NBC Sports après avoir remporté cette course et obtenu sa place à Tokyo. « Je veux dire, cette année a été difficile, en particulier les deux derniers mois, mais avant de plonger, j’ai senti que c’était mon moment, et je suis tellement reconnaissante pour les bénédictions que Dieu m’a données. »

Avec l’aide de Giselle Seidel, Maria Fennita et Juhyun Park pour la traduction.

Traduit par Valérie Marie-Agnès Dörrzapf

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Augmenter sa proportion d’hommes n’est pas ce qui fera grandir votre Église

L’histoire nous apprend que la croissance d’une dénomination n’a rien à voir avec la proportion d’hommes et de femmes dans ses rangs.

Christianity Today August 2, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Pearl / Lightstock / Envato

« Il y a une crise des hommes dans l'Église ! ». Vous avez sans aucun doute entendu cela à plusieurs reprises. Mark Driscoll, ancien pasteur de l'Église Mars Hill à Seattle, à l’auditoire très masculin mais aujourd'hui dissoute, affirmait souvent des choses comme « Le problème avec l'Église aujourd'hui… c'est juste une bande de gentils enfants de chœur, doux, tendres et efféminés » ou « soixante pourcents des chrétiens sont des gonzesses et les quarante pourcents de gars en sont aussi ».

Le psychologue canadien Jordan Peterson touche aussi cette corde sensible parmi les hommes chrétiens. L’an dernier, Owen Strachan, directeur du Center for Public Theology (« Centre pour la théologie publique »), relançait pour sa part cette perpétuelle conversation sur la nature de la masculinité via un podcast qu’il relayait sur Twitter.

Selon certains, « Là où vont les hommes, les Églises grandissent » ou, dit d’une autre façon, « Là où les hommes dirigent, les femmes suivent ». Dans les deux cas, on laisse entendre que le fait d’avoir un grand nombre de femmes est nuisible pour la croissance de l'Église. Des dizaines d’articles et de livres sur la disparition de la masculinité chrétienne ont été publiés, allant de Pourquoi les hommes détestent aller à l’église (« Why Men Hate Going to Church »), de David Murrow, à L’Église impuissante (« The Church impotent »), de Leon Podles, créant toute une industrie de promotion de l’idée que la virilité chrétienne serait menacée. Les chiffres de vente de ces livres ont été impressionnants. Cela doit donc être du solide, non ?

Faux. Il s'avère que le christianisme n'est pas plus « féminisé » aujourd'hui qu'il ne l'était il y a 50, 100, 300, ou 1000 ans, ou même au premier siècle de l'Église. Ceux qui soutiennent que la croissance de l'Église dépend d'activités spécialement axées sur les hommes – ou d'une programmation à dominante spécifiquement « masculine » – se méprennent sur le passé de l'Église et mettent en péril ses enseignements historiques concernant les sexes.

Les sources anciennes sont sans équivoque : dès le début, le christianisme était majoritairement une religion féminine. Un Père de l'Église au 4e siècle, Cyrille de Jérusalem, ouvre ses célèbres Conférences catéchétiques en s'adressant ainsi aux hommes de l’assemblée :

Vous êtes peut-être aussi venus sous un autre prétexte. Il est possible qu'un homme veuille faire la cour à une femme et soit venu ici dans ce but. […] J’accepte cet appât pour l’hameçon, et je vous souhaite la bienvenue — bien que vous soyez venu avec une mauvaise intention — comme à une personne à sauver par une heureuse espérance.

Ici, dans l'un des textes paléochrétiens les plus célèbres sur la façon d'enseigner la foi, le pasteur se commence en disant en somme : « Écoutez, je sais que vous, les gars, n'êtes là que parce que vos fiancées vous forcent à être ici ».

Le taux de conversion des femmes au christianisme était si important qu'en l’an 370 après J.-C., l'empereur Valentinien fit comprendre au pape que cela suffisait et lui ordonna d’arrêter d'envoyer des missionnaires frapper à la porte des femmes païennes. Les historiens sont pratiquement tous d'accord pour affirmer que les convertis au christianisme primitif comptaient une très forte proportion de femmes de la haute société (et, par ailleurs, d’esclaves et de minorités ethniques).

Il y avait de nombreuses raisons à cela, mais l'historien des religions Rodney Stark a compilé une collection impressionnante de données historiques montrant qu'une des principales raisons était peut-être simplement que le christianisme traitait mieux les femmes, notamment parce que les chrétiens exerçaient moins de pression sur les femmes pour qu’elles se remarient en cas de décès de leur époux. Ils pressaient également moins les jeunes filles à se marier.

En ce sens, Rodney Stark rapporte une anecdote intéressante de l'an 303, lors d'une vague de persécution. Des fonctionnaires démantelèrent une Église de maison et saisirent les biens que les chrétiens avaient rassemblés pour les nécessiteux : 16 tuniques pour hommes et 82 tuniques pour femmes. Depuis des temps immémoriaux, les femmes dans l'Église surpassent largement les hommes quand il s'agit de collecter des biens.

De l’élaboration de manuels catéchétiques aux efforts d’entraide dans l'Église, selon les sources primitives des peuples antiques, le tableau est assez clair : le christianisme était disproportionnément féminin.

Évangélisation par le flirt ou évangélisation par le mariage ?

Stark souligne également que, parce que le monde romain abandonnait ou tuait de nombreuses filles à la naissance, le ratio hommes-femmes était très déséquilibré : environ 130 hommes pour 100 femmes, pire que la Chine d'aujourd'hui. En conséquence, beaucoup de jeunes hommes romains avaient du mal à trouver une femme. Puisque le christianisme était majoritairement féminin, beaucoup de femmes chrétiennes avaient aussi du mal à trouver un mari. (Si ce scénario vous parle, ce n’est pas sans raison : les femmes chrétiennes aujourd'hui se trouvent dans la même situation).

En raison de ce déséquilibre dans l’Antiquité, les femmes chrétiennes épousaient souvent des hommes païens. Le Nouveau Testament, en particulier les lettres de Paul, s'adresse à plusieurs reprises à des ménages divisés sur le plan religieux. (Voir 1 Corinthiens 7.12-16, et d'autres passages.) Dans la tension entre un mari païen et une épouse chrétienne, le christianisme l’emportait généralement. C'est une grande différence entre les Églises anciennes et les Églises modernes sur cette question. Les premiers chrétiens n’avaient pas de complexe à attribuer l’origine de leur foi à la maternité chrétienne : la foi de Timothée est mise au compte de sa mère et de sa grand-mère. Saint Augustin devait sa foi à sa mère. Et j'ai déjà mentionné les conférences de Cyrille, qui fournissent la preuve implicite que beaucoup d'hommes païens suivaient des cours accélérés de christianisme afin d'épouser des femmes chrétiennes.

On trouve également de nombreux cas célèbres d'épouses chrétiennes qui ont changé le cours de l'Histoire. La maîtresse de l'empereur Commode, Marcia, intercéda pour sauver la vie d'un futur pape. Clotilde, l'épouse du roi des Francs, Clovis, contribua à sa conversion et donc à l'évangélisation de la France. En réalité, une part considérable du travail remarquable effectué pour propager le christianisme a probablement été l’œuvre de femmes chrétiennes au sein de mariages mixtes.

De toute évidence, la communauté chrétienne primitive était caractérisée par la présence de nombreuses femmes chrétiennes, épouses d’hommes non chrétiens. Avec une détermination inébranlable, elles ont traîné leurs maris et leurs enfants à l'église jusqu'à ce qu'ils se rendent enfin à la miséricorde du Christ. La pratique précoce du baptême des nourrissons a probablement aidé ce processus, car les épouses chrétiennes pouvaient utiliser le rituel pour revendiquer une forme de droit sur la foi pour leurs enfants, devançant ainsi leurs maris païens sur ce terrain. Le fait que les protestants américains ne baptisent souvent pas les bébés (et en ont moins que par le passé) pourrait expliquer pourquoi le mariage n'est pas une voie d'évangélisation aussi efficace qu’autrefois.

Sur ce dernier point, dans pratiquement toute l'histoire chrétienne, une grande partie de la croissance de l'Église s’est produite par la naissance d’enfants. Une Église avec beaucoup d'hommes et peu de femmes n’est qu’à une génération de sa disparition. À l’inverse, les Églises au sein desquelles la présence féminine est numériquement forte sont des Églises avec des bébés, dont la croissance est ainsi assurée. Les femmes étaient nombreuses au début du christianisme, de sorte que leur fécondité a décuplé la forte croissance naturelle de la population chrétienne, contrairement à la population païenne stagnante.

Le christianisme américain a toujours été majoritairement féminin

La longue histoire de la majorité féminine dans les Églises est admise même par beaucoup de ceux qui mettent en avant le récit de la « crise de la masculinité ». Par exemple, un long article du site Art of Manliness (« L’art de la virilité ») détaille comment l'Église américaine était à l’origine massivement composée de femmes. L'article fournit des citations de divers historiens des religions, des témoignages oculaires des 18e et 19e siècles et des données extraites directement des registres paroissiaux, tous montrant que les Églises chrétiennes en Amérique comptaient probablement environ 60 à 80 % de femmes, au moins jusqu'au milieu du 19e siècle.À l’approche du 20e siècle, nous disposons de sources de données fiables. De 1850 à 1936, le Bureau du recensement des États-Unis a entrepris un recensement des organismes religieux, demandant à chaque Église et à chaque dénomination de collecter diverses statistiques clés sur elle-même. À partir de 1906, ces statistiques prenaient en compte le sexe des membres. De plus, depuis 1972, le General Social Survey (« Enquête sociale générale », abrégé GSS) a recueilli suffisamment de données pour estimer la proportion de femmes parmi les personnes présentes en général dans les Églises. Et à quelques occasions, le GSS a également interrogé les répondants sur les habitudes de fréquentation de l’Église de leurs parents quand ceux-ci étaient encore enfants, ce qui a permis d'estimer la proportion des mères qui fréquentaient l'Église depuis le début du 20e siècle.

Les données de ce graphique sont un peu monotones, mais elles vont droit au but : il n'y a eu aucun changement notable dans la répartition hommes/femmes au sein du christianisme ces dernières années. Tout le récit du déclin des hommes chrétiens relève de la désinformation. Nous sommes là, ou pas, comme nous l'avons toujours été. De la Vierge Marie jusqu'à nos jours, les femmes chrétiennes sont tout simplement beaucoup plus nombreuses que les hommes dans la vie quotidienne de l'Église. En d'autres termes, la triste réalité du laisser-aller religieux masculin n'est pas nouvelle, et ce n'est pas non plus une menace existentielle pour l'église.

Cette tendance n'est pas non plus strictement américaine. De récentes enquêtes internationales montrent que le christianisme a un biais féminin dans pratiquement tous les pays. Dans les pays chrétiens comme dans de nombreux pays musulmans, les femmes prient plus souvent que les hommes. Les Églises évangéliques d’Afrique, conservatrices et à croissance rapide sont à majorité composées de femmes, tout comme les Églises déclinantes, marginalisées, progressistes et soutenues par l'État en Europe.

Plus d'hommes ne signifie pas plus de croissance

La conclusion controversée du récit de la « crise de la masculinité » est que lorsqu'il n'y a pas assez d'hommes sur les bancs, l'Église finit par décliner. Les Églises insuffisamment « masculines » sont supposées préparer leur propre disparition.

Cette affirmation est vérifiable, et il se trouve qu'elle est complètement fausse. Le graphique ci-dessous met en relation la proportion de femmes dans la fréquentation des Églises de chaque dénomination chrétienne, selon l'enquête Pew de 2007 sur le paysage religieux, avec la croissance ou le déclin de chacun de ces groupes selon leur pourcentage de la population américaine entre les enquêtes Pew de 2007 et 2014.

Comme le montre le graphique, il n'y a pas de corrélation significative entre l'équilibre hommes-femmes dans la fréquentation de l'Église et sa croissance. Rendre votre Église plus masculine ne la fera pas grandir.

Certaines dénominations pourraient contester ma méthode qui s’appuie sur des données d'enquêtes et non sur le recensement des membres effectué par les dénominations elles-mêmes. Cependant, j'ai testé cette même relation en utilisant l'appartenance dénominationnelle avec un échantillon de 35 grandes dénominations, en me basant sur les données de Pew concernant l'équilibre entre les sexes et sur la croissance d’Église déclarée par chaque dénomination entre 2007 et aujourd'hui. Encore une fois, aucune corrélation n’apparaît. L'équilibre numérique entre les sexes dans une communauté religieuse a très peu de rapport avec sa croissance.

C’est vrai aujourd'hui, et c'était vrai il y a un siècle. Le graphique ci-dessous présente la croissance numérique de 31 confessions entre 1906 et 1936 et la compare à leur ratio hommes-femmes en 1906.

Encore une fois, on n’observe aucune corrélation. La croissance dénominationnelle n'a tout simplement rien à voir avec des ratios homme-femme dans l'Église.

Le vrai problème se situe ailleurs

Voici donc notre conclusion : toutes les lamentations au sujet de la « fin des hommes » dans l'Église sont excessives et injustifiées. Depuis ses débuts et à chaque période de son histoire, le christianisme a été une religion à majorité féminine. Cela ne va pas changer de sitôt.

Avec cette information en tête, les injonctions de Paul au sujet des hommes et des femmes (dans 1 Timothée 2-4 et ailleurs) résonnent tout d’un coup quelque peu différemment. Si Paul donne des instructions détaillées sur la manière dont les femmes devraient se comporter, c’est peut-être parce que les Églises où il prêchait étaient largement composées de femmes mariées à des hommes non chrétiens, qui se demandaient de manière très pratique comment être des exemples pour leur famille.

Parallèlement, lorsque Paul s’adresse aux hommes, il aborde souvent les rôles de conduite de la communauté, peut-être parce qu'une grande partie des chrétiens exerçaient déjà de tels rôles. Si l'Église primitive comptait réellement 70% de femmes, que les Églises étaient généralement de petite taille en raison du manque de locaux appropriés, et compte tenu de la forte pratique monastique dans le christianisme du deuxième siècle, il est probable que la majorité des hommes participant régulièrement à la vie de l'Église primitive étaient responsables de communautés, diacres au service de l'Église, ou célibataires.

Rien de tout cela ne modifie les doctrines enseignées dans les Églises. Les lecteurs cherchant des appuis en faveur de l'ordination des femmes pourront peut-être se réjouir d'entendre que celles-ci constituaient une grande partie de l'Église primitive et que rendre l’Église plus masculine n’amènera pas de croissance. Mais les lecteurs cherchant confirmation de la restriction traditionnelle imposée à l'ordination des femmes pourront aussi être confortés dans leur position. Même si Paul écrivait à des Églises à la proportion d’hommes et de femmes tout aussi asymétrique, voire plus, qu'aujourd'hui, il insistait sur le pastorat et le leadership masculins.

Mon objectif n'est pas de remettre en question l’une ou l’autre de ces lectures. Il s'agit simplement de contester que le christianisme aux États-Unis serait en déclin parce ce qu'il s’est trop féminisé. Cette idée est fausse : le christianisme américain aujourd'hui a presque exactement le même équilibre numérique hommes-femmes que tout autre société chrétienne.

Alors peut-on (ou devrait-on) faire quelque chose concernant le déséquilibre homme-femme ?

Les enquêtes internationales évoquées ci-dessus suggèrent une raison pour expliquer l’intérêt plus prononcé des femmes pour la religion. Les femmes ayant un emploi à l'extérieur de la maison (et en particulier, les femmes sans enfant travaillant à temps plein) avaient le même niveau d’intérêt pour la religion que les hommes (et dans la plupart des pays, 85% et plus d'hommes en âge de travailler sont à plein temps). Les femmes ayant une vie professionnelle semblable à celle des hommes ont tendance à être aussi irréligieuses que ces derniers.

En d'autres termes, le problème majeur que les Églises affrontent aujourd'hui n'est probablement pas qu’elles comptent un nombre insuffisant d'hommes, mais qu’elles ont fait trop de compromis avec la culture du monde occidental moderne, culture de consommation effrénée focalisée sur le travail et la carrière. La foi a besoin de temps et d’espace pour se développer, et le travail à l'extérieur tend à en éloigner les hommes et les femmes. L'Église a choisi d'adorer Mammon et le culte de Dieu en a naturellement souffert.

En acceptant tacitement l’idée que le travail rémunéré (et la formation qui y prépare) devrait être, pour tout individu, le centre de sa vie, l'élément dominant de son emploi du temps et la composante principale de son identité sociale, les Églises ont abandonné un terrain crucial. Pour croître, les Églises feraient mieux de moins se compromettre avec la réussite sociale, d’encourager les vœux de pauvreté et de renouveler les disciplines ascétiques. Plutôt que de chercher à avoir plus de pasteurs barbus, nous devrions exhorter les riches de nos Églises à donner 20, 30, 70 ou 90% de leurs revenus.

L’accompagnement pastoral devrait encourager les paroissiens à se demander s'il est vraiment nécessaire de travailler autant qu'ils le font, et s’il ne leur est pas possible de vivre avec moins. Lorsque nos fils et nos filles envisagent d’aller à l’université, nous devrions les exhorter à prendre en compte les risques des prêts étudiants : non pas tant le fait de devoir contracter trop de dettes, mais le que, pour rembourser leur prêt, ils pourraient devoir consacrer trop de leur vie leur emploi salarié et pas assez à leur Église et leur famille. Le renouveau dans l'Église n’adviendra pas par un surcroît d’hommes, mais il pourrait se produire si chacun prend sa croix chaque jour en renonçant au monde.

Lyman Stone est membre associé de l'American Enterprise Institute , chargé de recherche au Institute for Family Studies et chef du service des renseignements de la société de conseil Demographic Intelligence .

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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L’éclatement de l’âme évangélique

Pourquoi nous divisons-nous, et comment nous retrouver ?

Christianity Today July 30, 2021
Illustration de Mallory Rentsch / Images sources: Kimson Doan / Unsplash / imtmphoto / Getty Images

De nouvelles fractures se dessinent au sein du mouvement évangélique américain, qui ne suivent pas les lignes régionales, dénominationnelles, ethniques ou politiques habituelles. Couples, familles, amis, communautés unis dans leur engagement envers Christ se divisent maintenant autour de visions du monde apparemment inconciliables. En réalité, plus que de simples divisions, on observe une impossibilité de se comprendre mutuellement.

Récemment, quelques-uns de mes amis d’université, tous élevés et nourris dans des familles et des communautés évangéliques en bonne santé, ont repris contact en ligne en quête de compréhension. L’une déplorait ne plus pouvoir comprendre ses parents ni comment leur vision du monde avait si soudainement et si tristement changé. Un autre faisait état d’amis socialement proches de lui, qui s'étaient autrefois tenus à ses côtés sur pratiquement toutes les questions, mais soutenaient à présent des idées qu'il trouvait choquantes. Un autre encore racontait que son Église était en train de se désagréger, divisée par les soupçons et l’incompréhension.

« C'étaient mes amis », disait l’un d’eux, « mais maintenant je ne sais plus qui ils sont, ou peut-être que je ne sais plus qui je suis ».

Où que nous soyons dans le monde, que faire lorsque nous avons l’impression que des êtres chers s’égarent dans une réalité trompeuse ? Que faire avec l’inconfortable vérité qu'ils ont à notre égard exactement le même sentiment ?

Le dilemme n'est pas propre aux évangéliques. Mais des compagnons de foi qui se serraient autrefois les coudes constatent maintenant que certains mouvements tectoniques les ont si fortement éloignés les uns des autres que leurs continents se séparent sans qu’il n’existe de pont pour les ramener sur un terrain commun. Comment nos points de vue sur la réalité peuvent-ils diverger si radicalement, et y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour nous retrouver ?

La courbe de plausibilité et la courbe de l’information

Parmi les sujets que j’ai eu constamment en tête dans ma carrière universitaire, il y avait la question de savoir comment les gens forgent leurs croyances. Non pas comment ils devraient forger leurs croyances dans quelque vision idéalisée d’une parfaite rationalité, mais comment réellement ils forgent leurs croyances en tant que créatures incarnées et intégrées dans des communautés et des cultures. Je voudrais vous parler d’un un outil conceptuel très simple, extrait en partie du travail de Peter Berger, qui peut nous aider à comprendre ce qui se passe.

Imaginez un plan horizontal qui présente en son centre une incurvation semblable à un bol capable. Cette forme arrondie, d'un bout à l'autre, représente l'éventail des affirmations qu'un individu considère comme crédibles. Appelons cela une courbe de plausibilité. Les affirmations situées au centre de l’incurvation, au niveau le plus bas, sont perçues comme les plus plausibles. Elles n’ont besoin que de peu de preuves ou d'arguments pour qu'un individu y croie. Les affirmations situées vers les extrémités paraissent de plus en plus invraisemblables, à mesure qu'elles s'écartent du centre, et nécessitent de plus en plus d’efforts de persuasion pour être crues. Les affirmations qui se situent en dehors de la courbe de plausibilité sont au-delà de l’horizon de ce qu'une personne pourrait croire à un moment donné, et aucune preuve ou raisonnement logique n’y suffiraient.

Ce qui détermine la plausibilité d'une affirmation est son degré de conformité à ce qu'un individu expérimente, à ce en quoi il croit déjà et à ce qu’il veut croire. L'éventail complet des croyances d'une personne ressemble un peu à une photomosaïque : des milliers d'expériences et de perceptions de la réalité s’agrègent, et il en émerge des modèles et des impressions plus larges, des croyances plus profondes sur la nature de la réalité, les grands récits de l'Histoire, ce qui est vrai ou faux, bien ou mal, et ainsi de suite. Les tentatives pour changer une seule de ces croyances peuvent paraître vaines puisque celle-ci est imbriquée dans d'innombrables autres. Par où commencer pour démêler un millier de désaccords entremêlés ? Une preuve contradictoire est presque sans pertinence lorsqu'une affirmation s’intègre à tout un réseau de croyances déjà solidement établies. C’est ce qui donne à la courbe de plausibilité sa solidité et sa résistance au changement.

Le désir joue un rôle particulièrement complexe dans la courbe de plausibilité. Nous pouvons désirer ne pas croire à une assertion parce qu'elle nous éloignerait de ceux que nous aimons, nous confronterait à des vérités douloureuses, exigerait un changement de comportement, imposerait un coût social, etc. Nous pouvons au contraire désirer croire à une certaine affirmation parce qu'elle serait à la mode, confirmerait nos préjugés, nous distinguerait de notre entourage, irriterait nos parents, ou pour un tas d’autres raisons. Nous exigerons plus d’arguments pour accepter les affirmations que nous refusons de croire, et moins pour celles qui nous attirent.

Comme la fenêtre d'Overton en théorie politique, une courbe de plausibilité peut s'étendre, se contracter et se déplacer. Des amis ou des membres d’une même famille peuvent découvrir que leurs courbes de plausibilité autrefois identiques divergent au fil du temps. Les allégations qu'une personne trouve immédiatement vraisemblables sont presque inconcevables pour une autre. Mais comment cela se produit-il ? C'est là qu'entre en jeu la courbe de l’information.

Imaginez au-dessus du schéma de la courbe de plausibilité un schéma identique mais inversé. C'est la courbe de l’information. Elle reflète les sources externes d'information sur le monde propres à un individu, telles que les personnes qu’elles fréquente, les autorités et les médias. Les sources au centre de la courbe de l’information sont jugées les plus fiables ; les affirmations provenant de ces sources sont acceptées presque sans questionnement. Les sources d'informations aux extrémités du bol sont considérées comme moins fiables de sorte que leurs affirmations seront examinées minutieusement. Les sources en dehors de la courbe sont, du moins pour cette personne, si peu crédibles que leurs affirmations sont rejetées d'emblée.

Le centre de la courbe de l’information s’aligne généralement sur le centre de la courbe de plausibilité. Les deux sont en étroite relation mutuelle. Les sources sont considérées comme plus dignes de confiance lorsqu'elles fournissent des affirmations que nous trouvons plausibles, et les affirmations sont jugées plus plausibles lorsqu'elles viennent de sources auxquelles nous accordons notre confiance. Une source d'information diffusant systématiquement des idées situées au centre de la courbe de plausibilité risque de finir par être crue sans réserve.

Le changement peut commencer au niveau de la courbe de plausibilité. Une personne rejoignant une communauté religieuse pourrait la trouver plus aimante et raisonnable qu'elle ne l'avait imaginée. Ainsi, elle n’accordera plus de crédit à une source prétendant que toutes les communautés religieuses sont irrationnelles et pleines de préjugés, ce qui déplacera graduellement sa courbe de l’information vers des sources plus fiables. Une autre personne subissant la perte d'un enfant ne veut plus croire que la mort signifie la fin de toute conscience. Elle s’ouvre alors à d'autres possibilités, élargit ses sources d'information et lentement ses croyances changent.

Le changement peut aussi se produire au niveau de la courbe de l’information. Imaginons qu’une personne élevée dans un contexte ayant des figures d’autorité bien établies, comme des parents ou des pasteurs, commence des études à l'université et est introduite à de nouvelles communautés et autorités. Si elle les considère comme des sources d’information sûres, la nouvelle courbe de l’information qui se forme déplacera probablement sa courbe de plausibilité. Si ses croyances évoluent continuellement, elle peut en arriver même au point où les sources autrefois à l’origine de la plupart de ses croyances perdent sa confiance. Prenons encore une personne qui se serait abreuvée toute sa vie durant de médias d'extrême gauche. Elle commence à écouter des médias conservateurs et trouve que leurs discours concordent avec son expérience, légèrement au début, puis de plus en plus. Progressivement, elle consomme de plus en plus de médias conservateurs, étendant ou déplaçant sa courbe de l’information, ce qui à son tour étend ou déplace sa courbe de plausibilité. Cette personne pourrait atteindre un stade où ses conceptions plus larges du monde – les forces souterraines à l'œuvre dans l'Histoire, les manières d’optimiser l’organisation des sociétés et des économies, les forces du bien et du mal à l’œuvre dans le monde — seraient complètement transformées.

Prenons les exemples du Mouvement pour la vérité sur les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center de New-York (« 9/11 Truth Movement ») ou du mouvement QAnon. La majorité des gens situent l’hypothèse que l'administration Bush aurait orchestré une attaque terroriste de grande ampleur afin d'envahir le Moyen-Orient et d'enrichir leurs amis de l'industrie pétrolière, ou celle que les élites libérales mondiales organiseraient une opération internationale de trafic d'enfants pour entretenir la pédophilie et le cannibalisme, bien au-delà des limites de leur courbe de plausibilité. Pour certains, cependant, l'une ou l'autre hypothèse conspirationniste est en accord avec leur courbe de plausibilité, ou leur courbe d'information peut se déplacer au fil du temps en entrainant avec elle la courbe de plausibilité. Des affirmations qui semblaient autrefois inenvisageables apparaissent concevables, puis plausibles, puis raisonnables et finalement évidentes. Bien sûr, les gens de droite sacrifieraient des milliers de vies innocentes pour justifier une guerre pour le pétrole, car les gens de droite sont avides et c'est ce que font les gens de droite. Bien sûr, les gens de gauche sacrifieraient des milliers d'enfants pour améliorer leur santé et leur pouvoir, car les gens de gauche sont pervers et c'est ce que font les gens de gauche.

Pour conclure ces définitions, appelons l'ensemble de la structure, la courbe de plausibilité et la courbe d'information, un monde informationnel. Un monde informationnel englobe la façon dont un individu ou une communauté d'individus reçoit et traite l'information. Des mondes informationnels divergents auront des faits et des sources divergents. Notre défi aujourd'hui est que nous vivons dans de multiples mondes informationnels qui ont entre eux peu de points communs et beaucoup d'hostilité.

Qu'est-ce que tout cela a à voir avec le mouvement évangélique ? Beaucoup de choses.

Les crises évangéliques

Le mouvement évangélique américain n'a jamais été constitué d'une seule et unique communauté. Selon les critères pris en compte, les estimations situent généralement le nombre d'évangéliques américains entre 80 et 100 millions. Même en prenant la médiane de 90 millions, ce chiffre place la population évangélique américaine au-dessus de celle de toutes les nations européennes à l'exception de la Russie. Cette population nombreuse est également diversifiée, traversant toutes les régions, toutes les ethnies et toutes les échelles socio-économiques. Ce qui a fait tenir ensemble le mouvement dans son histoire n'était pas seulement un engagement moral et théologique commun, mais une vision du monde largement partagée et des sources d'information communes. Au sein du mouvement, les courbes de plausibilité et les courbes d'information coïncidaient largement. Certains points les différenciaient, mais le terrain central qu’ils avaient en commun servait de base à la compréhension et à la fraternité mutuelles.

Ce sentiment de communauté s'est de plus en plus effrité à mesure que des groupes auparavant non identifiés comme évangéliques se sont ajoutés à l’ensemble, conduisant à une redéfinition de la catégorie « évangélique » en des termes moins théologiques que sociaux, culturels et politiques. Ce mouvement évangélique élargi se divise actuellement en communautés distinctes qui ont encore en commun certains engagements moraux et théologiques mais diffèrent considérablement sur leurs sources d'information et leur vision globale du monde. Leurs mondes informationnels se superposent faiblement. Elles ne peuvent discuter que d’un éventail restreint de sujets si elles veulent s’épargner de pénibles et exaspérants désaccords.

Une partie de l'évangélisme américain croit que nos libertés religieuses n'ont jamais été aussi fermement établies ; une autre, qu'elles n'ont jamais été plus fragiles. Une partie pense que le racisme est toujours un problème systémique dans la société américaine ; une autre, que la notion de « racisme systémique » n’est qu’un programme progressiste pour redistribuer la richesse et le pouvoir en faveur de protestataires radicaux. L'un est plus préoccupé par l'insurrection qui s’est produite au Capitole à Washington ; l’autre, par les émeutes qui ont suivi le meurtre de George Floyd. L'un pense que la présidence de Trump a eu un effet préjudiciable sur le témoignage chrétien pour toute une génération ; l’autre, qu'elle a été extrêmement bénéfique. L’un croit que l'ancien président a tenté un coup d'État ; l’autre, que les démocrates ont volé les élections. L’un croit que les masques et les vaccins contre le Covid sont des marques de l'amour chrétien ; l’autre pense que leur rejet est une marque de courage chrétien.

Il existe d'innombrables entre-deux, bien sûr, mais ces exemples illustrent la tension : nous sommes dans la même réalité mais dans des mondes radicalement différents. Il y a là une grande question : ces mondes peuvent-ils (ou devraient-ils) chercher à se rapprocher. C'est un moment critique pour notre mouvement.

Que peut-on faire alors ? Le modèle lui-même suggère par où commencer. Si nous déplaçons les courbes de l’information vers un centre commun, la courbe de plausibilité suivra. L'information a trois sources : les médias, les autorités et la communauté. Une des raisons de notre désunion est que ces trois sources sont en crise dans l'évangélisme américain. Je survole brièvement ces points.

Premièrement, la crise des médias est aiguë. Même si les médias d'aujourd'hui sont devenus plus puissants et omniprésents, ils sont également plus fragmentés et polarisés. La dynamique des médias modernes valorise des contenus immédiats, émotionnels et hyperboliques, livrant ces médias aux vendeurs de mépris et aux marchands de haine. Les évangéliques se retrouvent tiraillés entre les médias sociaux et des médias traditionnels qui défendent ouvertement les causes progressistes et occultent des voix conservatrices et des réseaux d'extrême droite qui font le commerce de la paranoïa et de la désinformation. En bref, le paysage médiatique numérique a évolué pour tirer avantage de nos vices plus que de nos vertus, et il est devenu incroyablement efficace pour compartimenter hermétiquement le public en catégories d’audience et pour diffuser uniquement les informations et les commentaires qui confortent les angoisses et les antipathies de chaque public.

Cela représente un défi extraordinaire pour la formation de disciple. La consommation de médias augmente année après année et elle a grimpé en flèche au milieu de la pandémie. Certains membres de nos assemblées consacrent à peine quelques heures par semaine à étudier la Parole de Dieu (qui devrait toujours être la source d'information et d'autorité la plus importante pour le chrétien), mais 40 heures ou plus à se laisser aller aux animosités du jour. Dès que la courbe de l’information amorce un déplacement vers la gauche ou vers la droite, aussitôt les algorithmes des médias numériques et les manipulations des politiciens et de divers profiteurs accélèrent le mouvement. Bientôt, des communautés chrétiennes qui partageaient autrefois une vision commune du monde découvrent qu'elles ne sont plus d'accord que sur le strict nécessaire à leur foi. Il sera difficile d'aborder d'autres parties de la courbe de l’information tant que nous n'aurons pas apporté un semblant de bon sens à notre consommation de médias. Plus nous vivrons dans des mondes médiatiques séparés, plus nos divisions s’élargiront et s’approfondiront. Plus nous nous adonnons à la gloutonnerie médiatique, négligeant la nourriture solide qui fortifie Christ en nous, moins nous aurons de choses en commun.

La crise des médias touche l'ensemble de la société, mais le mouvement évangélique est également confronté à une crise d'autorité de son propre cru. Une génération de dirigeants évangéliques qui forçaient le respect, du moins au sein de la majeure partie du milieu évangélique américain, est décédée. La génération actuelle de responsables évangéliques institutionnels, bien que nettement plus diversifiée que la précédente, lutte pour s’éloigner de la tendance à l’altérisation idéologique très en vogue de nos jours. De plus, le mouvement a vu d'innombrables personnalités tomber en disgrâce de manière terriblement destructrice. Dans le même temps, nous avons vu le développement de la figure du pasteur-célébrité. Il fut un temps où une « longue obéissance dans la même direction », une humble vie d’étude et de service conféraient à une personne un minimum d'autorité spirituelle et un revenu modeste. Aujourd'hui, un profil aguichant et un talent pour l'autopromotion peuvent rapporter richesse et gloire sur le marché des célébrités chrétiennes.

Il en résulte désillusion et division. Alors que les jeunes générations se dirigent vers la sortie, ceux qui restent dans nos Églises se retranchent davantage dans leur propre camp idéologique. Si nous espérons un jour que des autorités largement respectées puissent former une part importante de notre courbe de l’information commune, ce sera parce que nous serons passé d'une culture de la célébrité à une culture de la sanctification, où le leadership consiste moins à se construire un piédestal qu'à porter la croix du Christ. Ce sera parce que nous nous souviendrons de ces paroles de Jésus : « Quiconque veut être grand parmi vous doit être votre serviteur » (Mt 20.26). Ce sera aussi parce que nous réapprendrons à écouter des hommes et des femmes de sagesse, pasteurs ou voisins, sans les crucifier pour des divergences politiques.

La troisième façon de déplacer la courbe de l’information est de s'attaquer à notre crise de la communauté. La communauté est essentielle à la vie chrétienne. Elle approfondit notre connaissance de la Parole, forge notre identité commune en Christ, façonne le caractère chrétien et éduque nos jeunes. Pourtant, les pressions, les tentations et les attrayantes distractions de la vie contemporaine ont distendu les liens qui nous unissent, remplaçant la chaleur et la profondeur de la communauté incarnée par une froide copie numérique. La pandémie n'a fait qu'aggraver notre isolement, poussant de nombreuses personnes à regarder à l’extérieur de leur Église vers des mouvances politiques ou des communautés conspirationnistes, en quête de sens et de sentiment d'appartenance. Par ailleurs, l'hyper-politisation du mouvement évangélique américain conduit à un tri politique. Les fidèles qui n'aiment pas les positions de leurs pasteurs partent vers d'autres Églises de même sensibilité politique qu’eux. Mais les assemblées où les mondes informationnels sont quasi uniformes verseront dans la rigidité d’esprit et dans le radicalisme, suivant ce que Cass Sunstein appelle la loi de polarisation du groupe.

Plutôt que de se retirer dans des communautés d’aversion, l'Église devrait offrir une communauté d'amour rayonnant, un sanctuaire contre la fragmentation et la polarisation, contre la solitude et l'isolement actuels. L'Église devrait démontrer ce que signifie prendre soin les uns des autres malgré nos différences sur les questions sociales et politiques, et réaffirmer l'enracinement infiniment plus profond de notre identité en Christ.

Michael O. Emerson, sociologue et spécialiste des religions aux États-Unis, de l'Université de l'Illinois à Chicago, a récemment déclaré qu'il avait étudié les communautés religieuses pendant 30 ans mais qu'il n'avait « jamais vu » un tel niveau de conflit. « Qu’y a-t-il de différent aujourd’hui ?“ s’est-il demandé. « Le conflit porte sur toute notre vision du monde – la politique, la race, la manière d’être au monde, et même sur le sens de la religion et la foi ». Ce que j'ai proposé ci-dessus est un modèle pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, et une simple suggestion quant à la manière d’entamer le projet qui attend notre génération.

Nous ne sommes pas sans espoir. Les mensonges finissent toujours par sonner creux. La haine ne remplace pas un vrai sens à la vie, la célébrité n’est qu’un piètre substitut à la sagesse, et les clans politiques ne sont qu’un pâle reflet de la communauté chrétienne authentique. Nous sommes un peuple défini par la résurrection du Fils de Dieu. Nous sommes appelés à être rédempteurs et réconciliateurs.

Alors peut-être pourrions-nous commencer à construire des ponts entre nos mondes informationnels. Peut-être pourrions-nous entretenir un écosystème médiatique sain qui offre une vision équilibrée du monde, ouverte à des échanges généreux. Peut-être pourrions-nous restaurer une culture de l’autorité caractérisée par l'humilité plutôt que par la célébrité, par l'intégrité plutôt que par l'influence. Peut-être pourrions-nous inviter ceux qui ont trouvé un semblant de communauté dans leurs tribus politiques à redécouvrir une communauté plus riche et plus solide en Christ. Toutes ces choses seront essentielles pour reconstruire une compréhension commune du monde que Dieu a créé, et de ce que signifie suivre Christ dans ce monde-là.

Timothy Dalrymple est président et rédacteur en chef de Christianity Today. Suivez-le sur Twitter @TimDalrymple.

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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Concours international d’écriture de Christianity Today

Partagez-nous votre expérience, votre vision et vos réflexions théologiques. Nous en ferons la traduction !

Christianity Today July 26, 2021
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Nguyen Dang Hoang / Unsplash / WikiMedia Commons

L'année dernière, nous avons publié plus de 500 traductions d'articles de Christianity Today dans 14 langues. Nous sommes ravis qu'un si grand nombre de nos articles et de nos reportages aient trouvé un écho auprès de lecteurs du monde entier. À présent, nous souhaitons également faire profiter nos lecteurs anglophones de votre expérience, de votre vision et de vos réflexions théologiques.

Cette année, nous organisons donc un concours de rédaction en français, en espagnol, en indonésien et en portugais. Les participants rédigeront leur texte dans leur propre langue et il sera soumis à l'appréciation de trois à cinq théologiens et responsables chrétiens issus de régions parlant cette langue. Le texte gagnant de chaque langue sera ensuite traduit en anglais et publié sur le site web de Christianity Today dans les deux langues.

Vous souhaitez participer ? Nous nous en réjouissons !

Votre contribution au concours devra être appuyée sur des faits, bien réfléchie et, comme le suggère le titre de notre magazine, pertinente pour le christianisme contemporain. Nous sommes intéressés par des écrits rédigés avec soin et bien étayés, qui offrent de nouvelles perspectives et relient le message éternel de l'Évangile aux tendances contemporaines, à la culture, aux événements ou à l'actualité. Il ne s'agit pas de dire aux chrétiens ce qu'ils devraient faire, mais de les inviter à réfléchir plus en profondeur à leur foi en lien avec un événement ou une question particulière.

Nous sommes intéressés par la lecture de réflexions originales et inattendues qui communiquent la perspective de l'Évangile sur une question spécifique, interpellent les lecteurs et stimulent leur curiosité. Les éventuels articles rédigés à la première personne devraient appliquer votre expérience personnelle à une notion plus large de la foi et de la vérité biblique. Nous sommes particulièrement attirés par les témoignages de chrétiens qui vivent leur foi de manière particulière, ont un impact positif sur le monde et communiquent la vérité d'une manière profonde, nuancée et audacieuse.

Voici ci-dessous les trois thèmes sur lesquels nous vous proposons d'écrire :

Incarnation

Décrivez-nous comment la notion d’incarnation vous a parlé en 2021. Par exemple :

En quoi les événements récents vous ont-ils amené à penser différemment l'incarnation du Christ ?

Comment une étude plus approfondie de l'incarnation a-t-elle façonné vos relations ?

Quelle perspective singulière sur l’incarnation votre culture ou votre tradition peut-elle offrir à l'Église mondiale ?

En quoi l'incarnation du Christ est-elle importante pour l'évangélisation, en particulier dans votre contexte culturel actuel ?

Comment une expérience spécifique, une relation ou un événement que vous avez vécu pourrait servir de tremplin à une réflexion plus approfondie sur l'incarnation ?

Restauration et réconciliation

Racontez-nous une chose surprenante que Dieu est en train de « faire nouvelle » en 2021 et comment il l'accomplit. Par exemple :

Compte tenu de la forte polarisation politique et de la résurgence de discours de haine dans de nombreux contextes à travers le monde, comment pensez-vous que les chrétiens pourraient contribuer à développer un ministère de réconciliation qui unisse les gens au nom de Jésus plutôt que de les diviser ?

Qu’est-ce que vous voyez en train de changer, être restauré, grandir, et que le reste du monde devrait connaître ?

Y a-t-il dans votre contexte quelque chose que l'Église locale a brisé ? Comment l'Église locale s'efforce-t-elle de réparer le mal qu'elle a causé ?

Y a-t-il un passage spécifique de l'Écriture qui pourrait parler de restauration d'une manière qui soit particulièrement pertinente dans votre contexte culturel aujourd'hui ?

Connaissez-vous un exemple éloquent de restauration (personnelle, collective, dans le cadre d'un événement, etc.) qui pourrait faire entendre de puissantes vérités à l'ensemble de l'Église ?

Y a-t-il quelque chose que Dieu ne restaure pas et qui met en difficulté votre foi ? Comment luttez-vous face à cette situation ?

Comment le Saint-Esprit accomplit-il l'œuvre de la restauration, et comment avez-vous vu son action apporter la guérison et la plénitude face à la souffrance ?

Espérance

Dites-nous ce que signifie espérer pour les chrétiens en cette période. Par exemple :

Y a-t-il des moments où les chrétiens devraient renoncer à espérer ? Pourquoi ?

Qu'est-ce qui, en particulier, vous donne à espérer au milieu des ténèbres ? À quoi ressemble réellement l'espérance pour un chrétien en période de difficultés ?

En quoi la véritable espérance chrétienne diffère-t-elle d’un espoir plus sentimental ou émotionnel ?

Comment les chrétiens peuvent-ils se montrer crédibles lorsqu'ils appellent leurs voisins non-chrétiens à l'espérance ?

Comment compreniez-vous la notion d'espérance avant la pandémie ? Comment les événements récents ont-ils changé ce que vous pensiez savoir ?

A quoi ressemble une Église qui espère collectivement ?

Comment trouvez-vous l’espoir/l'espérance lorsque vous êtes confrontés à la question du changement climatique ?

Dans votre contexte, quelle histoire vécue ou exemple pourrait illustrer une espérance chrétienne solide ?

Informations pour la participation

Votre participation est à communiquer par courriel à l'adresse LLehmann@christianitytoday.com d'ici au 25 septembre 2021.

Définissez l'objet du courriel comme suit : Concours d'écriture Christianity Today — [Prénom et nom]

Préparez chaque texte séparément au format dactylographié, avec interligne simple.

Nommez votre document de la manière suivante : Nom Prénom – Titre

Envoyez votre texte sous forme de lien ou de pièce jointe.

Indiquez votre nom complet et quelques mots à propos de vous dans le courriel (50 mots maximum).

Indiquez le nombre total de mots de votre texte.

Détails

Toutes les contributions doivent compter entre 1200 et 1500 mots.

Vous pouvez soumettre plus d'un texte. Nous pourrions publier plus d’une soumission par personne, mais un seul texte par personne fera partie des gagnants.

Nous ne pourrons pas accepter les soumissions tardives pour le concours, mais nous les prendrons tout de même en considération pour une éventuelle publication.

Tout le contenu doit être original.

Vérifiez l'orthographe et la grammaire. Indiquez les liens vers toute source extérieure.

Votre essai sera édité par les rédacteurs de Christianity Today avant d'être publié et les titres pourront être modifiés.

Prix

Nous aurons un gagnant pour le français.

Le gagnant du concours de cette année remportera 250$ et un abonnement de trois ans à Christianity Today, en plus de la publication de son article sur notre site..

Même si votre texte ne remporte pas la première place, il pourrait être publié ultérieurement. En soumettant votre texte, vous acceptez que les rédacteurs de Christianity Today envisagent sa publication future.

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La méditation biblique promet bien mieux que la méditation zen

Les chrétiens n’ont pas besoin de recourir au mysticisme ou de faire le vide en eux pour parvenir à l’illumination procurée par la répétition.

Christianity Today July 14, 2021
Jurica Koletic / Unsplash / Edits by Rick Szuecs

Quelle image vous vient spontanément à l’esprit quand vous pensez à la méditation ? Comme beaucoup, vous imaginez peut-être une personne assise en position du lotus, les yeux fermés, les mains tendues, murmurant un flux continu de mantras « Om ».

Cette caricature fait que de nombreux chrétiens ne sont pas à l'aise avec la notion de méditation, voire la rejettent complètement. La méditation serait réservée aux mystiques et aux yogis, et non aux enfants de Dieu.

Mais en réalité la méditation est une discipline chrétienne. Plus encore, c’est une discipline qui devrait nous caractériser. Mais avant d'enfiler votre pantalon de sport et d'adopter la position du lotus pour votre temps de silence, faisons la distinction entre la pratique mystique de la méditation et la pratique de la méditation telle qu'elle est préconisée dans la Bible. Quel est l’objet de la méditation chrétienne ? Pourquoi devrions-nous la pratiquer ? Et comment ?

Le Psaume 1 nous dit que celui qui est appelé bienheureux est celui qui se réjouit de la loi du Seigneur et qui la « médite jour et nuit » (v. 2). Lorsque le psalmiste évoque la méditation, l’objet de sa réflexion est la loi de Dieu (la Torah), les promesses de Dieu, les œuvres de Dieu et les voies de Dieu. Le rappel de ces choses se trouve dans les écrits sacrés que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d’Ancien Testament. Les disciples contemporains du seul vrai Dieu considèrent que l’objet de notre méditation comprend l’ensemble des Écritures, de la Genèse à l’Apocalypse.

Ainsi donc, le « quoi » de notre méditation, ce sont les Écritures. Mais le « pourquoi » importe également. Et cela contraste avec la méditation des yogis. La méditation mystique consiste à vider l’esprit dans le but de le faire taire. Ceux qui recherchent les bienfaits de la méditation sont invités à se concentrer sur leur respiration et à apaiser leurs pensées dans le but de soulager le stress, l’anxiété ou d’autres formes de détresse ou de confusion mentale.

En revanche, la méditation chrétienne consiste à nourrir l’esprit en vue de l'action. C’est un mode d’apprentissage par la répétition constante des mêmes idées. Cela implique l’étude, la réflexion et la rumination. Contrairement à la méditation mystique, la méditation chrétienne voit la compréhension comme le fruit d’une réflexion sur tout ce qui est vertueux (Ph 4.8). La méditation chrétienne n’est pas une fin en soi, elle est destinée à produire le fruit d’une vie juste. En Josué 1.8, Dieu dit à Josué : « Que ce livre de la loi ne s'éloigne point de ta bouche ; médite-le jour et nuit, pour agir fidèlement selon tout ce qui y est écrit ».

Mais qu’en est-il du « comment » de la méditation chrétienne ? Les méthodes de méditation mystique font parfois des incursions dans la pratique chrétienne : « Si je lis un verset, que je reste bien tranquille et calme mon esprit, l’Esprit insufflera ses révélations dans ce grand vide. » Bien qu'elle parte d'une bonne intention, cette approche conduit souvent à de monumentales erreurs d'interprétation. Elle tend à faire l'impasse sur toute réflexion concernant le contexte d’un passage pour promettre un bénéfice immédiat sous la forme d'une mise en pratique ou d'un encouragement.

Oui, les Écritures ont un sens clair que l’Esprit illumine, mais elles offrent aussi des niveaux de compréhension de plus en plus profonds lorsque nous en faisons notre objet de méditation constant. En d’autres termes, la rumination engendre l’illumination. L’Esprit Saint répond à l'emploi judicieux de notre esprit en nous donnant perspicacité, sagesse et compréhension.

La méditation chrétienne adhère à la vérité bien connue selon laquelle la répétition est la source de tout apprentissage. Nous méditons sur les paroles de Dieu en les lisant et les relisant.

Puisqu'il nous est donné de vivre à une époque où l'accès aux Écritures est d'une aisance sans précédent, nous avons à notre disposition une multitude de possibilités. Nous pouvons lire d’abord une première traduction, puis une autre. Nous pouvons écouter une version audio des Écritures grâce à une application. Nous pouvons les entendre chantées et apprendre à les chanter nous-mêmes. Nous pouvons les copier ligne après ligne dans un journal, en les priant au fur et à mesure que nous écrivons. Nous pouvons illustrer dans la marge ce que nous lisons. Nous pouvons lire les Écritures à haute voix en communauté ou dans le cadre familial, comme un moyen d'accomplir cette exhortation : « tu en parleras chez toi dans ta maison, et quand tu marcheras sur la route, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras » (Dt 6.7).

Pensez. Étudiez. Réfléchissez. Ruminez. Méditer sur les lois de Dieu, ses promesses, ses œuvres et ses voies nous exerce à penser en conséquence. Et cela nous incite à agir comme nous le devrions La méditation biblique ne promet peut-être pas d'atteindre un état de « zénitude », mais elle promet bien mieux que cela : la paix qui surpasse toute intelligence, fruit d'un esprit fixé sur les choses de Dieu.

Jen Wilkin est auteure et enseignante de la Bible. Elle milite en faveur de l'initiation à la lecture biblique et sa passion est de voir d'autres personnes devenir des disciples du Christ éloquents et engagés. Vous pouvez la retrouver sur JenWilkin.net et sur le podcast Knowing Faith.

Traduit par Valérie Dörrzapf

Révisé par Léo Lehmann

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J’ai été ordonnée pour parler de Jésus. Pas pour débattre des femmes pasteurs.

En tant que prêtresse, je suis fatiguée d’une bataille politique qui détourne notre attention de l’Évangile.

Christianity Today July 9, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source Images: Pearl / Lightstock / Nathan Dumlao / Taylor Hernandez / Alexis Brown / Unsplash / Wikimedia Commons

L'Église Saddleback de Rick Warren a récemment fait les gros titres en ordonnant trois femmes pasteurs. J'ai été reconnaissante de voir ces femmes reconnues et de leur voir confiées à la fois l'autorité publique et la responsabilité institutionnelle que confère cette ordination. Mais quand j'ai lu les nouvelles, j'ai aussi poussé un grand soupir : « Nous y revoilà ». Je savais que le débat sur le rôle des femmes dans l'Église alimenterait les conversations pour toute la semaine, et je pouvais déjà prédire les arguments rebattus que j'entendrais répéter encore et encore.

C’est un secret de polichinelle : vous savez qui déteste parler de l'ordination des femmes ? Les femmes pasteurs. Pas toutes, bien sûr. Certaines femmes ont une onction toute spéciale pour débattre de ce sujet, et honnêtement, je m’en réjouis pour elles.

Mais la réalité est que peu d'entre nous deviennent pasteurs dans le but de parler de l'ordination des femmes. Nous sommes ordonnées parce que notre imagination a été saisie par l’Évangile. Nous sommes ordonnées pour témoigner de la beauté et de la vérité de Jésus. Nous sommes ordonnées pour servir l'Église par le ministère de la Parole et des sacrements. (Et, à retenir, ne vous faites pas ordonner pour une autre « cause » que le ministère de la Parole et des sacrements. Il n’y a rien qui vaille cela.)

Je n'ai pas toujours été en faveur de l'ordination des femmes. Jusqu'à mes 30 ans, j'étais ce que l’on appelle une complémentarienne modérée. Mais j'étais aussi une femme dans le ministère. Les gens dans mon Église pensaient que je finirais par épouser un pasteur (comme moyen non officiel d'accéder au ministère vocationnel pour les femmes laïques). J'ai fait un stage dans une Église de la convention baptiste du Sud au sein du groupe de jeunes, et dans une Église presbytérienne au sein de ministères de charité, travaillant parmi les immigrants, les sans-abri et les plus pauvres. Puis je suis allée au séminaire où j'ai découvert que j'aimais et que j'avais un don pour les études théologiques. Et j'ai finalement travaillé pendant des années comme aumônier sur le campus.

J'ai passé du temps à étudier attentivement le débat sur l'ordination des femmes et, au fil des ans, j'ai changé de position. Mais une fois ce long travail théologique accompli, ma décision de demander l’ordination était plutôt d’ordre organique et pratique. Je n'ai pas été ordonnée parce que je voulais prouver qu’il devait y avoir des pasteurs femmes ou affirmer ce qui me paraissait juste. Je n'ai pas été ordonnée parce que je pense que les femmes (ou les hommes) ont un droit inaliénable à l'ordination. J'ai été ordonnée parce que je servais déjà en tant que laïque et que j'avais une vision suffisamment élevée de l'Église et des sacrements pour ne plus pouvoir envisager mon ministère comme détaché de la vie et de l'autorité de l'église.

Je faisais déjà le travail. J'enseignais et je formais déjà des disciples. Je voulais le faire sous le regard et au nom du corps du Christ.

Maintenant, quand je prêche, quand je pose doucement ma main sur l'épaule d'une femme qui pleure et s’épanche en confession, quand j'écris un article, quand je me promène avec un étudiant qui pose des questions sur la Bible, quand je présente le corps du Christ à des hommes et des femmes fatigués et proclame de ma voix la plus claire et la plus forte que ce sont « les dons de Dieu pour le peuple de Dieu », je ne pense pas à l'ordination des femmes. Je ne pense pas aux verbes grecs ou à la féminité biblique. Je prie en silence pour que l'Esprit nous attire à lui afin de guérir son peuple et de nous apprendre à croire à nouveau.

Bien sûr, l'ordination des femmes est une question importante. Je suis très reconnaissante envers les biblistes et les théologiens qui examinent de près les arguments bibliques (récemment, en anglais, Beth Allison Barr et William Witt ont écrits d'excellents livres sur le sujet). Nous avons besoin de ces discussions. Et je continuerai à y prendre part.

Mais sur internet et dans l'Église cette question est régulièrement montée en épingle, souvent de manière abstraite. Pour nous qui sommes dans le ministère, le travail que nous faisons s’enracine dans le concret : la vie d’hommes et de femmes en chair et en os que nous aimons et servons. Alors que le sujet surgit rarement dans le contact avec les paroissiens qui ont besoin d’aide, nombreux sont ceux, à travers le monde, qui veulent sans cesse revenir sur la question. Je ne connais pas de femme pasteur ou prêtresse qui ne se soit jamais assise un jour à côté d’un passager d’un avion, d’un train ou d’un bus qui, découvrant qu'elle est une femme prédicatrice, ressente soudainement un élan de zèle justicier l’incitant à se lancer dans une interminable leçon sur l’erreur que constituerait l’ordination des femmes.

Mais pendant qu’une moitié de l’Église essaie de nous convaincre de quitter notre fonction, l'autre moitié veut nous encourager à nous faire les pourfendeuses du patriarcat.

Très tôt après mon ordination, lorsque, entre deux réunions, je faisais un saut dans le café branché du coin et que je portais toujours le col blanc distinctif du clergé, je voyais des pouces approbateurs levés et des hochements de tête enthousiastes de la part des clients qui voulaient m’encourager. J'ai apprécié ces réactions. Vraiment. Mais je savais qu'ils me voyaient comme un symbole du féminisme triomphant, pas comme une prédicatrice de l'Évangile. De plus, une femme comme moi veut parfois juste pouvoir prendre un café et lire un livre sans être harponnée au passage comme une « proie » théologique. Je suis un test de Rorschach. Je suis une représentation de quelque chose, que je le veuille ou non. (C'est précisément pour cette raison que je ne porte pas souvent mon col blanc en public.)

Mon existence même est gênante pour certains et encourageante pour d'autres. Et presque tout le monde fait toutes sortes de conjectures sur ce que je crois ou ne crois pas à propos de la Bible, du genre et de Jésus.

S’ajoute une complexité supplémentaire pour celles d'entre nous qui sont prêtes à collaborer et même à apprendre des complémentariens. Nous aimons l'Église et les Écritures et ne voulons pas les « réduire en cendres ». Certains progressistes nous voient comme « fraternisant avec l'ennemi ». Pourtant, nous ne cadrons jamais avec les cercles complémentariens. Nous finissons donc par nous sentir marginalisées dans la conversation, ballotées entre les des deux côtés d'une Église gravement polarisée, où l’Évangile passe souvent au second plan derrière les débats du jour.

Dans ma propre dénomination, mes consœurs membres du clergé ont servi d’exutoires de bien des façons, malgré elles. Elles servent leurs églises. Elles se soumettent chacune à leur évêque. Et elles doivent souvent composer avec les critiques à tout propos, allant de leur voix à leur théologie, d’une manière que les hommes ne connaissent pas. Et pourtant, elles continuent d'être pasteurs. Car c'est ce qu'elles sont : pasteurs, bergers, mères, servantes.

Hier, une jeune femme dans le ministère s'assoit sur mon canapé et me dit : « Je fais ça pour rendre les gens libres ». Parce que, ce qui nous attire dans le ministère, c'est Jésus et sa mission. Nous ne sommes pas motivées par le féminisme de la deuxième vague ou par « les impulsions provoquées par la théologie de la libération », comme l'a affirmé Al Mohler dans sa récente réponse aux nouvelles de Saddleback. Nous voulons servir l'Église avec les dons que Dieu a donnés.

En tant que femme prêtre, je me sens souvent comme un observateur involontaire dans une guerre des cultures que je trouve franchement ennuyeuse. Ce qui m'intéresse dans le ministère, ce n'est pas de convaincre quiconque que je suis digne d'un poste particulier. Ce qui est intéressant dans le ministère, c'est de participer à l'œuvre de Jésus dans l'Église.

En fin de compte, l'œuvre de Christ lui-même est la seule chose qui rende l'ordination des femmes un tant soit peu convaincante. La moisson est abondante, les ouvriers peu nombreux. Oui, nous devons chercher à être fidèles à l'Écriture. Oui, ces discussions sur l'ordination des femmes sont nécessaires. Mais inutile de passer la plupart de notre temps ou de notre énergie à discuter de la manière dont les femmes travaillent sur le terrain. Nos yeux doivent être fixés sur l'Évangile. Nous continuerons à faire le dur travail du ministère parce que nous cherchons à suivre le Seigneur de la moisson lui-même.

Tish Harrison Warren est prêtresse de l'Église anglicane d'Amérique du Nord et auteure de Liturgy of the Ordinary (traduit en français sous le titre de Liturgie de la vie ordinaire) et Prayer in the Night (IVP, 2021).

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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Books

La pensée évangélique sur la Trinité est souvent étonnamment révisionniste

Le théologien Matthew Barrett déplore un éloignement par rapport à une compréhension orthodoxe de Dieu : Père, Fils et Esprit.

Christianity Today June 11, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source image: Envato

En général, les chrétiens évangéliques américains ont une conception conservatrice des Écritures et de la morale. Toutefois, s’agissant de leurs affirmations les plus fondamentales sur Dieu, le théologien Matthew Barrett constate qu'elles sont souvent remarquablement révisionnistes.

Barrett, professeur au Séminaire Théologique Baptiste du Midwest et rédacteur en chef du magazine Credo, est l'auteur de Simply Trinity : The Unmanipulated Father, Son, and Spirit (« La Trinité tout simplement : le Père, le Fils et l’Esprit non-manipulés »). Ce livre, qui fait suite à un ouvrage de 2019 intitulé None Greater : The Undomesticated Attributes of God (« Nul n’est plus grand : les attributs non domestiqués de Dieu »), fait deux choses. Premièrement, il montre comment une bonne partie de la théologie évangélique sur la Trinité s'est éloignée de la tradition chrétienne classique. Ensuite, il recrute une équipe de choc d’enseignants issus de cette tradition pour ramener les lecteurs au bon port de l'orthodoxie biblique. Le ton est accessible, mais la matière est profonde.

Comment le protestantisme évangélique a-t-il fait fausse route dans sa compréhension de la Trinité ? Barrett couvre un large éventail, mais il se concentre sur le développement, dans la théologie récente, de ce qu'il appelle le « trinitarisme social » (social trinitarianism). Les partisans de cette approche, qui constitue davantage une position partagée qu'une école monolithique, ont tendance à concevoir l'unicité de Dieu comme une communauté de personnes. Barrett présente certaines des figures majeures de ce courant, notamment des théologiens libéraux comme Jürgen Moltmann et Leonardo Boff et leurs homologues conservateurs américains tels que Wayne Grudem et Bruce Ware.

La particularité du trinitarisme social est sa volonté de se servir des relations entre les personnes de la Trinité comme modèle pour divers projets sociaux. Pour des libéraux comme Moltmann et Boff, cela peut impliquer d’invoquer le statut égal du Père, du Fils et de l'Esprit pour promouvoir une vision égalitaire de la société. Des conservateurs comme Grudem et Ware mettent parfois avant des supposées hiérarchies au sein de la Trinité – notamment ce qu'ils appellent la « soumission éternelle » du Fils au Père – pour justifier leur vision complémentarienne de l'homme et de la femme. (De nombreux complémentariens ne sont pas d'accord. Liam Goligher, pasteur presbytérien, a tiré la sonnette d'alarme il y a plusieurs années dans un article de blog viral accusant Grudem et Ware de saper l'unité qui existe entre le Père, le Fils et l'Esprit). Simply Trinity propose une analyse approfondie de la manière dont les tendances révisionnistes de la théologie trinitaire se sont installées dans le monde a priori conservateur de l'évangélisme américain.

Comment revenir en arrière ? Dans la deuxième partie de son livre, Barrett renoue avec les enseignements trinitaires classiques, abordant la relation entre l'éternité et l'histoire tout en affirmant l'unicité et la simplicité de Dieu. Les doctrines qu'il aborde – la « génération éternelle » du Fils, la « procession éternelle » de l'Esprit et les « opérations inséparables » du Dieu trinitaire – peuvent sembler plutôt sophistiquées, mais Barrett les explique avec simplicité et clarté.

Au milieu de ces chapitres, Barrett consacre également un chapitre entier à examiner l'affirmation de Grudem, Ware et d’autres selon laquelle le Fils est « éternellement subordonné » au Père. Il montre à juste titre que les rapports d’origine entre le Père, le Fils et l'Esprit affectent profondément notre compréhension du salut.

Le livre n'est pas parfait. Barrett ne va pas toujours assez loin dans l'analyse des causes profondes du révisionnisme actuel ou des mérites des conceptions chrétiennes classiques de la Trinité. Il ne parvient pas non plus à situer le travail de réflexion trinitaire dans le cadre de questions plus larges de formation spirituelle chrétienne, ce qui limite l'intérêt du livre à des problématiques de débat intellectuel et d'interprétation biblique.

Cela ne correspond pas tout à fait à la méthode de la pensée chrétienne classique. Prenez par exemple Grégoire de Nazianze, père de l'Église du quatrième siècle. Dans ses Discours théologiques, il aborde certes des passages de la Bible concernant le Père, le Fils et l'Esprit, mais seulement après avoir réfléchi à la préparation spirituelle nécessaire à une discussion trinitaire.

Dans ses Confessions, Augustin démontre que Dieu, tel qu'il est caractérisé par l'Écriture, n'est pas un personnage comme les autres. Mais les trinitarismes sociaux, de gauche ou de droite, ont tendance à commettre l'erreur d'établir de fausses analogies entre Dieu et d’autres personnes. Si nous ne faisons pas face à cette maladie fondamentale, nous continuerons de voir apparaître de temps en temps les symptômes de l’erreur théologique.

Quoi qu’il en soit, Simply Trinity parvient dans une large mesure à identifier certaines de ces tendances néfastes et à les écarter. Pour quiconque a lu des articles de blog déconcertants sur la Trinité ces dernières années, ce livre vous aidera à retrouver vos repères théologiques. Et pour quiconque cherche à redécouvrir les richesses de l'adoration d'un Dieu unique en trois personnes, Barrett se révélera un guide plus que compétent.

Michael Allen est professeur de théologie systématique John Dyer Trimble au Séminaire théologique réformé d'Orlando, en Floride. Il est co-éditeur du Oxford Handbook of Reformed Theology.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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