Comment défendre sa foi sur le continent le plus chrétien du monde ?

Apologetics in Africa offre des réponses aux croyants comme aux sceptiques dans un contexte où les églises restent largement sous-équipées pour répondre aux attaques contre leur foi.

Christianity Today April 16, 2024
Illustration by Elizabeth Kaye / Source Images: Wikimedia Commons

Pour la plupart des Africains, il n’y a pas de dichotomie entre les domaines du sacré et du profane. Si cette approche holistique de la vie a de réels mérites, elle peut aussi conduire à agir un peu à la manière d’une éponge prête à absorber toutes sortes de spiritualités. Dans ce contexte, l’apologétique chrétienne offre un garde-fou pour faire obstacle au syncrétisme et aux enseignements mensongers.

Comme nous le dit 1 Pierre 3.15-16, nous devons être prêts à défendre notre foi tout « en gardant une bonne conscience, afin que là même où ils vous calomnient, ceux qui critiquent votre bonne conduite en Christ soient couverts de honte. » En d’autres termes, l’apologétique est une conversation amicale sur la foi, et non un combat à gagner. Apologetics in Africa: An Introduction (« L’apologétique en Afrique : une introduction ») offre des réponses aux croyants comme aux non-croyants sur un continent où les chrétiens restent largement démunis pour répondre aux attaques contre la foi qui est la leur.

Ce livre n’est assurément pas le premier ouvrage sur l’apologétique en Afrique, mais il aurait dû être publié depuis longtemps. Il se distingue par les perspectives variées de ses divers auteurs sur ses sujets apologétiques. Dans un contexte où le danger du syncrétisme est très réel, une approche pertinente de l’apologétique est cruciale, non seulement en tant que sujet académique, mais aussi dans la vie quotidienne des croyants.

Originaires du Kenya, d’Éthiopie, du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, du Nigeria et d’Ouganda, les auteurs de cet ouvrage abordent le christianisme comme une foi qui a été largement acceptée sur tout le continent, mais se trouve en manque de contextualisation. Les 16 parties abordant diverses questions culturelles et pratiques offrent des orientations pour une meilleure intégration de la foi dans la vie d’une Église chrétienne africaine au carrefour de l’influence des croyances traditionnelles africaines, de la colonisation, de la pensée occidentale et des tendances de la culture mondiale contemporaine. Notons toutefois que, malgré son titre, l’ouvrage traite principalement de questions relatives à l’Afrique subsaharienne et que tous ses auteurs sont originaires de pays anglophones.

La théologie chrétienne dans le contexte africain doit être complétée par l’apologétique, car les croyants ont besoin d’une foi qu’ils peuvent expliquer. Par ailleurs, la foi s’approfondit lorsqu’elle est ouverte à l’examen. L’apologétique peut donc être considérée comme un sous-ensemble essentiel de la théologie africaine et cet ouvrage est à la hauteur de la tâche, même s’il est modestement intitulé « introduction », comme une invitation à poursuivre la discussion. Et en effet, la tâche de l’apologétique ne s’arrête jamais.

L’arrière-plan historique

Le musicien gospel et apologète kenyan Reuben Kigame écrivait que « l’apologétique chrétienne a ses racines les plus profondes en Afrique du Nord ». D’une certaine manière, ce livre revient en effet au sujet de l’apologétique en Afrique après une longue interruption. Logiquement, Kevin Muriithi Ndereba, responsable de la théologie pratique à l’Université Saint-Paul au Kenya et directeur de cette publication, ouvre Apologetics in Africa en revenant sur Augustin, Tertullien et d’autres qui vécurent en Afrique du Nord lorsque l’apologétique était le « mode de mission par défaut ».

Ndereba décrit l’apologétique comme pluridisciplinaire et au bénéfice des autres disciplines. La précision est importante : les questions que les gens se posent sur la foi ne sont pas confinées à une catégorie particulière. Lorsqu’un cursus universitaire comprend un cours d’apologétique, il s’agit généralement d’un séminaire de degré supérieur. Les étudiants ont en effet besoin d’un solide réservoir d’informations de base pour leur permettre une approche pluridisciplinaire de leur travail d’apologétique.

L’organisation du livre en quatre catégories (bible, philosophie, culture et pratique) ouvre au développement d’une réflexion de large envergure pour guider les chercheurs et autres personnes engagées dans l’apologétique africaine. Naturellement, les questions bibliques servent de point de départ. Il ne peut y avoir de défense de la foi chrétienne sans fondement biblique. Dans la section qui y est consacrée, l’article d’Elizabeth Mburu, spécialiste kenyane du Nouveau Testament, intitulé « La Bible est-elle fiable ? Critique biblique et herméneutique en Afrique » est particulièrement bien articulé. L’approche de l’autrice combine deux perspectives — les questions classiques et l’herméneutique contextualisée — avec en vue la transformation du croyant.

Des sujets doctrinaux cruciaux pour une Afrique diversifiée

L’Afrique est un continent extrêmement divers, comptant 54 pays et plus de 3 000 peuples et présentant de très amples variations dans les croyances et les pratiques culturelles. En conséquence, si les lecteurs africains pourront tous se retrouver à divers niveaux dans ce livre, tous devront aussi réfléchir théologiquement à leurs contextes et problématiques spécifiques pour œuvrer de manière pertinente à la tâche de l’apologétique.

Face à cette diversité culturelle, il est impératif que les croyants africains puissent bien intégrer certaines doctrines bibliques clés afin de construire une base solide pour leurs réflexions ultérieures. Trois doctrines me paraissent particulièrement centrales. Le livre aborde bien la première. Les deux autres pourraient être approfondies.

Christologie

Ce sujet clé, en particulier la personne du Christ, ne trouve pas de correspondance étroite dans les systèmes de croyances traditionnels africains. Mais comme l’écrit le théologien sud-africain Robert Falconer dans son chapitre intitulé « Une apologétique africaine de la résurrection », ce sont bien la vérité historique et la fiabilité de la résurrection du Christ qui rendent le christianisme digne de notre adhésion exclusive.

Offrant une réflexion christologique appliquée à un contexte culturel africain spécifique, Kevin Muriithi Ndereba contribue par un chapitre sur « La doctrine du Christ et les rites traditionnels d’aînesse : mbũrĩ cia kiama ». Mbũrĩ cia kiama peut être traduit par « des chèvres pour le conseil ». L’expression désigne une pratique traditionnelle du peuple des Kikuyus : un homme qui s’est qualifié pour le statut d’ancien donne des chèvres au conseil des anciens.

Ndereba salue cette tradition pour la valeur qu’elle donne aux mentors, mais soulève également un dilemme : comment les chrétiens doivent-ils aborder cette pratique ? Les chrétiens africains ont-ils encore besoin de sacrifices d’animaux pour prendre au sérieux leur statut et leurs responsabilités ? Comment peuvent-ils mettre en lien cette pratique avec le sacrifice rédempteur du Christ ? Le processus de contextualisation ne peut se contenter de saupoudrer les pratiques traditionnelles africaines de traits chrétiens, car leurs significations ne coïncident pas toujours.

Les apologètes chrétiens en Afrique devraient examiner attentivement leur propre culture et discerner les analogies pertinentes pouvant être utilisées pour leur contexte. Cependant, les convertis au christianisme doivent aussi pouvoir plus largement entendre tout le conseil de Dieu, même dans ses aspects n’ayant pas de lien évident avec leur culture.

Les auteurs travaillant à la contextualisation de leur théologie en Afrique mettent fréquemment en avant les aspects de la christologie qui trouvent des équivalents dans les croyances traditionnelles africaines — notamment l’œuvre du Christ — et évitent des questions moins familières telles que celles liées à la personne du Christ. Pourtant, la doctrine de la personne du Christ est au cœur du christianisme et suscite des questions apologétiques essentielles : comment Dieu peut-il avoir un fils ? Le christianisme a-t-il plus d’un Dieu ? Comment trois personnes divines peuvent-elles être un ? Comment Jésus peut-il être à la fois humain et Dieu ?

Lorsque nous expliquons la personne du Christ, les analogies avec les croyances traditionnelles africaines sont souvent inadéquates et doivent être employées avec prudence. Voici deux exemples.

  • Le Christ comme ancêtre : Le Christ est souvent présenté de cette manière en Afrique parce qu’il est le médiateur entre les chrétiens et le Dieu de la Bible. Mais le Christ est aussi Dieu lui-même, et il est vivant, alors que les ancêtres sont considérés comme des « morts vivants ». En outre, nous pouvons communiquer avec Dieu par l’intermédiaire du Christ, mais la communication avec ou par l’intermédiaire des ancêtres africains serait considérée comme divination, ce que la bible proscrit.
  • Le Christ en tant qu’aîné (ou frère aîné) : Comme l’explique Ndereba à juste titre, le rôle de l’aîné en Afrique a toujours été important. Cependant, beaucoup de ceux que l’on considère aujourd’hui comme aînés ne revêtent plus autant d’honneur que par le passé ; d’autre part, de nombreux membres de la jeune génération sont détachés de leur milieu traditionnel et ont besoin d’analogies différentes auxquelles s’identifier. Dans la tradition africaine, le frère aîné est considéré comme l’égal du père et il assume les responsabilités de ce dernier à des degrés divers selon les communautés. Mais l’analogie entre le Christ et le frère aîné ne plaira pas à tous les chrétiens africains. Sa réception sera influencée par les expériences de chacun. Beaucoup de frères aînés sont des ennemis du progrès de la famille, et le Christ ne correspond pas à cette description !

Pneumatologie

Si la christologie fait l’objet d’un traitement attentif tout au long du livre, la doctrine du Saint-Esprit (pneumatologie) ne reçoit pas d’attention particulière dans la section consacrée aux questions bibliques. Il aurait été utile de s’y arrêter, car cette doctrine a fait l’objet d’abus dans les milieux chrétiens et sectaires, ou a parfois été malheureusement négligée.

Dans certains cas, les gens ont du mal à discerner la différence entre la possession démoniaque et la puissance du Saint-Esprit. Ce problème a rendu la question du combat spirituel difficile pour la plupart des chrétiens africains, et beaucoup d’entre eux passent d’une église à l’autre à la recherche d’un prophète qui les sauve. Ces croyants vivent ainsi dans la servitude au lieu d’expérimenter la liberté. Il est urgent de traiter de la personne et de l’action du Saint-Esprit dans la vie des croyants africains, afin de faire la distinction avec le rôle des démons et des autres esprits tels qu’ils sont compris dans les croyances africaines traditionnelles.

Ecclésiologie

En ce qui concerne la doctrine de l’Église, des questions importantes se posent face à la tentation pour les chrétiens africains d’aligner leurs pratiques en matière d’ordonnances ecclésiastiques sur la manière dont les communautés africaines ont traditionnellement vécu les rites de passage tels que la naissance, la puberté, la mort et l’enterrement.

Le livre examine notamment en détail le mariage et les pratiques culturelles qui y sont associées. Comme l’explique la théologienne zimbabwéenne Primrose Muyambo dans son chapitre, les pratiques africaines en matière de dot (connues dans son contexte sous le nom de lobola) peuvent facilement amener les chrétiens à compromettre leur foi, car le mariage est considéré comme une étape importante dans la vie d’un individu et accroît le statut au sein de la communauté.

Si la pratique de la dot peut être vue positivement comme une affirmation de la valeur de la femme, dans l’Afrique moderne elle est devenue très matérialiste, ce qui est souvent source d’amertume et de conflits. Muyambo rapporte que les parents de jeunes femmes instruites exigent d’importantes sommes d’argent ou des biens coûteux tels que des maisons, des réservoirs d’eau ou des téléphones portables en guise de dot. En raison des coûts élevés, certains couples ont recours à la cohabitation malgré l’opposition de l’Église. L’Église africaine a besoin de réaligner ce rite de passage sur les pratiques chrétiennes afin d’aider les parents à s’adapter et de soutenir les jeunes couples chrétiens qui cherchent à se marier.

Des problèmes similaires se posent pour d’autres rites de passage qui ne sont pas abordés dans l’ouvrage. Certaines pratiques de l’Église semblent mystérieuses dans leur signification symbolique et pourraient passer pour analogues à des rites de passage traditionnels africains, de la magie ou de l’occultisme. Il serait donc crucial d’aborder ces questions pour l’apologétique africaine. Les responsables d’église doivent identifier les principaux domaines où la foi peut être compromise en raison des pressions culturelles et des visions du monde à l’œuvre autour d’eux, car le syncrétisme est en plein essor dans l’Église africaine et crée d’importants dilemmes apologétiques. Les croyants ont besoin de principes bibliques pour discerner ce qu’ils doivent rejeter et ce qu’ils peuvent judicieusement transférer de leur culture vers la foi chrétienne. Le chapitre « Apologétique et sectes en Afrique » du pasteur ougandais Rodgers Atwebembeire laisse voir ce qui se passe trop souvent et met en garde contre le danger que court le christianisme en Afrique si l’Église n’est pas fondée sur une saine doctrine.

Dans l’ensemble, malgré des aspects qu’il serait utile d’approfondir, ce livre devrait encourager la recherche et la réflexion sur les questions pratiques d’apologétique en Afrique. Il serait en outre merveilleux que ce livre suscite le développement de ressources apologétiques plus accessibles et financièrement abordables. Les contributions de ses auteurs sont un précieux antidote aux barrières intellectuelles et émotionnelles qui se dressent face à la foi, et leur approche contextualisée de l’herméneutique prépare les croyants à pouvoir donner raison de la foi qu’ils professent dans leur environnement culturel contemporain.

Agnes Makau est doyenne de l’école de théologie de l’université chrétienne Scott à Machakos, au Kenya.

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Books

Au Sénégal, le ngalakh rapproche chrétiens et musulmans.

Des évangéliques évoquent l’opportunité de cette pratique d’origine catholique pour favoriser la bonne cohabitation et faire connaître l’Évangile.

Un fidèle catholique s’agenouille pour prier à l’extérieur d’une église au Sénégal.

Un fidèle catholique s’agenouille pour prier à l’extérieur d’une église au Sénégal.

Christianity Today April 12, 2024
John Wessels/Contributeur/Getty

Au Sénégal, ce serait plutôt la viande que les musulmans aiment partager avec d’autres. Les chrétiens du pays, eux, partagent un dessert.

Après la fin du jeûne du ramadan le 9 avril, les musulmans majoritaires dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ont invité leurs amis chrétiens à célébrer avec eux la Korité (Aïd el-Fitr) en mettant l’accent sur le pardon et la réconciliation et en partageant un bon repas à base de poulet.

Dans un peu plus de deux mois, lors de la Tabaski (Aïd al-Adha), ils proposeront de même à leurs voisins chrétiens la viande de mouton abattue en commémoration du sacrifice du fils d’Abraham. (Les deux fêtes suivent le calendrier lunaire et changent de date chaque année.)

Pour les chrétiens, cependant, le signe de la bonne entente entre les diverses religions est le ngalakh, une forme de bouillie de céréales sucrée.

« Le Sénégal est un pays d’hospitalité ou la “teranga”, le sens du partage, est très développé », explique Mignane Ndour, vice-président des Églises des Assemblées de Dieu au Sénégal. « Le ngalakh est devenu notre moyen de renforcer les relations entre chrétiens et musulmans. »

Les personnes que nous avons interrogées témoignent de ce que cette douceur festive est très attendue.

Dans la langue locale, ngalakh signifie « faire de la bouillie ». Ce dessert froid marque la fin du carême. Entre 3 et 5 % des 18 millions d’habitants du Sénégal sont chrétiens — catholiques pour la majorité — et les familles se réunissent pour préparer le repas de Pâques le Vendredi saint.

Les ingrédients de base du ngalakh, crème d’arachide et pain de singe (le fruit du célèbre baobab), sont trempés dans l’eau pendant plus d’une heure avant d’y ajouter la farine de millet nécessaire à l’épaississement de la pâte. Le plat est ensuite assaisonné de noix de muscade, de fleur d’oranger, d’ananas, de noix de coco ou de raisins secs.

Acidulé, doux et savoureux, le ngalakh tire sa couleur brunâtre de la crème d’arachides.

La communauté chrétienne du Sénégal fait remonter son origine à l’arrivée des Portugais au 15e siècle. Jacques Seck, un prêtre catholique de Dakar, la capitale, rapporte lui que le ngalakh s’est développé pendant la période de la colonisation française, lorsque des servantes métisses préparaient à leurs maîtres des repas sans viande pendant le jeûne du carême.

Selon Mignane Ndour, la tradition s’est au fil du temps également étendue aux protestants.

L’Église protestante du Sénégal, dont les membres avoisinent le millier, a été fondée en 1863 et est devenue plus visible dans les années 1930. Les luthériens sont arrivés eux dans les années 1970 et constituent aujourd’hui la deuxième plus grande dénomination chrétienne du pays, aux côtés des méthodistes, des presbytériens et de mouvements évangéliques plus récents.

Le ngalakh ne fait cependant pas l’unanimité.

« Les évangéliques ne partagent pas cette tradition », estime Pierre Teixeira, rédacteur en chef de Yeesu Le Journal, un mensuel interconfessionnel. « Mais les rares églises qui la pratiquent diffusent un film sur l’Évangile avant la distribution. »

Pierre Teixeira, ancien pasteur baptiste, a grandi dans un foyer catholique à Dakar. Se souvenant de la bouillie de sa jeunesse, il considère qu’il s’agissait d’un symbole de communion commémorant la mort de Jésus sur la croix. Mais aujourd’hui, les évangéliques sénégalais y verraient plutôt un vecteur d’intégration sociale. Au cours des 20 dernières années, la petite communauté a vu le nombre de ses étudiants à l’université augmenter et certains croyants s’efforcent d’exercer une influence dans les domaines de l’économie et de la politique.

Mignane Ndour, qui a été élevé dans un foyer musulman, estime que les deux choses sont compatibles.

« Pâques n’est pas seulement la fête des catholiques, et le ngalakh est la fête de tous les Sénégalais », dit-il. « Il représente un chemin de compréhension, par-delà la religion. »

Si les protestants valorisent eux aussi la pratique de la teranga, certains considèrent le dessert interconfessionnel comme un obstacle non biblique à l’évangélisation et préfèrent délaisser cette tradition locale. D’autres, selon Mignane Ndour, ne proposent pas de ngalakh à leurs voisins musulmans de peur d’être en retour obligés de prendre part à la fête musulmane de la Tabaski, ce qu’il considère comme impossible en raison de leur interprétation des avertissements de Paul concernant la viande sacrifiée aux idoles.

Mais nombreux sont ceux qui chérissent cette coutume sociale dans le cadre de la tolérance religieuse qui fait la fierté du Sénégal.

« Le ngalakh est un plat délectable méticuleusement préparé avec amour et passion », dit Eloi Dogue, vice-président des opérations africaines pour Our Daily Bread Ministries. « C’est un symbole d’unité et de bonne volonté entre voisins, en particulier avec nos amis musulmans. »

L’islam est arrivé au Sénégal au 11e siècle par le biais du commerce et s’est répandu par une combinaison de conquêtes et de conversions sincères. Le rejet du colonialisme a attiré de nombreux autochtones dans des ordres soufis mettant l’accent sur une interprétation mystique de l’islam, qui fusionne les identités sénégalaise et musulmane.

D’autres Sénégalais ont entretenu des relations étroites avec les autorités étrangères et ont assimilé leur culture. Le concept français de laïcité se combine plutôt bien avec la tolérance religieuse soufie, et l’article premier de la constitution sénégalaise déclare : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale ». Son premier président était catholique, et l’éducation religieuse libre à l’école permet aux parents — souvent dans le cadre de mariages mixtes — d’éduquer leurs enfants dans la croyance de leur choix.

Mais Eloi Dogue, également directeur international de Dekina Ministries et ancien secrétaire exécutif chargé de l’évangélisation et des missions pour l’Association des évangéliques d’Afrique, estime que la valeur du ngalakh ne réside pas seulement dans la promotion de la coexistence.

« Oui, il s’agit à l’origine d’une tradition catholique », reconnaît-il. « Mais c’est aussi un moyen de favoriser l’ouverture et de construire des ponts de compréhension mutuelle, en témoignant de la sollicitude, de l’amour et de la bonté de Dieu. »

D’autres chrétiens, y compris en Occident, ajoute-t-il, pourraient faire la même chose en invitant leurs voisins musulmans à partager leurs repas de fête.

Mignane Ndour a grandi sans connaître le ngalakh dans son village situé à 80 km au sud-est de Dakar. Tout en connaissant le siège de la mission luthérienne locale, sa famille appartenait à l’ordre soufi des Mourides. Il se souvient avoir goûté pour la première fois au ngalakh à l’âge de 15 ans, mais c’est la vie à l’université dans la capitale qui lui a fait découvrir sa véritable signification.

C’est là qu’il a découvert l’assurance du salut en Christ. Un pasteur évangélique a partagé sa foi, et Ndour partage la sienne depuis. Pour cela, ce repas de fête peut servir de pont.

Le ngalakh « ouvre des portes qui étaient avant fermées », dit-il « Cela peut nous permettre de parler du véritable sacrifice de Pâques qui est Jésus. »

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Culture

Le nouvel athéisme a finalement trouvé comment détruire le christianisme.

Le « christianisme » culturel de Richard Dawkins pourrait faire dérailler notre foi bien plus efficacement que toute attaque directe.

Christianity Today April 11, 2024
Illustration par Christianity Today/Images sources : Unsplash

Ce texte a été adapté de la newsletter de Russell Moore. S’abonner ici.

L’un des athées les plus célèbres a en quelque sorte connu son moment de « retour à Jésus ». Il a également enfin trouvé le moyen de saborder le christianisme qu’il déteste. Contrairement à ses précédentes tentatives, celle-ci me paraît bien plus dangereuse.

Richard Dawkins, l’auteur de Pour en finir avec Dieu, a été l’un des promoteurs les plus connus du nouvel athéisme, un mouvement de rejet de l’existence de Dieu qui a connu son âge d’or il y a 15 ou 20 ans. Aux côtés de Christopher Hitchens, Sam Harris et Daniel Dennett, il comptait parmi les « quatre cavaliers » du mouvement.

Ce qui était « nouveau » dans tout cela, ce n’était pas les arguments, qui relevaient généralement d’une sorte de réédition de ceux de Bertrand Russell. Cet athéisme se distinguait plutôt par sa tonalité combative. Par procuration, ses auditeurs pouvaient éprouver le plaisir d’une forme de subversion en entendant quelqu’un comme Hitchens tourner en dérision non seulement les télévangélistes ou les prêtres abuseurs, mais aussi mère Teresa, qu’il qualifiait d’imposture. Cette théâtralité a fini par s’essouffler, jusqu’à ce que même les athées en semblent embarrassés.

Mais Dawkins vient de refaire surface dans une vidéo virale où il plaide en faveur du christianisme… en quelque sorte. Constatant la chute de la fréquentation des églises et de l’adhésion au christianisme dans son pays, le Royaume-Uni, il s’en réjouit pour une part. Cependant, il se dit aussi « légèrement horrifié » d’observer la manière dont est promu le ramadan au Royaume-Uni. Après tout, il se considère comme un chrétien dans un pays chrétien.

Pour éviter toute confusion, Dawkins précise bien qu’il est un « chrétien culturel, […] pas un croyant ». Il aime les cantiques, les chants de Noël, les cathédrales, tout ce qui relève du christianisme, sauf le Christ : « J’aime vivre dans un pays culturellement chrétien, même si je ne crois pas un seul mot de la foi chrétienne. »

L’expression « chrétien culturel » semble en fait revêtir pour Dawkins une signification spécifique qui me paraîtrait plutôt équivalente à « non musulman ». Elle est une façon de définir un nous face à un eux sur la base de coutumes nationales, sans se préoccuper de savoir qui est Dieu ou s’il existe.

J’ai immédiatement pensé à une séquence de la série télévisée Ramy diffusée ces dernières années aux États-Unis, dans laquelle le personnage principal, interprété par Ramy Youssef, discute avec un homme d’affaires juif des points communs entre les expériences des juifs et des musulmans américains. L’une des principales similitudes, selon le personnage de Ramy, est le fait qu’ils ne fêtent pas Noël.

Je n’imagine pas une seule personne parmi mes connaissances et amis juifs ou musulmans définir ainsi le fait d’être juif ou musulman (et je suis sûr que Youssef ne dirait pas que c’est tout ce qu’il y a à dire). Mais je soupçonne qu’il y a des gens pour qui il y a là un élément essentiel de leur identité, pour qui la question n’est pas de savoir si Dieu était vraiment là au Sinaï ou à la Mecque, mais plutôt de savoir qui sont les nous et qui sont les eux. Le type de « christianisme » proposé par Dawkins remplace simplement le fait de ne pas fêter Noël par le fait de célébrer cette fête, ou Pâques, ou encore de ne pas observer le ramadan.

Il y a une quinzaine d’années, certains de mes amis chrétiens étaient terrifiés par le nouvel athéisme. Le langage des « quatre cavaliers » sonnait comme le signal d’une sorte de catastrophe dont ces athées étaient l’avant-garde. Mais le projet n’a pas fonctionné. Oui, certaines parties du monde occidental ont continué à se séculariser, mais je doute que les arguments de Pour en finir avec Dieu soient en bonne place parmi toutes les raisons qui peuvent y expliquer le recul de la foi.

Si je devais me faire l’avocat du diable et conseiller les athées sur la meilleure façon de détruire l’Église, le type de christianisme culturel explicitement désenchanté de Dawkins n’est pas ce que je proposerais. L’athéisme manifeste ne fonctionnera pas, du moins dans un premier temps. Les gens sont attirés par le fait d’appartenir à un groupe et ils sont attirés par le culte. Je reprendrais plutôt l’intuition de base derrière ce qu’a dit Dawkins, malgré son lien avec une rhétorique qui paraît encore religieuse. Attaquer directement le christianisme est rarement efficace. Le récupérer se montre bien plus redoutable.

L’idée de faire de la religion le moyen de prouver son identité culturelle face à ceux qui sont « autres » trouvera toujours un public enthousiaste. Pour ceux qui vénèrent leur chair — qu’elle soit définie en termes d’ethnicité, de région, de classe, d’identité politique, etc. — il sera toujours utile de disposer d’une mascotte qu’ils puissent appeler « Dieu ». La projection de tout ce qu’ils aiment de leur peuple, de leur nation et d’eux-mêmes sur une mascotte incontestable et incontestée peut renforcer la cohésion. Ils pourraient même appeler cette mascotte « Jésus ».

Ce type de « christianisme » vide la religion chrétienne de sa substance bien plus efficacement que les tentatives directes de convaincre les gens que Dieu est une illusion. Il défait le christianisme en remplaçant le Dieu vivant par un Dieu qui n’est en fait qu’une illusion.

Puis il s’efforce de supprimer cette petite voix qui, dans la nuit la plus profonde, nous interpelle pour nous avertir que le Dieu que nous adorons est une projection de notre groupe, et que le groupe que nous adorons est une projection de nous-mêmes. Il supprime la foi chrétienne qui n’appelle pas à une simple conformité extérieure, mais à une nouvelle naissance, à un renouvellement de l’esprit, à une union avec le Christ vivant. Il s’installe ensuite dans l’enveloppe de cette religion, la paganisant jusqu’à ce que l’on puisse se débarrasser de la coquille.

Ce dernier changement peut se produire très rapidement. Et ces religions du sang et du sol ne se contentent jamais de promouvoir leur propre sang et leur propre sol. Elles finissent par verser le sang d’autrui, par voler le sol d’autrui.

Le problème du « christianisme culturel » de Dawkins n’est donc pas qu’il en parle tout haut ; c’est que beaucoup de gens ont la même vision des choses et ne le disent pas… pour l’instant. Le christianisme n’est pas une affaire d’hymnes nationaux, de chapelles de village et de chants de Noël aux chandelles. Il ne consiste certainement pas à utiliser les leviers de la culture ou de l’État pour contraindre d’autres personnes à prétendre qu’elles sont chrétiennes alors qu’elles ne le sont pas.

Si l’Évangile n’est pas réel, il ne fonctionne pas. Le paganisme authentique l’emportera toujours sur un christianisme de pacotille.

L’apôtre Paul a averti que dans les derniers jours, des faux enseignants utiliseraient tout ce que les gens désirent — le plaisir, la puissance, l’appartenance, le moi — pour introduire une sorte de religion ayant « l’apparence de la piété, mais [reniant] ce qui en fait la force » (2 Tm 3.5). Le Diable est assez intelligent pour mettre à profit un christianisme culturel creux afin de faire de nous des athées sur le long terme, pour savoir que la meilleure façon d’abattre une croix est de la remplacer par une culture, une couronne, une cathédrale ou un sapin de Noël.

Mais n’oubliez pas : Jésus est vivant et sait aussi ces choses. Et lui aussi se présente comme un cavalier.

Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.

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La foi chrétienne du « Samouraï aux yeux bleus »

La série Shōgun nous replonge dans les débuts du christianisme au Japon et nous interroge sur la foi du premier protestant à avoir mis le pied dans l’archipel.

Jarvis dans le rôle de John Blackthorne (troisième à partir de la gauche) dans la série Shōgun.

Jarvis dans le rôle de John Blackthorne (troisième à partir de la gauche) dans la série Shōgun.

Christianity Today April 10, 2024
Fournie par FX Networks

À Shizuoka, la préfecture du Japon où j’ai grandi, vous trouverez un parc dédié au premier Anglais à être entré au Japon. Petit espace public au bord de l’eau dans la ville d’Itō, celui-ci commémore Miura Anjin, ou William Adams, arrivé dans le pays lorsque son bateau s’est échoué sur nos côtes.

Capturé par les chefs locaux, Anjin est mis au service de Tokugawa Ieyasu, le premier shōgun (un chef militaire qui gouvernait le Japon) de la période Edo, ce qui lui vaudra d’être le premier Occidental à devenir samouraï, d’où son surnom de « samouraï aux yeux bleus ». À Itō, un festival annuel a lieu en août pour commémorer ses accomplissements dans la construction des premiers navires de style occidental en 1604. Le Japon l’a même honoré en inscrivant son tumulus funéraire, Anjin-zuka, à Yokosuka, sur la liste des sites historiques nationaux.

La série Shōgun (2024), proposée aux abonnés Disney+, s’inspire de la vie d’Anjin et de Tokugawa. Se déroulant l’année où Anjin a posé pour la première fois le pied au Japon, elle raconte l’histoire d’un pilote de navire anglais nommé John Blackthorne (Cosmo Jarvis) qui échoue sur le rivage et est fait prisonnier par le bushō (« seigneur guerrier ») japonais Toranaga Yoshii (l’acteur Hiroyuki Sanada). Blackthorne se retrouve bientôt mêlé à la rivalité politique entre Toranaga et quatre autres bushōs et assiste finalement à l’ascension de Toranaga en tant que shōgun. Les scénaristes et producteurs Rachel Kondo et Justin Marks ont basé leur série sur le roman à succès de James Clavell portant le même titre, publié en 1975, qui s’est vendu à plus de 15 millions d’exemplaires et avait déjà donné lieu à une série télévisée populaire en 1980.

Tout comme le roman original a suscité l’intérêt du grand public pour la culture japonaise, cette adaptation de 2024 permettra sans aucun doute d’initier beaucoup de novices à la culture et l’histoire du Japon. « Shōgun a probablement fait connaître plus d’informations sur le Japon et à une plus large audience que tous les écrits combinés des universitaires, des journalistes et des romanciers depuis la guerre du Pacifique », écrivait Henry Smith, spécialiste du Japon, en 1980.

La nouvelle série a été largement saluée par la critique, surtout si, comme l’a souligné un critique du New York Times, on la compare à son homologue des années 80. Mais ce que beaucoup de téléspectateurs redécouvriront aussi, ou peut-être même apprendront pour la première fois, c’est la manière dont le christianisme se développait alors au Japon, une cinquantaine d’années seulement après son arrivée.

La représentation du christianisme dans Shōgun

Dès le premier épisode, Shōgun permet de comprendre qu’au début du 17e siècle les catholiques portugais profitaient depuis des décennies du commerce avec le Japon tout en cachant la localisation du pays à leurs ennemis jurés : les protestants européens. Dans le cadre de la série, c’est ce conflit religieux et politique international qui conduit Blackthorne et son navire hollandais Erasmus en Asie, avec l’ordre explicite de « piller tout territoire espagnol ».

Lorsque Toranaga et ses hommes capturent l’équipage de l’Erasmus, les prisonniers craignent que les catholiques ne soient à l’origine de leur incarcération. À un moment donné, un prêtre catholique portugais sert d’interprète à Blackthorne. Lorsque le prêtre se présente comme « un serviteur de Dieu », Blackthorne répond violemment : « ton Dieu… espèce d’ordure de papiste ». Il arrache ensuite le chapelet du prêtre en déclarant « Je ne suis pas l’un d’entre eux » et piétine la croix. Le prêtre décrit ensuite Blackthorne comme un « diable, un meurtrier et un pirate » qui devrait être exécuté.

Cette scène est inspirée d’un récit que fait Anjin dans une lettre de 1611. Il raconte avec déplaisir comment, peu après son arrivée, un jésuite étranger — son « ennemi mortel » — est venu lui servir de traducteur.

Le conflit mis en scène entre Blackthorne et le prêtre catholique reflète les troubles religieux et politiques entre protestants et catholiques au cours des 16e et 17e siècles. La Réforme protestante, débutant à Wittenberg en 1517 et se propageant dans toute l’Europe au cours du siècle qui a suivi, a suscité bien des tensions entre catholiques et protestants, qui ont plusieurs fois débouché sur des affrontements armés. Cette violence a parfois dégénéré en terribles effusions de sang, notamment lors des guerres de religion en France (1562-1598) et de la guerre de Trente Ans (1618-1648).

C’est également à cette époque, en 1540, qu’Ignace de Loyola fonde la Compagnie de Jésus (mieux connue sous le nom de jésuites) et que le catholicisme dans son ensemble renouvelle ses efforts d’évangélisation du monde. En 1549, le jésuite espagnol François Xavier et ses compagnons arrivent au Japon en tant que premiers missionnaires chrétiens. La foi catholique romaine s’est rapidement répandue dans le pays, atteignant de nombreuses personnes, y compris parmi la noblesse.

Les relations entre ces parties distinctes du monde ont également eu des conséquences économiques, permettant au Portugal et à l’Espagne de monopoliser le commerce avec le Japon. L’arrivée inattendue d’un marin protestant britannique constituait donc une menace religieuse, économique et politique pour les Portugais et les Espagnols catholiques au Japon.

Miura Anjin/William Adams

Le véritable Anjin était en effet un navigateur britannique du 17e siècle ayant laissé sa femme et ses deux enfants en Angleterre pour s’embarquer sur un navire hollandais dans une mission désespérée. Tout comme Toranaga accorde à Blackthorne le rang de hatamoto (titre donné aux samouraïs de la classe supérieure, vassaux du shōgun), Anjin deviendra lui aussi hatamoto de Tokugawa et occupera le poste de conseiller au commerce extérieur.

À la suite de James Clavell, auteur du roman originel, les scénaristes de la dernière adaptation ont pris plusieurs libertés créatives qui s’écartent du récit historique. Nombre de ces différences sont simplement géographiques, notamment en ce qui concerne la ville natale du protagoniste (du comté de Kent à Londres) et la région du Japon où il arrive (d’Oita à la préfecture de Shizuoka). Mais l’adaptation met également en scène une relation entre Blackthorne et une femme nommée Toda Mariko (Anna Sawai). Le véritable Anjin prit lui une autre épouse japonaise et eut un fils nommé Joseph et une fille nommée Susanna.

Hosokawa Gracia Tama

Toda Mariko est librement inspirée d’un personnage historique connu sous le nom de Hosokawa Gracia Tama. Née Akechi Tama, elle était la fille d’Akechi Mitsuhide, tristement célèbre pour avoir assassiné son seigneur lors de ce que l’on a appelé l’Incident de Honnō-ji. En raison de la trahison de son père, son mari Hosokawa Tadaoki la cacha dans les montagnes de l’actuelle préfecture de Kyoto pendant plusieurs années. Même après son retour au palais de son mari à Osaka, elle resta enfermée jusqu’à sa mort.

Un jour, alors que son mari était parti au combat, Hosokawa assiste secrètement à un service religieux catholique de Pâques. Bien que ce soit pour elle la première et la dernière fois, son intérêt pour le christianisme l’amène à correspondre par la suite avec des prêtres jésuites et, finalement, à se convertir. Une dizaine d’années plus tard, son mari se range du côté de Tokugawa dans plus grande bataille de samouraïs du Japon contre le commandant Ishida Mitsunari.

Les sources diffèrent sur la façon dont Hosokawa serait morte. Lorsque Ishida a cherché à la prendre en otage, elle se serait suicidée, aurait été mise à mort ou tuée dans un incendie. Hosokawa étant décédée en 1600, la présence de Mariko dans Shōgun, qui se déroule plus tard, est clairement anachronique. En outre, les interactions fréquentes de Mariko avec les missionnaires jésuites et ses allées et venues, telles qu’elles sont décrites dans la série, diffèrent de la situation de l’héroïne historique qui a passé sa vie recluse. L’ouverture de Mariko sur son identité chrétienne reflète toutefois la foi profonde d’Hosokawa et sa détermination à rester fidèle à ses croyances, même jusqu’à la mort.

Une foi authentique ?

Les téléspectateurs pourraient cependant se demander si Anjin était vraiment chrétien. Dans Shōgun, Blackthorne est grossier, a des relations extraconjugales et piétine irrévérencieusement une croix. Mais une analyse de six lettres écrites par le véritable Anjin entre 1611 et 1617 indique que sa foi pourrait avoir joué un rôle plus important dans sa vie personnelle.

Il fait explicitement référence à Jésus à deux reprises dans sa première lettre, datée d’octobre 1611, qui invoque le nom de Jésus-Christ en demandant que le destinataire de la lettre rapporte sa survie à sa femme et à ses enfants en Angleterre. Il écrit : « Je vous prie et vous implore au nom de Jésus-Christ de faire en sorte que ma pauvre femme sache que je suis ici, au Iapon. » Il conclut sa lettre par une requête similaire, demandant au Dieu tout-puissant que sa femme, ses enfants et ses proches prennent connaissance de sa lettre et lui envoient une réponse.

Les six lettres d’Anjin en provenance du Japon font référence à Dieu 47 fois au total. En décrivant les épreuves que lui et son équipage ont traversées en tant que captifs accusés de piraterie, il loue Dieu d’avoir fait preuve de miséricorde en leur sauvant la vie. Il affirme également que Dieu l’a béni parce qu’il a répondu par le bien aux mauvaises actions de ses « anciens ennemis » espagnols et portugais. Il reprend une bénédiction ecclésiale aux consonances familières : « À lui seul reviennent l’honneur et la louange, la puissance et la gloire, dès maintenant et pour toujours, dans le monde entier » et confesse que Dieu est le créateur du ciel et de la terre. Ces références à Dieu montrent que, au moins dans ses paroles, Anjin confessait sa foi en la présence et la conduite de Dieu dans sa vie.

Lorsqu’Anjin arrive au Japon, la persécution des chrétiens était déjà à l’œuvre. En 1587, le régent impérial du Japon, Toyotomi Hideyoshi, décrit le christianisme comme une religion maléfique des nations chrétiennes. Le Japon est pour lui protégé par ses propres dieux. Il publie donc des édits exigeant que les daimyōs (puissants propriétaires terriens) demandent son autorisation avant de devenir chrétiens, leur interdisant d’imposer la conversion à leurs sujets et expulsant les missionnaires chrétiens. Dix ans plus tard, en 1597, Toyotomi crucifie 26 catholiques (dont des missionnaires franciscains et jésuites et des croyants japonais) à Nagasaki.

Anjin arrive dans la ville voisine d’Oita trois ans seulement après cet événement tragique, et ses lettres témoignent de la persécution croissante des chrétiens pendant son séjour au Japon. Dans une lettre datée de janvier 1613, il évoque la présence de nombreux chrétiens selon « l’ordre romain », mais, déjà en 1612, il décrit que les franciscains ont été « abattus » et que seuls les jésuites sont restés à Nagasaki.

En 1614, Tokugawa Ieyasu publie un édit antichrétien, interdisant les missionnaires et rendant illégal le fait de devenir chrétien. Anjin témoigne de la persécution des chrétiens par Tokugawa dans une lettre datée de 1616-1617. Il rapporte que Tokugawa a déporté les catholiques étrangers et ordonné d’incendier les églises. En outre, après la mort de Tokugawa, son fils Tokugawa Hidetada s’oppose à la « religion romaine » et interdit aux daimyōs de se convertir à la « chrétienté romaine ».

Une série d’exécutions de chrétiens au Japon reflète la sévérité croissante de la persécution pendant la vie d’Anjin et jusqu’à sa mort en 1620. En 1614, 43 chrétiens sont tués à Arima, puis 23 à Edo en 1616 et 53 à Kyōto en 1619.

Le Japon entrera dans un état permanent d’isolement national en 1633. Pendant cette période, les kakure kirishitan ou « chrétiens cachés » dissimulent leur foi pour éviter une persécution féroce. Le Japon traquait les chrétiens en exigeant que chaque famille japonaise s’inscrive dans un lieu de culte bouddhiste, en obligeant les gens à piétiner un fumi-e (une image avec des symboles chrétiens tels que Jésus et Marie) et en accordant des récompenses à toute personne dénonçant un chrétien. Les chrétiens capturés étaient torturés jusqu’à ce qu’ils renoncent à leur foi, et ceux qui n’abjuraient pas étaient brutalement exécutés.

En dépit de son statut particulier d’étranger, le parcours d’Anjin donne à voir quelque chose des défis auxquels les chrétiens étaient confrontés au 17e siècle. Le fait qu’il continue à exprimer sa croyance en Dieu dans ses lettres pourrait témoigner de la persévérance de sa foi en dépit de son isolement spirituel. En outre, son accession à un poste d’influence reflète la manière dont d’autres ont pu apprécier ses connaissances, ses compétences et ses relations, malgré son identité chrétienne étrangère.

Cependant, malgré l’identité protestante d’Anjin et sa présence au Japon, le protestantisme n’a pas pris racine à cette époque. Et si Anjin a conservé sa foi en Dieu, une question demeure : a-t-il dû cacher celle-ci pour échapper à l’hostilité croissante à l’encontre des chrétiens au Japon ?

On peut observer que cette foi est plus claire dans sa première lettre. Dans ses lettres ultérieures, à partir de 1617, l’expression de sa foi se limite à des formules de conclusion confiant le destinataire à la « protection du Tout-Puissant » ou priant pour sa prospérité.

Malgré l’absence de déclarations de foi explicites jusqu’à sa mort en 1620, il reste possible d’espérer qu’il ait été inspiré par la foi courageuse d’autres chrétiens japonais, comme Hosokawa Gracia Tama, qui déclara un jour à un prêtre que sa conversion s’était produite « non pas par la persuasion des hommes, mais uniquement par la grâce et la miséricorde d’un seul et unique Dieu tout-puissant, en qui j’ai trouvé que même si les cieux se transformaient en terre et que les arbres et les plaines cessaient d’exister, moi, par la confiance que j’ai en Dieu, je ne serais pas ébranlée ».

Kaz Hayashi (PhD, Baylor University) est professeur associé d’Ancien Testament au Bethel Seminary/University dans le Minnesota. Il est né et a grandi au Japon, a fait ses études secondaires en Malaisie et réside aujourd’hui dans le Minnesota avec sa famille. Il est membre de Every Voice: A Center for Kingdom Diversity in Christian Theological Education.

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Quel genre d’homme était Jésus ?

Nous avons peu d’informations sur l’apparence et la personnalité de notre Sauveur. Mais c’est ainsi que Dieu l’a voulu.

Christianity Today April 10, 2024
Illustration de Chloe Cushman

Je suis récemment tombé sur plusieurs portraits du Christ que quelqu’un avait mis en ligne. En se basant sur l’image du suaire de Turin et en faisant appel à l’intelligence artificielle, ces représentations laissaient spéculer sur l’aspect qu’aurait pu avoir Jésus avant sa crucifixion.

Je me suis penché avec intérêt sur ces images, me demandant au fond si elles produiraient en moi qui suis chrétien un sentiment de familiarité. Mais je ne peux pas dire que mon cœur ait été touché d’une manière particulière.

Je n’ai certainement pas ressenti ce que je ressens habituellement lorsque quelqu’un que j’aime profondément se présente à moi. Je ne pouvais pas dire : « Oh, mais c’est Jésus ! Je le reconnaîtrais n’importe où ! »

Personne ne nous est aussi familier que Jésus-Christ. En même temps, personne ne nous est si étranger.

Mes lectures à propos Jésus ont commencé il y a plus de 50 ans, alors que je travaillais au milieu de la nuit dans un fast-food. Ayant récemment obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires, j’essayais de décider de la direction à donner à ma vie. J’ai pensé qu’il serait bon d’intégrer une dimension spirituelle. J’ai exploré le mysticisme oriental et l’occultisme, sans grand sérieux.

Un jour, j’ai soudain réalisé que la Bible était aussi un livre spirituel. Pendant mes pauses dans mon travail au restaurant, j’ai donc commencé à lire le Nouveau Testament.

Il n’a pas fallu longtemps pour que Jésus-Christ — non pas tant son message que sa personnalité — capte mon attention. Ou peut-être devrais-je dire que c’est précisément le mystère de sa personnalité qui m’a attiré.

Quel genre de personne est si convaincant que quelqu’un renoncerait à sa carrière ou à sa famille pour le suivre ? J’avais lu dans les Évangiles comment Pierre avait quitté la sécurité de ses filets de pêche et comment Matthieu avait délaissé les revenus lucratifs de la collecte des impôts. Même si le Jésus que je rencontrais dans les Évangiles n’était pas entièrement nouveau pour moi, il paraissait étrange.

J’ai continué à lire à son sujet depuis, mais il reste à bien des égards une énigme. Même si j’ai été pasteur et professeur dans un institut biblique, il m’arrive de me demander si je connais Jésus. Je ne veux pas dire que je me demande si je suis vraiment chrétien ou s’il est oui ou non mon Sauveur.

Mais souvent, lorsque je lis les Évangiles, le Jésus que je trouve n’est pas celui que j’attendais. Il parle ou agit d’une manière qui me trouble. Parfois, comme les disciples, je suis irrité et j’aurais bien envie de l’interpeler : « À quoi pensais-tu ? » D’autres fois, je suis frappé d’étonnement. Quel genre d’homme est-ce là ?

Dans nos relations ordinaires, nous avons tendance à observer attentivement le genre de détails que l’Écriture ne nous dévoile précisément pas au sujet de Jésus. Non seulement nous nous attardons sur le visage et la silhouette, mais nous prêtons attention à tous les petits éléments qui contribuent à la personnalité de quelqu’un : la lueur dans ses yeux, la courbe de son sourire, les plaisanteries qui le font rire.

On parle souvent à ce sujet de la personnalité de quelqu’un. Il y a là plus que le simple fait d’être un individu. J’y vois la manière dont une personne exprime son individualité. La personnalité est l’ensemble des caractéristiques qui font de l’individu un individu.

La Bible n’a pas grand-chose à dire sur ces détails en ce qui concerne le Christ. Les informations qu’elle fournit sont relativement rares ; elles sont dispersées dans les quatre Évangiles de manière fragmentaire ou ne peuvent être que devinées. L’apôtre Jean pouvait parler de ce qu’il avait entendu de ses oreilles, vu de ses yeux et touché de ses mains, mais tel n’est pas notre cas (1 Jn 1.1). Nous dépendons de ce qui est écrit.

Par conséquent, si nous voulons connaître le Christ à un niveau personnel, cette intimité doit se construire d’une manière différente de la plupart de nos autres relations. Cependant, Jésus promet une bénédiction particulière à ceux qui ne l’ont pas vu, mais qui ont cru (Jn 20.29).

Dieu nous a ouvert deux canaux principaux pour nous transmettre cette connaissance du Christ.

Le premier est ce qui a été rapporté à son sujet dans les Écritures. L’autre est le témoignage intérieur de l’Esprit saint, l’« Esprit du Christ » (Rm 8.9).

En 2 Corinthiens 4.6, l’apôtre Paul observe : « En effet, le même Dieu qui, un jour, a dit : Que la lumière brille du sein des ténèbres, a lui-même brillé dans notre cœur pour y faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne du visage de Jésus-Christ. » (BDS) Étrange propos à l’endroit de personnes qui n’ont jamais vu le visage de Jésus !

Malgré l’absence de toute description biblique détaillée de l’apparence ou de la personnalité de Jésus, nous en savons apparemment plus que nous ne le pensons.

Une lumière brille dans nos cœurs et révèle le visage invisible du Christ. Pas au sens propre. Mais par l’Esprit, nous apprenons à connaître Jésus personnellement et intimement. Et lui, en retour, nous montre la gloire du Dieu invisible à travers son humanité.

Les théologiens ont beaucoup parlé de la réalité de Dieu en tant que personne, en particulier en relation avec la doctrine de la Trinité. Ils se sont montrés moins prolixes sur ce que pourrait être sa personnalité dans le sens où je l’entends ici. Cette réticence peut s’expliquer par la crainte des anthropomorphismes. Les Écritures affirment à plusieurs reprises que Dieu n’est pas un homme (Nb 23.19 ; Job 9.32 ; Os 11.9).

Le théologien Helmut Thielicke prévient dans The Evangelical Faith que faire de la personne humaine un modèle de Dieu est une erreur :

Toute équation entre Dieu et la personne, ou toute tentative de faire de la personne humaine un modèle pour penser Dieu, est donc exclue d’emblée. […] Des équations de ce type feraient à nouveau de Dieu une image de la créature à la manière de la religion humaine ou de l’idolâtrie.

Et pourtant, quelle analogie prêterait plus à l’anthropomorphisme que celle que Dieu a lui-même choisie ? Genèse 1.26-27 nous déclare :

Puis Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance ! Qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu. Il créa l’homme et la femme.

Il est difficile de voir comment on pourrait avoir une relation personnelle avec Dieu tel qu’il se présente dans ces versets sans qu’il y ait aucune correspondance entre la nature de Dieu et ce que nous considérons comme personnalité. Même si l’on pouvait prouver que la notion de personnalité est hors de propos ici, elle ne peut être dénuée de sens lorsqu’il s’agit de Jésus-Christ. Hébreux 2.17 déclare que Jésus a été fait comme nous dans son Incarnation, « en tout semblable à ses frères et à ses sœurs » (NFC).

Jésus n’était pas une coquille vide dans laquelle a été versée la nature divine. Il n’était pas simplement revêtu d’un corps de chair. Bien que personne divine avant l’Incarnation, le Logos a pris une nouvelle dimension lorsqu’il s’est fait chair (Jn 1.1, 14). Jésus n’a pas cessé d’être ce qu’il était auparavant, mais il a ajouté la nature humaine à sa personne. Ce faisant, les deux natures ont conservé leur plénitude.

Jésus n’est pas deux personnes, l’une humaine et l’autre divine, qui cohabiteraient dans une même chair. Il est l’unique personne du Christ, à la fois pleinement humaine et pleinement divine à tous égards. En tant que tel, il possède une personnalité. L’une des raisons pour lesquelles Jésus est devenu humain était de manifester « l’expression même de ce que Dieu est » (Hé 1.3, NFC). L’humanité de Jésus nous dit à quoi ressemble Dieu.

« La personnalité », écrivait un certain Francis Rogers en 1921, est « l’incarnation de l’individualité ». Lorsque nous parlons de la personnalité de quelqu’un, nous touchons généralement à l’impression que cette personne nous laisse. Amicale ou inamicale ? Prête à sourire ou plutôt sérieuse ? Réservée ou plutôt extravertie ? Nous avons tendance à penser ces traits en paires opposées. L’introversion est l’opposé de l’extraversion. Une personne se concentre soit sur les tâches, soit sur les relations. On est un meneur ou un suiveur. En réalité, ces qualités existent toutes sur un continuum.

L’idée de personnalité décrit notre façon d’agir et d’entrer en relation avec les autres. Elle comprend le tempérament, les habitudes de comportement, les valeurs et les préférences. Le caractère s’exprime également à travers la personnalité, mais n’est pas nécessairement identique à celle-ci.

Les grâces qui façonnent le caractère d’un chrétien, comme le fruit de l’Esprit (Ga 5.22-23), peuvent être les mêmes pour tous les croyants, mais nous n’exprimons pas tous ces qualités de la même manière.

Les Évangiles révèlent relativement peu de choses sur ce qui nous intéresse généralement chez quelqu’un lorsqu’ils parlent de la personnalité de Jésus.

Nous ne savons rien de précis sur l’apparence physique de notre Sauveur et pratiquement rien sur le son de sa voix. Nous savons qu’il était charpentier, mais nous ne savons pas ce qu’il faisait pendant son temps libre, à part prier, participer à des repas, à un mariage et faire au moins une sieste. Comment se comportait-il lorsqu’il était avec des amis ? Nous savons que Jésus a pleuré, mais nous ne savons pas ce qui le faisait rire.

Il y a cependant quelques occasions dans les Évangiles où les nuages du silence se dissipent et où les rayons de la personnalité de Jésus apparaissent.

Les chefs religieux lui tendent un piège en attendant qu’il guérisse le jour du sabbat, et il les regarde avec colère, « profondément attristé par la dureté de leur cœur » (Mc 3.5, BDS).

Un jeune égaré croit qu’il est déjà assez bon pour hériter de la vie éternelle et demande ce qu’il doit faire d’autre, et Jésus le regarde avec amour (Mc 10.21).

Jésus touche un lépreux et parle tendrement à une femme intimidée (Lc 5.13 ; 8.48). Jésus pleure, console, réprimande et menace. Le Dieu qui nous est révélé à travers l’humanité du Christ est quelqu’un qui non seulement tonne, mais sanglote et soupire aussi.

La personnalité est notre point de rencontre avec les autres. Nous les connaissons en tant qu’individus grâce à leur personnalité. Nous tissons des liens avec des personnes dont la personnalité est semblable à la nôtre. Ou alors nous observons nos différences. L’identité n’est pas seulement question de savoir qui nous sommes, mais aussi de savoir qui nous ne sommes pas.

Face au peu de détails fournis par les Évangiles sur la personnalité de Jésus, nous pouvons être tentés de le modeler à notre image.

Dans un article publié en 2010 par Christianity Today sur l’incapacité des historiens à reconstituer un « Jésus historique », Scot McKnight décrivait comment il faisait passer à des étudiants un test psychologique standardisé divisé en deux parties. Dans la première partie, les étudiants devaient décrire la personnalité de Jésus. Dans la seconde, ils décrivaient la leur et comparaient les deux. « Le test n’est pas une question de bonnes ou de mauvaises réponses, et il n’est pas non plus conçu pour aider les élèves à comprendre Jésus », expliquait Scot McKnight.

Ce que révélait le test, c’est combien les gens ont tendance à penser que Jésus est semblable à eux. Les introvertis pensent que Jésus est introverti. Les extravertis pensent le contraire.

« Si l’on faisait passer le test à un échantillon aléatoire d’adultes », écrivait Scot McKnight, « les résultats seraient sensiblement similaires. À un degré ou à un autre, nous conformons tous Jésus à notre propre image. »

Notre image mentale de Jésus est souvent façonnée par des présupposés culturels et des expériences personnelles autant que par l’Écriture. C’est la raison pour laquelle le Jésus de notre esprit nous semble souvent si familier et sympathique. Nous croyons qu’il nous ressemble. Qu’il partage nos goûts et répond à nos attentes. Que les vérités qu’il défend sont celles dont nous sommes déjà convaincus. La vie chrétienne à laquelle ce Jésus nous appelle ressemble à celle que nous vivons déjà. Jésus de droite, Jésus de gauche, Jésus robuste et viril, Jésus doux, Jésus figure mythique… Tous, dans une certaine mesure, représentent nos versions personnelles du Jésus biblique.

Dans le meilleur des cas, ces versions accentuent certains traits que nous retrouvons dans le portrait que les Évangiles font de lui. Le plus souvent, ces images résonnent surtout avec les valeurs qui sont déjà nôtres. Dans le pire des cas, il ne s’agit que d’idoles que nous avons façonnées à notre image.

Nous n’avons pas besoin d’une photo pour voir la gloire de Dieu sur le visage du Christ. Nous avons besoin de la Parole et de l’Esprit. La révélation du Père par le Christ a lieu chaque fois que nous lisons les paroles et les actions de Jésus dans les Écritures. L’Esprit de Dieu utilise cette Parole pour briller dans nos cœurs et nous révéler le Père et le Fils. Comme Jésus nous révèle le Père, l’Esprit nous fait connaître le Christ.

Cette compréhension de qui est Jésus, acquise par la Parole et appliquée par l’Esprit en conjonction avec nos expériences, est bien supérieure à celle que pourrait offrir une quelconque image, parce qu’elle fournit une connaissance personnelle du Christ élaborée à l’intérieur même de notre être.

Cette connaissance ne se résume pas à un ensemble de traits dont on tirerait sans doute des conclusions erronées. Une grande partie de l’intérêt pour la personnalité de Jésus ne provient malheureusement pas d’un désir de mieux comprendre Jésus, mais d’un désir de montrer que Jésus pense et agit comme nous. Au contraire, la compréhension que l’Esprit apporte va dans l’autre sens.

La connaissance de Jésus que nous avons ainsi va au-delà d’une liste de goûts et de dégoûts ou de la connaissance de telle ou telle particularité que nous attribuons habituellement à la personnalité. Pour le croyant, connaître Jésus implique l’incorporation de Christ lui-même dans notre façon de penser et d’agir.

En d’autres termes, nous apprenons à connaître Jésus personnellement non seulement en lisant sur lui, mais en devenant comme lui. Cette expérience présente deux caractéristiques importantes. La première est qu’elle est progressive. Cette transformation ne se produit pas instantanément lorsque nous naissons de nouveau. Elle est en cours et n’atteindra sa perfection que dans l’éternité.

D’autre part, cette expérience est intégrée à l’unicité de notre personnalité. Au fur et à mesure que nous devenons de plus en plus semblables au Christ, nos traits distinctifs ne sont pas effacés. Au contraire, le Christ se manifeste à travers les différents styles de personnalité de ceux qui lui appartiennent.

Si la personnalité est vraiment la matérialisation de l’individualité, nous pourrions penser que nous connaissons notre personnalité mieux que quiconque. Après tout, c’est ce que nous sommes. Pourtant, la popularité des tests promettant de résumer à notre place nos traits de personnalité semble suggérer le contraire. Serait-il plus facile d’observer la personnalité des autres ? Ou bien passons-nous ces tests dans l’espoir de confirmer ce que nous savons déjà sur nous-mêmes, de mieux nous rattacher à notre tribu sociale spécifique ?

Quoi qu’il en soit, si ces tests peuvent constituer un moyen précieux de synthétiser des données sur des personnes, ils sont également souvent trop réducteurs pour donner une image complète de la situation. Au lieu de mettre en valeur la façon unique dont le Christ agit à travers chaque individu, ils tendent à classer les individus dans des catégories trop larges ou trop vagues pour être utiles.

D’autre part, ils ne rendent pas justice à la manière mystérieuse dont Dieu agit à travers des personnes improbables pour atteindre ses objectifs. Dieu travaille en dépit de nos personnalités autant qu’il travaille à travers elles.

Dans un sermon sur la pierre blanche et le nom nouveau d’Apocalypse 2.17, George MacDonald décrit chaque personne comme ayant une relation individuelle et unique avec Dieu. « Il est pour Dieu un être particulier, fait à sa manière et à la manière de personne d’autre », dit-il.

Pour cet auteur, cela signifie que chaque personne est dotée d’un angle de vision particulier lorsqu’il s’agit de comprendre Dieu :

Il peut donc adorer Dieu comme personne d’autre ne peut l’adorer — il peut comprendre Dieu comme personne d’autre ne peut le comprendre. Tel ou tel autre homme peut comprendre Dieu davantage, peut comprendre Dieu mieux que lui, mais aucun autre homme ne peut comprendre Dieu comme lui le comprend.

Lorsque la vérité est mise en œuvre dans notre expérience quotidienne, nous n’apprenons pas seulement à connaître Jésus, mais nous le donnons à voir d’une manière tout aussi unique que le décrit MacDonald. Pour reprendre encore ses mots, chacun d’entre nous est « pour Dieu un être particulier, fait à sa manière et à la manière de personne d’autre ». Nous pouvons partager certains traits avec d’autres, mais personne n’est exactement comme nous. Et la connaissance du Christ véhiculée par nos diverses expériences se réfracte à travers nos diverses personnalités comme la lumière brille à travers un vitrail.

Peut-être que ces étudiants décrivant le profil psychologique de Jésus dans la classe de Scot McKnight avaient raison après tout, non pas de penser que Jésus était comme eux, mais l’inverse.

Comme le dit le poète Gerard Manley Hopkins dans « As Kingfishers Catch Fire » :

Le Christ se joue en mille et mille lieux, Magnifique dans des membres, magnifique dans des yeux, mais pas les siens, Pour le Père dans les traits du visage des humains.

Ceux qui ont expérimenté Christ servent d’intermédiaires par lesquels d’autres peuvent voir Jésus. Leur vie est la scène sur laquelle il joue et sa beauté se révèle à travers eux. Plus que la beauté d’un seul profil de personnalité, il s’agit d’une image d’une diversité inouïe. Jésus est un être humain doté d’une véritable personnalité, mais il est aussi le Dieu qui a choisi de se révéler à travers ceux qu’il a créés et sauvés.

Alors que nous sommes « transformés à son image, de gloire en gloire » (2 Co 3.18), Jésus se révèle comme le « Sauveur aux 1 000 visages », pour paraphraser la théorie de Joseph Campbell. Nous manifestons Jésus comme un diamant révèle sa gloire : sous d’innombrables facettes.

John Koessler est écrivain, podcasteur et professeur émérite retraité du Moody Bible Institute. Son dernier livre est When God Is Silent, publié par Lexham Press.

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La fin du monde est bien là (mais pas comme certains le pensent).

Notre quête de signes apocalyptiques corrompt notre lecture de l’Apocalypse.

Christianity Today April 8, 2024
Illustration by Christianity Today / Source Images: WikiMedia Commons / Unsplash

L’éclipse solaire de cette semaine a une fois de plus agité les théoriciens de la fin du monde et attisé les flammes de la spéculation apocalyptique.

Comme l’événement du 8 avril sera principalement visible en Amérique du Nord, certains Américains s’attendent à un grand jour du jugement dernier, accompagné d’attaques terroristes, de guerres biologiques et d’explosions nucléaires. Selon certains complotistes d’extrême droite, au nombre desquels quelques responsables évangéliques marginaux, cette guerre inaugurera un nouvel ordre mondial dans lequel le Christ reviendra et l’Amérique (aux côtés d’Israël) régnera sur les nations.

Ce n’est pas la première fois que des éclipses imminentes suscitent des prédictions apocalyptiques. La même chose s’était produite en 2017. Mais l’intérêt pour la fin du monde semble s’être accru ces dernières années avec des événements tels que la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et le conflit entre Israël et le Hamas, qui ont fait que presque toutes les régions du globe ont été confrontées à une sorte ou l’autre de calamité. Ces événements et d’autres tribulations récentes ont conduit de nombreux croyants à conclure que la fin est proche. Une étude du Pew Research Center a révélé en 2022 que plus de 60 % des chrétiens évangéliques aux États-Unis croient que nous vivons la fin des temps.

Bien que certains passages de la Bible établissent effectivement un lien entre des phénomènes astronomiques et la « fin » (Mt 24.29 ; Jl 2.31), les prophètes de l’apocalypse n’expliquent pas pourquoi leurs calculs bibliques, géopolitiques et cosmiques tournent souvent autour des États-Unis. Ils négligent en outre le fait qu’une éclipse se produit quelque part sur Terre environ tous les 18 mois et que ces événements solaires ont été associés à des catastrophes imminentes depuis des milliers d’années, sans qu’il n’en soit jamais rien.

Pourtant, au regard du livre de l’Apocalypse, les conspirationnistes de la fin des temps ont bel et bien raison sur un aspect de leur eschatologie : nous vivons présentement la fin des temps. Mais peut-être pas de la manière dont ils le pensent.

Le génie du dernier livre de la Bible, qui contient l’enseignement le plus direct et le plus développé sur la fin des temps, est précisément d’avoir permis à chaque génération de voir les signes de « la fin ». Jean, son auteur, a magistralement entretissé toute une série de visions symboliques que les lecteurs de toute époque peuvent comprendre dans leur propre contexte. Plus que tout autre, l’Apocalypse communique de manière vivante le message de l’Évangile et la façon dont Jésus attend de nous que nous y répondions ici et maintenant. C’est la raison pour laquelle ce texte est tout aussi crucial pour notre foi que les Évangiles.

Jean enseigne que la fin est proche, si proche qu’elle est déjà là. La mort et la résurrection du Christ ont inauguré les derniers jours (1 Jn 2.18 ; Hé 1.2 ; Ap 1.1-3) et seul le Père sait quand Jésus reviendra (Mc 13.32-33). Par conséquent, nous n’avons pas à « décoder » l’Apocalypse ou à chercher à pointer du doigt tel ou tel événement signalant la fin du monde. Or, c’est précisément ce que nombre d’interprètes ont tenté de faire.

L’une des interprétations chrétiennes les plus populaires de la fin des temps est celle véhiculée par Left Behind (Les survivants de l’Apocalypse), une série décrivant l’enlèvement des croyants et le tourbillon d’événements qui s’ensuit. Bien que peu de gens parlent encore de ces livres et que dix ans se soient écoulés depuis la sortie de la dernière adaptation au cinéma (« Le chaos », qui a à l’époque été critiqué et analysé par CT), la série a laissé derrière elle un héritage d’incompréhension évangélique du livre de l’Apocalypse et de son regard sur la fin des temps.

Le premier roman de cette série a été publié en 1995, quelques semaines à peine après que je sois devenue chrétienne. Au départ, j’ai assimilé cette littérature avec presque autant de révérence que les Écritures elles-mêmes. Mais au fur et à mesure que je lisais la série, mon intérêt s’est émoussé. Elle semblait offrir peu d’orientations substantielles pour ma foi naissante. J’en ai donc conclu que le livre de l’Apocalypse, sur lequel ces livres sont vaguement basés, ne devait pas avoir grand-chose à offrir non plus. Après tout, si je devais être enlevée avant tous les événements effrayants de la Grande Tribulation, pourquoi m’intéresser à ce que dit Jean ?

Mais aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, je suis devenu une bibliste spécialisée dans l’étude de l’Apocalypse et je ne cesse d’implorer les gens de ne pas utiliser ce livre à mauvais escient pour alimenter des prédictions sur la fin des temps.

La façon la plus courante dont le peuple de Dieu a déformé l’Apocalypse de Jean consiste à établir une corrélation entre ses visions et des événements de leur époque, tordant ainsi son message principal. À chaque période de l’histoire, des croyants ont identifié les signes de la « fin » et les forces néfastes qui la provoqueraient. La fin du monde a été diversement calculée pour l’an 275, 365, 400, 500, 999, 1000, 1666, 1843, 1914, 1994 et 2000, pour n’en citer que quelques-uns.

Le problème est que ces prévisions apocalyptiques ont des conséquences dans le monde réel, en particulier lorsqu’elles sont davantage guidées par une position politique que par une étude responsable des Écritures.

Pendant les croisades du Moyen Âge (1095-1291), les Européens de l’ouest espéraient que la reprise de la Terre sainte initierait le retour du Christ. Des multitudes de musulmans et de juifs ont été massacrés en cours de route. Quelques centaines d’années plus tard, les réformateurs protestants voyaient dans la papauté catholique l’incarnation de l’Antichrist. Peu après, certains colons américains tentant d’établir un « nouveau monde » identifiaient étroitement celui-ci à la nouvelle Jérusalem d’Apocalypse 21. L’Angleterre était donc vue comme la « Bête », et le droit de timbre britannique devint sa marque.

Dans les années 1980, la pensée apocalyptique vilipendait la Russie en la qualifiant d’« empire du mal » qui, aux côtés de la Chine, représentait Gog et Magog (Ap 20.8) — des ennemis malveillants devant s’opposer au peuple de Dieu (et/ou à Jérusalem) avant (ou après) le Millénium. Aujourd’hui, l’Iran et la Palestine ne sont que deux nouveaux prétendants à cette identification. D’un autre côté, certains orthodoxes russes pensent que l’Amérique est à la tête des forces de l’Antichrist.

Ce que je voudrais mettre en évidence, c’est que si vous lisez le livre de l’Apocalypse à la recherche de détails spécifiques — une date pour la fin du monde, le nom d’un antichrist, ou des nations à qualifier d’ennemies de Dieu — vous les trouverez. Il y a toujours eu, et il y aura toujours, des forces qui s’opposent à Dieu et à son peuple.

Mais il est important pour nous de comprendre l’eschatologie sous-jacente à des récits tels que la série Left Behind, car elle persiste dans la conscience évangélique et colore le prisme à travers lequel de nombreuses personnes lisent et interprètent encore le livre de l’Apocalypse. L’une des principales facettes de cette vision du monde est le prémillénarisme dispensationaliste, qui soutient que les vrais croyants seront enlevés — ou transportés surnaturellement — au ciel, avant sept années d’intenses bouleversements géologiques, sociaux et politiques au cours desquels l’Antichrist s’élèvera et le temple de Jérusalem sera reconstruit.

Cette période, « la tribulation », se terminera par une grande bataille finale, Armageddon, après laquelle le Christ reviendra et régnera sur la terre avec ses saints pendant mille ans. Nous n’avons pas la place d’exposer ici tous les problèmes liés à cette interprétation. Il faut néanmoins noter que le cœur de cet enseignement, le Millénium, n’est mentionné que dans un seul passage très controversé de l’Écriture (Ap 20 : 1-7). Mais les questions exégétiques mises à part, quels sont les dangers potentiels de cette pensée pour ceux qui cherchent à vivre l’Évangile au quotidien ?

Tout d’abord, en poussant cet état d’esprit jusqu’au bout, nous risquons d’ignorer notre vocation la plus sacrée : aimer tous nos prochains. Le fait de considérer d’autres personnes ou groupes comme les ennemis de Dieu annoncés par la Bible tend à nous dispenser d’essayer de les atteindre avec le message de l’Évangile. En d’autres termes, si la Bible prédit qu’une personne ou un groupe de personnes sera vaincu par le Christ et brûlera dans l’étang de feu (Ap 20.1-15), qui sommes-nous pour œuvrer à ce qu’il en soit autrement ?

À l’inverse, l’Apocalypse nous enseigne que notre témoignage rendu à la Croix porte du fruit et permet que ceux qui rejettent Dieu se repentent et lui rendent gloire (Ap 11.13 ; 21.24). En vivant l’Évangile dans un monde brisé, nous incarnons une autre approche de notre histoire, la vérité selon laquelle Dieu libère toute sa création des forces du péché et de la mort.

Deuxièmement, si nous nous attendons à être enlevés avant les épreuves et les tribulations, nous ne serons pas préparés lorsqu’elles nous tomberont dessus. Un aspect important de l’enseignement de l’Apocalypse est que des catastrophes vont se effectivement produire à plusieurs reprises. À chaque époque, le peuple de Dieu sera confronté à des calamités géologiques, politiques, sociales et personnelles. Mais si nous supposons que le Christ nous exemptera de telles afflictions, notre foi pourrait s’étioler lorsque nous y serons confrontés. À l’inverse, Jean cherche à fortifier notre foi en nous exhortant à persévérer dans les épreuves. Nous ne sommes pas appelés à fuir le monde, mais à y témoigner du Christ.

Troisièmement, la pensée « Left Behind » est étroitement liée à la croyance selon laquelle l’entité nationale/politique d’Israël jouit d’un statut supérieur à celui des autres peuples et nations, notamment en raison d’une association entre sionisme et exceptionnalisme américain tout au long de l’histoire moderne.

Mais l’enseignement explicite du Nouveau Testament, y compris de l’Apocalypse, est que tous les peuples de la terre sont également chéris par Dieu. Le Père désire que chaque groupe de personnes fasse l’expérience de son amour et de sa grâce par l’intermédiaire de Christ (Ac 10.34-35 ; 2 P 3.9). D’un point de vue biblique et théologique, aucune entité nationale, y compris l’Amérique ou Israël, ne bénéficie d’une faveur spéciale aux yeux de Dieu. Prétendre le contraire peut grandement entraver la diffusion de l’Évangile dans le monde.

Avec la polarisation croissante à l’œuvre aux États-Unis et la fréquente dénonciation des valeurs judéo-chrétiennes traditionnelles considérées comme l’expression d’un nationalisme blanc, il est vital pour nous de réaffirmer que les enseignements de l’Écriture, le salut offert par Dieu et ses promesses sont également accessibles à tous les peuples. Cette idée n’est pas imposée arbitrairement à l’Écriture, mais découle directement d’une saine exégèse.

Si le but de l’Apocalypse n’est pas de nous donner une carte des événements de la fin des temps, à quoi sert-elle et pourquoi en avons-nous besoin ? Le but de l’Apocalypse est de motiver les croyants par un message d’espoir. Jésus a déjà vaincu le mal ! Nous n’attendons pas l’enlèvement, l’Antichrist ou Armageddon. Nous attendons Jésus. Dans son amour, Dieu pourrait encore patienter, mais lorsque Jésus reviendra enfin, il apparaîtra triomphalement pour juger le mal ainsi que pour reconquérir et renouveler la création.

Entre-temps, les croyants continuent de « lutter » en son nom, non pas contre la chair et le sang, mais contre les puissances invisibles de ce monde (Ep 6.12). Et notre victoire s’obtient paradoxalement par la souffrance et le don de soi. De même que le Christ a accompli la rédemption du monde par sa mort sacrificielle, ses disciples sont appelés à devenir des instruments de restauration par leur obéissance et leur persévérance dans le message de la Croix.

Le chemin de la victoire dans l’Apocalypse est à la fois contre-intuitif et contre-culturel. L’idée d’un enlèvement futur au moyen duquel les croyants échapperaient à la tribulation en étant transportés surnaturellement au ciel passe complètement à côté de l’objectif du livre. Pire encore, s’attendre à ce que le Christ revienne à la fin des temps pour vaincre ses ennemis par une guerre terrestre, c’est commettre la même erreur que le peuple juif au premier siècle qui attendait de son Messie qu’il renverse Rome.

Placer notre espoir dans un Messie qui triompherait grâce à un pouvoir supérieur et à la puissance militaire, c’est adhérer à l’idéologie de ce monde plutôt qu’à celle de l’Agneau, immolé mais toujours debout. Le Messie que nous suivons est celui qui a acquis sa victoire par une mise à mort publique humiliante et douloureuse.

Toute cette richesse est perdue lorsque nous considérons l’Apocalypse comme une série d’événements à décoder. Lire ce livre à travers un autre prisme que le sien entrave gravement notre capacité à saisir sa portée missionnelle et spirituelle. Comment éviter cet écueil et s’approprier le message de l’Apocalypse d’une manière qui renforce notre foi, transforme notre théologie et soit en bénédiction pour la création de Dieu ?

Tout d’abord, nous devons étudier les Écritures dans leur contexte. Si nous lisons l’Apocalypse dans le contexte des Évangiles (et du reste du NT), l’image d’un messie militaire revenant pour massacrer ses ennemis n’a aucun sens. Il faut également tenir compte du genre du livre. L’Apocalypse relève de la littérature apocalyptique, qui use de symboles pour nous permettre de voir la réalité sous un angle différent. Une apocalypse ne nous parle pas de la fin du monde, mais fait quelque chose de bien plus important : elle révèle la véritable nature du monde.

En fait, le mot français apocalypse provient du mot grec apocalypsis, qui signifie « révélation », et non « fin du monde », tel qu’on l’imagine souvent dans la culture populaire. Le livre de Jean s’intitule d’ailleurs « Revelation » en anglais. Si cela ne suffisait pas à nous convaincre, Jean lui-même nous dit que ses visions sont symboliques (1.1), une nuance qui est souvent occultée dans les traductions. La Holman Christian Standard Bible se rapproche le plus du sens précis en traduisant que Christ a « signifié » son message à Jean (comme le font en français la version Darby ou la Nouvelle Bible Segond) et en ajoutant une note de bas de page indiquant que le verbe employé signifie qu’il a « fait connaître par des symboles ».

Deuxièmement, le fait de voir la réalité du point de vue de Dieu devrait galvaniser notre engagement dans la mission dans le monde. Le message de Jean sur la persévérance victorieuse face à l’hostilité était initialement destiné à refaçonner l’identité et l’orientation des premiers chrétiens sous la domination de Rome en les exhortant à surmonter la pression du compromis avec une société païenne. De la même manière, ce message devrait nous motiver à incarner la vérité de l’Évangile dans un monde qui rejette le Christ et son royaume.

Jean enseigne que Dieu s’oppose au mal et combat au nom de la justice, et qu’il vaincra un jour de manière décisive toutes les forces des ténèbres dans les domaines terrestre et spirituel. Mais pour l’instant, Dieu choisit d’agir principalement par l’intermédiaire de l’Église et de ses saints. Nous devons donc lutter publiquement pour la vérité, la bonté et la justice et nous opposer au mensonge, à l’injustice et au mal en faveur de tous les groupes de population. Nous devons résister à la tentation de nous aligner sans discernement sur des idéologies populaires ou politiquement opportunes, même si nous finissons par être persécutés pour notre refus de nous joindre au mouvement, sachant que nous serons prêts pour toute épreuve.

Enfin, éclipse solaire ou pas, nous sommes appelés à vivre chaque jour comme s’il s’agissait du dernier. Que Jésus revienne dans un jour, dans un mois ou dans mille ans, nous sommes appelés à prendre publiquement la parole et à incarner de manière sacrificielle la vérité de l’Évangile. Nous ne pouvons connaître ni le jour ni l’heure, mais l’Écriture nous dit que le retour de Jésus se rapproche de jour en jour (Mt 25.13 ; 1 P 4.7). De ce côté-ci de l’éternité, cette vérité biblique devrait réorienter toutes nos activités, nos objectifs, nos projets et nos relations.

Nous vivons la fin des temps. Qu’en ferons-nous ?

Andrea L. Robinson est professeure au Huntsville Bible College, conférencière interconfessionnelle et autrice de nombreuses publications sur l’Apocalypse, l’eschatologie et l’écothéologie.

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Qui était vraiment la première apôtre ?

Touchée par la grâce, Marie Madeleine a une histoire à nous raconter.

Christianity Today April 5, 2024
Illustration de Chloe Cushman

À l’exception de Jésus-Christ et de sa mère Marie, peu de personnages bibliques occupent une place aussi importante dans l’histoire de l’art chrétien que Marie-Madeleine. Peintures et sculptures reviennent régulièrement à la représentation de ces deux Marie, non seulement parce qu’elles apparaissent fréquemment dans le Nouveau Testament, mais aussi parce qu’elles jouent un rôle central dans la vie de Jésus.

L’identité de Marie de Nazareth est incontestée. Elle est la jeune fiancée qui a conçu Jésus, le Fils de Dieu. Présente auprès de son Fils et de ses disciples tout au long de son ministère terrestre, elle est restée avec lui jusqu’à la fin et au-delà, quand l’Esprit saint inspira les fidèles à répandre partout la nouvelle du salut.

L’identité de Marie-Madeleine, en revanche, n’est pas aussi claire. De ses représentations visuelles à travers le temps émerge une histoire riche, complexe et intrigante, qui soulève en fin de compte une question centrale : qui était-elle ?

En nous penchant sur cette question au filtre de l’art chrétien, on perçoit rapidement que la réponse n’est pas évidente. Comme le révèle le dernier ouvrage d’histoire visuelle de Diane Apostolos-Cappadona, Marie-Madeleine a représenté énormément de choses pour l’Église à travers le monde et à travers les âges.

L’exposition « À la recherche de Marie Madeleine », organisée en 2002 par Apostolos-Cappadona, présentait effectivement plus de 80 œuvres d’art et objets représentant Marie Madeleine. L’histoire de l’art l’associe souvent à des cheveux longs, à une jarre d’huile d’onction et à la nudité. Elle incarne fréquemment la pécheresse pénitente et la prostituée repentie, réputée pour son amour fervent du Christ et son humilité face à lui. Elle est connue pour sa présence à la croix et au tombeau dans le jardin. On se souvient également d’elle pour ses courageux voyages missionnaires en tant qu’évangéliste et prédicatrice.

Ces portraits de Marie-Madeleine donnent un aperçu de l’interprétation que l’Église a faite de son histoire, mais aussi de l’impact des légendes médiévales qu’elle a inspirées.

L’Art Institute of Chicago a récemment accueilli deux tableaux du célèbre artiste italien le Caravage. L’un d’eux, Marthe et Marie-Madeleine, peint vers 1598, illustre bien les difficultés à cerner son histoire.

En associant Marie-Madeleine à Marthe, le Caravage suivait des enseignements du sixième siècle du pape Grégoire le Grand, qui avait appliqué les références bibliques concernant Marie de Béthanie à la personne de Marie-Madeleine. Sous la direction de Grégoire, et dans l’esprit médiéval, Marthe est devenue la sœur de Marie-Madeleine et Lazare son frère. À l’époque du Caravage, également époque de la Réforme, les efforts exégétiques visant à distinguer Marie de Béthanie de Marie-Madeleine avaient provoqué une controverse entre protestants et catholiques romains. Y avait-il deux Marie dans ces passages ou une seule ? Comme l’ont montré les travaux de Margaret Arnold, le cas de Marie Madeleine illustre bien les tensions entre la tradition de l’Église catholique et le Sola Scriptura protestant.

L’examen de la peinture du Caravage révèle une autre complexité. Marie-Madeleine se regarde dans un miroir convexe, objet de luxe au début de l’époque moderne. Si nous pouvons aujourd’hui facilement admirer notre propre reflet, tel n’était pas le cas à l’époque. Les miroirs n’ont intégré les foyers qu’au 17e siècle et n’ont commencé à remplacer les tapisseries murales qu’au 18e siècle. À cette époque, le miroir convexe était associé à la déformation du moi. Il renvoyait à la perception de soi et à la nécessité de faire face au péché humain.

En mettant Marie-Madeleine face à un miroir convexe, le Caravage évoque les thèmes du péché et de la pénitence, qui ont fait la trame de son histoire pendant des siècles en raison de son association avec la femme pécheresse de Luc 7. Vu l’amalgame entre Marie de Magdala et Marie de Béthanie, puis le rapprochement entre Marie de Béthanie et la femme pécheresse (l’une oignant Jésus en Jean 12.1-8 et l’autre en Luc 7.36-50), le pas fut vite franchi de jeter une réputation de pécheresse sur Marie de Magdala.

Il n’est donc pas facile de décrire correctement de Marie-Madeleine. Les représentations artistiques que l’on a faites d’elle reflètent souvent la confusion due aux lectures traditionnelles du texte biblique ainsi qu’aux couches de légendes médiévales qui ont prolongé son histoire.

The Chosen, la série multi-saisons de Dallas Jenkins sur la vie de Jésus, prolonge ces réécritures. Elle a suscité bien des débats dès son premier épisode en présentant la vie de Jésus à travers le regard de deux personnages inattendus et régulièrement négligés : Marie-Madeleine et Nicodème.

L’intérêt croissant pour l’identité et le sens à donner au personnage de Marie de Magdala devrait nous amener à réexaminer le texte biblique. Elle n’apparait peut-être pas à chaque page des récits évangéliques, mais chaque fois qu’on la voit, elle occupe une place prépondérante en tant que témoin oculaire et bénéficiaire de la grâce.

Le Nouveau Testament brosse un tableau saisissant de la vie et de la foi de Marie de Magdala. Luc la présente de la manière suivante :

Par la suite, il [Jésus] se mit à cheminer de ville en ville et de village en village ; il proclamait et annonçait la bonne nouvelle du règne de Dieu. Les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, celle qu’on appelle Madeleine (ou de Magdala), de qui étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chuza, intendant d’Hérode, Susanne, et beaucoup d’autres, qui utilisaient leurs biens pour les servir. (Lc 8.1-3)

Luc la distingue des nombreuses autres Marie en la surnommant « Madeleine » ou « de Magdala ». Les chercheurs ont souvent associé ce titre à un village de pêcheurs prospère situé sur la rive ouest de la mer de Galilée. Cette localité aurait été nommée Magdala en raison de la présence, à une époque antérieure, d’une tour dans son port (magdala signifie « tour » en araméen). Gens et richesses y auraient afflué, faisant passer Magdala du statut de village à celui de véritable cité, rivale juive des villes de la Décapole. De récentes découvertes archéologiques y ont mis au jour une synagogue cossue et des thermes hellénistiques.

Luc dépeint Marie comme généreuse. Si elle était effectivement originaire de la région, elle devait probablement bénéficier de ses richesses.

Mais en dépit de ses biens matériels, sa vie a dû également être marquée par un temps de grande détresse. Puisque Marie suit Jésus et que les auteurs de l’Évangile tiennent à montrer la puissance de Jésus sur les démons, c’est donc certainement lui qui a chassé ceux qui étaient sortis d’elle. Marie-Madeleine, ainsi que les autres femmes qui voyageaient avec lui, avait été guérie de diverses maladies, tant spirituelles que physiques.

Plusieurs fois, au cours de son ministère, Jésus a refusé aux personnes qu’il avait guéries de l’accompagner. Il les a renvoyées chez elles (Lc 8.38-39 ; 14.4). Mais pas ces femmes-là. À elles, il a dit oui.

Parmi elles, Marie de Magdala se distingue des autres par l’importance de sa guérison. Son cas faisait sans doute partie de ces situations désespérées décrites par Jésus en Luc 11.26.

Le chiffre sept évoque l’accomplissement. Il indique que c’est la vie tout entière de la personne qui est envahie par les démons. Si la présence d’un seul esprit provoque la terreur, on ne peut s’imaginer être possédé par 7 démons. Marie représente donc une personne « à qui l’on a beaucoup donné » pour sa guérison. Par conséquent, « on attend beaucoup » de sa part (12.48).

Et elle va amplement s’acquitter de sa dette de reconnaissance envers Jésus. Alors qu’il parcourt les villes et les villages en prêchant la bonne nouvelle du royaume de Dieu, elle est là avec lui, et elle est la première des femmes nommées. Ce passage de Luc 8 est l’un des passages du Nouveau Testament où notre vision de l’entourage de Jésus s’élargit. Il n’y a pas que 12 disciples. Ils sont là, mais ils ne sont pas les seuls. Le cercle est plus large.

Par gratitude, Marie et les autres femmes ont mis leurs biens au service du mouvement initié par Jésus. On se demande souvent comment Jésus et ses 12 disciples ont pu subvenir à leurs besoins alors qu’ils avaient quitté leur emploi. Voici une partie de la réponse. Ces femmes les aidaient à payer leurs factures. Au cours des nombreux voyages de Jésus, elles ont observé son ministère et y ont participé. Elles l’ont aussi soutenu financièrement.

Il n’est pas très étonnant que Luc les mentionne, car il n’hésite pas à indiquer la présence de femmes aux côtés des hommes (Luc 23.27, 49), mais Matthieu et Marc soulignent également la mixité du groupe des disciples. Ces deux évangélistes mentionnent aussi celles qui ont suivi Jésus de la Galilée à Jérusalem, s’occupant de lui au cours de ce long voyage (Mt 27.55-56 ; Mc 15.40-41).

Dans ces trois textes, Marie Madeleine est mentionnée en premier. Elle était l’une des disciples de longue date et était profondément engagée envers Jésus. Elle avait une histoire à raconter sur ce que son Seigneur avait fait pour elle. Et, ayant suivi Jésus jusqu’à la fin de sa vie, elle a été témoin oculaire des événements qui ont changé le monde. Elle a assisté à sa mort, son ensevelissement et sa résurrection.

Matthieu, Marc et Luc indiquent qu’un groupe de femmes observe à distance la crucifixion de Jésus (Luc 23.49 ; 24.10). Marie de Magdala est citée en premier chez Matthieu et de Marc. Ces femmes n’avaient ni fui ni renié Jésus comme certains des autres disciples, mais la distance qu’elles gardaient n’apportait surement pas un grand réconfort à Jésus. Peut-être avons-nous là, selon certains interprètes, une évocation du Psaume 37.12 dans la Septante (Psaume 38.11 dans nos bibles), où l’épreuve d’une personne souffrante est aggravée lorsque ses amis et sa famille se tiennent à l’écart.

Toutefois, selon le récit que fait Jean sur la crucifixion, Marie ne reste pas à cet endroit : « Auprès de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie-Madeleine. » (Jn 19.25, italiques ajoutés)

À un moment donné, elle s’est donc déplacée pour s’approcher de Jésus, suffisamment près pour l’entendre parler. C’était risqué. Il était crucifié en tant qu’usurpateur ; s’associer à lui pouvait coûter cher. De nombreuses femmes chrétiennes du 1er siècle ont été emprisonnées et persécutées pour leur foi — Romains 16.7 mentionne les épreuves de Junia et une lettre du deuxième siècle du gouverneur romain Pline à l’empereur Trajan relate l’interrogatoire et la torture de deux femmes diacres. Mais Marie est audacieuse. Elle veut être présente près de Jésus et de sa mère pour les réconforter.

Les quatre Évangiles confirment aussi la présence de Marie après la mort de Jésus. Elle parcourt la courte distance qui sépare la croix du tombeau pour voir où le corps de Jésus est déposé (Luc 23.55). Elle veut être au cœur éprouvant du deuil. Le moment où la mort semble définitive et où l’on dépose la personne dans son lieu de repos. Le moment où la poussière retourne à la poussière.

Après avoir honoré le reste du sabbat, Marie et les autres femmes retournent au tombeau pour oindre le corps de Jésus de parfum et d’aromates. Il était courant d’oindre un cadavre avec de l’huile, mais les épices indiquent quelque chose de spécial. Marie et les autres femmes qui s’étaient occupées financièrement de Jésus semblent avoir continué à le faire, de même que Nicodème (Jean 19.39). En tant que lecteurs, on ne peut que constater l’engagement profond de ces personnes.

En acceptant de s’occuper de Jésus une dernière fois, Marie et les autres femmes sont témoins du moment le plus crucial de sa vie humaine. Lorsqu’elles retournent au tombeau, elles ne trouvent pas son corps. Au lieu de cela, des êtres célestes d’une blancheur éblouissante leur apparaissent et les aident à se remettre du choc. Mais ils leur rappellent aussi que Jésus avait prédit cet événement et les invitent à aller annoncer aux autres disciples la nouvelle de sa résurrection (Mt 28.5-7 ; Mc 16.6-7). Finalement, Jésus lui-même, le ressuscité, se révèle à elles et les charge d’aller tout rapporter aux autres disciples (Mt 28.10).

Marie de Magdala est la seule de ces femmes à être citée dans les quatre Évangiles, ce qui signifie que chaque évangéliste a estimé qu’elle était suffisamment importante pour la nommer. Marie était présente avec Jésus au long de son ministère, ainsi qu’au moment de sa mort et de sa résurrection. Et c’est lui qui lui a demandé de raconter cette histoire. C’est pour cette raison que le christianisme oriental comme occidental se souvient d’elle comme de la première apôtre.

Le témoignage que nous offre Marie-Madeleine jusqu’au tombeau et au-delà nous révèle l’immense puissance rédemptrice du Dieu qui l’a délivrée de sept démons. Elle atteste également du soutien puissant de Dieu, qu’elle a accueilli, pour pouvoir accompagner fidèlement Jésus à des moments clés de sa vie. Elle s’est ensuite engagée dans la proclamation de la bonne nouvelle qui a changé le monde. C’est Jésus lui-même qui l’avait mandatée pour cette tâche.

Dans le vaste récit de Luc sur la naissance de l’Église, Marie Madeleine semble bel et bien faire partie des personnes chargées d’annoncer la Bonne Nouvelle, non seulement aux autres disciples, mais aussi à tous les peuples. En Luc 24.33, les 11 disciples et leurs compagnons sont réunis, y compris probablement aussi Marie-Madeleine et les autres femmes qui sont revenues pour témoigner de la résurrection de Jésus (v. 9-10). Puis Jésus apparait et leur dit à tous : « Vous êtes témoins de ces choses » (v. 48).

Les témoins sont des personnes qui ont vu et peuvent raconter ce qu’elles ont vu. Comme demandé par Jésus, ils attendront la venue de l’Esprit, dont Luc précisera, plus tard, qu’il est descendu sur les serviteurs et les servantes du Christ (Ac 2.17-18). Et, lorsqu’il décrit les événements postérieurs à la résurrection dans son sermon à Antioche de Pisidie, Paul résume : « il est apparu pendant de nombreux jours à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, et qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple. » (Ac 13.31, italiques ajoutés)

Puisque Marie est montée avec Jésus de la Galilée à Jérusalem, puisqu’il lui est apparu ressuscité, elle fait désormais partie de ses témoins auprès du peuple.

La fidélité constante de Marie pourrait en fait se refléter dans son nom. Certains spécialistes du Nouveau Testament, sous l’impulsion des travaux d’Elizabeth Schrader Polczer, se sont récemment demandé si « Magdala » ne décrirait pas son caractère plutôt que sa ville natale. Elle aura été une tour, un pilier de la foi, montrant obstinément le chemin vers celui qui l’a délivrée de ses démons et lui a confié une mission. L’Église a aussi parfois compris la signification de son nom de cette manière, bien qu’on l’ait souvent oublié.

Dieu met tous les disciples de Jésus au défi d’accueillir la puissance de l’Esprit pour imiter la fidélité de Marie, tant en actes qu’en paroles. Une fois de plus, l’Écriture nous révèle que Dieu inclut pleinement les femmes dans son œuvre pour le monde.

L’importance de la représentation de Marie Madeleine dans l’art chrétien témoigne à la fois d’une reconnaissance du rôle essentiel qu’elle a joué, mais aussi d’une certaine confusion quant à son identité. La Bible ne mentionne ni la nature des démons qui l’affligeaient ni la nature du péché de la femme anonyme de Luc 7 à laquelle elle a été associée. Considérer Marie Madeleine comme une prostituée va bien au-delà de ce que permet le texte biblique.

Mais le miroir convexe du Caravage a bien sa place. Marie était prise dans la toile du péché, affligée dans son être intérieur et extérieur par les puissances des ténèbres — comme nous le sommes tous. Et elle avait besoin du Sauveur, Jésus-Christ.

Malgré les confusions au cours des siècles, la réponse à la question « Qui est Marie de Magdala ? » est claire. Elle est une pécheresse rachetée que l’Esprit de Dieu a poussée à suivre Jésus et que Jésus lui-même a chargée d’annoncer la bonne nouvelle de son retour à la vie au matin de Pâques.

Lorsque nous croisons son image, utilisons-la comme un miroir de nous-mêmes et de ce que, par la grâce de Dieu, nous pouvons devenir : des hommes et femmes apôtres de la bonne nouvelle de la résurrection !

Jennifer Powell McNutt est titulaire de la chaire Franklin S. Dyrness d’études bibliques et théologiques au Wheaton College et autrice de The Mary We Forgot (Brazos Press, octobre 2024).

Amy Beverage Peeler est titulaire de la chaire Kenneth T. Wessner d’études bibliques au Wheaton College et autrice de Women and the Gender of God.

Traduit par Anne Haumont

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Le « complémentarisme » survivra-t-il ?

Je veux continuer à me présenter comme complémentarienne, mais nous devons nous réapproprier ce terme.

Christianity Today April 3, 2024
Illustration de María Jesús Contreras

Le complémentarisme a-t-il un avenir ? Ma question n’est pas de savoir si l’idée de complémentarité ordonnée par Dieu entre les hommes et les femmes continuera d’exister. Ceux d’entre nous qui soutiennent le principe d’égalité et de distinction entre les hommes et les femmes considèrent qu’il est fondé dans l’Écriture elle-même. Je parle plutôt du complémentarisme en tant que mouvement spécifique articulant de manière cohérente certaines de ces convictions bibliques.

J’aimerais beaucoup pouvoir continuer à me décrire comme complémentarienne de conviction, croyant que l’Écriture prescrit des rôles particuliers pour les hommes et les femmes dans l’Église et dans le foyer. Mais ces dernières années, la disqualification, les reprises incontrôlées et la cannibalisation croissantes du complémentarisme m’ont amenée à me demander si je devais continuer à utiliser ce terme pour décrire ce que je crois.

Depuis que le mot est apparu pour la première fois à la fin des années 1980 pour décrire ou formuler les convictions théologiques qui sont aujourd’hui les miennes, le concept a fait l’objet de nombreuses critiques. En tant que chrétiens, nous ne devrions pas craindre les questions, mais accepter une critique saine et respectueuse. Elle nous oblige à remettre en question notre façon de penser, à identifier nos présupposés et à progresser dans notre compréhension et notre connaissance de Dieu.

Mais la disqualification est différente. Elle ne se limite pas à dire : « Je pense que vous avez tort, et voici pourquoi. » Elle vous signifie : « Vous ne méritez pas d’exister. Il n’y a pas de place pour vous ici. » Malheureusement, un nombre croissant d’opposants au complémentarisme choisissent de passer outre la critique pour aboutir à la disqualification. Je vois en effet de nombreux nouveaux et plus jeunes critiques condamner aujourd’hui toutes les expressions du complémentarisme — en tout temps et en tout lieu — comme intrinsèquement abusives et intolérables.

Je partage la tristesse exprimée par nombre de ces sœurs et frères. Je déplore que la théologie complémentarienne ait été utilisée à mauvais escient et de manière abusive par ceux qui se présentaient comme ses partisans, au réel détriment d’autres personnes, en particulier des femmes. Je souhaite ardemment un mouvement de repentance et d’engagement renouvelé envers ce que je vois comme l’enseignement biblique véritable et porteur de fruits de la complémentarité des hommes et des femmes.

Cependant, beaucoup considèrent aujourd’hui que le concept de complémentarisme ne peut être autre chose qu’une nuisance pour les femmes et qu’il n’a pas sa place dans l’Église contemporaine. Mais cela signifie alors qu’il n’y a pas de place pour les femmes complémentariennes comme moi dans l’Église.

Je suis titulaire d’un doctorat en théologie et j’ai une grande expérience de la direction de ministères, ainsi que le respect et le soutien d’innombrables collègues complémentariens masculins. Lorsque je cherche à offrir ma propre expérience et mes références comme preuve que le complémentarisme est bel et bien capable de soutenir et d’honorer les femmes, on me répond qu’il est tout simplement impossible que le complémentarisme ait produit des résultats aussi positifs, et que je ne dois donc pas être complémentarienne.

Comment le complémentarisme pourrait-il avoir un avenir si ses opposants nient même qu’il puisse avoir un présent ?

Mais la disqualification n’est pas seule à menacer l’avenir du complémentarisme. Ce cadre théologique est également repris par des personnes ayant une vision beaucoup plus restrictive des relations entre les hommes et les femmes et de leurs rôles et qui cherchent à aplanir toute différence entre complémentarisme et patriarcat (la domination sociétale des hommes). Mais la théologie complémentarienne n’est pas la même chose que l’idéologie patriarcale. Ceux d’entre nous qui sont attachés aux principes théologiques fondamentaux du complémentarisme peuvent immédiatement repérer les différences.

Rédigé en 1987, le document fondateur du complémentarisme — la Déclaration de Danvers — souligne l’égalité des hommes et des femmes en tant que personnes. Elle reconnaît en même temps l’existence de distinctions scripturaires et expose notre enseignement biblique sur la manière de vivre fidèlement ces distinctions au sein du foyer et de l’Église. Elle appelle les femmes à exercer l’intelligence que Dieu leur a donnée, à ne pas se montrer serviles et à faire connaître la « grâce de Dieu en paroles et en actes ».

En cela, elle est en contraste flagrant avec ceux qui parlent des hommes et des femmes comme étant inégaux par essence, qui étendent la nécessité d’une direction masculine à tous les domaines de la société, au-delà du mariage et de l’Église, qui prétendent qu’il n’y a pas de place pour les femmes dans les études théologiques (ou même dans l’enseignement supérieur en général), qui encouragent les maris à déterminer quels livres chrétiens ils autoriseront ou non leurs femmes à lire, et qui suggèrent qu’il n’y a pas de ministère légitime pour les femmes en dehors de la maison. Il ne s’agit pas de complémentarisme.

À leur crédit, de nombreux partisans du patriarcat le savent bien. Pour eux, le complémentarisme est trop passif. Il ne va pas assez loin. Malgré cela, le complémentarisme est de plus en plus pris en otage par cette idéologie trompeuse et répressive.

Lorsqu’il n’y a pas de distinction publique reconnue entre ces deux visions des choses différentes, comment le complémentarisme peut-il s’affirmer en tant que tel ? Comment pourrait-il continuer à avoir un véritable sens à l’avenir ?

Outre sa disqualification et ses reprises par des personnes extérieures au mouvement, le troisième danger actuel et probablement le plus grave pour l’avenir du complémentarisme est la cannibalisation de l’intérieur. Cette cannibalisation se produit lorsque les adhérents au mouvement tentent de verrouiller le complémentarisme au-delà des principes théologiques fondamentaux de la Déclaration de Danvers.

Oui, des individus, des églises et des ministères différents parviendront à des conclusions différentes quant à l’application de ces principes. Cependant, le péril de l’autodestruction menace lorsque de telles interprétations sont définies comme la seule forme fidèle de complémentarisme. C’est ce qui se produit lorsqu’il devient impossible pour quelqu’un ou pour un groupe d’envisager que des conclusions divergentes restent fondées et cohérentes avec les affirmations théologiques fondamentales du complémentarisme.

Nous sommes également sur la voie de l’autodestruction lorsque ceux qui se présentent comme complémentariens combattent avec empressement toute velléité de pensée féministe tout en apparaissant fermer les yeux sur la misogynie la plus grossière. J’ai récemment vu un message d’une femme se décrivant sur twitter comme féministe chrétienne faire l’objet d’une attaque au vitriol de la part de certains milieux complémentariens, tandis qu’une vidéo virale affirmant que les femmes sont biologiquement moins capables de penser rationnellement que les hommes a été accueillie par un silence quasi total de la part du même camp.

Lorsque nous, complémentariens, sommes sélectifs quant aux principes bibliques que nous défendrons ou non, nous participons à notre propre destruction. Comment le complémentarisme pourrait-il avoir un avenir si nous, ses adeptes, ne nous tenons pas de manière complète et cohérente ce que nous disons croire ?

Je ne sais pas si le complémentarisme tel que nous le connaissons a un avenir. Mais je sais qu’il n’en aura un que si les chrétiens complémentariens sont prêts à démontrer constamment — en paroles et en actes — que ceux qui les (et nous) jugent incapables de porter les fruits de l’Évangile ont tort ; si nous sommes prêts à dénoncer sans réserve les enseignements non bibliques et misogynes sur les hommes et les femmes ; et si nous nous montrons redevables à l’égard de nos principes théologiques, en refusant d’aller au-delà ou de nous contenter de moins.

Si Dieu doit donner un avenir au complémentarisme, il faudra que ses adhérents masculins et féminins investissent de manière proactive dans cet avenir et qu’ils le fassent dans le cadre d’une véritable complémentarité des uns avec les autres. C’est là que réside le défi, mais aussi l’opportunité de montrer ce que signifie réellement le fait que Dieu a créé les hommes et les femmes pour qu’ils portent ensemble son image.

Nous avons une chance de faire revivre le rôle central que Dieu a voulu que les femmes jouent dans le récit de l’Écriture (comme dans Luc 24.1-12) et de mettre en œuvre entre les deux sexes le type de merveilleux partenariat pour le service que l’on peut voir dans Romains 16.

Nous avons l’opportunité d’imiter et d’honorer notre Sauveur, qui a toujours traité les femmes avec beaucoup de dignité et de respect, qui les a appelées à trouver la vie en abondance en lui et les a incitées à appeler d’autres à faire de même.

Danielle Treweek est l’autrice de The Meaning of Singleness: Retrieving an Eschatological Vision for the Contemporary Church et responsable diocésaine de la recherche pour le diocèse anglican de Sydney.

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Culture

Le caractère n’a-t-il vraiment plus d’importance ?

La « pudibonderie joyeuse » de l’évangélique Ned Flanders a cédé la place à la vulgarité, la misogynie et l’esprit partisan. Quel impact pour notre témoignage ?

Christianity Today April 3, 2024
Illustration par Christianity Today/Images sources : WikiMedia Commons/Getty

Ce texte a été adapté de la newsletter de Russell Moore. S’abonner ici .

Je suppose que Ned Flanders fréquente maintenant les clubs de strip-tease.

Il y a longtemps que je n’avais plus repensé à la caricature du voisin chrétien né de nouveau de la série Les Simpson. La journaliste religieuse du New York Times Ruth Graham l’a récemment cité, lui et sa « pudibonderie joyeuse », comme exemples — aux côtés de Billy Graham et George W. Bush — de ce qu’étaient autrefois les figures chrétiennes évangéliques les plus connues de notre pays. En 2001, un article de Christianity Today le surnommait même « Saint Flanders ». Les chrétiens évangéliques savaient que le moralisme de Ned était destiné à nous tourner en ridicule et que ses « valeurs familiales traditionnelles » étaient en décalage avec une culture américaine post révolution sexuelle.

Mais Ned n’était pas un charlatan. Il aspirait bel et bien au type de vie de prière, de lecture de la Bible, de chasteté morale et d’amour du prochain que les évangéliques étaient censés vouloir, même s’il le faisait d’une manière triviale et caractéristique de la classe moyenne de banlieue nord-américaine. Comme le souligne Ruth Graham, s’il se matérialisait aujourd’hui, Ned Flanders ferait l’objet de moqueries féroces pour ses scrupules moraux, mais probablement davantage de la part de ses coreligionnaires évangéliques blancs que de celle de ses voisins de bande dessinée non-croyants et amateurs de bière.

Comme le dit la journaliste, une « culture “nichons et boisson” a frayé son chemin dans la classe dirigeante conservatrice, soutenue par l’ascension de Donald J. Trump, le déclin de l’influence des institutions religieuses traditionnelles et un paysage médiatique changeant, de plus en plus dominé par les normes plus souples de la culture en ligne. » (L’article que vous lisez en ce moment même témoigne de ce changement. J’ai passé plus de 15 minutes à réfléchir à la manière de citer Graham sans utiliser le mot anglais « boobs » qu’elle emploie.)

L’analyse de Graham est importante pour les chrétiens américains, précisément parce que le changement qu’elle décrit n’est pas quelque chose « d’extérieur », appartenant au reste de la culture, mais est au contraire conduit spécifiquement par la même sous-culture évangélique blanche qui insistait autrefois sur le fait que le caractère personnel — la vertu, pour utiliser un mot aujourd’hui démodé que les fondateurs de notre pays connaissaient bien — est important.

Oui, le caractère de plus en plus vulgaire d’une certaine droite est en partie dû à la sécularisation de la base par des émissions de culture pop dont les vedettes promeuvent davantage un libertarisme décomplexé que l’Évangile. Mais ce qui est beaucoup plus alarmant, c’est que la grossièreté et l’effritement de la vertu sont bien observables parmi les chrétiens professant engagés en politique. La membre du Congrès qui, lors d’un petit-déjeuner de prière, a plaisanté sur le fait qu’elle avait refusé des relations sexuelles à son fiancé pour pouvoir se présenter devant son auditoire, était là pour parler de sa foi et de l’importance de la foi et des valeurs religieuses pour l’Amérique. Le membre du Congrès qui a récemment dit à un journaliste « d’aller se faire f… » se présente comme un « nationaliste chrétien ». Nous avons entendu des « Let’s Go Brandon » — une formule dissimulant une insulte qui aurait autrefois entraîné des mesures disciplinaires — chantés dans des églises.

Le pasteur et aspirant théocrate Douglas Wilson a publiquement utilisé une insulte à l’encontre des femmes que non seulement je ne répéterai pas ici, mais qu’aucun média non chrétien ne citerait — et ce, sans même faire référence au roman de Wilson, d’une grossièreté effrayante, à propos d’un robot sexuel.

Wilson, bien sûr, cultive une attitude caricaturale consistant à mettre en scène une forme de vilenie qui n’est pas représentative de la plupart des chrétiens évangéliques. Mais le problème réside dans la manière dont de nombreux autres chrétiens réagissent : « Eh bien, je ne dirais pas les choses comme il les dit, mais… » Certains ne voient rien de plus que des « tweets méchants » lorsque Donald Trump s’en prend à celles qui prétendent avoir été agressées sexuellement par lui en raison de leur apparence, à des héros de guerre parce qu’ils ont été capturés, à des personnes handicapées parce qu’elles sont handicapées, ou qu’ils soutient ceux qui ont attaqué des policiers et saccagé le Capitole en les qualifiant d’« otages ».

Le pire, c’est que les chrétiens évangéliques — dont certains de ceux que j’ai entendus pontifier sans fin sur l’immoralité sexuelle de Bill Clinton (et avec les propos desquels j’étais d’accord à l’époque et le suis encore aujourd’hui) — qualifient de moralistes à la noix ceux qui refusent de faire exactement ce pour quoi ils ont condamné les défenseurs de Clinton : privilégier l’alignement des vues politiques au détriment du caractère personnel.

Au milieu du scandale Clinton de la fin des années 1990, un groupe d’universitaires publiait une « Déclaration concernant la religion, l’éthique et la crise de la présidence Clinton » :

Nous sommes conscients que certaines qualités morales sont essentielles à la survie de notre système politique, parmi lesquelles le souci de la vérité, l’intégrité, le respect de la loi, le respect de la dignité d’autrui, l’adhésion au processus constitutionnel et la volonté d’éviter les abus de pouvoir. Nous rejetons l’idée que les violations de ces normes éthiques devraient être excusées tant qu’un dirigeant reste fidèle à un programme politique particulier et que la nation bénéficie d’une économie forte.

Ces paroles semblent aujourd’hui appartenir à un passé bien lointain.

Notre situation serait compréhensible dans un monde où les mots qui sortent d’une personne ne représentent pas ce qui est présent dans le cœur, ou dans un monde où la conduite extérieure peut être séparée du caractère intérieur. Le problème est qu’un tel monde imaginaire est contraire à la Parole de Dieu. Jésus nous a enseigné exactement l’inverse, de manière explicite et répétée (Mt 15.10-20 ; Lc 6.43-45).

Ironiquement, certains de ceux-là mêmes qui soutiennent le mythe d’une « Amérique chrétienne », dans laquelle les fondateurs américains sont transformés en évangéliques conservateurs, adoptent aujourd’hui une manière de penser que les chrétiens orthodoxes comme les unitariens déistes de nos débuts auraient, d’un commun accord, dénoncée. Des Federalist Papers aux débats autour de la Constitution et de la Déclaration des droits, pratiquement tous les pères fondateurs — malgré toutes leurs divergences sur les spécificités du fédéralisme — affirment que les procédures et politiques constitutionnelles ne suffisent pas à elles seules à préserver une république : des normes morales et l’attente d’une certaine élévation de caractère personnel étaient nécessaires.

Ces normes empêchent-elles les personnes de basse moralité d’accéder à de hautes fonctions ? Pas du tout. Les hypocrites et les démagogues ont toujours existé. Ce que toutes les générations d’Américains ont cependant su jusqu’à présent, c’est qu’il y a une différence nette entre des dirigeants qui ne seraient pas à la hauteur de ce que l’on attend d’eux et des dirigeants qui opèreraient dans un contexte où il n’y a pas d’attentes en matière de caractère personnel. Vous pouvez engager un comptable pour s’occuper de vos impôts et découvrir plus tard qu’il s’agit d’un fraudeur ou qu’il détourne vos fonds. Ce n’est pas du tout la même chose que d’embaucher un fraudeur patenté parce que vous avez conclu que seuls les imbéciles respectent les lois fiscales.

Aucun responsable d’aucune communauté, association ou nation n’est un ensemble abstrait de politiques. Nous choisissons des responsables pour prendre des décisions sur des éventualités qui ne se sont pas encore produites, ou qui ne sont peut-être même pas envisagées. Un dentiste qui profère des injures à l’encontre de ses adversaires et promet une pratique fondée sur la « vengeance et la rétribution » et la destruction de toutes les normes de la dentisterie moderne n’est pas quelqu’un à qui vous devriez faire confiance pour manipuler la fraise dans votre bouche. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de confier à une personne des codes nucléaires ?

D’autre part, ce que les conservateurs en général et les chrétiens en particulier savaient autrefois, c’est que ce qui est banalisé dans une culture devient un élément attendu de cette culture. Défendre un président qui utilise son pouvoir pour avoir des relations sexuelles avec sa stagiaire en disant que « Tout le monde ment à propos du sexe » n’est pas seulement une question politique. Cela change au bout du compte la façon dont les gens pensent à ce qu’ils devraient attendre d’eux-mêmes. C’est ce que le sociologue Daniel Patrick Moynihan appelait « abaisser la barre de la déviance ».

Lorsque des habitants de Louisiane défendent leur soutien à David Duke, un propagandiste nazi et ancien grand sorcier du Ku Klux Klan, parce qu’il est prétendument « pro-vie » ne sont pas seulement en train de « choisir le moindre mal ». L’idée de « nazi pro-vie », ou d’« agresseur sexuel pro-vie », change la signification de ce que signifie pro-vie dans l’esprit de toute une génération.

Quels que soient les résultats politiques à court terme que vous pourrez « gagner », vous vous retrouverez dans une situation où certains croient que l’autoritarisme et les agressions sexuelles peuvent être compensés par la bonne approche politique, tandis que d’autres croiront que s’opposer à l’abus de pouvoir ou à l’anarchie sexuelle nécessite d’être opposé au courant pro-vie. D’une manière ou d’une autre, vous perdrez.

Les conséquences politiques à long terme d’une culture où la vertu ne compte plus sont importantes. Les conséquences pour un pays le sont encore plus. Mais pensez aussi aux conséquences sur vous. « Si les individus ne vivent que soixante-dix ans, alors un État, une nation ou une civilisation, qui peut durer mille ans, est plus important qu’un individu », écrivait C. S. Lewis. « Mais si le christianisme est vrai, alors l’individu est non seulement plus important, mais incomparablement plus important, car il est éternel. La vie d’un État ou d’une civilisation, comparée à la sienne, n’est qu’un court moment. »

La Bible nous avertit non seulement de ce que la dissolution du caractère — de l’immoralité à la vantardise en passant par l’absence de charité et la cruauté — peut faire aux âmes de ceux qui pratiquent de telles choses, mais aussi de l’effet désastreux sur ceux qui « approuvent ceux qui les pratiquent » (Rm 1.32).

Ned Flanders n’est pas, et n’a jamais été, l’idéal du chrétien. La piété personnelle et la moralité ne suffisent pas. Mais nous devrions nous poser la question : si Les Simpson étaient réécrits aujourd’hui avec l’intention de se moquer des chrétiens évangéliques, cette caricature représenterait-elle quelqu’un d’excessivement dévoué à sa famille, à la prière, à la fréquentation de l’église, à la gentillesse envers ses voisins et à la pureté maladroite de ses propos ? Ou Ned Flanders serait-il un militant hargneux, un insurrectionniste violent, un misogyne qui se moque des femmes ou un pervers abusif ?

Ce changement de perspective serait-il dû au fait que le monde séculier est devenu plus hostile aux chrétiens ? Peut-être. Ou serait-ce parce que, lorsque le monde séculier regarde le visage que montre le christianisme, il ne pense plus à Ned Flanders, mais à un visage avide de plus dans un club de strip-tease ?

Si nous sommes détestés pour nos tentatives de ressembler à Jésus, considérons cela comme une joie. Mais si nous sommes détestés pour notre cruauté, notre hypocrisie sexuelle, nos querelles, notre haine et notre vulgarité, nous devrions peut-être nous demander ce qu’il est advenu de notre témoignage.

Le caractère compte. Ce n’est pas la seule chose qui compte. Mais si le caractère n’y est pas, le reste est sans importance.

Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.

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Books

Les chrétiens du Botswana secoués par un dramatique accident de bus.

Les responsables prient et déplorent l’insécurité routière après la mort de 45 pèlerins sur le chemin de l’Église chrétienne de Sion, en Afrique du Sud.

Des proches des victimes de l’accident de bus pleurent à la l’Église chrétienne de Sion (ZCC) à Molepolole, au Botswana.

Des proches des victimes de l’accident de bus pleurent à la l’Église chrétienne de Sion (ZCC) à Molepolole, au Botswana.

Christianity Today April 3, 2024
Monirul Bhuiyan/AFP via Getty Images

Le Botswana organisera jeudi une cérémonie nationale à la mémoire des 45 personnes décédées alors qu’elles se rendaient à une célébration de Pâques en Afrique du Sud. Une fillette de huit ans, Lauryn Siako, est la seule survivante après qu’un bus transportant des membres de l’Église chrétienne de Sion a franchi les barrières d’une corniche et dégringolé de 50 mètres la semaine dernière.

Dans les jours qui ont suivi l’accident mortel, divers pasteurs du Botswana sont apparus à la télévision nationale pour prier et réconforter les personnes en deuil.

« Cette tragédie nous invite à sortir de notre sommeil, à prier sans cesse et à proclamer la protection de Dieu dans toute situation », a déclaré David Seithamo, directeur de l’Alliance évangélique du Botswana. « La nation devrait se rassembler pour soutenir ceux qui sont en deuil en ce moment. Lorsqu’ils pleurent, nous devons pleurer, mais ils doivent savoir que le Christ reste notre réconfort. »

Ces Botswanais étaient au nombre de plusieurs millions de pèlerins qui se rendent chaque année à Pâques à Moria, une ville située dans le nord-est de l’Afrique du Sud et où se trouve le siège de l’Église chrétienne de Sion (parfois désignée comme Église zioniste et abrégée ZCC pour l’anglais Zion Christian Church), l’une des plus grandes Églises d’initiative africaine de la région. La ZCC compte des communautés dans toute l’Afrique australe, notamment au Botswana, au Lesotho, au Zimbabwe, en Zambie, au Mozambique et au Malawi.

L’Église s’est divisée en deux branches, la ZCC et la St Engenas ZCC. Cette année marque le 100e anniversaire de cette dernière, et le président sud-africain Cyril Ramaphosa a assisté à la célébration organisée pour l’occasion. Bien que la faction de St Engenas ait accueilli des pèlerins en 2023, il s’agit du premier pèlerinage officiel organisé par l’Église depuis la pandémie.

Compte tenu du nombre de touristes qui sillonnent généralement les routes pendant la semaine sainte, le gouvernement sud-africain avait déjà pris des mesures pour vérifier les aptitudes des conducteurs et la sécurité des véhicules.

Lauryn Siako a déclaré aux autorités que le bus suivait deux voitures transportant des anciens de l’Église lorsqu’il a chuté dans le ravin. C’était la première fois que des pèlerins de la capitale du Botswana, Gaborone, empruntaient cette voie pour se rendre à Moria. Un journaliste sud-africain a suggéré qu’ils avaient opté pour cette route de montagne sinueuse afin d’éviter les difficultés de la circulation.

Jobe Koosimile, ancien président de la Mission de la foi apostolique au Botswana, a qualifié de « miracle » le fait que la jeune fille ait survécu.

Dans une déclaration officielle, David Seithamo a encouragé ses compatriotes à continuer de prier pour « les familles endeuillées et le prompt rétablissement de l’unique survivante de l’accident, âgée de huit ans ».

« Nous saluons également les efforts du gouvernement du Botswana, par l’intermédiaire de l’ambassade du Botswana en Afrique du Sud, ainsi que ceux du gouvernement sud-africain, qui ont apporté une aide précieuse aux personnes endeuillées », a-t-il écrit. « Nous implorons les responsables chrétiens de continuer à offrir la prière et un accompagnement spirituel aux familles endeuillées. »

Les routes africaines sont notoirement dangereuses. Les accidents de la route sont la principale cause de décès sur le continent pour les adultes de moins de 50 ans ; environ un décès sur cinq en Afrique est dû à la circulation.

Au Botswana, des compagnies d’assurance automobile se sont associées à au moins un ministère chrétien national pour promouvoir la sécurité routière.

« La sécurité routière est une chose dont l’Église est consciente, qu’il s’agisse de l’Église pentecôtiste, de l’Organisation des Églises d’institution africaine ou d’une Église traditionnelle, nous en sommes conscients et considérons la sécurité routière comme quelque chose d’essentiel », a déclaré Jobe Koosimile.

« Lorsqu’il s’agit des fêtes nationales, la sécurité routière est mise en avant à la fois à la radio et à la télévision nationales, et vous verrez qu’il y a même des barrages routiers presque partout dans le pays, où notre police et nos agents de la circulation mènent des campagnes [de sécurité routière]. C’est un point sur lequel on insiste beaucoup. »

Malgré l’étendue géographique du pays — le Botswana est légèrement plus grand que la France —, celui-ci ne compte que 2,4 millions d’habitants. Environ 80 % d’entre eux sont chrétiens.

« Nous n’avons jamais connu une telle chose dans notre pays. Il n’y a jamais eu autant de morts dans notre pays. Cela a choqué presque tout le monde », dit Jobe Koosimile.

« La perte de 45 personnes n’est pas une plaisanterie pour notre très petite population. C’est une véritable tragédie. La plupart du temps, nous avons des liens de parenté entre nous, et [vous trouverez facilement] que l’un ou l’autre a un lien de parenté avec une personne touchée ou décédée dans l’accident. »

Le Botswana abrite de nombreuses communautés zionistes et une population importante de membres de la ZCC.

La croissance et la prévalence de celle-ci ont « fondamentalement mis sur la touche les églises protestantes traditionnelles qui ont introduit le christianisme en Afrique australe », écrit Barry Morton, chercheur en études africaines. « Outre leur large base de membres dans toute la région, ils contrôlent également de vastes empires commerciaux dans des domaines tels que les transports, l’agro-industrie et l’assurance. »

Certains estiment qu’un Sud-Africain sur dix en est membre.

La ZCC a été fondée il y a un siècle par Engenas Lekganyane, un Sud-Africain qui avait grandi parmi les missionnaires luthériens et presbytériens et qui a ensuite rejoint les mouvements pentecôtistes, zionistes et de guérison par la foi.

Selon Morton, « il a tiré l’essentiel de sa théologie de l’Apostolic Faith Mission, un groupe pentecôtiste auquel il a appartenu de 1910 à 1916 et qui était alors dirigé par des Blancs. Il a intégré de nombreuses pratiques syncrétiques issues de la tradition africaine. »

Les deux branches de l’Église, toutes deux localisées à Moria, sont dirigées par le petit-fils de Lekganyane (ZCC, représentée par une étoile) et par son arrière-petit-fils (St Engenas ZCC, représentée par une colombe). Leur théologie continue de refléter de nombreux enseignements de leur fondateur, avec des uniformes et des badges pour les membres, l’accent mis sur la guérison et l’éloignement du mal et la pratique de l’intercession auprès des ancêtres.

Malgré les pèlerinages massifs, le groupe maintient un certain degré de secret sur ses pratiques et ses croyances.

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