Deuxième édition du concours international d’écriture de Christianity Today

Nous repartons à la découverte de la sagesse, des perspectives et des réflexions théologiques d’auteurs écrivant en chinois, espagnol, indonésien, portugais, et français !

Christianity Today August 3, 2022
Image: Illustration by Rick Szuecs / Source Images: Ron Lach / Pexels / Flickr / CCO

À Christianity Today, nous croyons que la Parole de Dieu contient des vérités et des enseignements spécifiquement pertinents pour les défis auxquels nous sommes confrontés à notre époque. Par ailleurs, chaque culture aborde la Bible de son propre point de vue et apporte depuis celui-ci des perspectives uniques. Nous avons beaucoup à apprendre en étudiant les manières dont ceux qui viennent d'horizons différents du nôtre analysent et appliquent les Écritures.

C'est dans cet esprit que nous annonçons notre deuxième concours annuel international d'écriture. Nous proposons aux auteurs écrivant en chinois, espagnol, français, indonésien ou portugais de nous envoyer leurs réflexions dans leur propre langue. Leurs textes seront jugés par trois à cinq responsables chrétiens et théologiens vivants dans des régions où cette langue est parlée. Le texte gagnant de chaque langue sera ensuite traduit en anglais et publié sur le site web de Christianity Today dans les deux langues.

Cette année, nous demandons aux auteurs de choisir un verset, un chapitre ou un récit de la Genèse, du livre de Job, de 1 ou 2 Corinthiens ou de Colossiens et de le mettre en relation avec un problème auquel eux-mêmes ou leur société sont confrontés dans leur contexte spécifique. Nous sommes particulièrement à la recherche de textes combinant un grand respect pour les Écritures et une application originale et rafraîchissante de leur contenu. L'article devrait encourager vos propres concitoyens, tout en gardant à l’esprit qu’il devrait pouvoir être lu n’importe où dans le monde.

Nous sommes intéressés par la lecture de réflexions originales transmettant la perspective de l'Évangile sur une question particulière, dans une tonalité généreuse et pondérée, qui donneront aux lecteurs l'envie d'ouvrir leur Bible et d'en lire davantage. Les éventuels articles rédigés à la première personne devraient appliquer votre expérience personnelle à une notion plus large de la foi et de la vérité biblique.

Si vous n’en êtes pas familiers, nous vous recommandons de lire quelques articles publiés par CT pour vous faire une meilleure idée de la tonalité, du style et du type des articles que nous publions. Nous ne recherchons pas des articles universitaires et CT n'emploie pas les notes de bas de page, mais nous pouvons utiliser les liens hypertextes lorsque cela est pertinent.

Critères d'évaluation

  • Clarté de la présentation des idées.
  • Originalité de la réflexion
  • Structure argumentative
  • Profondeur théologique
  • Recherches apparentes sur le sujet
  • Maîtrise de la nuance
  • Pertinence pour la communauté linguistique concernée

Prix

Nous aurons un gagnant dans chaque langue : chinois, espagnol, français, indonésien et portugais.

Chaque gagnant remportera 250$ et un abonnement numérique de trois ans à Christianity Today, en plus de la publication de son article sur notre site.

Même si votre texte ne remporte pas le concours, il pourrait être publié ultérieurement. En soumettant votre texte, vous acceptez que les rédacteurs de Christianity Today envisagent sa publication future.

Informations pour la participation

Pour le français, votre participation est à communiquer par courriel à l'adresse ChristianityTodayFR@christianitytoday.com d'ici au 30 septembre 2022.

Définissez l'objet du courriel comme suit : Concours d'écriture Christianity Today — [Prénom et nom]

Nommez votre document de la manière suivante : Nom Prénom – Titre du texte

Envoyez votre texte sous forme de lien ou de pièce jointe, au format dactylographié, avec interligne simple. Si vous envoyez plusieurs textes, préparez chaque texte séparément.

Indiquez votre nom complet et quelques mots à propos de vous dans le courriel (50 mots maximum).

Indiquez le nombre total de mots de votre texte.

Détails

Toutes les contributions doivent compter entre 1200 et 1500 mots.

Vous pouvez soumettre plus d'un texte. Nous pourrions publier plus d’une soumission par personne, mais un seul texte par personne sera retenu parmi les finalistes soumis à notre jury.

Nous ne pourrons pas accepter les contributions tardives pour le concours, mais nous les prendrons tout de même en considération pour une éventuelle publication.

Tout le contenu doit être original.

Vérifiez l'orthographe et la grammaire. Indiquez les liens vers toute source extérieure.

Votre essai sera édité par les rédacteurs de Christianity Today avant d'être publié et les titres pourront être modifiés.

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Qui paie le prix des grossesses non désirées ?

Les premiers opposants à l’avortement aux États-Unis soutenaient les mesures d’assistance aux mères. Pourquoi certains se sont-ils éloignés de cette approche ?

Christianity Today July 29, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Paul Taylor / Getty / Enrique Guzman Egas

Les grossesses accidentelles ont un réel coût humain. Elles changent profondément la vie des femmes qui se retrouvent enceintes d’un enfant qu’elles n’avaient pas prévu et qu’elles ne se sentent peut-être pas équipées pour prendre en charge.

Les législations favorables à l’avortement proposent une manière de gérer ces coûts. Ceux qui s’y opposent en voient d’autres. À la suite du renversement de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine dans l’affaire Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, mon fil Twitter a été envahi de partisans des deux camps exprimant soit leur indignation, soit leur jubilation face à ce transfert des coûts.

Les opposants à l’avortement se réjouissent du fait que, en tout cas dans de nombreux États conservateurs, l’enfant à naître n’aura plus à payer le prix d’une grossesse non désirée. Les défenseurs du libre choix de la femme sont scandalisés par le fait que, dans ces mêmes États, les femmes devront désormais supporter ce coût dans une mesure plus importante encore qu’auparavant. Roe vs Wade était pour eux une décision historique en matière de droits des femmes. Son annulation les indigne profondément.

Mais il se pourrait que ni Roe ni Dobbs ne représentent une manière pleinement chrétienne de répartir les coûts humains associés aux grossesses en situation difficile. C’est toute la réflexion de chrétiens soucieux de préserver la vie humaine qui ne se satisfont ni des résultats de Roe ni de ceux, probables, de Dobbs.

L’histoire du mouvement pro-vie apporte un éclairage sur ces défis qui demeurent. Elle offre également quelques repères pour l’avenir.

Roe vs Wade transfère les coûts aux enfants à naître

Roe vs Wade, qui fut largement soutenue par les protestants et juifs libéraux et les Américains non religieux, reposait sur le principe qu’il était injuste et inconstitutionnel pour l’État d’imposer à la femme les coûts d’une grossesse non désirée en la forçant à rester enceinte contre sa volonté.

Cependant, il demeure inévitablement un coût associé à chaque grossesse accidentelle. Qui doit assumer celui-ci ? Dans le cas des grossesses qui se terminent par un avortement, c’est le fœtus qui paie le prix fort. Roe comprenait une longue explication de la raison pour laquelle ce transfert de coût ne constituait pas une violation des droits du fœtus puisque, comme le déclarait la décision de la Cour suprême, le fœtus non viable n’était pas un citoyen doté de droits constitutionnels. La femme enceinte, en revanche, avait des droits constitutionnels, et ces droits comprenaient celui de mettre fin à sa grossesse.

Pour les féministes pro-choix, ce transfert des coûts de la femme au fœtus semblait parfaitement juste. Si les femmes étaient des êtres humains à part entière, pourquoi leurs droits devraient-ils être ignorés en faveur des droits d’un fœtus, dont le caractère personnel (surtout au cours du premier trimestre de la grossesse) était pour le moins discutable ? À leurs yeux, agir ainsi constituait une grave violation des droits les plus fondamentaux des femmes.

Plus les défenseurs des droits reproductifs défendaient le droit des femmes à l’égalité et à l’autonomie corporelle, plus ils tendaient à minimiser la vie du fœtus. Si le fœtus devait supporter la majeure partie du coût de la grossesse non désirée en se voyant refuser une chance de vivre, les discussions sur la réalité de ce coût devenaient profondément inconfortables. Ils étaient très à l’aise pour parler des droits des femmes. Cependant, lorsqu’on les interrogeait directement sur la vie du fœtus, les défenseurs américains du droit à l’avortement dans les années 1970 avaient tendance à dire que le fœtus n’était pas une personne et que, de toute façon, sauver un enfant potentiel d’une naissance dans une situation où il n’était pas désiré était en réalité un acte de miséricorde.

En d’autres termes, ils minimisaient le coût humain que les politiques d’avortement permissives imposaient au fœtus.

La vision initiale du mouvement pro-vie sur l’aide sociale aux femmes

Le mouvement pro-vie fut fondé sur le principe que le fœtus était une personne humaine à part entière. Si tel était le cas, il était profondément immoral et injuste d’obliger le fœtus à payer de sa vie le prix d’une grossesse non désirée.

Pour de nombreux militants pro-vie, les efforts du mouvement en faveur du droit à l’avortement pour nier l’identité humaine et les droits constitutionnels du fœtus étaient analogues aux efforts des esclavagistes pour nier l’identité humaine et les droits constitutionnels des Noirs au 19e siècle. En défendant les droits du fœtus et la valeur de la vie fœtale, le mouvement pro-vie faisait appel à certains des mêmes principes libéraux en matière de droits humains que le mouvement pro-choix. Mais les pro-vie furent aussi confrontés à une tension inconfortable avec un principe qui, dans les années 1970, devenait de plus en plus important pour de nombreux progressistes : l’égalité entre hommes et femmes.

Les pro-vie qui se considéraient comme féministes estimaient que l’égalité entre les sexes n’était pas en jeu dans le débat sur l’avortement. De nombreux pro-vie du début des années 1970 pensaient que le poids des grossesses non désirées pouvait être atténué par un accès élargi aux soins de santé prénataux et maternels, ainsi que par des services de garde d’enfants financés par le gouvernement et de meilleures politiques d’adoption.

Les militants pro-vie de l’époque soutenaient uniformément que les femmes ne devraient jamais être punies pour l’avortement, car ils considéraient les femmes qui mettaient fin à leur grossesse non comme des agresseurs, mais comme des victimes de l’industrie de l’avortement et de la révolution sexuelle.

L’avortement était émotionnellement et physiquement coûteux pour les femmes, pensaient-ils — bien plus coûteux, en fait, qu’une grossesse (même non désirée). Par là, ils contestaient directement les affirmations du mouvement pour les droits reproductifs. Mais à leurs yeux, le militantisme anti-avortement protégeait à la fois les droits des enfants et des femmes. Selon les mots de Jack Willke et de sa femme, Barbara — parmi les militants pro-vie les plus influents de la fin du 20e siècle — c’était une façon « d’aimer les deux ».

L’alliance du mouvement pro-vie avec le conservatisme politique

La vision pro-vie consistant à transférer les coûts des grossesses accidentelles à la société plutôt qu’aux seules femmes individuelles fut par la suite entravée par les alliances politiques que les mouvements pro-vie conclurent avec le Parti républicain.

Bon nombre des premiers militants pro-vie étaient démocrates, mais lorsque le parti démocrate s’engagea de plus en plus à protéger le droit à l’avortement à la fin des années 70 et dans les années 80, ils se tournèrent vers les républicains. Or, le parti républicain, tout en s’ouvrant de plus en plus à l’idée de restreindre l’avortement, s’opposait à l’expansion du filet de sécurité sociale qui aurait aidé les femmes à faibles revenus à s’occuper de leurs enfants.

Certains pro-vie du milieu des années 1970, tels que Sargent et Eunice Shriver, soutenaient que la meilleure façon de réduire le nombre d’avortements au lendemain de l’arrêt Roe vs Wade était d’offrir aux femmes économiquement défavorisées une aide pour mener leur grossesse à terme, afin qu’elles soient moins enclines à recourir aux services d’avortement. Mais le mouvement pro-vie dominant, mené par des organisations telles que le National Right to Life Committee, rejeta cette approche et concentra tous ses efforts sur l’obtention de restrictions légales de l’avortement, même si cela nécessitait une alliance avec un parti qui rejetait le type de soutien aux femmes envisagé par les Shrivers.

Les catholiques politiquement libéraux qui dirigeaient le mouvement pro-vie à ses débuts n’avaient pas prévu que leur mouvement finirait aussi étroitement lié à une vision politique individualiste. Tout leur projet reposait sur le principe de la responsabilité sociale envers les moins fortunés. Mais la politique individualiste du conservatisme américain moderne — à laquelle une majorité d’évangéliques blancs ont adhéré, et qui bénéficie d’un très fort soutien dans le Sud — s’oppose à cette vision sociale généreuse.

Le conservatisme américain moderne a également rejeté la préoccupation du mouvement féministe pour l’égalité des sexes et l’équité sociale. Par conséquent, bien des opposants à l’avortement qui s’apprêtent à mettre en œuvre de nouvelles restrictions sur l’avortement dans les prochaines semaines ou les prochains mois ne sont pas particulièrement perturbés par l’idée que les femmes enceintes devront supporter les coûts des grossesses non désirées.

Certains de ceux qui se présentent comme « abolitionnistes de l’avortement » demandent même que les femmes qui se font avorter illégalement soient directement punies comme des meurtrières — une idée à laquelle le mouvement pro-vie s’oppose depuis un demi-siècle. Dobbs laisse le champ libre à cet état d’esprit politique. Mais malgré toutes les prédictions désastreuses des partisans du droit à l’avortement, cette décision de la Cour suprême ne fait qu’entériner des tendances déjà présentes.

Ce que disent les chiffres

Au cours des quatre dernières décennies — et surtout des dix dernières années — les avortements aux États-Unis sont devenus de plus en plus difficiles d’accès dans les États conservateurs et de plus en plus accessibles (et financés par l’État) dans les États progressistes.

Avant Dobbs, par exemple, une femme gagnant 17 000 dollars par an et enceinte de 11 semaines à Los Angeles ou à New York pouvait obtenir un avortement financé par des fonds publics dans sa propre ville, sans période d’attente obligatoire.

En revanche, si la même femme vivait à San Antonio, elle aurait dû faire 650 km pour se rendre à Shreveport, en Louisiane, attendre 24 heures après une échographie à la clinique, passer par une séance de consultation sur l’avortement, payer 500 $ en espèces pour l’avortement (puisqu’il n’y a pas de subventions médicales de base pour la plupart des avortements au Texas ou en Louisiane), puis faire à nouveau 650 km pour rentrer à San Antonio.

À présent, à la suite de Dobbs, elle devra parcourir près de 500 km supplémentaires pour se rendre à Albuquerque au lieu de Shreveport, puisque les cliniques d’avortement de Louisiane viennent de fermer. Il s’agit bien sûr d’un problème supplémentaire, mais probablement pas d’un changement suffisant pour dissuader la plupart des femmes prêtes à se rendre à Shreveport de parcourir les kilomètres supplémentaires jusqu’à Albuquerque.

Ainsi, l’effet global de cette nouvelle politique sur le taux d’avortement sera probablement très faible. Tant avant qu’après Dobbs, les États conservateurs ont obligé les femmes confrontées à des grossesses difficiles à supporter elles-mêmes le coût des interruptions de grossesse. Dobbs vient juste de rendre la chose encore plus flagrante.

Les militants pro-vie politiquement progressistes du début des années 1970 ne se seraient pas opposés à ce que l’avortement soit rendu plus difficile à pratiquer. Ils auraient même voulu aller beaucoup plus loin en incluant dans la loi une affirmation claire de la grande valeur de la vie du fœtus. Mais si l’on en croit leurs déclarations sur l’élargissement des filets de sécurité sociale, ils auraient probablement été consternés de découvrir que les États qui s’apprêtent maintenant à interdire l’avortement sont aussi, dans plusieurs cas, les États qui offrent le moins de prestations de soins de santé aux femmes enceintes à faible revenu.

Le Texas et le Mississippi — comme l’Alabama et plusieurs autres États conservateurs — ont refusé l’extension fédérale de l’assurance Medicaid qui permettrait de fournir une couverture médicale aux femmes dont les revenus ne s’élèvent pas au-delà de 138 % du seuil de pauvreté fédéral. Ainsi, lorsqu’une Texane ne gagnant que 10 dollars de l’heure donne naissance à un enfant, elle devra probablement assumer elle-même le coût financier et émotionnel de cette décision ; l’État ne l’aidera pas à transférer ce coût ailleurs.

L’idée que les femmes en proie à des grossesses difficiles ne reçoivent aucune aide sociale pour les aider dans le choix de la vie pour leurs enfants aurait été profondément décevante pour de nombreux militants pro-vie d’il y a un demi-siècle.

Comment envisager les choses en tant que chrétien pro-vie ?

Pour ceux qui, comme moi, croient que la vie humaine a une grande valeur dès le moment de la conception, la tentative de Roe vs Wade de transférer le coût des grossesses non désirées sur le fœtus était clairement injuste. Mais le cadre juridique actuel, qui obligera les femmes les plus vulnérables et marginalisées sur le plan économique à assumer à elles seules ces coûts, s’accorde mal avec les centaines d’exhortations bibliques à rechercher la justice pour les plus pauvres.

50 % des femmes qui demandent un avortement aujourd’hui aux États-Unis vivent sous le seuil de pauvreté, et 25 % d’autres ont des revenus à peine supérieurs à ce seuil. 60 % sont déjà mères d’au moins un enfant. Elles luttent souvent pour faire face à des situations instables qui les empêchent d’accueillir un autre enfant dans leur foyer si elles ne sont pas aidées.

Dans le climat politique que nous connaissons aujourd’hui, aucun État n’envisage sérieusement de mettre en place un cadre qui permettrait une véritable justice dans ces cas. Au lieu de cela, nous nous retrouverons d’un côté avec des politiques d’État tentant de conserver le cadre de Roe vs Wade en continuant d’offrir des avortements légaux et en faisant miroiter aux femmes la promesse de transférer le coût de leur grossesse accidentelle sur le fœtus. De l’autre côté, certains États interdiront aux femmes de le faire, mais en même temps ils n’offriront guère d’aide pour supporter les coûts que ces femmes devront supporter en donnant naissance à un enfant.

Quel que soit l’endroit où nous vivons, ceux d’entre nous qui accordent de l’importance aux femmes et aux enfants devront donc aider à supporter ces coûts. Il est plus important que jamais de faire ce que nous pouvons, par le biais de la politique publique et de la charité privée, pour créer une culture de la vie qui renforce aussi les possibilités offertes aux femmes.

Roe v. Wade ne l’a pas fait. Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization ne le fait pas vraiment non plus. Mais à la suite de cette décision, peut-être ceux d’entre nous qui se soucient de la vie humaine pourront ressusciter l’approche des premiers militants pro-vie et promouvoir l’idée que les coûts des grossesses non désirées ne devraient pas être reportés sur les enfants, mais que les femmes enceintes ne devraient pas non plus être forcées de les assumer seules.

Daniel K. Williams est professeur d’histoire à l’université de West Georgia et l’auteur de Defenders of the Unborn : The Pro-Life Movement before Roe v. Wade. Une version plus développée de cet article (en anglais) a été originellement publiée par The Anxious Bench sur Patheos. Reproduit avec autorisation.

Speaking Out est une rubrique d’opinion des invités de Christianity Today et (contrairement à un éditorial) ne représente pas nécessairement le point de vue de la publication.

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La laïcité n’a rien de mauvais en soi

Bien comprise, elle offre le meilleur espoir de préserver la paix et la liberté dans des sociétés pluralistes.

Christianity Today July 12, 2022
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Envato Elements / Jacky Watt / Samuel Schroth / Diogo Fagundes / Unsplash / Cottonbro / Pexels

De nombreux chrétiens ont une mauvaise image de l’idée de laïcité. Peut-elle être débarrassée de sa fréquente association avec un esprit antireligieux ? Michael F. Bird, théologien enseignant au Ridley College de Melbourne, en Australie, tente ce numéro d’équilibriste dans Religious Freedom in a Secular Age : A Christian Case for Liberty, Equality, and Secular Government (« La liberté religieuse à l’époque séculière : plaidoyer chrétien pour la liberté, l’égalité et le gouvernement séculier »). Natasha Moore, du Center for Public Christianity, en Australie également, s’est entretenue avec lui sur la place de la foi dans les sociétés pluralistes.

Pourquoi la liberté religieuse est-elle un idéal contesté ?

En Occident, nous avons longtemps supposé que le christianisme était le cadre par défaut et que les chrétiens étaient en quelque sorte les aumôniers de la chrétienté. À présent, alors que nous entrons dans une ère plus post-chrétienne, voire même dans une période de déchristianisation radicale, de nouvelles lignes de fracture apparaissent. Cela affecte la façon dont nous envisageons les droits concurrents entre les différents groupes. Cela va engendrer de nombreux défis pour la gestion des diversités dans nos démocraties multiculturelles.

Que souhaiteriez-vous que les chrétiens — et les laïques — sachent sur la laïcité ?

J’aimerais que les chrétiens sachent que la laïcité n’est pas une mauvaise chose. En réalité, il s’agit d’une bonne chose. La laïcité est ce qui empêche un pays de devenir une théocratie, où le gouvernement politise la religion et où celle-ci est assimilée à la culture. La laïcité est ce qui vous protège des tentatives du gouvernement de définir, réglementer ou interférer avec votre religion.

Du côté des partisans de la laïcité, j’aimerais qu’ils sachent que ce terme est compris de manières très variées. Il y a différents types de laïcité, par exemple en France, en Thaïlande, au Japon ou en Australie. Et cette idée ne signifie pas la marginalisation délibérée des croyants ou des communautés de foi. La laïcité consiste à créer un espace pour tous, quelle que soit leur croyance ou leur absence de croyance.

En contraste avec cette forme bienveillante de laïcité, vous décrivez la montée d’une variante plus militante. Quelles sont les options pour la contrer ?

Certains représentants des médias et du monde politique considèrent les croyants comme une menace pour leur programme progressiste. Dans leur esprit, la liberté de religion doit être restreinte à chaque fois que cela est possible. Nous devrions rester attentifs au fait que c’est ce que semble vouloir une fraction assez vocale de certaines de nos sociétés.

Pourtant, nous avons toutes les raisons de soutenir les dispositions légales et constitutionnelles qui protègent les communautés religieuses de tous types. Tout le monde a un intérêt direct dans la liberté de religion, et pas seulement une minorité de personnes religieusement actives. La liberté de religion fait partie d’un ensemble de droits interdépendants. Vous ne pouvez pas restreindre la liberté de religion sans restreindre également la liberté d’association et la liberté d’expression. La liberté de religion est souvent l’un des meilleurs critères pour déterminer si une juridiction donnée est vraiment libre et pluraliste.

Certains des affrontements les plus violents en matière de liberté religieuse concernent les droits des minorités sexuelles. Vous êtes cependant optimiste quant aux perspectives d’une résolution viable. Pourquoi ?

Je crois qu’il est possible d’imaginer un compromis dans lequel les personnes LGBT ne sont pas exposées à des préjudices ou à des discriminations, et où des aménagements raisonnables sont prévus pour permettre aux communautés religieuses de vivre leur propre conception de la famille, du mariage et de la sexualité. Il en existe des exemples dans des endroits comme l’État américain de l’Utah où des groupes religieux et LGBT ont essayé de créer une atmosphère de respect mutuel. Aucun des deux camps n’obtient tout ce qu’il veut, mais ils obtiennent ce dont ils ont besoin pour vivre en paix ensemble. C’est ce qu’il faudra, à long terme, pour permettre à nos sociétés pluralistes de perdurer.

Vous proposez un ensemble d’attitudes et de réponses que vous appelez la stratégie thessalonicienne. De quoi s’agit-il ?

L’idée vient de quelque chose que la foule en colère dit à propos de l’apôtre Paul et de son équipe lorsqu’ils arrivent à Thessalonique : « Ces hommes qui ont mis le monde sens dessus dessous sont venus ici aussi » (Ac 17.6). Si nous avons affaire à un gouvernement progressiste qui veut être plus coercitif envers la religion, alors nous devrons mettre le monde sens dessus dessous. Nous devrons trouver des moyens de résistance, mais d’une manière résolument chrétienne. Ce ne sera pas la voie du nationalisme chrétien, ni celle de la religion civile, mais plutôt la recherche de nouvelles façons de vivre en paix avec les autres et d’aimer nos voisins, même si le paramètre par défaut du gouvernement et des médias est l’hostilité.

Quelles sont certaines de ces « nouvelles façons » d’aimer notre prochain dans un climat hostile ?

L’une d’entre elles, je pense, est de s’investir davantage dans le bien-être des communautés religieuses autour de nous. Nous avons besoin d’associations qui rassemblent les gens et stimulent un intérêt commun pour la promotion de la liberté religieuse. La cause de la liberté religieuse pourrait représenter une opportunité œcuménique et interconfessionnelle majeure. Si je ne veux pas que le gouvernement exerce une contrainte sur les églises chrétiennes, la même chose doit s’appliquer aux synagogues, aux temples sikhs et aux mosquées musulmanes. Ce qui concerne un groupe affecte évidemment les autres aussi.

Vous dédiez votre livre à Tim Wilson, un homme politique australien. Pourquoi cela ?

Tim Wilson est un membre du Parlement australien et un ancien commissaire aux droits de l’homme. Il y a plusieurs années, il a organisé une table ronde sur la liberté de religion et les droits des personnes LGBT. L’idée était de parvenir à un arrangement où les personnes LGBT ne seraient pas soumises à des préjudices, à du harcèlement ou à une discrimination injuste, mais où nous permettrions également aux musulmans d’être musulmans, aux juifs d’être juifs et aux chrétiens d’être chrétiens.

Tim est un homme homosexuel marié à un autre homme. Mais il a été une voix de raison, de bon sens et d’équité dans ces discussions. Il nous a montré comment avoir des conversations saines et non contradictoires dans un contexte souvent rempli d’accusations et de suppositions haineuses.

Il fait remarquer que l’Australie n’est pas un pays laïque — c’est une démocratie multiculturelle avec un gouvernement laïque. C’est une bonne façon de dire les choses. Avoir un gouvernement laïque (par opposition à être un pays laïque) peut signifier sacrifier certaines coutumes pour protéger cette laïcité. Ainsi, peut-être ne devrions-nous par exemple pas faire réciter le Notre Père au début des sessions parlementaires, car il y a là plus une marque de privilège religieux que de liberté religieuse.

Vous citez l’auteur Os Guinness selon qui nous entrons dans « une grande époque de l’apologétique ». Quel rapport y a-t-il entre apologétique et liberté religieuse ?

Si nous voulons défendre la liberté religieuse, nous devons défendre le concept de religion lui-même : pourquoi la religion mérite-t-elle d’être protégée ? Que fait-elle pour la société ?

Certains de nos politiciens aiment la religion parce qu’elle représente un groupe démographique qui peut être utilisé à des fins politiques. D’autres la traitent comme quelque chose qu’il faut malheureusement tolérer. Face à ces extrêmes, nous devons apprendre à défendre la religion comme quelque chose qui contribue véritablement à l’épanouissement humain.

Quel genre de futur aimeriez-vous voir dans les décennies à venir en matière de liberté religieuse ?

Au-delà d’un accord sur les droits des LGBT et la liberté de religion, nous avons besoin de développer une laïcité généreuse, c’est-à-dire un contexte où le gouvernement et les communautés religieuses peuvent travailler ensemble dans des domaines tels que l’éducation, l’aumônerie de la police, des hôpitaux et des forces armées — des domaines d’intérêt commun où la coopération fait sens.

Cela dit, il faut éviter une forme de « religionisation » de la politique, où les communautés religieuses sont instrumentalisées à des fins politiques, et où certains exploitent les différences religieuses pour semer la division. Le succès serait pour moi de parvenir à cet équilibre.

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Pourquoi la couleur de peau de Jésus est importante

Non, Jésus n’était pas blanc. Et cela change des choses…

Christianity Today July 11, 2022

À l’issue d’une de mes conférences, une étudiante chrétienne s’est approchée de moi. Elle voulait me demander si les Noirs étaient mal à l’aise avec le fait que Jésus soit blanc. J’ai répondu que Jésus n’était pas blanc. « Le Jésus historique ressemblait probablement plus à la femme noire que je suis qu’à la femme blanche que vous êtes ».

Il n’y avait pour moi rien de surprenant dans la supposition de cette étudiante ni dans l’assurance avec laquelle elle l’affirmait. Dans le contexte chrétien en Amérique du Nord, je rencontre si souvent cette idée que j’en suis venue à croire qu’il s’agit là de l’hypothèse par défaut sur l’apparence de Jésus. Le Jésus blanc est partout. Fresques, statues, crèches, cartes de Noël : très souvent, c’est un Jésus blanc qui y apparaît. En 2013, c’est un Jésus blanc que mettait en scène l’impressionnante minisérie de la chaîne History Channel intitulée The Bible pour plus de 100 millions de téléspectateurs. Dans la plupart des représentations occidentales, Jésus est blanc.

Si le Christ Seigneur transcende les couleurs de peau et les divisions raciales, le Jésus blanc a de réelles conséquences. Selon toute vraisemblance, si vous fermez les yeux et imaginez Jésus, vous imaginerez un homme blanc. Sans le vouloir ni l’avoir vraiment conscientisé, beaucoup d’entre nous sont devenus disciples d’un Jésus blanc. Non seulement ce Jésus blanc est inexact, mais il pourrait également inhiber notre capacité à honorer l’image de Dieu chez les personnes d’autres couleurs.

Jésus de Nazareth avait probablement un teint plus foncé que nous ne l’imaginons, un peu comme la peau mate courante chez les Moyen-Orientaux aujourd’hui. Le bibliste de Princeton James Charlesworth va jusqu’à dire que Jésus était « probablement brun foncé et bronzé ». Les premières représentations d’un Jésus adulte le montraient avec un « type oriental » et un teint brun. Mais au 6e siècle, certains artistes byzantins ont commencé à imaginer Jésus avec une peau blanche, une barbe et des cheveux séparés au milieu. Cette image est devenue la norme.

Pendant la période coloniale, l’Europe occidentale a le plus souvent exporté son image d’un Christ blanc, et le Jésus blanc a façonné la façon dont des chrétiens du monde entier comprenaient le ministère et la mission de Jésus. Certains chrétiens du 19e siècle, désireux de justifier les cruautés de l’esclavage, s’efforcèrent de présenter Jésus comme blanc. En niant sa proximité avec la minorité opprimée à la peau sombre, les propriétaires d’esclaves étaient mieux en mesure de justifier la hiérarchie maître-esclave et d’oublier la vocation de Jésus en vue de la libération des opprimés (Lc 4.18).

En tant que Juif, Jésus faisait pourtant partie d’une minorité ethnique dans l’Empire romain. Les Juifs furent marginalisés par les Romains, les Grecs et d’autres groupes non juifs dans de nombreuses villes antiques. Enfant, Jésus fut la cible d’un infanticide à l’initiative du pouvoir, dut fuir en Égypte comme réfugié, puis vécut sous l’exploitation par les percepteurs d’impôts romains. Tout au long de sa vie, il connut la douleur d’être membre d’un groupe ethnique dont la culture, la religion et les expériences sont marginalisées par les autorités en place.

Le fait que Jésus appartenait à une minorité ethnique nous oblige à réévaluer son identité et ceux avec qui il s’est associé dans l’accomplissement de sa mission. Lorsque les gens qui se trouvaient à la marge se rassemblaient, Jésus était parmi eux, non seulement parce qu’il les servait, mais parce qu’il était l’un d’entre eux. En tant que membre d’un groupe opprimé, Jésus ne faisait pas que se soucier des personnes victimes de la violence du système romain, il en était lui-même victime. Jésus ne se souciait pas simplement des réfugiés, Jésus était un réfugié. Jésus ne se souciait pas simplement des pauvres, il était pauvre. Pour Jésus, son ministère signifiait connaître de l’intérieur la douleur des plus marginalisés de la société.

Pour suivre Jésus dans sa mission aujourd’hui, nous avons besoin de choisir un amour qui se fasse véritablement solidaire. De nombreux chrétiens bien intentionnés traversent les fossés sociaux pour servir leur prochain, mais les Blancs peuvent s’occuper des personnes de couleur sans vraiment les considérer comme des égaux, et des personnes aux revenus élevés peuvent servir les personnes à faible revenu tout en connaissant peu les réalités de leur quotidien. L’identité ethnique et la situation sociale de Jésus nous poussent à aller au-delà du service des personnes marginalisées, pour nous tenir à leurs côtés comme Jésus se tient à leurs côtés.

Cela implique de considérer les perspectives et les coutumes culturelles non occidentales comme valables et précieuses, d’écouter ceux que notre contexte marginalise et de démontrer par nos paroles et nos actions que l’Évangile est à la source d’une libération spirituelle et sociale.

Mais avant tout, ceux qui s’imaginent encore un Christ blanc devraient se demander s’ils sont prêts et disposés à adorer un Jésus à la peau sombre.

Christena Cleveland est professeure agrégée de pratique de la réconciliation à la Divinity School de l’Université Duke.

Traduit par Teodora Haiducu

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Heureux ceux qui incarnent les Béatitudes

Si nous cherchons un sens à ces « bénédictions », nous devons les laisser nous transformer.

Christianity Today July 7, 2022
Illustration by Jared Boggess / Source Images: WikiMedia Commons

Le cahier jauni de mon cours de philosophie de la religion au collège contient cette inscription plaintive : L’école du dimanche n’était jamais aussi compliquée. Les Béatitudes, elles aussi, sont plus complexes qu’elles ne paraissent. Elles sont (comme toute Écriture sainte) inépuisablement riches. Plus vous creusez profondément, plus elles offrent de nouveautés.

The Beatitudes through the Ages

The Beatitudes through the Ages

Eerdmans

352 pages

$27.32

Il paraît difficile de penser qu’une béatitude signifie quoi que ce soit en dehors d’un contexte dans lequel ce sens puisse être mis en pratique, et en dehors de vies dans lesquelles les Béatitudes signifient quelque chose. Les Béatitudes doivent être interprétées dans leurs contextes narratifs au sein des Évangiles de Matthieu et de Luc : elles n’ont de sens que dans le cadre d’un récit plus large sur Dieu et son fils, Jésus.

Comme l’écrit Kavin Rowe, « Nous ne pouvons pas comprendre le sens des idées ou des pratiques en dehors des histoires qui les rendent avant tout intelligibles en tant que choses à penser ou faire ».

Ce que je voudrais suggérer ici, c’est que les Béatitudes peuvent être plus pleinement comprises non pas en lisant à leur sujet, mais en regardant à quoi elles ressemblent dans des vies humaines. Peut-être vaut-il mieux ne pas d’abord se concentrer sur ce que les Béatitudes pourraient signifier, mais plutôt sur le fait qu’elles portent l’espoir de transformer l’individu, qu’elles visent à nous changer.

Je ne m’attendais pas à être changée en écrivant un livre sur les Béatitudes, mais je l’ai été. J’ai souvent réfléchi à la façon dont je ressens et exprime ma colère, à savoir si je suis une personne douce, comment je dépense l’argent, comment je traite les pauvres ou les sans-abri, quand et comment je prie, et si je souffre pour un engagement envers la justice. « Comment peut-on communiquer la flamme des béatitudes, se demande René Coste, si l’on ne brûle pas soi-même ? »

Christin Lore Weber écrit à propos des Béatitudes :

Si nous abordons leur signification par l’analyse, nous ne parviendrons pas à les comprendre. Au lieu de cela, nous devons les recevoir avec amour […] et les garder jusqu’à ce qu’elles portent des fruits dans nos vies. Nous ne pouvons pas les expliquer ; mais nous pouvons raconter des histoires sur la manière dont elles s’incarnent dans les situations et les personnes que nous rencontrons.

En m’inspirant de Weber, je voudrais partager deux histoires, deux mises en scène des Béatitudes, si vous voulez. La première histoire est celle d’une fille nommée Lena.

Helena Jakobsdotter Ekblom (1784–1859) naquit à Östergötland, en Suède, la même province d’où est originaire le côté Eklund de ma famille. Dès son plus jeune âge, elle eut des visions du paradis, où toutes les promesses des Béatitudes étaient réalisées : elle voyait les pauvres se réjouir, rire et posséder la terre, couronnés comme fils et filles de Dieu. Elle commença à prêcher ses visions, attirant l’attention de foules de paysans pauvres, qui reçurent son message avec empressement, et des autorités, qui se montrèrent bien moins enthousiastes.

À travers les paroles des Béatitudes, Lena annonçait la bonne nouvelle à ceux qui, comme elle, vivaient dans la pauvreté. Comme dans l’Évangile de Luc, ce message comportait un corollaire implicite : « Malheur aux riches qui causent la pauvreté, à ceux qui rient au prix des larmes d’autrui, à ceux dont l’opulence est bâtie sur la misère, aux puissants dont la force est fondée sur l’injustice, à ceux qui méprisent, persécutent et oppriment les plus petits de Jésus ».

Ce revers de son message remettait profondément en cause les autorités étatiques et ecclésiastiques. Comme l’écrit Jerry Ryan, « Vu à travers les yeux de Lena, l’ordre existant devient intolérable, littéralement révoltant ». Sa prédication s’avéra si troublante qu’elle fut enfermée pendant 20 ans à Vadstena, dans un château transformé en asile d’aliénés. »

Même là, où elle se retrouvait parmi les plus pauvres des pauvres, les humiliés et les abandonnés, Lena continua à prêcher. Elle prêchait l’amour inébranlable de Dieu pour eux, leur assurant que même « dans leurs cellules, ils jouissent de la liberté des fils de Dieu, qu’ils sont les héritiers de la promesse » (cf. Mt 5.9-10).

Après 20 ans, elle fut libérée, mais ne cessa pas de prêcher la bonne nouvelle des Béatitudes : bonne nouvelle pour les pauvres, mauvaise nouvelle pour les puissants. Elle fut de nouveau arrêtée, mais sur le chemin du retour à Vadstena, elle et son escorte traversèrent une ville dévastée par la peste, et les gardes fuirent de terreur. Lena, cependant, resta là, soignant les malades, réconfortant ceux qui étaient en deuil.

Lorsque la peste se calma, elle était tellement aimée par la population locale que personne n’osa l’arrêter à nouveau. Lorsqu’elle fut âgée et incapable de travailler, elle déménagea dans un refuge pour pauvres de son village natal. Lena a interprété les Béatitudes dans sa prédication et dans sa vie — elle a béni les pauvres et était pauvre elle-même ; elle a consolé et elle a pleuré.

La deuxième histoire est celle d’une femme que j’appellerai Anna. Elle a été tour à tour organisatrice communautaire et prédicatrice, pasteure et compagne des plus démunis. Pendant de nombreuses années, elle a apporté un esprit pacifique, généreux et résilient dans un quartier déchiré par la violence armée et l’injustice raciale. Elle a également été mère de deux filles, dont l’une fut diagnostiquée comme autiste après une période de lutte angoissée pour comprendre pourquoi chaque étape de son développement était semée d’embûches.

Comme ses autres vocations, elle a porté celle-ci avec grâce, douceur et force. La connaissant personnellement, je n’ai pas eu à chercher bien loin pour voir à quoi ressemble un artisan de paix, à quel point la douceur est forte, ce que peut-être la pauvreté d’esprit, ou comment vivre le deuil d’une manière qui introduit la beauté dans les ténèbres.

Lorsque les Béatitudes s’enracinent dans des vies, elles fleurissent de différentes manières. Ces deux femmes ont vécu les deux côtés des Béatitudes : pleurant et réconfortant, faisant la paix et en ayant besoin, offrant miséricorde et la recevant. « Ainsi, nous honorerons les humiliés », écrit Allen Verhey, « et nous serons nous-mêmes humbles. Ainsi, nous consolerons ceux qui pleurent, et nous pleurerons nous-mêmes en reconnaissant douloureusement que nous ne sommes pas encore dans le futur voulu par Dieu. Ainsi, nous servirons avec douceur les doux. Nous aurons soif de la justice, et la poursuivrons. »

Les Béatitudes occupent le même espace que nous : un temps qui n’est pas encore ce futur voulu par Dieu. Pour le pasteur et théologien Sam Wells, la première partie de chaque béatitude est une description de la Croix (pauvre, assoiffé, doux, miséricordieux, persécuté), et la seconde moitié est une description de la Résurrection (réconfort, miséricorde, royaume de Dieu).

Il écrit que nous vivons entre la première et la seconde mi-temps. Nous sommes sur la virgule entre « Heureux vous qui pleurez maintenant » et « , car vous serez dans la joie ». La vie entre la Croix et de la Résurrection n’est pas facile, mais elle est joyeuse. Elle est pleine de douleurs, mais belle. Ainsi en va-t-il aussi des Béatitudes.

Les Béatitudes, comme les paraboles de Jésus, sont d’une simplicité trompeuse. Comme le dit Origène (tel que le rapportent Stephen et Martin Westerholm), « la présence de mystères dans le texte divin n’a rien d’accidentel : […] La lutte pour les comprendre est l’un des moyens divinement orchestrés pour amener les croyants à la maturité. »

L’une des principales fonctions des Béatitudes est peut-être de nous interroger à leur sujet. Plus vous luttez avec les Béatitudes, plus elles vous entraînent dans leurs profondeurs. Plus vous creusez profondément, plus elles ont à vous offrir.

Adapté de The Beatitudes through the Ages, de Rebekah Eklund (Eerdmans, 2021). Utilisé avec l’autorisation de l’éditeur.

Traduit par Carelle Melissa Irakoze

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L’expertise a-t-elle de l’avenir ?

L’orgueil de certains experts conduit à l’impasse, tout comme la suspicion généralisée à l’égard de l’ensemble de leurs collègues.

Christianity Today July 7, 2022
Illustration by Sarah Gordon / Source Images: Belterz / jimeone / Андрей Глущенко / Getty

Les mesures sanitaires généralisées ont pris fin dans la plupart des pays. Les quarantaines obligatoires sont révolues. Mais le scepticisme que les deux dernières années de COVID-19 ont suscité à l’égard de l’expertise ne disparaîtra pas de sitôt.

De nombreux fonctionnaires et experts chargés d’élaborer des orientations en matière de santé publique et des innovations scientifiques se sont comportés de manière admirable. Mais d’autres non. Ils ont émis des conclusions politisées qu’ils ont voulu revêtir du crédit de la science, se sont comportés d’une manière scandaleusement hypocrite et ont trompé le public par de pieux mensonges. Cette duplicité n’a pas seulement nui à la santé physique. Elle a porté préjudice à l’idée même d’expertise.

La mort de l’expertise, comme l’affirme Tom Nichols, contributeur pour The Atlantic et ancien professeur du Naval War College aux États-Unis, dans un livre justement intitulé The Death of Expertise, « n’est pas seulement un rejet des connaissances existantes ». Il y a là « plus qu’un simple scepticisme naturel envers les experts », qu’il définit comme ceux qui possèdent « une combinaison insaisissable, mais reconnaissable, de formation, de talent, d’expérience et de reconnaissance par leurs pairs ».

Tom Nichols craint plutôt « que nous assistions à la mort de l’idée d’expertise elle-même, à l’effondrement, alimenté par Google, Wikipédia et les blogs, de toute division entre professionnels et profanes, enseignants et étudiants, connaisseurs et curieux ».

Il rapporte avoir entendu des témoignages d’experts de toutes sortes — des universitaires aux plombiers en passant par les électriciens — qui se retrouvent régulièrement en train de débattre avec des profanes peu ou mal informés, convaincus d’en savoir autant ou plus que l’expert.

Cela arrive aussi aux pasteurs. « L’un de mes meilleurs amis est pédiatre », me confiait par courriel Derek Kubilus, un pasteur méthodiste de l’Ohio, « et nous nous lamentons souvent ensemble d’être tous deux experts dans des domaines où l’on attend de nous que nous aidions des personnes qui se considèrent déjà elles-mêmes comme expertes ! »

Le problème est que nous avons besoin d’expertise. La vie moderne ne peut pas se faire sans elle. Bien qu’il arrive parfois que le profane ait raison face à l’expert, les avis non informés — ou informés par Google — sont le plus souvent de qualité moindre. Il serait orgueilleux de croire qu’il en est autrement. Mais les échecs de diverses autorités dont nous avons été témoins, y compris au sein de l’Église, nous incitent à douter.

Il n’y a pas d’autre réponse à cette situation que de cultiver la vertu. Experts comme non-experts doivent adopter une attitude d’humilité et de respect.

Pour les non-experts, cela signifie que nous ne devrions pas nous comporter comme les insensés des Proverbes qui « méprisent la sagesse et l’instruction » (Pr 1.7), présupposent que leur propre intuition est toujours correcte (12.15) et se moquent des conseils avisés (23.9).

En pratique, cela exige aussi d’ajuster nos attentes pour laisser de l’espace à la faillibilité des experts. Aucun expert ne dispose de connaissances parfaites ou ne peut toujours communiquer ou appliquer ses connaissances à la perfection. Certains échecs sont inévitables, et il est bon de pouvoir corriger ses erreurs après avoir appris. Agir ainsi démontre la crédibilité, et non le manque de fiabilité. Les connaissances des experts devraient en principe augmenter avec le temps, et les experts doivent donc modifier leurs recommandations en conséquence.

Nous devrions nous réjouir de ces évolutions, car — comme le disent sans ambages les Proverbes — « celui qui déteste être corrigé est stupide » (12.1) et « égare les autres » (10.17).

Pour les experts, quel que soit leur champ de compétence, la tâche est de faire en sorte qu’il soit plus facile de faire confiance à la véritable expertise. Les experts n’ont pas le droit de raconter aux non-experts des mensonges bien intentionnés, ni quelque mensonge que ce soit, ou de contrôler de manière technocratique le comportement de leurs semblables. L’humilité pour un expert consiste à réaliser qu’il n’a ni le droit ni la responsabilité de déterminer quelles informations le public est capable de traiter correctement, quelles vérités complexes peuvent être confiées ou non à des non-experts.

Les experts peuvent aussi faire preuve de prétention. Avec l’expertise vient la tentation orgueilleuse d’aimer « la meilleure place dans les festins et les sièges d’honneur dans les synagogues » (Mt 23.6), un désir que Jésus dit que nous devrions expulser de nous-mêmes, car nous « avons un seul maître, le Christ ». « Celui qui s’élèvera sera abaissé et celui qui s’abaissera sera élevé » (vv. 10-12).

Utilisée à bon escient, l’expertise découle du fait « d’être fait à l’image d’un Dieu connaissant », comme le médite l’écrivain chrétien Samuel D. James. « L’humilité d’entrer dans cette économie du royaume est la clé pour ressusciter une culture de la confiance — et avec elle, une ère d’expertise florissante et bénéfique pour tous ». Dans une époque aussi complexe et confuse que la nôtre, c’est un développement dont nous avons tout particulièrement besoin.

Cet article a été adapté de l’ouvrage à paraître de Bonnie Kristian intitulé Untrustworthy, © 2022. Utilisé avec la permission de Brazos Press.

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À quoi ressemble une économie pro-vie ?

Des chrétiens américains ont combattu l’avortement légal pendant les 50 dernières années. Comment continuer à utiliser leur argent en faveur de la vie ?

Christianity Today June 28, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Westend61 / Getty

Au cours des 49 années de débats sur l’avortement tel que le rendait légal l’arrêt Roe vs Wade de la Cour suprême des États-Unis, certains ont perdu de vue les enjeux économiques et financiers. En la matière, les chrétiens pro-vie ont encore de quoi innover s’ils veulent agir conformément à ce qu’ils professent.

Un argument courant à l’appui d’une éthique favorable à l’avortement est que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Beaucoup, comme la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen affirment que limiter l’accès à l’avortement ne fera qu’aggraver la situation financière des femmes vulnérables. Et si les ressources proposées aux mères enceintes ne se développent pas davantage, c’est un argument compréhensible.

Selon les données des Centers for Disease Control and Prevention 75 % des avortements ont lieu dans des ménages vivant avec moins de deux fois le revenu correspondant au seuil fédéral de pauvreté, et près de la moitié sont en dessous de ce seuil. 60 % des femmes qui choisissent l’avortement ont déjà des enfants, et 55 % sont célibataires. Pour des femmes célibataires qui luttent déjà pour nourrir leurs enfants, les incitations économiques à avoir un autre enfant sont faibles à l’heure actuelle.

Janet Yellen et d’autres considèrent également que l’économie en général souffrira si l’accès à l’avortement est restreint. Les taux d’abandon du marché du travail, déjà très élevés, ne feront qu’augmenter et le fait d’avoir plus de bouches à nourrir dans des foyers déjà défavorisés entraînera davantage de pauvreté.

En restant dans cette logique comptable, on peut même imaginer que le maintien du droit à l’avortement nous permet d’intégrer dans nos plans d’épargne-retraite que les travailleuses enceintes ne prendront pas de congé maternité et maintiendront une productivité constante. Notre calcul de l’imposition peut se faire en partant du principe que moins de foyers feront appel à l’aide du gouvernement après une grossesse non planifiée. D’une certaine manière, il se pourrait que nous soyons tous, inconsciemment, complices et bénéficiaires de l’économie de l’avortement.

Cependant, cela ne signifie nullement que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Deux autres points importants méritent d’être relevés.

Tout d’abord, comme le relève le comité éditorial du Wall Street Journal, le lien entre droit à l’avortement et prospérité économique est ténu. Plus de naissances et plus de personnes ouvrent plus de possibilités d’innovation, de créativité et de résolution de problèmes concernant les enjeux les plus criants de notre société, notamment la pauvreté. Le déclin des populations est lourd de problèmes économiques, car les jeunes générations ne peuvent pas remplacer les travailleurs qui partent à la retraite ni leur fournir des soins adéquats.

Deuxièmement, un accès réduit à l’avortement ne signifie pas nécessairement qu’il y aura moins d’avortements. En 2014, le taux d’avortement aux États-Unis était plus faible qu’au moment de l’arrêt Roe vs Wade en 1973. Cependant, bien que les taux d’avortement aient largement diminué au cours des 40 dernières années, certaines données préliminaires pour 2019 laissent penser qu’ils pourraient augmenter.

Alors que le président Trump nommait les juges qui ont à présent invalidé Roe vs Wade, l’avant-dernière année de sa présidence a vu le nombre d’avortements augmenter de 2 %. Le nombre d’avortements rapportés a augmenté de 0,9 %, et le taux d’avortement par grossesse a augmenté de 3 %, tout cela en l’espace d’un an.

Les implications macroéconomiques de l’arrêt Roe vs Wade sont tout sauf simples, les deux camps politiques ayant tendance à vouloir nous rendre invisibles certaines personnes qui les gênent, comme le rappelait Russell Moore dans un récent article.

Un camp porte à juste titre son attention sur le poids inestimable des femmes dans ce pays, elles qui représentent 57 % de la main-d’œuvre et des diplômés universitaires récents. Mais ceux qui se concentrent uniquement sur le sort des femmes négligent souvent les enfants à naître dans leurs scénarios, eux qui sont pleins de potentiel, non seulement pour l’économie, mais aussi en tant que personnes destinées à cultiver et à façonner le monde en tant que porteurs de l’image de Dieu.

Et tandis que l’autre camp amadoue et cajole les évangéliques pour qu’ils votent pour des candidats « pro-vie », il rejette souvent les politiques de soins de santé qui réduisent les cas d’avortement.

Néanmoins, le bilan microéconomique de l’Église durant les années Roe v. Wade reste encourageant. D’après les chiffres, les évangéliques ont largement joint le geste à la parole sur cette question.

Certains évangéliques ont décidé de combattre le droit à l’avortement au-delà de l’isoloir, avec leur porte-monnaie. Un groupe évangélique conservateur a estimé que les groupes d’activistes pro-vie ont levé près de 55 milliards de dollars depuis 1973. Pour comparaison, cela représente 15 fois plus que ce que les démocrates et les républicains ensemble ont mobilisé pour l’élection présidentielle de 2020.

En plus de contribuer aux centres d’accompagnement pour femmes enceintes et à diverses campagnes, certains évangéliques ont opté pour des boycotts en lien avec l’avortement, utilisant leur pouvoir d’achat pour cibler les entreprises qui financent les campagnes en faveur de l’avortement et exercer d’autres formes de pression financière sur les organisations favorables à l’avortement dans les États qui l’autorisent.

Cependant, si la société américaine a réellement bénéficié du rejet des barils de thé dans le port de Boston et de l’abandon des lignes de bus à Montgomery, en Alabama, ces boycotts modernes ont des effets plus mitigés. Ils ont rarement un impact économique au-delà des tempêtes sur les réseaux sociaux, et provoquent souvent des contre-boycotts de la part de l’autre camp.

Au lieu de dépenser leur argent pour lutter politiquement contre l’avortement, de nombreux évangéliques ont choisi de l’utiliser en faveur d’œuvres de bienfaisance.

Le rapport sur les dons de 2021 du Evangelical Council for Financial Accountability (ECFA) dépeint un tableau encourageant. De 2010 à 2020, les ministères chargés de l’aide aux orphelins, de l’aide aux femmes enceintes, des services aux familles et aux enfants, de l’adoption et des foyers pour enfants ont reçu près de 10 milliards de dollars de dons. Ceci inclut 955 millions de dollars rien qu’en 2020 pour 251 organismes à but non lucratif.

Alors que nous entrons dans une ère post-Roe vs Wade, comment les chrétiens devraient-ils dépenser leur argent en faveur de la vie ? Je crois que la réponse se trouve à la fois là où elle s’est toujours trouvée, dans les œuvres de bienfaisance, et là où de nouvelles opportunités passionnantes pourraient mener.

Il y a environ 20 fois plus de centres d’accompagnement pour femmes enceintes que de cliniques de planification familiale aux États-Unis, et pourtant, la valeur combinée de leurs actifs est plus de 10 fois inférieure. Continuer à donner aux centres qui cherchent à soutenir les femmes enceintes est une belle façon de vivre une éthique évangélique en faveur de la vie.

Ces centres sont bien plus que simplement « pro-naissance ». Ils fournissent des aliments pour bébés, des couches et d’autres produits essentiels aux futures mères, mettent en relation les futurs pères avec des mentors, offrent des conseils gratuits aux femmes (y compris après un avortement) et s’associent à d’autres organisations locales à but non lucratif pour répondre à tout autre besoin qui pourrait survenir.

Si ces formes de philanthropie doivent se poursuivre, il existe d’autres aspects de notre argent, de notre temps et de notre pouvoir politique qui peuvent être mis à profit dans une économie post-Roe v. Wade.

Savez-vous quelles entreprises composent votre portefeuille de placements ? Savez-vous lesquelles produisent des abortifs, lesquelles n’offrent pas de congés parentaux payés, lesquelles refusent de payer un salaire décent ?

Aux États-Unis, 84 % des investisseurs aimeraient adapter leurs investissements à leurs valeurs, mais les options claires sont limitées. À mesure que la technologie et la demande de pratiques d’investissement éthiques augmentent, il devient de plus en plus possible d’investir en fonction de ses valeurs sans sacrifier le rendement.

Des sociétés d’investissement comme Eventide, Crossmark, et OneAscent offrent des fonds communs de placement et des fonds négociés en bourse (FNB) qui visent à éviter les entreprises qui tirent profit de l’avortement et favorisent celles qui travaillent au bien-être de leurs employés, de leurs clients et de la société. Pour ceux qui en ont les moyens, la prochaine fois que vous parlerez à votre conseiller ou que vous vous connecterez à votre portefeuille de courtage en ligne, demandez-vous si l’investissement basé sur les valeurs pourrait correspondre à votre plan financier.

Aligner nos investissements sur nos valeurs devrait être au premier plan de notre gestion financière, au même titre que des niveaux d’épargne avisés et des dons généreux et intentionnels. Nous ne pouvons pas nous permettre de profiter de produits et de pratiques qui détruisent la vie. Aux États-Unis, les chrétiens sont assez nombreux, ensemble, pour faire évoluer le marché vers l’épanouissement et la vie pour les mères, les bébés et les familles.

Toutefois, comme le fait fréquemment remarquer mon pasteur, il est souvent plus facile de distribuer notre argent que de donner de notre temps. Comment les Églises peuvent-elles incarner dans leur voisinage une philosophie de préservation de la vie du sein maternel au dernier souffle ? Des activistes comme Rachael Denhollander peuvent être particulièrement utiles en proposant d’autres alternatives que les solutions indispensables, mais souvent débattues, que sont l’accueil et l’adoption.

Votre Église met-elle à profit les vocations de ses membres en tant que médecins, avocats, boulangers, enseignants, thérapeutes et soignants pour prendre soin des victimes de viol ou de violence domestique ? Certains de vos membres sont-ils prêts à se former pour accompagner des enfants placés en famille d’accueil ? Votre Église collecte-t-elle des fonds pour couvrir les dépenses juridiques d’une mère qui tente de protéger son bébé d’un père violent ?

Consacrer du temps demande du temps, et est plus compliqué que de dépenser de l’argent. Cela a toutefois l’avantage de nous conduire à des niveaux plus élevés d’engagement relationnel et d’empathie, qui nous permettent d’incarner plus directement l’amour de Dieu.

Enfin, nous devons continuellement réfléchir et reconsidérer nos politiques. Les défenseurs de la vie ont souvent souligné que les États-Unis sont l’un des rares pays à autoriser l’avortement sans raison médicale après 20 semaines, ce qui place le pays en compagnie de la Chine et de la Corée du Nord.

Mais ces mêmes opposants à l’avortement laissent souvent de côté le fait que 32 pays parviennent à offrir un congé de maternité payé par le gouvernement, alors que les États-Unis ne le font pas. Même si une mesure comme la gratuité de la garde d’enfants — qui faciliterait considérablement la vie des nouvelles mères — est actuellement politiquement irréalisable, les chrétiens devraient voter pour des candidats qui se battront pour une réforme financière bipartisane pour soutenir les familles.

Pour reprendre les mots de Ronald Reagan, si vous voulez plus de quelque chose, subventionnez-le. Si vous en voulez moins, taxez-le.

Les chrétiens devraient souhaiter qu’il y ait plus d’enfants dans le monde, car ceux-ci sont à l’image de Dieu (Ge 1.27). Ils sont une bénédiction pour la famille et l’héritage (Ps 127.3-5). Leurs cris et leurs gazouillis font même taire les ennemis de Dieu (Ps 8,2). Par conséquent, dans cette économie moderne, nous devrions subventionner la vie des enfants, des mères et des familles par nos dons, nos investissements, notre engagement personnel et nos votes.

Nous ne pouvons pas continuer à traiter les personnes vulnérables comme un poids pour l’économie.

Et peut-être qu’au terme d’une vie et d’une nouvelle génération d’amour pour ceux que Jésus aime, tant avec nos mots qu’avec nos portefeuilles, nous constaterons que nos affrontements se sont transformés en discussions. Peut-être entendrons-nous ceux que nous avons autrefois vilipendés. Peut-être parlerons-nous avec grâce et vérité.

Peut-être créerons-nous un jour une économie dans laquelle l’avortement sera simplement impensable, qui témoignera paisiblement, mais avec force, de la vérité que personne ne « veut » vraiment de l’avortement.

Will Sorrell (MDiv, MBA) supervise les investissements éthiques chez OneAscent. Lui et sa femme sont membres de l’Église Grace Fellowship à Birmingham, en Alabama.

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La compassion maternelle d’un Dieu en colère

Notre idée d’un Dieu de l’Ancien Testament colérique est une déformation de la réalité.

Christianity Today June 28, 2022
Illustration by Matt Chinworth

Cet article est le troisième d’une série de six textes rédigés par un panel d’éminents chercheurs qui réexaminent la place du « Premier Testament » dans la foi chrétienne contemporaine. — Les éditeurs

« Le Dieu de l’Ancien Testament ». Je n’ai pas toujours éprouvé pour cette expression la relative aversion que j’ai à son égard aujourd’hui. La tradition de l’Église dans laquelle j’ai grandi émane du Second grand réveil aux États-Unis. L’une des marques des grands prédicateurs de réveil résidait dans leur habileté à placer par l’imagination les pécheurs entre les mains d’un Dieu en colère, souvent le « Dieu de l’Ancien Testament », puis de les transférer entre les mains gracieuses et aimantes du « Dieu du Nouveau Testament », révélé en Jésus-Christ. Ce fort contraste était à la base de ma compréhension de Dieu tout au long de ma jeunesse.

Ce n’est qu’à l’université et en poursuivant des études de maîtrise sur l’Ancien Testament que j’en suis venu à voir que ce contraste était une construction fallacieuse à plus d’un égard. Dans son recueil posthume Letters from the Earth, le provocateur théologique Mark Twain met le doigt sur le problème lorsqu’il observe que le Dieu du Nouveau Testament, qui a apparemment inventé l’enfer, doit être « mille milliards de fois plus cruel qu’il ne l’a jamais été dans l’Ancien Testament ». Ou que dire de l’observation de G. K. Chesterton dans The Everlasting Man qui relève qu’il est difficile de faire tenir ensemble l’amour et la compassion de Jésus pour Jérusalem avec ses menaces contre Bethsaïda qui sera jugée plus sévèrement que Sodome ?

Non seulement Jésus est parfois beaucoup plus dur que ne le laissaient comprendre les images de l’école du dimanche, mais j’ai découvert que « le Dieu de l’Ancien Testament » est plus aimant, gracieux, indulgent et compatissant que ce que j’avais entendu des enseignants et des prédicateurs de ma jeunesse.

Le Dieu de la compassion maternelle

Si nous ne lisons pas l’Ancien Testament, nous passons à côté de bien des bonnes choses, et pas seulement de l’alcool, du sexe et de la violence. Nous manquons une matière théologique cruciale, des mots reflétant la personne et le caractère du « Dieu de l’Ancien Testament ». Notre Dieu.

L’une des affirmations théologiques les plus importantes apparaît après l’un des moments les plus difficiles de la relation d’Israël avec Dieu :

Le Seigneur, le Seigneur, Dieu compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté, qui conserve sa fidélité jusqu’à la millième génération, qui pardonne la faute, la transgression et le péché, mais qui ne tient pas le coupable pour innocent, qui fait rendre des comptes aux fils et aux petits-fils pour la faute des pères, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ! (Ex 34.6-7).

Peu de temps avant cette déclaration, le peuple s’était fabriqué un veau d’or pour représenter le dieu qui les précéderait dans la Terre promise. Peu importe que cela viole le deuxième des Dix commandements : le peuple s’impatientait du retour de Moïse, qui passait trop de temps sur la montagne avec Dieu, et voulait continuer son voyage. Et tandis que Moïse parvint à dissuader Dieu d’agir avec colère contre Israël, Aaron ne put dissuader Moïse de sa propre colère qui conduisit les Lévites à abattre 3 000 de leurs compagnons israélites au nom du Seigneur (Ex 32).

Par suite de l’idolâtrie et du dévoiement d’Israël, Dieu menace de ne pas aller avec eux en Terre promise. Même la confiance de Moïse est ébranlée. Cherchant à se rassurer, il demande à voir la gloire de Dieu, malgré le fait que Dieu lui ait déjà parlé dans la tente de la Rencontre comme on parle à un ami intime (Ex 33).

Tout cela conduit à cette proclamation d’Exode 34.6-7, alors que Dieu descend sur la montagne pour passer devant Moïse. Particulièrement importante dans cette déclaration est la vertu citée en premier : Dieu est compatissant. Le mot hébreu derrière notre terme français est plus riche, car, comme le note Beth Tanner dans le commentaire du livre des Psaumes qu’il co-écrit, il peut aussi désigner l’utérus. On pourrait donc légitimement parler de « compassion maternelle ».

En Exode 34, Dieu demande certes à Israël de rendre compte de son péché, mais il le fait sur la base de sa compassion maternelle. Moïse demande à Dieu : « Souviens-toi que cette nation est ton peuple » (Exode 33.13). La réponse positive de Dieu montre bien que c’est avant tout cette compassion maternelle qui est à l’œuvre : bien que Dieu se fâche contre Israël, comme les mères le font avec leurs enfants, il ne les abandonnera jamais, pas plus que les mères n’abandonnent leurs enfants. Le Dieu de l’Ancien Testament est notre Dieu, un Dieu de compassion maternelle qui affronte le péché flagrant et promet un avenir au-delà des échecs. Décrire simplement le Dieu de l’Ancien Testament en termes de colère ne reflète qu’une partie de l’identité de Dieu et fait l’impasse sur le fait que, selon Exode 34, l’essence du caractère de Dieu est d’abord exprimée par la compassion maternelle.

La compassion à travers toutes les générations

Bien des générations après Moïse et l’Égypte — en fait même plusieurs générations après le retour d’Israël d’exil — les prêtres de l’époque de Néhémie réutilisèrent le langage d’Exode 34.6-7 dans une prière née de la préoccupation de savoir si Dieu avait abandonné son peuple (Né 9.17). Malheureusement, le retour d’exil n’avait pas soulagé les difficultés du peuple encore sous domination perse (9.36-37). Pour rendre la situation plus insupportable encore, le peuple entendit la Torah lue par le scribe Esdras et fut apparemment rendu si profondément conscient de son péché que ceux qui étaient là ne pouvaient s’empêcher de pleurer (Né 8).

Alors même que les lévites en prière louaient Dieu pour avoir créé le ciel et la terre, choisi Abraham et délivré Israël d’Égypte, ils rappelèrent également au peuple que, lorsqu’il avait refusé d’obéir à l’ordre de Dieu d’entrer en Terre promise, Dieu lui avait pardonné parce que Dieu est « miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein d’amour » (Né 9.17).

Face aux difficultés postexiliques et au péché du peuple, les lévites fondent leur espoir pour l’avenir en Dieu, qui n’a pas abandonné Israël par le passé, en raison de sa grande compassion maternelle (9.19). Le peuple s’est détourné de la Torah et a tué les prophètes à l’époque des juges, mais Dieu a toujours répondu à leurs cris avec une compassion toute maternelle (9.27), à chaque fois (9.28). Les choses ne se sont pas améliorées avec la monarchie ; les gens ont continué à pécher et à tuer des prophètes. Pourtant, Dieu a refusé d’abandonner le peuple, à cause de cette grande compassion maternelle, car Dieu est simplement grâce et compassion maternelle (9. 31).

Cette vision de Dieu me rappelle une mère que j’ai connue lors de mon premier pastorat, dans l’Ohio. Son fils était devenu accro à la drogue et se retrouvait dans toutes sortes de problèmes. Elle et son mari ont tout essayé : plusieurs centres de désintoxication, faire intervenir la loi, aimer malgré tout. Rien n’a produit de changement. Pourtant, chaque fois que leur fils rentrait à la maison, elle lui pardonnait, sachant qu’il blesserait probablement à nouveau son cœur. Mais c’était son fils. Elle était sa mère. De même, bien que génération après génération les enfants de Dieu pèchent contre Dieu — y compris en tuant les prophètes de Dieu ! — Dieu accueille encore et encore les enfants d’Israël (et nous aussi !) dans sa maison, dans sa compassion maternelle. Qu’est-ce qu’un parent serait censé faire d’autre ?

Tous enfants de Dieu

Le livre de Jonas fonctionne un peu comme une méditation sur l’extension de la compassion de Dieu au-delà des frontières d’Israël, même parmi les ennemis d’Israël. L’impression qu’en laisse généralement l’école du dimanche, cette fois-ci, est plutôt juste. Dieu dit à Jonas d’aller à Ninive, la capitale des oppresseurs assyriens d’Israël, mais Jonas s’enfuit. Dieu intervient et fait jeter Jonas d’un navire dans le ventre d’un gros poisson. Ayant eu le temps de réfléchir à ses choix de vie, Jonas prie et le poisson le vomit sur la terre ferme. Jonas remplit finalement sa charge initiale et proclame le renversement imminent de Ninive. À la grande surprise des lecteurs, Ninive se repent et Dieu pardonne.

Jonas fut peut-être aussi surpris quand Ninive se repentit. Mais il ne fut pas surpris que Dieu pardonne. Ce dont je ne me souvenais pas, c’est à quel point Jonas se met en colère parce qu’il savait, tout comme Moïse et les prêtres du temps de Néhémie le savaient, que Dieu est « un Dieu de grâce et de compassion, lent à la colère et riche en bonté, et qui regrette le mal qu‘il envoie » (Jonas 4.2). Jonas s’est enfui, car, même s’il ne pouvait pas prédire ce que feraient les Assyriens, il savait ce que Dieu ferait : inévitablement, par compassion, Dieu pardonnerait aux Ninivites au premier signe de repentance.

Après tout, les Assyriens sont aussi des enfants de Dieu. Je me souviens, dans cette même Église de l’Ohio, du ton dur avec lequel l’un des anciens se mit un jour à dénigrer « les Japonais », dont le sens aigu de l’industrie menaçait la stabilité industrielle des États-Unis. Pourtant, ce sont aussi des enfants de Dieu. Encore récemment, de nombreux chrétiens ont exprimé leur colère contre des voisins musulmans, se sentant menacés par leur présence, craignant qu’ils ne prennent le contrôle du pays. Pourtant, ces voisins musulmans sont aussi des enfants que Dieu a enfantés. L’Ancien Testament est plein d’ennemis d’Israël, et nous ne sommes pas en manque d’ennemis de notre pays et de notre mode de vie. Le livre de Jonas nous rappelle que la compassion maternelle de Dieu s’étend même à nos ennemis, car nous sommes tous enfants de Dieu.

Les mères ne sont pas seulement les personnes les plus susceptibles de nous pardonner une faute. Elles viennent aussi volontiers à notre défense lorsque nous sommes en difficulté. Ma propre mère est de ce genre. Je me souviens d’un épisode où, alors que mes sœurs et moi étions plus jeunes, la banque nous compliquait la tâche pour déposer de l’argent sur un compte d’épargne de Noël sans aucune identification. Ma mère nous a fait entrer dans le bureau du vice-président de la banque, a expliqué que nous étions ses enfants et qu’elle s’attendait à ce que nous soyons mieux traités. Je ne me souviens pas que nous ayons eu d’autres difficultés par la suite.

Le psalmiste qui prie le Psaume 86 appelle Dieu à exprimer sa compassion maternelle d’une manière similaire, pour des ennuis qui dépassent certainement notre petit incident à la banque. Le psalmiste connaît le pardon de Dieu (Ps 86.5), mais vient aussi à lui pour qu’il préserve sa vie (v. 2), qu’il lui réponde dans sa détresse (v. 7) à cause des ennemis qui l’attaquent, le « peuple impitoyable […] qui essaie de me tuer » (v. 14). Et alors que le psalmiste fixe le visage de ces ennemis impitoyables, il se souvient aussi de cette puissante déclaration qui résonne en Israël et au-delà : « Mais toi, Seigneur, tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère, riche en amour et en fidélité » (v. 15).

Le psalmiste sait que Dieu regarde sa situation avec la même compassion maternelle qui pousse à sauver l’enfant de la maison en feu, en donnant jusqu’à sa vie pour sauver le fruit de ses entrailles. La compassion maternelle peut se transformer en une défense passionnée de la vie de celui à qui vous avez donné naissance, pour repousser l’agresseur et offrir un espace de sécurité dans ce monde de violence. Tel est aussi le Dieu de l’Ancien Testament, notre Dieu, qui dans sa compassion maternelle vient sauver les siens (v. 16).

Aller et aimer de même

Si vous cherchez le terme hébreu derrière cette expression dans une concordance, vous verrez que les diverses formes évoquant cette « compassion maternelle » apparaissent environ 150 fois dans l’Ancien Testament. Et si, au lieu d’oblitérer le grand thème de la compassion maternelle avec cette vision d’une divinité de l’Ancienne alliance colérique et vengeresse qui ne serait pas tout à fait le Dieu révélé en Jésus-Christ, nos Églises prenaient une année pour faire le tour de ces 150 occurrences et que cette compassion maternelle devenait une part de notre pain quotidien dans l’Écriture ?

Avec un peu de chance, nous viendrions adorer et prier avec une plus grande gratitude envers notre Dieu, qui « est le même hier, aujourd’hui et éternellement » (Hé 13.8). Lorsque nous participons au repas du Seigneur, nous verrions que l’expression du pardon de Dieu en Jésus est le résultat de la compassion maternelle de Dieu pour tous ses enfants, qu’il aime depuis la naissance des premiers d’entre eux dans le jardin d’Eden. Dans ce pain et ce vin que Jésus nous offre, nous verrions que la libération du pouvoir du péché et de la mort est le point culminant des nombreux actes de salut que Dieu a accomplis à maintes reprises pour ses enfants face à leurs ennemis.

J’espère aussi par-là que nos Églises deviendront davantage encore les lieux d’accueil de l’humanité brisée que Dieu veut qu’elles soient. Lorsque nous verrons toutes les situations dans l’Ancien Testament où Dieu exprime une compassion maternelle — et où le peuple d’Israël suit son exemple — ne serons-nous pas poussés à délaisser notre propre-justice et le dénigrement de nos ennemis, qui nous viennent si facilement, et à ouvrir nos communautés à tous les enfants de Dieu dans un accueil compatissant ? Ne serons-nous pas poussés à protéger les vies menacées de mort dans nos villes et nos quartiers ?

Peut-être nous rendrons-nous compte que notre première impression nous a induits en erreur, et que le Dieu de l’Ancien Testament est plus complexe, dynamique et, il faut le dire, maternel, que nous ne l’avions perçu. Peut-être pourrions-nous arrêter de parler du « Dieu de l’Ancien Testament » et simplement dire « notre Dieu ».

Robert L. Foster est chargé de cours sur le Nouveau Testament et la religion à l’Université de Géorgie. Il est l’auteur de We Have Heard, O Lord : An Introduction to the Theology of the Psalter (Fortress Academic).

Traduit par Teodora Haiducu

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Au secours ! J’ai arrêté de me préoccuper de Dieu.

Pourquoi les chrétiens glissent dans l’apathie spirituelle, et comment en sortir ?

Christianity Today June 27, 2022
Alex Mccarthy / Unsplash / Edits by Rick Szuecs

L es croyants décrivent souvent la vie chrétienne comme une série de hauts et de bas, avec des périodes de joyeuse suivance de Christ suivies de saisons d’apathie spirituelle. Avec son livre Overcoming Apathy : Gospel Hope for Those Who Struggle to Care (« Vaincre l’apathie : l’espoir de l’Évangile pour ceux qui luttent pour se sentir concernés »), Uche Anizor, professeur à la Talbot School of Theology de l’université de Biola, s’adresse à ceux qui se traînent dans la vallée. Matthew LaPine, pasteur et auteur sur les thèmes de la théologie et de la psychologie humaine, s’est entretenu avec Anizor sur les causes de l’apathie spirituelle et la direction à suivre pour retrouver le chemin d’une recherche passionnée de Dieu.

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Crossway

192 pages

$12.49

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur l’apathie parmi les chrétiens ?

Il y a deux motivations. L’une vient des expériences vécues au début de ma vie chrétienne, notamment lorsque je travaillais avec Campus pour Christ. En gros, mon travail consistait à encadrer des étudiants et à faire régulièrement de l’évangélisation. Cependant, il y avait de nombreux jours où j’appréhendais d’affronter ces tâches spirituelles monumentales. Cela me troublait : j’avais travaillé à réunir des fonds pour faire cela, mais quand venait le moment de le faire, je n’en avais pas vraiment envie. La peur de se lancer pour faire de l’évangélisation était probablement un facteur. Mais dans l’ensemble, je me sentais empreint d’une certaine langueur dans mon attitude. Pendant cette période, j’ai dit et répété aux gens que mon principal défaut en tant que chrétien était d’être une personne apathique. J’ai donc voulu comprendre pourquoi c’était le cas.

Mon autre motivation vient du fait que j’ai été le mentor de beaucoup d’étudiants pendant mes années à Biola. Ils se débattent avec des problèmes souvent semblables, mais je pense que le principal est de ne pas se soucier de leur vie spirituelle. Intellectuellement, ils savent l’importance de connaître la théologie, d’aimer Jésus et de vivre la vie chrétienne. Mais ils ne parviennent pas à s’en soucier comme ils savent, au fond d’eux-mêmes, qu’ils devraient le faire.

En ce qui concerne la tendance à l’apathie, constatez-vous des différences entre les générations ?

L’apathie existe dans chaque génération. Mais différentes personnes la traitent et l’évaluent de différentes manières. Les jeunes sont souvent beaucoup plus conscients de leurs émotions que leurs aînés. Ils sont conscients de leur monde intérieur, suffisamment conscients pour vouloir en parler ouvertement. Mais ironiquement je ne suis pas sûr que cette prise de conscience les amène à faire face à ce qui se passe à l’intérieur. Ils peuvent sympathiser entre eux et se dire : « Oui, je me reconnais dans tout ça ». Mais beaucoup sont coincés dans ce bourbier de la conscience de soi.

Les générations précédentes étaient peut-être moins conscientes de leurs émotions. Même s’ils éprouvaient des sentiments d’apathie, ils s’obstinaient à foncer tête baissée et à faire le travail, alors que les membres de la génération actuelle, conscients de leurs émotions, pourraient arrêter de faire quelque chose s’ils ne ressentent pas une véritable passion. S’ils se sentent apathiques à l’égard des choses de Dieu, ils seront moins enclins à les poursuivre.

Comment feriez-vous la distinction entre l’apathie et ses proches cousins, comme la dépression, le découragement et ce que l’on pourrait appeler des « périodes de désert » ?

Il est important de noter que je n’utilise pas le terme apathie dans un sens clinique, mais plutôt dans la mesure où il se rapporte aux choses que les chrétiens sont censés valoriser, les choses de Dieu. Il existe un chevauchement entre ce type d’apathie spirituelle et la dépression, mais il existe certaines caractéristiques propres à chacune. La dépression se rapporte à des choses comme les idées suicidaires et un manque généralisé d’énergie ou de motivation dans tous les domaines de la vie.

L’apathie dont je parle, cependant, a tendance à être plus sélective. Les jeunes hommes que j’ai encadrés ne sont pas apathiques pour tout. Ils peuvent être très enthousiastes à propos des jeux, de leur petite amie ou de leur équipe de foot préférée. La dépression a tendance à être plus envahissante, et elle peut nécessiter une thérapie ou d’autres formes de traitement qui ne s’appliqueraient pas nécessairement à l’apathie.

Quant au découragement, à l’abattement, je le définis comme une profonde tristesse, ou un désarroi, surtout en ce qui concerne les choses de Dieu. Si nous avons affaire au découragement plutôt qu’à l’apathie, ce dont la personne découragée a le plus besoin, c’est d’être réconfortée.

En ce qui concerne les périodes de désert, ou ce que nous pourrions appeler la nuit noire de l’âme, nous avons affaire à quelque chose de bon et de divinement orchestré. Dieu le veut pour notre bien. La personne qui traverse le désert a simplement besoin d’aide pour persévérer et s’appuyer sur Dieu.

Dans le livre, vous décrivez plusieurs causes possibles d’apathie, du contextuel au spirituel. Comment démêler ces causes potentielles ?

De nombreuses personnes sont déconcertées par leur apathie. Dans le livre, je présente sept causes possibles, une combinaison de facteurs internes et externes. Je suis conscient que j’aurais pu en proposer davantage, mais le but est simplement d’offrir quelques aides à l’auto-diagnostique, quelques miroirs pour vous aider à évaluer où vous en êtes. Peut-être, par exemple, ma description du doute spirituel sonne-t-elle juste pour vous. Ou peut-être vous êtes-vous plongé dans les futilités et avez simplement cessé de vous préoccuper de tout. Ou peut-être avez-vous simplement cessé de faire quoi que ce soit qui se rapporte à Dieu, et donc naturellement vous y êtes devenu indifférent. Si l’une de ces causes ne vous correspond pas, passez simplement à la suivante. Ce livre est destiné à être une sorte de partenaire de conversation.

Dans votre propre cas, vous décrivez comment votre saison d’apathie est née à la fois du doute et de la dépression. Les causes spirituelles et non spirituelles peuvent-elles se renforcer mutuellement ?

L’apathie peut avoir des causes qui ne sont pas clairement morales ou spirituelles. Pensez à la tristesse, par exemple. L’Écriture ne traite pas la tristesse ou le deuil comme un problème ou un péché. Nous éprouvons tous de la tristesse, même si nous ne sommes pas censés la vivre comme ceux qui n’ont pas d’espoir. Ainsi, même si la tristesse est une catégorie amorale, elle peut contribuer au désespoir, qui est une chose qui tend vers l’apathie. Il existe d’autres choses, comme la consommation de médias ou l’expérience de certaines formes de doute, qui ne sont peut-être pas intrinsèquement problématiques, mais qui peuvent conduire à l’apathie si elles sont mal gérées ou si on y recourt trop.

Vous recommandez de combattre l’apathie par le fait de cultiver, un mélange de métaphores militaire et horticole. Pourquoi cette combinaison ?

La métaphore du combat communique que nous sommes appelés à nous engager dans une véritable bataille spirituelle avec la chair et avec l’Ennemi. Ce n’est pas un christianisme passif. Ce n’est pas juste lâcher prise et laisser faire Dieu. Nous sommes engagés dans une bataille.

Cependant, cette bataille ne se résume pas à un moment décisif où je sors mon épée de l’Esprit, récite quelques versets de l’Écriture, terrasse le Diable et passe à autre chose. Vaincre l’apathie implique de cultiver une vie de vertu, d’intégrité et de sainteté.

Vous écrivez sur l’importance de cultiver la communauté, l’affection, le sens, la mission, la générosité et la force d’âme. Qu’est-ce qui a été le plus important dans votre cheminement pour sortir de l’apathie spirituelle ?

Je dirais la communauté — à la fois la communauté locale et la communauté chrétienne au sens large. Le fait d’être avec le peuple de Dieu m’a permis de tenir bon dans mes saisons les plus arides, surtout lorsque je luttais contre le doute. Le simple fait d’être avec des chrétiens normaux et de prendre part à la vie de l’Église a été déterminant. Il a été utile d’avoir des amitiés étroites avec des personnes passionnées.

J’ai réalisé qu’il était essentiel de ne pas passer du temps uniquement avec des personnes qui étaient enlisées comme je l’étais. Je ne dis pas qu’il faut laisser tomber les gens qui se débattent. Mais il est important d’avoir des personnes à qui rendre des comptes à ce sujet, en particulier des personnes qui combattent avec un réel zèle pour Dieu et offrent de véritables exemples.

Quel est votre plus grand espoir pour ce livre ?

J’espère que ceux qui luttent contre l’apathie pourront en retirer le sentiment clair que Dieu est pour eux et avec eux. Le Père nous a donné son Fils et son Esprit, qui nous donne le pouvoir de dépasser l’apathie dans nos vies. J’espère que ce livre pourra donner aux gens un réel espoir que le changement est possible, même s’il n’existe pas de solution miracle. L’apathie n’est pas une fatalité. Idéalement, ce livre pourra offrir quelques outils pour aider les gens à faire des petits pas, et à la surmonter.

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Moi et ma maison, nous résisterons à Mammon

L’argent promet l’abondance sans dépendance, mais nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous cacher.

Christianity Today June 27, 2022
Illustration par Michael Hirshon

Plusieurs amis nous ont aidés, ma femme, Catherine et moi, à emménager dans notre premier appartement, descendant puis montant deux escaliers raides et étroits. Trois objets semblaient presque impossibles à faire passer dans ces escaliers : une vieille commode fragile que ma femme avait héritée de sa grand-mère, un sommier grand format et un canapé-lit d’un poids incalculable.

Nous les avions baptisées l’Épreuve de la délicatesse, l’Épreuve de la grandeur et l’Épreuve du poids. Vingt ans plus tard, nous nous souvenons de ces épreuves, des amis qui les ont joyeusement endurées avec nous, transpirant et jurant par une chaude journée de juin, et du sentiment de soulagement lorsque nous avons finalement réussi à les surmonter.

Quelques années plus tard, il fut de nouveau temps de déménager lorsque ma femme accepta le poste qu’elle occupe depuis lors. Cette fois, l’université qui la recrutait couvrait les frais de déménagement.

Les déménageurs professionnels traversèrent à notre place les mêmes épreuves que nos amis avaient traversées quelques années auparavant — en suant et probablement en jurant aussi — mais je ne me souviens certainement pas de leurs noms, ni même du moindre détail de leurs visages. Ils ont été payés, correctement, pour faire un travail correct. Et une fois le travail terminé, ils sont partis.

C’est le pouvoir de l’argent : il nous permet de faire avancer les choses, souvent par l’intermédiaire d’autres personnes, sans les complications de l’amitié.

Et plus nous passons de temps dans le monde que l’argent fabrique, plus nous nous conformons à son image.

Jusqu’à aujourd’hui, je dois à mes amis quelque chose pour ce déménagement au début de notre mariage — au minimum, ma reconnaissance et mon affection. En réalité, je leur devais déjà quelque chose avant le déménagement. Être un ami, c’est être lié à quelqu’un d’autre, d’une manière souple, mais permanente.

Notre relation avec les déménageurs professionnels était différente. Elle a commencé et s’est terminée autour d’une forme moderne de magie — une opération qui, sans le moindre effort réel de notre part, a transporté tous nos biens de Boston à Philadelphie et les a déposés, indemnes, dans notre nouvelle maison. Au moment où les déménageurs ont placé le dernier carton dans notre salon et sont partis, notre dépendance à leur égard a pris fin.

L’expérience était dépourvue de charge relationnelle, n’imposant aucun fardeau et ne laissant aucune trace. Elle met en évidence ce que l’argent nous permet de plus caractéristique, ainsi que sa promesse la plus séduisante : l’abondance sans dépendance.

L’argent a véritablement contribué à l’épanouissement de l’humanité. Il a facilité les extraordinaires échanges de biens rendus possibles par les révolutions industrielle et informatique. Un bon travail bien fait et justement payé — comme ce fut le cas, je crois, pour les hommes qui ont participé à notre déménagement — contribue à la dignité humaine et au bien commun.

Mais l’argent ne nous a pas aidés à nous épanouir en tant que personnes dans les domaines qui comptent le plus. Il opère dans une sphère où les êtres faits de cœur, âme, esprit et force, conçus pour l’amour, sont tout bonnement hors de propos. Il est conçu pour un monde où nous n’avons pas besoin d’amour, ni même de relation, pour obtenir ce que nous voulons. Et plus nous passons de temps dans le monde que l’argent fabrique, plus nous nous conformons à son image.

Il y a un nom pour ce système mondial, le système qui alimente et est alimenté par la magie technologique que nous employons tous dans une certaine mesure au quotidien. Ce nom est ancien, et j’en suis venu à penser qu’il se comprend mieux comme un nom propre : il ne s’agit pas d’un simple nom générique, mais du nom de quelqu’un.

Ce nom, c’est Mammon.

On le trouve dans l’une des déclarations les plus dures et les plus troublantes de Jésus, rendue ainsi par les versions françaises plus anciennes : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Mt 6.24). En parlant du danger des trésors terrestres dans le Sermon sur la montagne, Jésus décrit Mammon comme un rival de Dieu, un seigneur de substitution.

Mammon est un terme araméen, et les apôtres qui ont transmis les enseignements de Jésus les ont généralement traduits de l’araméen vers le grec que leurs lecteurs connaissaient mieux. Ils auraient pu facilement le faire avec Mammon, en utilisant des mots désignant l’argent ou même la richesse, qui ont peu de connotation négative. Au lieu de cela, ils ont laissé ce mot araméen non traduit, suggérant qu’il avait une signification particulière.

Dès les premiers siècles de l’Église chrétienne, enseignants et évêques avaient conclu qu’en utilisant le nom de Mammon, Jésus avait à l’esprit non pas un simple concept, mais une puissance démoniaque. L’argent, pour Jésus, n’était pas un outil neutre, mais quelque chose qui pouvait devenir le maître d’une personne tout autant que le vrai Dieu. Mammon n’est pas simplement l’argent, mais l’élan opposé à Dieu qui tire son pouvoir de l’argent.

Et plus nous comprenons le pouvoir pernicieux de Mammon dans l’histoire humaine, plus il semble prendre une volonté propre. Le titre de l’ouvrage What Technology Wants (« Ce que veut la technologie »), de Kevin Kelly, paru en 2010, a quelque chose d’une exagération rhétorique, mais un livre intitulé Ce que veut Mammon aurait quelque chose de tout à fait plausible, et terrifiant.

Car Mammon veut bel et bien quelque chose. Mammon n’est en réalité pas une simple chose, ni même un système, mais une volonté à l’œuvre dans l’histoire. Et ce qu’il veut, avant tout, c’est séparer le pouvoir de la relation, l’abondance de la dépendance et l’être de la personnalité.

C’est pourquoi la technologie, adoptée avec un tel enthousiasme pour son potentiel d’épanouissement humain, conduit si souvent à de surprenants dérapages. Comme le fait remarquer avec perspicacité le théologien Craig Gay dans son livre Modern Technology and the Human Future (« La technologie moderne et l’avenir de l’humanité »), la technologie n’existe pas principalement, et n’a jamais existé principalement, pour nous servir ou soutenir « l’existence humaine ordinaire incarnée ».

Au contraire, selon Gay, elle a toujours été développée pour servir d’abord et avant tout la génération de profits économiques, qu’elle contribue ou non à un réel épanouissement de la personne. Il s’agit là d’une distinction subtile, mais importante. Dans de nombreux cas, la technologie apporte réellement du bien dans nos vies. Les hôpitaux utilisent des pompes à perfusion automatisées pour administrer des doses précises de médicaments selon un calendrier rigoureux, soulageant ainsi les êtres humains d’une tâche que même les infirmières les plus dévouées auraient du mal à accomplir de manière constante. Lorsqu’un tel avantage pour les êtres humains s’aligne sur le profit économique, la technologie le « veut » bien.

Mais la technologie « veut » aussi des choses qui ne confèrent aucun avantage véritable à d’autres êtres humains que les propriétaires des entreprises technologiques. La compagnie d’assurance qui paie les pompes à perfusion peut également recueillir des données médicales, détachées du contexte humain et de la responsabilité humaine, afin de prendre des décisions plus rentables sur les pathologies — et peut-être éventuellement les individus — qu’elle refuse d’assurer.

Bien que ces tendances soient dans une certaine mesure limitées par la réglementation, il ne fait aucun doute que, laissées à elles-mêmes, les entreprises qui déploient la technologie « veulent » aussi ce résultat.

Parfois, le bilan est contrasté. Les êtres humains pourraient bien bénéficier, par exemple, d’un accès à des quantités illimitées de musique enregistrée provenant du monde entier et de toute l’histoire de la musique enregistrée. La technologie est heureuse de fournir cela : avec un profit économique conséquent pour les propriétaires de services de streaming, mais pas d’une manière qui permette de faire vivre plus d’une poignée de musiciens humains réels en activité.

Mais les êtres humains retirent également un énorme bénéfice du fait de faire de la musique, ce qui nécessite une instruction communautaire approfondie, une attention personnalisée et des années de pratique et de préparation. Il s’agit là, hélas, d’un type de bénéfice que la technologie ne peut pas facilement fournir — du moins pas de manière rentable — de sorte que la technologie ne « veut » pas particulièrement aider en la matière.

Nous nous retrouvons donc avec le monde que nous connaissons, où l’on consomme plus de musique que jamais et où l’on en interprète moins que jamais, en particulier les individus ordinaires qui pourraient vivre de cette inteprétation.

Ce que veut la technologie, en réalité, c’est ce que veut Mammon : un monde de pouvoir sans contrainte, sans responsabilité, sans dépendance, mesuré en unités de valeur stockables et remplaçables. En fin de compte, ce que Mammon veut, c’est transformer un monde fait pour et géré par des personnes en un monde fait de et réduit à des objets.

Ainsi, la raison de cette parole catégorique de Jésus sur Dieu et Mammon devient claire. Nous ne pouvons pas servir le vrai Dieu et Mammon, car leurs objectifs sont tout à fait opposés.

Dieu souhaite mettre toutes les choses au service des personnes et, ultimement, amener l’épanouissement de la création par l’épanouissement des personnes. Mammon veut mettre toutes les personnes au service des choses et, en fin de compte, parvenir à l’exploitation de toute la création.

De quel genre d’endroit avons-nous besoin pour nous épanouir en tant que personnes ?

Si vous et moi sommes des êtres intégrant cœur, âme, esprit et force, conçus pour l’amour, nous avons besoin d’un endroit où exercer nos aptitudes fondamentales, un endroit où nous pouvons vivre et canaliser nos émotions et nos désirs, être connus dans la profondeur unique de notre moi, contribuer à la compréhension et à l’interprétation du monde, et appliquer la force et l’agilité de notre corps à un travail utile dans les trois dimensions de la réalité physique.

Par-dessus tout, nous avons besoin d’un endroit où nous pouvons nous investir profondément auprès des autres, apprendre à nous soucier de leur épanouissement, et nous donner dans le service et le sacrifice mutuels d’une manière qui renforce notre propre identité au lieu de l’effacer.

Le nom de ce genre d’endroit, je crois, c’est le foyer.

Cet ancien mot un peu poussiéreux me paraît être la meilleure option que nous ayons en français pour désigner quelque chose qui était central dans la vie de nos ancêtres, et l’est toujours aujourd’hui dans de nombreuses cultures. Un foyer est une communauté de personnes qui s’abritent sous un même toit, mais aussi, et plus fondamentalement, qui s’abritent sous la protection et l’attention les unes des autres. Elles subviennent ensemble à leurs besoins et dépendent les unes des autres. Elles entremêlent leurs actifs et leurs passifs, leurs dons et leurs vulnérabilités, de telle sorte qu’il est difficile de dire où se termine la part de l’un et où commence celle de l’autre.

Le foyer est la communauté de base des individus. Il intègre plus qu’une paire isolée, mais comprend suffisamment peu de personnes pour que tous puissent être profondément, réellement et constamment vus et pris en considération. Le foyer est parfaitement dimensionné pour la reconnaissance dont nous avons tous besoin dès le moment de notre naissance.

Nous avons besoin d’un endroit où nous pouvons nous investir profondément auprès des autres, apprendre à nous soucier de leur épanouissement, et nous donner dans le service et le sacrifice mutuels.

Comment savoir si vous faites partie d’un foyer ?

Vous faites partie d’un foyer tel que je le définis s’il y a quelqu’un qui sait où vous vous trouvez physiquement aujourd’hui et qui a au moins une idée de ce que cela fait d’être là où vous êtes. Vous faites partie d’un foyer s’il y a quelqu’un qui se déplace plus silencieusement lorsqu’il sait que vous dormez. Vous faites partie d’un foyer si quelqu’un vient vous voir lorsque vous ne vous réveillez pas. Vous faites partie d’un foyer si certains autour de vous savent des choses sur vous que vous ne savez pas sur vous-même, y compris des choses que, si vous en aviez conscience, vous chercheriez à cacher.

Vous faites partie d’un foyer si d’autres personnes sont suffisamment proches de vous pour vous voir et vous connaître aussi bien, voire mieux, que vous ne vous connaissez vous-même.

Vous faites partie d’un foyer si vous faites l’expérience du conflit, le compagnon inévitable de la proximité, si quelqu’un d’autre en demande tellement de vous que vous fantasmez parfois de le chasser de votre vie. Vous faites partie d’un foyer si vous rêvez parfois de vous enfuir, peut-être dans un pays lointain, afin de ne plus être si dramatiquement connu.

Vous faites partie d’un foyer si votre retour d’un long voyage donne lieu à une fête improvisée. Vous faites partie d’un foyer si, alors que vous vous tenez à l’écart d’une fête à cause de votre colère, de votre orgueil, de votre culpabilité ou de votre honte, quelqu’un le remarque et sort pour vous implorer d’entrer.

C’est ce dont nous avons besoin plus que de toute autre chose : une communauté où nous sommes reconnus. S’il faut insister sur le fait que chaque être humain compte, qu’il soit ou non vu ou traité comme tel par les autres, nous savons aussi qu’aucun être humain ne peut s’épanouir en tant que personne s’il n’est pas effectivement vu et traité comme un être humain. Et pour cela, le foyer est le premier et le meilleur des endroits. Nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous cacher. Nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous perdre.

Une grande partie de la tragédie du monde moderne se résume à cela : la plupart d’entre nous ne disposent pas d’un tel endroit.

Pour certains, cette idée de foyer renvoie surtout à des images du passé. Peut-être y avait-il une maison en bas de la rue, appartenant à la famille élargie ou à des amis, dont la porte arrière nous était toujours ouverte lorsque nous étions enfants ; ou des saveurs de vie sous un même toit goûtées avec le service militaire ou le travail missionnaire à court terme ; une année ou deux avec des colocataires qui faisaient plus ensemble que simplement partager les factures du ménage. Mais comme ces arrangements ne sont pas censés durer, ils se dissolvent tôt ou tard.

Beaucoup d’entre nous ont des amis, mais les amitiés qui ne sont pas liées par une vie semblable à celle du foyer ont tendance à rester fragiles dans notre monde mobile, et ce d’autant plus après les années où se construisent les liens les plus forts, à la fin de l’adolescence.

Beaucoup d’entre nous ont une famille, mais la famille est également fragile, et son étape la plus cruciale — l’éducation des enfants de la petite enfance au début de l’âge adulte — est temporaire par définition. Un couple marié avec un ou deux enfants à la maison est la norme culturelle implicite, mais aux États-Unis où je vis cela ne représente aujourd’hui qu’une minorité des ménages recensés. Et une famille aussi petite est à peine assez nombreuse pour former réellement le genre de communauté de personnes pour laquelle nous sommes faits, même avant que les enfants ne quittent la maison.

Si vous cherchez une unique cause immédiate de la solitude épidémique dans notre monde, c’est la pénurie de foyers.

Rien ne peut vraiment gommer le fait que la plupart d’entre nous vivent de longues périodes de notre vie sans ce dont nous avons le plus besoin : une communauté qui nous reconnaît. Et il va sans dire que le simple fait d’avoir des colocataires — ou un conjoint ou des parents ou des enfants — ne garantit en rien, dans le royaume de Mammon, que nous serons membres de véritables communautés de reconnaissance, qu’il y aura quelqu’un qui nous connaît vraiment.

Si nous voulons suivre un chemin différent, nous devons travailler à bâtir nos foyers.

Si vous vivez avec d’autres personnes, y a-t-il des moments dans chaque journée où vous êtes ensemble, façonnant le tissu d’une vie dans laquelle vous êtes vus et connus ? Participez-vous ensemble à des activités qui engagent votre cœur, votre âme, votre esprit et votre force ? Vous contentez-vous de consommer, ou créez-vous ensemble, dans la cuisine, dans le salon, dans le garage, dans la cour ou sous le porche ? Y a-t-il des parties de votre vie quotidienne auxquelles les différents membres du foyer contribuent d’une manière qui intègre les dons et besoins de chacun ?

Ou bien seriez-vous plutôt de simples colocataires, chacun cuisinant, nettoyant et prenant soin de lui-même, même si vous constituez théoriquement une famille ? Y aurait-il des moyens de prendre davantage soin les uns des autres plutôt que de supposer que chaque personne se débrouillera pour subvenir à ses besoins ?

Dans certains foyers, la réponse à toutes ces questions sera évidente, mais dans d’autres, elles pourraient entraîner une refonte importante des schémas de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de savoir qui fait la vaisselle (et qui fait la vaisselle de qui, et combien de personnes font la vaisselle) ou si toute la maisonnée se réunit pour le repas ou sort ensemble pour une promenade quotidienne.

L’intimité que nous chérissons risque constamment de se transformer en isolement.

Et puis, qui doit être inclus dans ces habitudes de la maison ? Qui pourrait encore être invité à s’y joindre ? D’autres personnes ont-elles la clé de votre logement et une invitation ouverte à l’utiliser ? Des membres de la famille vivant à une distance confortable pourraient-ils être invités à une proximité plus inconfortable, mais aussi plus propice à la connaissance mutuelle ?

Les confinements dus au coronavirus, avec leurs restrictions pour les écoles et la garde d’enfants, ont conduit de nombreuses familles à créer des « bulles » ou des « chapiteaux » regroupant une poignée d’unités parents-enfants. Ce type de relations pourrait-il se poursuivre au-delà des mesures de confinement ?

Le fait même de soulever ces questions, du moins pour moi et ma maison, suscite toute une série de doutes et de craintes. En qui ai-je vraiment assez confiance pour l’inviter si près dans ma propre vie, avec mon conjoint, mes enfants ? Comment vais-je préserver l’intimité et l’autonomie paisible que j’en suis venu à apprécier ?

Quels risques ajouterai-je à ma vie si j’invite les gens à passer outre les « distanciations sociales », si je me laisse aller à dépendre des autres plutôt que d’obtenir les services dont j’ai besoin en échange d’un paiement qui me laisse relationnellement libre ?

La vérité est que ce n’est qu’en allant au-delà de ces questions que nous découvrirons de nouvelles personnes de confiance en dehors de notre cercle le plus fermé.

L’intimité que nous chérissons risque constamment de se transformer en isolement. Il suffit de quelques revers dans notre mariage ou notre santé personnelle, sans parler de la marche des années et du vieillissement, pour que notre indépendance présente se transforme en solitude terminale.

Construire ce genre de foyers n’a rien de la solution rapide et facile. C’est un travail patient, humble et lent. Et ces foyers produisent tout le contraire de Mammon, avec sa promesse fallacieuse d’abondance sans dépendance.

Dans la dépendance mutuelle, les foyers créent le genre d’abondance qui ne peut être ni mesurée ni enlevée, qui ne rouille pas et ne peut être dérobée.

Andy Crouch est associé pour la théologie et la culture chez Praxis. Cet article est adapté de The Life We're Looking For: Reclaiming Relationship in a Technological World (« La vie que nous cherchons : Reconquérir la relation dans un monde technologique »). Copyright © 2022 Convergent Books.

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