D’une même pensée, mais pas la mienne

Qui se ressemble s’assemble. En tant que chrétiens, nous devrions nous assurer que c’est autour de Christ.

Christianity Today March 5, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Images sources : Unsplash

Propreté est sœur de sainteté.

Pardonne et oublie.

J’ai grandi au Texas dans une ville rurale conservatrice à majorité évangélique. Il m’est arrivé de rechercher dans ma bible certains proverbes utilisés couramment dans mon entourage. Je ne les ai pas trouvés. Petit à petit, je me suis rendu compte que la vie pouvait être plus compliquée que ce qu’en disent les dictons. Pourtant, je me surprends encore parfois à m’accrocher à un proverbe lapidaire avec l’ardeur spirituelle qui devrait être réservée aux seuls versets de la Bible.

Cela aussi passera.

Les voies de Dieu sont impénétrables.

À l’âge de neuf ans, je me suis avancée vers l’autel de mon église baptiste pour accepter Jésus-Christ comme mon Sauveur et Seigneur et je n’ai plus jamais regardé en arrière. J’ai été active dans Girls in Action, un groupe de filles chrétiennes engagées. J’ai participé aux grands quizz bibliques du « Bible Bowl » et ai été membre du groupe de jeunes de l’église charismatique de ma meilleure amie. J’ai fréquenté l’Université Baylor, une université chrétienne. Où que j’aille, j’étais toujours entourée de gens qui me ressemblaient, qui parlaient comme moi, qui pensaient comme moi et qui louaient Dieu comme moi.

Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es.

Qui se ressemble s’assemble.

J’ai supposé que cet entre-soi relevait d’une forme de prescription biblique. La Bible ne nous exhorte-t-elle pas à ne pas abandonner notre assemblée (Hé 10.25), accordant une grande importance au « vivre ensemble » de personnes partageant les mêmes idées ? Vivre dans un monde aussi homogène semblait être l’ordre naturel des choses. Je ne voyais pas encore l’envers du décor : le risque de s’abandonner à l’idolâtrie de sa propre réflexion, confondant ce qui est familier avec ce qui est bon et ce qui est pratique courante avec ce qui est juste.

Ma réflexion s’est depuis approfondie. Maintenant que mon aînée est adolescente, je vois l’intérêt de l’encourager à fréquenter des amis qui partagent nos valeurs ou notre foi. Il n’y a pas de garantie en matière d’éducation, mais les fréquentations des enfants, surtout à un âge aussi crucial, façonnent de manière durable ce qu’ils deviendront. Pourtant, dans son collège, qui est un établissement public important, je perçois aussi les dessous obscurs de ces regroupements. L’envie tout à fait normale que l’on a de se retrouver avec des amis partageant les mêmes idées mène généralement à un tri qui se fait selon des critères sociaux, raciaux, culturels et de socio-économiques. Bien sûr, il y a des exceptions, mais, dans les écoles américaines, l’auto-discrimination est la norme.

La tendance à l’entre-soi que l’on a en tant qu’enfant ou adolescent devient problématique si, à l’âge adulte, nous n’« abandonnons pas tout ce qui est propre à l’enfant » (1 Co 13.11, NFC), si nous vivons dans une homogénéité superficielle au lieu de vivre la réconciliation en Christ (Ep 2.11-22) ou, pire encore, si nous confondons le tri que nous faisons autour de nous avec la volonté de Dieu.

Ces égarements sont tentants. Les critères de polarisation sont omniprésents autour de nous : gauche versus droite, ville versus campagne, croyants versus non-croyants, nous contre eux. Les algorithmes nous fournissent les nouvelles que nous désirons entendre, nous rassurant virtuellement quant à notre bon droit. Tout devient politique et ce sont à présent des gouffres qui nous séparent, à tel point que « la plupart des démocrates et des républicains vivent à des niveaux de ségrégation partisane qui dépassent ce que les spécialistes de la ségrégation raciale considèrent comme “ségrégation forte” ». Même les hommes et les femmes s’éloignent les uns des autres. Quel que soit le niveau, de notre nation à nos quartiers, de nos églises à nos foyers, nous pratiquons la discrimination.

Qui se ressemble s’assemble se vérifie souvent dans la pratique. L’assurance que rien ne cloche fournie par ces vies construites avec des amis partageant les mêmes idées que nous peut être tellement rassurante ! Mais en tant que chrétiens, ces entre-soi devraient titiller notre conscience. Dans quel terreau nos communautés s’enracinent-elles ?

Il y a quelques semaines, mon pasteur m’a prise au dépourvu dans son analyse d’un passage de la Bible que j’avais toujours compris de travers. Il s’agissait de Philippiens 2, où Paul exhorte les chrétiens à « une unité de pensée », ayant « un même amour, un même cœur » que le Christ (v. 2) et une attitude « identique à celle de Jésus-Christ » (v 5). Selon mon pasteur, ces versets sont souvent mal interprétés.

Lorsque la plupart d’entre nous entendent l’expression « unité de pensée », nous pensons à des personnes qui partagent les mêmes idées que nous. Mais ce n’est certainement pas ce que Paul vise dans ce contexte. Il nous appelle à conformer ensemble notre esprit à celui de Christ.

La première manière de comprendre ce passage centre nos vies et nos relations sur nous-mêmes, nos idées préconçues et nos biais individuels. La seconde nous centre sur Jésus. La première mène à une nouvelle idolâtrie — non pas celle du veau d’or, mais celle de notre propre égo hissé sur l’autel. La seconde nous conduit au « culte raisonnable » de Romains 12.

Il ne faut pas nous y tromper : construire une communauté centrée sur soi ne correspond pas à l’appel de notre Sauveur. Le christianisme est une religion monothéiste, mais nous n’avons jamais été censés constituer une communauté monolithique. Comme le souligne Allen Hilton dans A House United, l’Église primitive transcendait les clivages de classe, d’ethnie et de religion. Dans Romains 16, écrit-il, « Paul brosse un portrait de famille étrange et merveilleux, avec des aristocrates et des artisans, des commerçants et des esclaves, des hommes et des femmes, des Grecs et des barbares, tous adorant ensemble ».

À cet égard, les chrétiens étaient uniques dans l’Empire romain. L’Église primitive attirait des personnes de diverses origines et celles-ci se réunissaient les unes chez les autres, s’émerveillant toutes de ce que Dieu accomplissait parmi elles alors qu’elles se consacraient à recevoir l’enseignement des apôtres et prenaient soin les unes des autres (Ac 2.42-47). Aujourd’hui, nous sommes souvent loin de cette réalité. Nos communautés se transforment en rassemblements de personnes partageant les mêmes idées et ce de la pire manière qui soit : nous sommes moins unis par un amour commun que par un ennemi commun.

Nous pourrions vouloir rejeter la responsabilité de ce dysfonctionnement sur nos dirigeants politiques ou religieux ou sur la « société ». Mais comme l’écrit Michael Wear dans The Spirit of Our Politics, l’air du temps est le reflet de nos propres cœurs : « Nombre de nos problèmes politiques les plus profonds reflètent la manière dont nos institutions politiques répondent aux habitudes de cœur qui se situent, fondamentalement, au niveau de l’individu. »

Peut-être pensons-nous que nos mains ne sont pas souillées par la politique politicienne, mais combien de fois, dans nos vies ordinaires, choisissons-nous l’hostilité plutôt que l’hospitalité ou le mépris plutôt que la curiosité ? Se sentir juste et puissant est délicieusement enivrant. Je le sais par expérience. C’est pourtant le fruit mûr d’un mauvais arbre, et nous nous en sommes gavés jusqu’à en être malades.

S’il est une chose sur laquelle les Américains s’accordent à l’approche des élections de 2024, c’est sur un sentiment commun d’effroi. Peu d’Américains souhaitent un nouveau match entre le président Joe Biden et l’ancien président Donald Trump. Mais cette crainte ne concerne pas seulement le pénible spectacle politique que nous allons endurer pendant des mois. Il s’agit également d’angoisses plus profondes : comment éviter que des relations déjà fragiles ne soient sacrifiées sur l’autel de la politique ? Comment résister à la tentation des controverses à tout propos ? Sommes-nous en train de semer pour nos enfants les germes d’une guerre civile ?

En tant que disciples de Jésus, nous avons réponse à cela — si seulement nous pouvions nous le rappeler. Rappeler : le verbe évoque l’idée d’un souvenir, mais aussi celle d’un rassemblement, d’un retour, à l’opposé de nos présentes divisions. L’Église a besoin de vivre les deux aspects de ce verbe.

Il est nécessaire de nous rappeler au Dieu éternel en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Ac 17.28), en cherchant chaque jour davantage à rapprocher notre pensée de la sienne. Nous devons aussi reconnaître les manières dont nous — en tant que chrétiens — avons contribué aux divisions de notre société. Plus d’une fois, nous avons succombé aux tentations auxquelles Jésus a résisté dans le désert en suivant notre désir d’apparaître malins, puissants et impressionnants, quel qu’en soit le prix.

En nous repentant de notre rôle dans les divisions, il nous faut assumer notre rôle dans la restauration en utilisant « les vieux décombres des vies passées pour construire à nouveau ». Et nous deviendrons de « ceux qui peuvent réparer n’importe quoi, restaurer les vieilles ruines, reconstruire et rénover, rendre la communauté habitable à nouveau » (Es 58.12, d’après The Message).

Essayer de changer la trajectoire d’une nation peut sembler aussi futile que d’essayer de réorienter un astéroïde. Mais nous pouvons assurément corriger le cours de notre propre vie. Vivre dans le même esprit que le Christ nous conduit à embrasser la condition de serviteur. Cela nous rend humbles et nous libère de notre vanité et de toute ambition égoïste. Cela nous pousse à nous soucier de l’autre, recherchant « la paix et la prospérité » des villes dans lesquelles nous nous sentons peut-être exilés (Ph 2 ; Jr 29.7).

Notre Seigneur qui se réjouit du « jour des petits commencements » (Za 4.10) ne méprise pas nos tâtonnements. Et nous ne devrions pas le faire non plus. En ce temps de carême, dans un monde qui semble parfois tomber en cendres entre nos mains, le temps du repentir est peut-être arrivé.

Carrie McKean est une autrice basée dans l’ouest du Texas dont les écrits ont été publiés dans le New York Times, The Atlantic et Texas Monthly Magazine. Vous pouvez la retrouver sur le site carriemckean.com.

Traduit par Anne Haumont

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook ou Twitter.

Books

Onze missionnaires décédés et huit blessés dans un accident en Tanzanie : JEM se mobilise.

Darlene Cunningham : « Nous n’avons jamais connu une tragédie d’une telle ampleur dans toute l’histoire de JEM […] Leur mort crée […] un vide énorme. »

Un accident impliquant quatre véhicules s’est produit dans la banlieue de Ngaramtoni à Arusha, au nord de la Tanzanie, le 24 février 2024.

Un accident impliquant quatre véhicules s’est produit dans la banlieue de Ngaramtoni à Arusha, au nord de la Tanzanie, le 24 février 2024.

Christianity Today March 5, 2024
Capture d’écran vidéo/Wasafi Media/YouTube/RNS

Quelques jours après l’accident de bus qui a coûté la vie à 11 de leurs missionnaires en Afrique de l’Est, les responsables de Jeunesse en Mission (JEM) sont « dévastés », mais font appel à la prière et au soutien pour les évacuations sanitaires, les rapatriements et les funérailles, dont le coût total est estimé à près de 350 000 dollars.

Les missionnaires chrétiens, dont sept étaient originaires d’autres pays, ont trouvé la mort dans la région de Ngaramtoni, près de la ville d’Arusha, dans le nord de la Tanzanie.

Les autorités affirment qu’un camion de chantier a percuté l’un des deux minibus transportant les missionnaires. Les participants à un cours « Executive Masters in Leadership » revenaient d’une excursion en terre massaï lorsque le camion a perdu ses freins et a percuté le bus.

« Nous n’avons jamais connu une tragédie d’une telle ampleur dans toute l’histoire de JEM et nous sommes tous dévastés », a déclaré Darlene Cunningham, cofondatrice de JEM, dans une lettre datée du 26 février. Elle développe ainsi :

Les personnes impliquées dans la gestion des Executive Masters étaient des leaders clés de JEM dans la région — certains à la tête de bases JEM florissantes, d’autres exerçant un leadership dans le domaine de l’éducation et dans d’autres sphères, d’autres encore exerçant leur ministère dans des endroits d’accès restreint où personne d’autre n’oserait aller. Ils voyaient la main de Dieu sur leurs ministères de manière étonnante. Les étudiants attirés par les Executive Masters étaient de la même trempe — des pionniers missionnaires de JEM engagés à vie. Leur mort crée donc un vide énorme dans cette partie du monde pour JEM en tant que mouvement missionnaire.

Mercredi 28 février, les membres de l’organisation dans la région ont organisé des rencontres de prière et des cérémonies d’adieu pour leurs collègues décédés.

« L’ambiance est très triste », rapportait Bernard Ojiwa, un responsable de JEM en Tanzanie, à Religion News Service lors d’un appel téléphonique depuis Arusha. « Nous avons commencé le voyage pour les enterrements des membres locaux. »

« Nous planifions également la manière dont les corps des membres étrangers pourraient être renvoyés dans leur pays. Pour l’instant, les corps restent à la morgue. »

Des sources policières à Arusha ont déclaré que les sept ressortissants étrangers étaient originaires du Kenya, du Togo, de Madagascar, du Burkina Faso, d’Afrique du Sud, du Nigeria et des États-Unis.

JEM n’a pas divulgué les noms complets de ses missionnaires disparus, car nombre d’entre eux travaillaient dans des contextes non chrétiens présentant des risques pour la sécurité. « Toutes les personnes décédées étaient des responsables de projets, de centres de formation et de ministères », a indiqué le ministère dans une mise à jour sur son site Internet. « C’est un coup majeur porté à notre mission, en particulier pour le continent africain, le Moyen-Orient et l’Europe. »

L’accident, qui a impliqué quatre véhicules, a tué 25 personnes, dont onze membres de JEM, et en a blessé 21, dont huit membres de l’organisation missionnaire. John Mukolwe, un Kényan responsable de la station d’Arusha, figure parmi les victimes.

« Mukolwe était un ami depuis plus de 30 ans. Sa mort me rend très triste », témoigne Karin Kea, administratrice de la base de JEM dans la région de la rivière Athi, au Kenya.

Abel Sibo, un membre burundais de la mission, a publié sur Facebook une vidéo des missionnaires de JEM chantant « Voici le jour que l’Éternel a fait » en anglais. Il affirme que le groupe chantait avant que l’accident ne se produise.

Selon des responsables, des membres de JEM venus du monde entier se sont rendus dans la région pour apporter un soutien moral, pastoral et psychologique.

« Nos frères et sœurs de Tanzanie portent un lourd fardeau en ce moment », écrit Darlene Cunningham dans sa lettre à la « famille JEM ». « Ceux qui ont survécu à l’accident et qui ont été les premiers à porter secours aux victimes souffrent d’un traumatisme profond et durable. Les tâches pratiques que doivent accomplir les survivants à la base après une telle tragédie sont énormes, à côté du besoin de surmonter leur propre deuil. »

JEM a été fondée par Loren et Darlene Cunningham en 1960, avec pour objectif d’envoyer des jeunes volontaires de différentes confessions dans le cadre de missions d’évangélisation à court terme. Le groupe compte aujourd’hui quelque 2 000 bureaux dans le monde et implique des missionnaires de 200 pays.

JEM a établi sa présence à Arusha en 2000 et a depuis installé trois bureaux dotés d’un personnel complet dans la région. Les programmes du centre comprennent notamment des cours de formation de disciples, de couture, d’informatique et d’anglais.

« En ces jours, des larmes sont versées dans le monde entier par des individus, des familles et des membres de JEM. Je suis personnellement sous le choc de cette nouvelle, car je connaissais et aimais personnellement beaucoup de ces personnes », a écrit Darlene Cunningham. Elle a encouragé le recours à trois versets bibliques :

  • Accrochez-vous au fait que, quoi qu’il arrive, nous savons que Dieu est juste et bon dans toutes ses voies (Ps 145.17).
  • Rappelez-vous Job 42.2. Job avait tout perdu et sa réponse fut : « Je reconnais que tout est possible pour toi et que rien ne peut s’opposer à tes projets. » Accrochons-nous à ces paroles !
  • Rappelez-vous Ésaïe 41.10 : « N’aie pas peur, car je suis moi-même avec toi. Ne promène pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu. Je te fortifie, je viens à ton secours, je te soutiens par ma main droite, la main de la justice. »

La présidente tanzanienne, Samia Suluhu Hassan, a envoyé un message de condoléances et a appelé à renforcer le contrôle des véhicules et l’application du Code de la route afin d’éviter d’autres pertes de vies humaines.

« Ces accidents coûtent la vie à nos proches, à la main-d’œuvre nationale et aux membres de nos familles. Je continue d’appeler tout le monde à respecter le Code de la route dans l’utilisation des véhicules », écrivait-elle sur X (anciennement Twitter). « J’adresse mes condoléances aux familles et aux amis qui ont perdu un être cher. Que Dieu tout-puissant les fasse reposer en paix ! Ameen ! »

« J’aime à penser que Loren était là, aux portes du ciel, pour saluer et accueillir ces onze JEMiens bien-aimés », écrit encore Darlene Cunnigham. « Nos cœurs se réjouissent de savoir qu’ils ont la joie d’être avec Jésus, mais, en même temps, nous pleurons la perte de leur présence parmi nous. »

Reportage additionnel par Christianity Today.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Dans Dune, deuxième partie, les doux n’héritent de rien.

Que se passe-t-il lorsqu’un sauveur choisit non pas la croix, mais l’épée ?

Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides dans Dune, deuxième partie.

Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides dans Dune, deuxième partie.

Christianity Today March 4, 2024
© 2024 Warner Bros. Entertainment Inc. Tous droits réservés.

Dune, deuxième partie fait s’entrechoquer foi et pouvoir. Le film est le deuxième d’une adaptation en trilogie des célèbres romans de Frank Herbert, un conte mystique nous entraînant dans des guerres entre familles à travers l’immensité de l’espace et la montée d’une figure messianique dénommée Paul Atréides (Timothée Chalamet).

Ce film intermédiaire reprend l’histoire après le massacre brutal du clan familial de Paul. Héritier d’une noble maison et sujet de prophéties, celui-ci se débat avec son destin apparent de sauveur et de meneur. Sa mère, dame Jessica (Rebecca Ferguson), prêtresse extralucide de l’ordre religieux matriarcal Bene Gesserit, tente de l’orienter vers ce destin. Mais l’élue de son cœur, Chani (Zendaya), ne veut qu’une simple vie à deux. Au milieu de ce drame relationnel, Paul dirige une tribu du désert dans une guérilla contre des forces impériales brutales cherchant à s’emparer de la précieuse ressource de sa planète, l’épice.

Le film nous offre une riche adaptation d’un dense matériau de base. Ses 2 heures et 46 minutes sont bien remplies, intrigues et sous-intrigues s’entremêlant sous la menace constante des vers de sable voraces et mangeurs d’hommes. Les batailles spatiales sont un mélange impressionnant de suspens et de spectacle, et le sable du désert constituerait presque un personnage à part entière, servant à la fois de bouclier et d’arme aux guerriers que Paul conduit. Bien que les combattants soient équipés de vaisseaux spatiaux et d’armes atomiques, de nombreuses batailles aboutissent à des combats au corps à corps à l’épée, chorégraphiés pour être rapides, vifs et saisissants.

Ces éléments donnent lieu à une adaptation plaisante et captivante, avec de solides performances et une belle cinématographie. Mais Dune, deuxième partie doit son attrait intellectuel au matériau offert par les livres de Herbert. La foi n’est-elle qu’une ressource de plus à exploiter dans la quête du pouvoir ? S’agit-il d’une autre drogue, comme l’épice, que les puissants peuvent s’approprier, utiliser et mettre à leur service ? Ou s’agit-il d’une véritable source de connaissances et de vie ? La série Dune pose la question, mais n’essaie pas d’y répondre.

Fruit du début des années 1960, l’œuvre de Herbert s’intéresse de près aux effets des drogues psychédéliques. L’épice est légèrement psychédélique et ouvre l’esprit à des visions et à des cauchemars. Une autre substance, appelée « eau de vie », est profondément psychédélique, souvent mortelle et affectant sérieusement le cours de l’existence.

Les récits de Dune présentent ces drogues comme étant à la fois bénéfiques et dangereuses, un cadeau pour les quelques personnes assez fortes pour recevoir les visions qu’elles provoquent et y survivre. Cette perspective semble être le produit d’une époque révolue, étrange à considérer après six décennies d’évolution de nos normes et de nos lois en matière de consommation de drogues. Le point de vue de la série de livres sur les drogues était peut-être provocateur en 1965, mais il semble daté et superficiel à la lumière des réflexions et des préoccupations actuelles à propos des drogues.

S’inspirant également des livres de Herbert, l’univers du film évoque le monde arabo-musulman. Le sable, les vêtements et même la langue lui donnent un air de Lawrence d’Arabie dans l’espace. Il s’agit d’un regard occidental, bien sûr, et non d’une interprétation provenant du monde musulman lui-même. D’autre part, certains éléments, comme les Bene Gesserit, sont plus inspirés du catholicisme que d’éléments de l’islam.

Ce genre de syncrétisme narratif peut être risqué, mais en prenant des éléments de religions connues et en les projetant dans un autre monde, Dune, deuxième partie soulève des questions importantes sur la religion et le pouvoir.

Tout comme dans notre monde, de nombreuses factions s’affrontent pour le contrôle, même en leur sein. Certains sont de véritables croyants, convaincus que Paul Atréides est une figure messianique qui conduira son peuple au paradis. D’autres, comme Chani, ne croient en rien d’autre qu’en leur épée et leur propre force. Et si les croyants sont tournés en dérision pour leur capacité à transformer n’importe quel événement en « accomplissement » d’une prophétie, personne ne peut nier la force de leur foi ou l’énergie que celle-ci leur procure. Comme l’épice psychédélique, la foi est puissante et difficile à contrôler. Les fidèles deviennent une force en soi.

La foi ne coïncide pas pour autant toujours avec la pureté du cœur. Les prêtresses du Bene Gesserit, dont la mère de Paul, façonnent et exploitent la foi des masses. Ce deuxième Dune laisse ouverte la question de savoir si les prêtresses croient elles-mêmes en ce qu’elles enseignent ou si elles s’en servent simplement pour acquérir du pouvoir. Elles se montrent à la fois bienveillantes et sinistres, imprévisibles et insaisissables. D’une certaine manière, par leur égoïsme et leur impénétrabilité, elles évoquent les dieux païens : leurs objectifs sont centrés sur eux-mêmes, et les simples mortels qui les croisent sont aisément sacrifiés.

Paul est différent. Il se soucie des gens. Il est réticent face au pouvoir, du moins dans un premier temps. En effet, il craint le rôle qu’il pourrait endosser face à une croyance qu’il n’est pas sûr de partager, redoutant ses adeptes fondamentalistes et les horreurs qu’ils pourraient commettre en raison de leur foi en lui. Il peut voir l’avenir, voire plusieurs avenirs possibles, et ses visions impliquent une guerre sainte dévastatrice menée en son nom. Quoiqu’il y répugne, il est inexorablement entraîné dans la mêlée.

Les parallèles avec Jésus sont évidents et fascinants. Paul Atréides commence sa route en ressemblant beaucoup au Christ : il est annoncé, attendu, et on croit en lui avant même qu’il ne naisse. Il se soucie de la justice et de la paix. Il est humble, aimant, prêt à servir. Comme Jésus sur le chemin du Calvaire, Paul souhaiterait éviter l’avenir sombre qui l’attend.

Mais leurs chemins se séparent alors. Paul chemine vers plus de pouvoir terrestre, plus de contrôle, plus d’effusion de sang. Malgré les attentes et les encouragements de ses disciples (Ac 1.6), Jésus, lui, a rejeté cette voie. Il a choisi la croix. Tel n’est pas le cas de Paul Atréides. À certains égards, Dune ressemble à une exploration de ce qui aurait pu se produire si Jésus avait dit à Pierre d’affuter son épée au lieu de la rengainer (Mt 26.52-53).

Les leçons du christianisme sont inversées dans cet univers. Pour sauver sa vie, on ne l’abandonne pas : on prend celle d’un autre. Les derniers ne deviennent pas les premiers. Les plus petits ne deviennent pas les plus grands. En fin de compte, ce sont eux qui sont sacrifiés. Les doux n’héritent de rien. Et pourtant, ici aussi, pour gagner le monde, Paul Atréides doit perdre son âme.

Rebecca Cusey est avocate et critique de cinéma à Washington, DC.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Le Serviteur souffrant n’a de sens que dans le contexte de la Trinité.

La doctrine chrétienne historique nous aide à voir la bonté de Dieu dans le Vendredi saint.

Christianity Today March 4, 2024
Illustration de Rick Szuecs

Les sermons du Vendredi saint ne sont pas toujours faciles à entendre. Il est encore plus difficile de les prêcher. Je n’ai jamais été aussi ému et je n’ai jamais autant remué sur mon siège à l’église que le Vendredi saint. C’est peut-être parce que ces moments nous forcent à nous arrêter aux passages les plus sombres de l’Écriture, face à la souffrance, à la mort et aux desseins de Dieu. Pour beaucoup, il y a quelque chose d’une épreuve à lire les textes du Vendredi saint et à continuer à considérer Dieu comme bon.

Une sage utilisation de la doctrine chrétienne historique devrait nous y aider.

Prenons l’exemple de la prophétie d’Ésaïe 53 sur le Serviteur souffrant. Dans son contexte d’origine, ce Serviteur est enveloppé d’un épais mystère. Nous avons là un portrait troublant, mêlant œuvre extraordinaire et tourments, qui tout à la fois nous désoriente et nous captive. Dans les premiers chants du Serviteur d’Ésaïe, on distingue clairement une figure représentative d’Israël en exil. Mais dans ce chapitre 53, cette figure communautaire devient un individu concret, énigmatique et bouleversant. Méprisé et rejeté par les hommes, opprimé et conduit à la mort par ses ennemis, il semble, parmi les hommes, le plus à plaindre.

Le pire de son sort ne réside pas dans les mauvais traitements infligés par ses ennemis, ni même dans le rejet de ses amis : c’est le traitement que lui réserve Dieu qui est le plus déconcertant. Bien qu’il soit innocent et qu’il n’y ait pas de « tromperie dans sa bouche », le texte nous dit que « l’Éternel a voulu le briser » afin de faire de « sa vie un sacrifice de culpabilité » et d’assurer le salut d’un grand nombre de personnes (Es 53.9-11).

Mais comment les desseins du Dieu d’Israël pourraient-ils être servis par l’écrasement de ce juste ? Qu’apprenons-nous là sur la manière dont Dieu traite ses serviteurs, ses élus ? Ces paroles nous apparaissent bien sombres. Une lueur commence cependant à poindre, non seulement lorsque nous découvrons leur accomplissement en Jésus, le Messie humain, mais aussi lorsque nous reconnaissons celui-ci comme le Fils divin, deuxième personne de la Sainte Trinité.

Jésus paraphrase Ésaïe 53 pour expliquer sa mission à ses disciples : « En effet, le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mc 10.45) Jésus affirme ici qu’il est bien le mystérieux Serviteur prophétisé qui vient se donner dans la mort en tant que représentant des siens, en offrande docile pour la culpabilité d’un peuple pécheur.

Mais ce n’est qu’avec la doctrine de l’incarnation que l’on comprend que celui qu’il a plu au Seigneur d’écraser n’est pas simplement un juste et malheureux substitut, mais le Dieu unique d’Israël lui-même. Le Fils saint et éternel a pris sur lui la chair du Serviteur pour nous et notre salut. Le Seigneur se choisit lui-même pour porter notre fardeau. Le Seigneur s’envoie lui-même pour mourir à notre place.

La lumière se fait plus vive lorsque nous méditons les paroles de Jésus en Jean 10.17-18 : « Le Père m’aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. » Il serait aisé d’imaginer que Dieu est un père en colère qui a besoin d’écraser une victime innocente et que Jésus surgit, plein d’amour, pour nous sauver de lui. La doctrine trinitaire historique nous rappelle que ce n’est pas ce que nous lisons dans la Bible et que ce n’est pas non plus l’enseignement de l’Église.

Des théologiens comme Augustin ont au contraire enseigné que, puisque Dieu est un et indivisible, les œuvres de la Trinité sont inséparables dans l’histoire — quoi que fasse le Fils, le Père et l’Esprit le font avec lui. En Jean 10, nous en avons un aperçu, car Jésus enseigne que la volonté du Fils et celle du Père sont une seule et même volonté. Le Fils vient librement dans la chair pour donner sa vie et la reprendre pour notre salut, et le Père l’aime pour cela. Comme le dit Calvin, il y a là « une merveilleuse louange de la bonté de Dieu envers nous », démontrant que « notre salut lui est plus cher que sa propre vie ».

Certains aiment aujourd’hui à prétendre que la doctrine chrétienne historique est un obstacle à la prédication et à l’enseignement des textes plus difficiles de la Bible. Rien n’est plus faux : la doctrine éclaire l’Écriture. Ce n’est qu’à sa lumière que nous voyons la bonté du Dieu unique dans les souffrances du Serviteur d’Ésaïe 53. Dans son grand amour pour nous, le Fils vient dans la puissance de l’Esprit, selon la volonté du Père, comme le Serviteur qui répond à notre péché par son sacrifice. Telle est la bonté de Dieu dans la bonne nouvelle du Vendredi saint : Dieu se sacrifie lui-même pour nous.

Derek Rishmawy est doctorant à la Trinity Evangelical Divinity School.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Comment relever les 3 grands défis des groupes de maison ?

Quelques conseils pratiques pour gérer la garde des enfants, la fidélité des membres et les grands bavards.

Christianity Today February 29, 2024
Illustration par Christianity Today/Source Images : Pexels

« Prenons quelques minutes pour prier ensemble. » [Gémissements, cris, hurlements] « Bon, on va vous laisser… Léa doit faire sa sieste. »

Les enfants sont plus nombreux que les adultes ? Vous ne savez jamais qui va être présent à la rencontre ? Vous devenez nerveux chaque fois qu’untel prend la parole pour ne plus la lâcher ? L’idée d’un petit groupe de maison semble excellente en théorie. Mais dans la pratique, les choses peuvent s’avérer complexes.

Je suis pasteur depuis 14 ans, et pendant 6 années, j’ai été directement impliqué dans le ministère au sein des petits groupes. J’y ai sans cesse entendu parler des mêmes difficultés pratiques. Voici les trois questions les plus posées et quelques idées concrètes pour remédier aux problèmes rencontrés.

La garde des enfants

C’est la plus grande difficulté à laquelle sont confrontés les responsables et les membres des petits groupes : Que faire de nos jeunes enfants ? Il n’y a pas de réponse simpliste à donner, mais voici quelques idées envisageables.

Se mettre à la recherche d’un(e) baby-sitter. Si chaque famille partage sa liste de baby-sitters et contribue au paiement, un groupe peut généralement trouver quelqu’un pour s’occuper des enfants.

Alterner les groupes d’hommes et de femmes. Certains groupes choisissent de se réunir trois fois par mois : une fois les hommes, une fois les dames et une fois l’ensemble du groupe. Lorsque seules les femmes se réunissent, les hommes restent à la maison avec les enfants, et inversement. La troisième réunion est alors surtout l’occasion de renforcer les liens et les enfants y sont donc les bienvenus.

Établir un tour de rôle de garde des enfants. Si un groupe compte plusieurs familles (cinq ou plus), une bonne solution consiste à alterner les couples qui s’occupent des enfants. Chaque semaine, un couple veille sur tous les enfants pendant que les autres adultes se réunissent et discutent. Cela peut se faire dans des maisons différentes, ou dans la même maison, dans des pièces différentes. Avec ce modèle, on ne dépend pas d’un(e) baby-sitter.

Inclure les enfants. Si les enfants du groupe sont en primaire ou début de secondaire, je suggère de les impliquer dans le groupe, au moins occasionnellement. Il est important que les enfants grandissent en considérant l’église comme une famille et qu’ils s’y sentent intégrés en tant que jeunes et pas uniquement comme « l’avenir de l’église ». C’est l’occasion pour les adolescents de dialoguer avec les adultes, et pour les plus jeunes de partager leurs craintes, leurs réussites ou leur enthousiasme à propos de ce qui se passe dans leur vie de tous les jours.

L’engagement et l’assiduité des membres

Après la garde des enfants, c’est la question la plus fréquente que m’ont posée des responsables de groupes : « Comment faire pour que les gens viennent régulièrement ? » J’ai quatre suggestions à faire.

Décider de la vision de votre groupe. Si par exemple votre groupe veut être tourné vers l’extérieur — ce qui signifie que vous souhaitez l’intégrer dans une vision communautaire, que vous voulez inviter de nouvelles personnes à le rejoindre et que vous envisagez d’en créer d’autres — alors vous aurez besoin d’un bon noyau de personnes stables et matures. Si votre priorité est d’approfondir les relations — ce qui signifie que vous désirez que ce groupe de personnes devienne un groupe d’amis plus proches où l’on se penche de manière plus profonde sur les aspects pratiques de la vie à la suite de Jésus — vous devrez l’exprimer clairement.

Établir une charte de groupe. J’encourage vivement tous les nouveaux groupes à se mettre d’accord, dès leur création, sur leurs valeurs et leurs attentes en matière d’engagement. L’assiduité devrait avoir sa place parmi les éléments à mentionner dans une telle charte.

Questionner l’engagement des membres au moins une fois par an. Je recommande à tous les groupes de demander aux membres au moins une fois par an – par exemple autour de la rentrée – s’ils se réengagent pour l’année qui suit. On peut, par exemple, simplement dire : « Le mois prochain, il serait bon de faire le point sur notre groupe. Réfléchissez-y et voyez si vous voulez vous engager pour une autre année, ou si vous préférez faire d’autres choses. »

Planifier les réunions. Les deux meilleures façons de procéder sont les suivantes : soit convenir d’un schéma régulier afin que la date de la prochaine réunion du groupe ne soit un mystère pour personne, soit, à la fin de chaque réunion, confirmer le jour et l’heure des deux prochaines rencontres.

Les membres qui monopolisent la parole

Dans de nombreux groupes, il y a au moins un(e) bavard(e) invétéré(e). Il peut s’agir d’une personne qui veut prodiguer de bons conseils, mais qui prend la parole trop vite et pour pas grand-chose. Ou d’une personne qui veut jouer le rôle de thérapeute dès que quelqu’un fait part de ses difficultés. Ou simplement un membre de votre groupe qui a tendance à intervenir à tout propos ou à parler plus qu’à écouter. Voici quelques rapides conseils pour vous aider dans ces situations.

Choisir. Au lieu de poser une question à l’ensemble du groupe, posez-la à une personne en particulier : « Suzanne, qu’en penses-tu ? » Vous pouvez également introduire l’échange comme suit : « Faisons un tour de table et prenons chacun 60 secondes pour répondre à cette question. »

Interrompre. « Je sais que je t’interromps, mais j’aimerais entendre ce que Suzanne a à dire. » La démarche est un peu contre-intuitive, mais il est plus poli de dire explicitement aux gens que vous les interrompez que de leur couper la parole l’air de rien.

Remercier. Si vous vous être trop gêné d’interrompre la personne envahissante, attendez une légère pause et dites : « J’aime bien ce que tu viens de dire à ce sujet… Qui d’autre aurait un commentaire à faire à ce propos ? » De nombreux bavards sont simplement des personnes qui ont besoin de penser à voix haute et ne terminent ainsi jamais leurs phrases. Lorsqu’ils arrivent à la fin d’une pensée, ils signalent à tout le monde qu’ils n’ont pas fini de parler. Ils haussent par exemple la voix pour ne pas donner l’impression qu’ils sont en train de conclure une pensée, ou font du remplissage avec des mots de liaison pour empêcher quiconque de s’engouffrer dans la brèche. Tirez parti de ces moments charnières !

Faire attention à la communication non verbale. Se pencher un peu, bouger ses mains ou certaines expressions du visage peuvent indiquer que l’on veut dire quelque chose. J’essaie souvent de détecter dans le groupe si quelqu’un attend visiblement de pouvoir parler. Si c’est le cas, je pointe du doigt dans sa direction. Cela déplace le centre d’attention du groupe et permet à la parole de circuler de manière naturelle.

Parler à la personne en privé. Ce n’est jamais drôle et cela doit être fait avec douceur. Néanmoins, si la dynamique du groupe souffre des interventions envahissantes de certaines personnes, il peut être nécessaire que vous en parliez en privé avec elles.

Si malgré ces suggestions, vous ne parvenez pas à résoudre les tensions rencontrées, parlez-en à votre pasteur ou à la personne responsable des petits groupes dans votre église. Ces personnes, qui connaissent probablement personnellement les membres de votre groupe, auront peut-être d’autres conseils pratiques à vous donner, mieux adaptés à la situation que vous vivez.

Nik Schatz est le pasteur exécutif de la Free Church de Hershey, en Pennsylvanie. Il est titulaire d’une maîtrise en théologie du Dallas Theological Seminary et d’un doctorat en théologie du Gordon-Conwell Theological Seminary.

Traduit par Anne Haumont

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook ou Twitter.

Un orphelin a repris un orphelinat. Sa mission a changé.

Emanuel Nabieu avait été recueilli il y a 16 ans. Aujourd’hui, il donne une nouvelle orientation à l’organisation qui l’avait pris en charge.

Christianity Today February 29, 2024
Illustration de Christian Blaza

Lorsqu’Emmanuel Nabieu a commencé à travailler au Child Rescue Center (CRC) en Sierra Leone, il rentrait en quelque sorte à la maison.

Seize ans plus tôt, le 4 juillet 2000, il avait été recueilli par ce même orphelinat.

À l’âge de neuf ans, sa vie avait été bouleversée par la guerre civile. Son père avait été tué lors d’une attaque contre son village et il avait été séparé de sa mère dans le chaos qui avait suivi. La stabilité de la structure de sa famille élargie avait volé en éclats. Le dernier parent vivant qu’il connaissait, un oncle, n’avait pas les moyens de s’occuper de lui.

L’orphelinat semblait être la seule option. Il a donc été amené au CRC. À partir de ce moment, c’est là qu’il s’est installé.

« J’ai vécu dans une belle maison d’enfants avec toutes les commodités », nous raconte Nabieu, ou Nabs, comme tout le monde l’appelle aujourd’hui. « Mais j’aspirais à être aimé. »

Lorsqu’il a grandi et a poursuivi sa formation à l’université de Njala en Sierra Leone, puis à l’université de Galles du Sud, il a découvert que, comme lui, 80 à 90 % des orphelins avaient un membre de leur famille en vie qui aurait pu s’occuper d’eux avec les ressources et le soutien nécessaires. En consultant les dossiers du CRC en 2016, il a été stupéfait de découvrir que 98 % des enfants pris en charge par le ministère avaient un membre de leur famille en vie.

« Les orphelinats ne servaient pas vraiment les orphelins », explique Nabieu, qui expose son expérience et sa vision de la prise en charge des enfants dans My Long Journey Back Home (« Mon long voyage de retour ») « Ils ne s’occupaient que d’enfants issus de familles pauvres. »

Nabieu a proposé un changement radical. Pour lui, le CRC n’avait pas besoin d’offrir de nouveaux foyers aux enfants. L’institution devait trouver le moyen d’aider les familles à pouvoir s’occuper de leurs propres enfants.

Aujourd’hui, le centre a été transformé. Le « rescue » (« secours ») de l’acronyme CRC a été remplacé par « reintegration » (« réintégration ») et ses programmes visent à aider les familles à devenir financièrement autonomes. Il propose des cours, des prêts financiers et du mentorat afin de donner aux gens les compétences nécessaires pour s’en sortir.

« Nous devions être en mesure d’aider ces enfants à se construire un avenir meilleur, un avenir plus heureux qui inclurait leurs familles et les communautés auxquelles ils appartiennent », dit Nabieu.

Le 21e siècle a vu les institutions et les organisations gouvernementales se distancier de la prise en charge institutionnelle des enfants. En 2019, les Nations unies ont adopté une résolution donnant la priorité à la prise en charge familiale et appelant à l’élimination à terme de tous les orphelinats, ou « foyers institutionnels ». Tous les États membres ont signé la résolution et des organisations du monde entier ont commencé à adapter leurs pratiques.

Elli Oswald, directrice exécutive de Faith to Action, un groupe qui s’est engagé à repenser la prise en charge des orphelins, estime qu’il existe également un « mouvement croissant de chrétiens qui s’éloignent de l’utilisation excessive de la prise en charge en institution et qui se tournent vers la prévention de l’entrée des enfants dans ce contexte ».

Cette décision est notamment motivée par des recherches montrant que la prise en charge en institution entraîne des taux plus importants de pauvreté et de problèmes relationnels à l’âge adulte.

« La plupart des enfants qui passent beaucoup de temps dans les orphelinats sont vraiment en difficulté », explique-t-elle. « Ce que nous savons, c’est que les enfants grandissent mieux dans le cadre de l’amour et des soins de leur famille. »

Cela ne veut pas dire que les institutions ne sont jamais la solution.

Oswald souligne qu’il y a des situations où il n’est pas sûr qu’un enfant rentre chez lui. Et il y a des cas où un enfant est vraiment complètement seul. Un séjour de courte durée en institution suivi d’un placement plus durable dans une famille peut être le meilleur choix pour un enfant.

Mais la plupart du temps, les orphelinats ont répondu au symptôme d’un problème au lieu de s’attaquer au problème lui-même.

« La pauvreté est la principale raison pour laquelle les enfants se retrouvent dans des orphelinats », dit Oswald, « et si nous parvenons à convaincre les familles de les soutenir, elles sont le plus souvent en mesure de s’occuper de ces enfants. »

Jedd Medefind, président de l’Alliance chrétienne pour les orphelins, une organisation à but non lucratif qui travaille avec plus de 250 organisations répondant aux besoins des enfants vulnérables, rapporte que, historiquement, les orphelinats étaient créés rapidement pour répondre à une situation d’urgence massive. Des personnes bien intentionnées estimaient nécessaire d’agir immédiatement face à la guerre, la peste ou d’autres catastrophes, même si elles étaient conscientes des potentiels inconvénients.

Mais les gens repensent l’équilibre entre efficacité et idéal de soins.

« Nous devons viser l’idéal tout en reconnaissant que nous travaillons dans un monde profondément meurtri », dit Medefind. « Nous devons adopter des solutions réalistes. »

Même aux États-Unis, qui disposent de beaucoup plus de ressources que les pays en développement, les soins en institution n’ont pas été éliminés, note-t-il encore. Plus de 10 % des enfants placés dans le système d’accueil sont dans des foyers de groupe. Certains ne peuvent pas être confiés à des membres de leur famille en raison de problèmes de dépendance ou d’abus. Il y a une pénurie de familles d’accueil et il est difficile, voire impossible, de trouver des places pour certains enfants ayant des besoins importants.

Medefind soutient « un continuum complet de soins disponibles partout et donnant la priorité à la famille ».

Cela commence par des services de soutien de la famille afin d’éviter avant tout la séparation, dit-il. Dans un second temps vient un système de placement en famille d’accueil et d’adoption. Et dans les rares cas où il n’est pas possible de placer un enfant chez quelqu’un, Medefind soutient les soins résidentiels de type familial, où les enfants sont placés dans des foyers de groupe avec un faible nombre d’enfants par adulte encadrant. L’idéal serait que ces adultes restent impliqués dans la vie des enfants, même à l’âge adulte.

« La réalité est que, lorsqu’il s’agit du développement du cœur, du corps et de l’âme des enfants, le meilleur endroit pour un enfant est la famille. Il est tout simplement impossible de remplacer cela à grande échelle », dit Medefind. « À tous les stades du développement, mais surtout pendant les premières années de formation de la petite enfance, le besoin de ressentir de l’amour est profond. »

Selon Emmanuel Nabieu, le changement doit commencer par une réflexion globale. En réfléchissant à sa propre expérience, il se rend compte aujourd’hui qu’il n’était pas un enfant dans le besoin parmi d’autres. Il éprouvait avec plus de force un problème plus vaste, un problème que le CRC pouvait résoudre.

L’une des premières personnes à qui il a parlé de son projet de transformer le centre en quelque chose d’autre a été Laura Horvath, une chrétienne qui s’était occupée de lui à l’orphelinat. Elle lui a répondu que, d’une certaine manière, elle n’était pas surprise de sa vision. Nabieu avait toujours été un leader, et Horvath et d’autres membres du ministère réfléchissaient également à de meilleures façons de s’occuper des enfants, si bien qu’ils ont été réceptifs à ses idées.

Horvath n’était pas entièrement sereine à l’idée des grandes transitions envisagées. Mais elle a vite été happée par la vision de Nabieu.

« Nous sommes rapidement entrés dans cet espace où l’on peut faire de grands rêves », se souvient-elle. « À quoi cela pourrait-il ressembler ? »

L’approche adaptée a été plus fructueuse que ne l’espéraient ceux qui travaillaient pour ce nouveau « Centre pour la réintégration des enfants ». Les nouveaux programmes étaient plus rentables et permettaient d’aider beaucoup plus d’enfants. Alors qu’elle apportait auparavant de l’aide à environ 300 orphelins, l’organisation a pu porter ce nombre à près de 2 000 enfants dans plus de 400 familles.

Nabieu estime que cette approche holistique est non seulement pragmatique, mais aussi biblique, puisque « Dieu accorde aux gens seuls une famille » (Ps 68.7 SEM). Il croit fermement que le lieu qui lui a offert un foyer peut devenir un puissant outil de restauration.

« Ces structures peuvent devenir de réelles sources d’espoir et de stabilité pour les enfants et les familles vulnérables », dit-il. « Il ne s’agit pas seulement d’un enfant. Il s’agit de toute une famille qui forme une unité. Il s’agit de la communauté. »

Adam MacInnis est journaliste au Canada.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook ou Twitter.

Heureux les économes ?

Les enseignements de Jésus interrogent notre façon de dépenser lorsque l’argent se fait rare.

Christianity Today February 29, 2024
Illustration de Daniel Forero

En mai 2023 le gouvernement italien convoquait une réunion d’urgence pour faire face à la hausse du prix des pâtes. Les Italiens étaient également frappés au portefeuille par les prix élevés du gaz naturel qui permet de faire bouillir l’eau de la marmite. En 2022, le gouvernement italien avait d’ailleurs recommandé aux cuisiniers de réduire la durée d’ébullition de l’eau des pâtes comme « geste vertueux » d’économie.

Ce n’était qu’un symptôme des récentes flambées de prix qui compliquent l’accès à notre pain quotidien. L’inflation frappe partout dans le monde et entraîne des pressions diverses sur les ménages. Aux États-Unis, le coût du style de vie moyen est plus de deux fois supérieur à ce qu’il était en 1990. Au Ghana, où l’inflation est peut-être la plus élevée d’Afrique, les denrées alimentaires coûtent deux fois plus cher qu’il y a un an. Son dernier taux d'inflation annuel était supérieur à 50 % par an. Les mites et la rouille ont dévoré…

Mais d’autres pressions s’exercent sur les consommateurs pour qu’ils se montrent plus économes, avec notamment un souci de réduction des déchets. Par exemple, les États-Unis jettent environ 13 millions de tonnes de vêtements par an. Et tandis que certains souffrent de la faim, près d’un tiers des terres cultivées dans le monde produisent des denrées qui ne profiteront ni aux humains ni aux animaux. Ajoutez à cela qu’environ 14 % des aliments sont jetés avant même d’arriver dans un magasin.

Pour qui regarde aux coûts de notre consommation, notre négligence et nos excès semblent clairement problématiques. Une réponse à ces tensions entre richesse, gaspillage et besoins semble toujours porter le sceau de la vertu : l’économie.

L’économie est une réponse à nos dilemmes, aux choix que nous devons souvent faire entre conserver ou manger notre part. Il s’agit de consommer moins, d’acheter moins ou de dépenser moins afin de réorienter les ressources. Se montrer économe peut permettre de gérer un petit budget ou des dépenses importantes, par exemple en faisant en sorte que l’argent économisé grâce à des vêtements de seconde main serve à acheter des fruits frais.

Mais il peut aussi s’agir d’un moyen d’éviter le gaspillage, de gagner en liberté financière pour l’avenir ou de préserver les ressources pour une autre génération. Cette forme de modération peut même être une question de gestion de l’image, afin de se parer de qualités enviables dans un contexte où l’extravagance ou la richesse outrancière est regardée avec suspicion.

Mais la faculté de se montrer économe est-elle vraiment la vertu que l’on croit souvent ?

L’économie est depuis longtemps associée à l’héritage chrétien : elle fait partie de l’éthique protestante du travail décrite par Max Weber, des vœux de pauvreté prononcés dans les ordres religieux catholiques et orthodoxes et constitue l’une des caractéristiques les plus reconnaissables des mennonites et d’autres anabaptistes.

« Le mouvement protestant découle d’un débat sur l’argent », explique Clive Lim, un investisseur et entrepreneur qui a coécrit plusieurs ouvrages sur les chrétiens et l’argent. Il rappelle l’indignation des protestants face aux pratiques de l’Église catholique romaine en matière de revenus et de dépenses. Mais il souligne également l’importance de l’épargne dans les enseignements des dissidents. Pour les réformateurs et leurs successeurs, « quelle que soit votre richesse, vous devez vivre simplement. La frugalité est valorisée. »

Tel était en tout cas le cas, selon Lim, jusqu’à ce que, au cours des cent dernières années, la forte consommation soit associée à l’idée que nous nous faisons d’une économie saine.

Il va presque sans dire qu’il est bon de vivre selon ses moyens et que lorsque ces moyens sont faibles ou que les besoins les excèdent — une situation dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes aujourd’hui — se montrer économe est une solution responsable et pieuse. Cette pratique est néanmoins contre-culturelle dans de nombreux pays. « Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes mis au défi de la frugalité », dit Lim.

Si, comme il le souligne, cette forme de modération est un enjeu spirituel, alors il importe que nous apprenions à faire preuve de parcimonie là où cela est nécessaire (et à vivre cela d’une manière conforme à notre recherche du royaume de Dieu et de sa justice). Mais certaines tendances communes nous barrent souvent la route, en particulier notre crainte de nous voir imposer une vie inconfortable et notre empressement à faire de l’argent le critère de toute valeur et la seule solution à nos grands problèmes.

Les enseignements de Jésus que les Évangiles nous ont transmis ne mentionnent pas directement le fait d’être économe, à moins que l’on ne comprenne ainsi sa recommandation de ne pas jeter de perles aux pourceaux (Mt 7.6) ou l’ordre donné à ses disciples de rassembler les restes de la nourriture miraculeusement fournie aux 5 000 hommes (« afin que rien ne se perde », Jn 6.12). Mais Jésus mentionne fréquemment l’argent et la manière de le gérer.

Victor Nakah, directeur international de Mission to the World pour l’Afrique subsaharienne, explique qu’une grande partie de l’enseignement de Jésus sur l’argent peut être résumée comme suit : « Lorsque vous êtes obsédés par les choses matérielles ou que vos besoins matériels vous submergent, vous vous comportez alors comme si vous ne faisiez pas partie de la famille de Dieu. »

Outre ses enseignements et ses paraboles sur l’argent et les soucis, Jésus n’avait pas de demeure permanente (Mt 8.20) et son argent se trouvait dans un fonds collectif (que Judas ponctionnait, Jn 12.6). Celse, un philosophe grec du deuxième siècle, aurait qualifié de « honteux » le style très modeste de vie de Jésus.

Lorsque Jésus parle d’argent et de biens, il est difficile d’échapper à l’impression que dépendre de la richesse lui semble aussi stupide que de placer ses espoirs dans la valeur d’une collection de poupées et que c’est par compassion qu’il réconforte plutôt qu’il ne tourne en dérision ceux qui sont préoccupés par l’argent. Mais s’il le fait, c’est aussi parce qu’il est conscient que ceux-ci courent le danger d’adorer un faux dieu peu fiable et dévorant.

L’enseignement de Jésus vise à ce que ceux qui espèrent leur salut en Mammon se tournent vers Dieu, à ce que ceux qui poursuivent ce qui se flétrit se réorientent vers ce qui a une valeur éternelle. Comment adoptons-nous le regard de Jésus sur notre richesse, notre statut, notre apparence, nos engagements, nos obligations et nos priorités financières ? L’économie serait-elle le moyen de bien faire le tri ?

Je me souviens très bien de mes premiers essais à vélo. Lorsque j’ai enfin trouvé l’équilibre nécessaire pour avancer pendant quelques secondes, mon cher frère s’est mis à trottiner sur mon chemin. Il y avait suffisamment de place pour nous deux sur le trottoir, mais j’ai foncé droit sur lui et nous nous sommes retrouvés tous les deux en pleurs sur la pelouse.

Aujourd’hui, je sais que la raison pour laquelle je n’ai pas pu l’éviter est ce que l’on appelle la « fixation sur l’obstacle » : nous nous dirigeons vers ce sur quoi nous sommes concentrés, même s’il s’agit précisément de ce que nous tentons d’éviter.

Jésus ne cesse de nous dire de détacher nos yeux de l’argent. Et dans de nombreux endroits et à de nombreuses époques — y compris dans l’Église aujourd’hui — nous voyons les gens tomber dans le piège qui consiste à exiger de plus en plus de choses pour se sentir bien. Mais à l’inverse, nous pensons trop souvent que le changement que nous devons opérer est de passer de la convoitise de l’argent à l’évitement de l’argent. De cette manière, l’économie peut aussi devenir une cible sur laquelle nous nous fixons et qui nous déroute pour nous ramener tout droit à Mammon.

Les paroles de Jésus à ses disciples montrent qu’il désapprouve le fait d’amasser de l’argent, de faire de la richesse la pierre angulaire d’une vie et de croire que nous serons ainsi à l’abri. Mais nous oublions parfois un autre aspect des enseignements de Jésus : l’importance de la direction vers laquelle nous focalisons notre attention.

Alors que des chrétiens du monde entier traversent une période d’inconfort — ou pire — dans leur budget familial, même le souci d’économie peut les rapprocher dangereusement des erreurs souvent associées à la cupidité. Toute perspective qui filtre la réalité à travers l’argent déforme notre échelle de valeurs. Pourtant, la concordance entre notre échelle de valeurs et celle de Dieu est un élément essentiel de notre vie de disciple.

L’argument de l’économie peut faire passer l’austérité pour une vertu. Une histoire d’ascètes de l’Église primitive raconte qu’un moine du 4e siècle, Macaire, reçut un jour une grappe de raisin et l’envoya à un autre moine, qui l’envoya à un autre moine, et ainsi de suite. Chacun avait envie de raisins, mais aucun n’en mangea. Ils retournèrent finalement à Macaire, peut-être un peu ridés, qui ne les mangea toujours pas. Les moines firent ainsi la preuve de leur capacité à renier leurs appétits.

Ce reniement pourrait témoigner d’une croyance que les possessions sont comme des patates chaudes dont il faudrait se défaire avant qu’elles ne nous ruinent. Jésus a appelé au moins une personne à traiter l’argent de cette manière (Mt 19.16-22). Mais loin de résoudre l’obsession de l’argent et des biens, cette manière de vivre avec le moins possible peut conduire au misérabilisme.

Lucinda Kinsinger, mennonite et récente autrice de Turtle Heart, dit : « Si vous vous concentrez sur l’économie pour le plaisir d’être économe, vous finirez par être un radin. Si notre objectif est d’être un bon gestionnaire, alors nous sommes sur le bon chemin. » Si l’économie est un moyen d’accumuler des réserves en vue d’être plus riche à l’avenir, nous devrions questionner notre objectif.

L’ascétisme ne semble cependant pas être le premier danger spirituel que nous courions à l’heure actuelle. Au contraire, nous semblons surtout trop préoccupés de conserver ce que nous avons, qu’il s’agisse de peu ou de beaucoup.

De nombreux évangéliques américains connaissent la Financial Peace University de Dave Ramsey, qui affirme avoir formé près de 10 millions de personnes, souvent dans des églises. Ce programme et d’autres cours de ce type permettent d’apprendre aux gens comment bien dépenser et épargner, ce qui constitue à la fois un réel soulagement et un moyen de gérer les ressources de manière responsable. Mais pratiquer la dîme et l’épargne tout en mangeant des « haricots et du riz », comme le préconise Ramsey, peut encore cohabiter avec le culte de Mammon. Le changement de nos pratiques financières doit s’accompagner d’un changement dans notre cœur et ce vers quoi nous orientons notre attention.

Nulle part Jésus ne dit que vivre en dessous de ses moyens est un moyen de parvenir à la paix. La paix ne provient pas d’une sage gestion financière, même si celle-ci inclut la pratique de la dîme.

Jésus dit au jeune homme riche : « va vendre tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » (Mc 10.21) À la foule sur la colline, il dit : « Vendez ce que vous possédez et faites don de l’argent. » (Lc 12.33) Ces enseignements de Jésus sont peut-être l’un des plus grands défis auxquels se heurtent les chrétiens du monde entier.

Palmer Becker, auteur de l’ouvrage Anabaptist Essentials, considère l’histoire du jeune riche comme un résumé de l’enseignement de Jésus sur l’argent. Ce n’est cependant pas l’approche chrétienne la plus répandue.

Karen Shaw, autrice de Wealth and Piety: Middle Eastern Perspectives for Expat Workers, explique que lors de ses recherches sur les perceptions de l’argent au Moyen-Orient, l’idée d’une pauvreté volontaire était stupéfiante pour les personnes qu’elle a interrogées. Une très petite minorité de chrétiens interrogés était familière avec l’idée de pauvreté volontaire chez les chrétiens modernes.

En Occident, où les gens sont plus habitués à cette idée, Shaw déclare : « J’ai assisté à bien des études bibliques à propos [du jeune homme riche] où toute la discussion porte sur les raisons pour lesquelles cela ne s’applique pas à nous, ou comment nous pouvons y échapper. »

Il nous arrive de tenter d’externaliser notre devoir de prendre soin des pauvres, ou même de donner tout court. Victor Nakah s’inquiète du fait que les chrétiens attendent la pauvreté volontaire de la part des pasteurs et des missionnaires, mais pas d’eux-mêmes, pensant que ce sont les chrétiens qu’ils perçoivent comme plus vertueux qui pourront supporter le fardeau de vivre avec peu.

Mais, selon Nakah, il s’agit d’une interprétation erronée à plus d’un titre. Non seulement nous devons tous donner, mais « il n’y a pas de vertu dans la pauvreté. La plupart des gens luttent parce qu’ils pensent que la Bible enseigne que nous devrions être pauvres. »

Les paroles de Jésus demandant de vendre ce que nous possédons et de donner aux pauvres ne s’adressaient pas seulement aux riches. Clive Lim a grandi dans la pauvreté et la promiscuité et explique qu’il lui a été difficile de ne pas considérer l’argent comme une source de sécurité. Mais en tant que chrétien, dit-il, « il faut laisser le passé derrière soi » et distinguer ce qui est suffisant de ce qui est superflu.

Ce que Jésus ordonne, « ce n’est pas simplement de réduire la voilure », déclare Shane Claiborne, cofondateur de Red Letter Christians et membre de The Simple Way, qui encourage les voisins à vivre dans une communauté de partage, comme le faisaient les premiers chrétiens. Claiborne affirme qu’une gestion véritablement chrétienne des ressources est plus radicale que ce à quoi nous sommes souvent préparés, plus radicale que de se montrer économe. C’est le contraire de l’envie ; c’est agir en fonction du désir de subvenir aux besoins des autres à partir de ce que nous avons.

Et pourtant, il y a une différence entre les commandements de Jésus au jeune homme riche et à la foule : Jésus ne demande pas forcément à la foule de tout vendre.

Lim analyse : « Tous les chrétiens, je crois, sont appelés à subvenir aux besoins des pauvres. Nous sommes censés vendre ce qui nous est précieux pour nous libérer de l’emprise des biens et, en même temps, faire le bien. La question est de savoir quelle proportion de nos biens nous devons vendre. Le jeune riche de Luc 18 s’est vu dire de tout vendre, mais Zachée n’a promis que la moitié [aux pauvres] et cela a suffi à Jésus. Il s’agissait plutôt de savoir ce qu’il fallait faire pour briser l’emprise de l’argent. »

Le moyen le plus simple de nous défaire de nos obsessions financières n’est-il pas de se débarrasser de l’argent et de la nécessité de le gérer ? Nous pourrions le dépenser ou le mettre en commun avec d’autres, en laissant quelqu’un de plus sage prendre les décisions. Se débarrasser de notre argent ne nous déchargera pas pour autant de nos responsabilités. Jésus s’en prend à ceux qui dérobent leur argent à leurs obligations familiales en prétendant que celui-ci serait mis à part pour Dieu ; pour lui, il n’est pas plus saint de consacrer toute sa fortune à des causes religieuses que de s’occuper des personnes à notre charge (Mc 7.9-13).

Mis bout à bout, les enseignements de Jésus semblent dire que notre responsabilité de bien gérer nos richesses demeure, même si nous sommes également appelés à en faire don. Suivre Jésus ne consiste pas seulement à se débarrasser de ses biens et de son argent — en les jetant dans un puits ou en les faisant fondre.

Il n’y a pas non plus de montant spécifique qui fasse de nous de bons chrétiens. La Bible nous montre que ce n’est pas le caractère extrême d’un acte de service ou d’abnégation qui plaît à Dieu. « Et si je distribue tous mes biens aux pauvres […], mais que je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien », dit 1 Corinthiens 13.3.

« Nous devons être guidés par l’amour de Dieu et l’amour du prochain », souligne Shane Claiborne. L’amour chrétien est impatient de « s’assurer que tout le monde puisse faire l’expérience des dons de Dieu ». Si nous ne ressentons pas le désir de partager, dit Claiborne, nous devrions nous interroger sur ce qui se passe réellement dans notre cœur.

En d’autres termes, lorsque nous essayons d’obéir aux enseignements de Jésus sur l’argent en recherchant un pourcentage ou un montant que nous pourrions appliquer à chaque chrétien, nous sommes toujours focalisés sur l’argent.

Henry Kaestner, entrepreneur et auteur de Faith Driven Investing, affirme que, tout comme les excès injustifiés, les dépenses auxquelles on ne prête pas attention sont spirituellement dangereuses. Il estime que, bien souvent, « vos idoles sont celles pour lesquelles vous pouvez dépenser de l’argent librement ». Claiborne avertit que nous devrions nous méfier d’une attitude défensive face aux questionnements sur ce que nous possédons ou ce pour quoi nous dépensons de l’argent, car il y a là un potentiel indice d’idolâtrie. La gestion chrétienne de l’argent devrait donc être accompagnée de prudence, même si nos yeux sont fixés sur Jésus.

Mais il y a une autre idée trompeuse, qui, à mon avis, relève moins d’un problème spirituel que d’un défaut de réflexion. Nous imaginons qu’il n’y a qu’une quantité limitée de richesses disponible pour pourvoir à tous les besoins du monde.

Si tel est le cas, un chrétien ne pourrait se permettre le gaspillage de dépenser pour autre chose que des urgences. Comme certains chrétiens au cours de l’histoire, nous pourrions croire qu’une juste pratique de la charité absorbera tout le reste. La nécessité de se montrer économe devient alors la lentille à travers laquelle nous percevons toutes choses. L’adoration, l’amusement ou tout ce qui n’est pas strictement nécessaire apparaît comme du gaspillage.

Judas — bien que peu sincère — s’inscrit dans cette perspective lorsque Marie de Béthanie verse son parfum sur les pieds de Jésus : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum 300 pièces d’argent pour les donner aux pauvres ? » (Jn 12.5)

La première fois que j’ai lu Beowulf, j’ai été frappée par l’une des dernières scènes du poème où Beowulf, honoré pour avoir apporté la richesse à son peuple, est enterré avec un trésor. « L’or sur le gravier, où ores encore il existe, aussi inutile aux mortels qu’il le fut avant. » Je me suis arrêtée et me suis posé la question : à quoi servait cet or, au fait ? Il ne pouvait permettre d’apporter des antibiotiques à ces peuples de la mer du Nord. Rien de ce que Beowulf pouvait acheter n’aurait pu aider leurs enfants à naître en toute sécurité. Même les plaisirs sans importance étaient impensables à l’époque : l’argent de Beowulf n’aurait pas permis d’acheter des vêtements rembourrés, des cafés à la cardamome ou des pêches.

Aujourd’hui, notre argent permet d’acheter toutes ces choses et bien d’autres encore. Il y a plus de valeur disponible sur Terre.

Cette possibilité de créer de la valeur signifie que des projets coûteux comme la construction d’une cathédrale n’empêchent pas nécessairement qu’un autre obtienne un salaire équitable ou un vaccin. La richesse ressemble davantage à du levain qu’à une miche de pain. Même en termes non chrétiens, l’argent n’est pas aussi limité que nous le pensons parfois.

Jésus ne souscrit pas à l’objection de Judas selon laquelle Marie aurait dû vendre son parfum et en donner le produit aux pauvres.

« Laisse-la tranquille », répond-il. « Elle a gardé ce parfum pour le jour de mon ensevelissement. En effet, vous avez toujours les pauvres avec vous, tandis que moi, vous ne m’aurez pas toujours. » (Jn 12.7-8)

En d’autres termes, son hommage (et sa nature prophétique) était un motif valable pour dépenser une année de salaire. Et ce geste extravagant ne limitait pas la capacité de quiconque à s’occuper des pauvres ; si le cœur de Judas lui permettait de donner, il avait toujours la possibilité de le faire.

Ce n’est pas que le gaspillage ne soit pas un problème. C’en est un. Jésus en parle aussi. Il y a, bien sûr, le fils prodigue qui gaspille son héritage. Dans une autre parabole, un homme riche punit également l’un de ses intendants qui n’a pas investi son argent de manière rentable (Mt 25.14-30).

« Le gaspillage est une mauvaise chose. Personne ne veut voir un intendant gaspiller », explique Henry Kaestner. Mais échapper au gaspillage ne consiste pas tant à s’assurer qu’un investissement est rentable qu’à agir fidèlement dans ses dépenses et à comprendre la valeur réelle de ce que nous pouvons acheter.

Il existe un danger connexe, celui de dépendre de l’argent comme d’une solution à tous nos problèmes. Certes, si vous voulez, par exemple, payer des salaires plus élevés à vos employés, avoir plus d’argent apportera généralement la solution, moyennant une bonne gestion des questions fiscales. Mais si vous voulez répondre aux difficultés de logement, réduire la corruption ou mettre fin à un conflit, certains aspects de ces problèmes sont insensibles à une injection d’argent et d’autres y réagissent comme le feu à l’huile.

Clive Lim s’en est rendu compte lorsqu’il a financé des projets destinés à aider d’autres gens. « Au début, je pensais que l’argent était la solution », dit-il. « Je jetais de l’argent par les fenêtres et j’espérais que le problème disparaîtrait. » Mais les problèmes revenaient. Aujourd’hui, il sait que « l’argent n’est pas une panacée. C’est une forme de narcotique. Il ne résout pas les problèmes plus profonds. L’argent permet d’éviter la douleur. » Il continue à donner, mais il sait maintenant qu’il faut des idées plus créatives pour vraiment faire la différence.

L’argent ne doit pas être la seule solution chrétienne, la « réponse à tout », comme le dit le cynique de l’Ecclésiaste (10.19).

Il est nécessaire et responsable de prêter attention à une sage gestion et à l’absence de corruption lorsque nous donnons par l’intermédiaire d’organisations. Mais l’accent mis sur une gestion économe peut aussi nous faire perdre de vue l’utilité de l’argent. Les marges de manœuvre sont-elles trop étroites ? Demande-t-on aux membres du personnel de sacrifier ce dont leur famille a besoin — en termes de temps et de revenus — pour que l’organisation fasse bonne figure ?

Ou nos pressions en matière de générosité diminuent-elles notre perception de Dieu ? L’autrice et chercheuse Karen Shaw explique : « Les budgets des missions et des églises étant souvent très serrés, nous pourrions en venir à penser que Dieu est un peu avare. Nous ne le dirions jamais à haute voix, mais c’est parfois l’impression que l’on a. »

Beaucoup d’entre nous connaissent la réalité de ces paroles de Jésus sur la colline :

« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les mites et la rouille détruisent et où les voleurs percent les murs pour voler, mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où les mites et la rouille ne détruisent pas et où les voleurs ne peuvent pas percer les murs ni voler ! En effet, là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Mt 6.19-21)

Dans le monde entier, la rouille et les mites ont littéralement détruit ce qui avait été mis de côté. Des incendies l’ont fait fondre et brûler. La politique l’a dévalué. L’inflation l’a réduit. L’argent n’est pas fiable. Cette leçon est assez simple, surtout pour ceux qui la connaissent par expérience.

La seconde exhortation de Jésus dans cet enseignement est cependant plus difficile. Que signifie « amasser des trésors dans le ciel » ? Il semble dire que notre argent ici-bas pourrait être échangé contre des choses qui ont de la valeur pour Dieu lui-même. Quelles seraient ces choses ?

Selon Victor Nakah, « tout ce qui entre dans la catégorie de l’éternel a trait aux personnes, aux vies changées ».

Interrogée sur cette idée de dépenser pour ce qui rapporte des bénédictions éternelles, Susie Rowan, ancienne directrice générale de la Bible Study Fellowship, répond : « Ce qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est le bon Samaritain. Il a immédiatement interrompu le cours de sa vie pour s’occuper de l’homme » agressé. Et Jésus nous dit : « Va et toi aussi, fais de même. » (Lc 10.37, NFC)

Nakah donne un exemple moins immédiat, celui d’un ami qui a financé l’éducation d’une petite fille. Plus tard, la jeune fille est devenue croyante, et l’ami a réalisé que ce qu’il savait être important pour le présent (son éducation) avait conduit à sa vie éternelle.

Les conseils financiers mettent souvent l’accent sur les compromis entre le présent et l’avenir, encourageant les gens à accumuler des réserves et présentant la richesse future comme la récompense de l’économie actuelle. Shane Claiborne déclare : « C’est l’une des choses constantes que je vois dans les enseignements de Jésus. Dieu rejette l’idée de faire des réserves. »

Cette théologie apparaît dans la parabole du riche insensé (Lc 12.13-21). Sans la condamnation de Jésus, l’histoire pourrait passer pour un conte moralement neutre à propos d’un homme qui utilise sa récolte fructueuse pour assurer son avenir. La surprise pour les auditeurs de Jésus comme pour nous, c’est sa conclusion : « Mais Dieu lui dit : “Pauvre fou que tu es ! Cette nuit même, tu vas mourir. Et tout ce que tu as préparé pour toi, qui va en profiter ?” Voilà quel sera le sort de tout homme qui amasse des richesses pour lui-même, au lieu de chercher à être riche auprès de Dieu. »

Pour Henry Kaestner, ceux qui encouragent à économiser aujourd’hui pour s’enrichir plus tard « parlent d’intérêts composés ». Mais ils passent à côté de la meilleure façon de dépenser de l’argent : en investissant dans des choses éternelles. Kaestner voit là des « bénédictions composées ».

Pour Karen Shaw, il peut être utile de regarder ce qui se passe dans d’autres cultures pour découvrir nos propres lacunes dans la façon dont nous utilisons l’argent.

Par rapport à de nombreux endroits sur terre, l’Amérique du Nord est clairement déficiente en matière d’hospitalité. « Je suis tellement reconnaissante du temps que j’ai passé au Moyen-Orient, où l’hospitalité est extravagante et où l’on aime donner. Cela a juste été merveilleux de pouvoir apprendre de personnes qui reflètent Dieu de cette manière », rapporte Shaw.

Victor Nakah souligne que dans sa culture zimbabwéenne l’hospitalité et la générosité envers les étrangers sont tout à fait naturelles. « Si, pour une raison ou une autre, vous êtes bloqué dans un village, si vous tombez en panne d’essence, quelle que soit la ferme où vous vous rendez, on vous traitera littéralement comme un membre de la famille royale. S’il n’y a qu’un seul lit, ils vous laisseront dormir sur ce lit. S’il n’y a qu’un seul poulet, ils l’abattront pour vous. »

En sortant de sa culture, Nakah dit qu’il a cependant appris que même les temps de qualité peuvent entrer dans la catégorie des trésors stockés au ciel. « En tant qu’Africain, j’ai beaucoup à apprendre des cultures occidentales en ce qui concerne l’importance d’épargner pour les vacances, pour tout ce qui contribue à créer des souvenirs », estime-t-il.

Palmer Becker évoque comme autre exemple d’investissement éternel le cadeau que sa communauté anabaptiste a fait à un ami en Éthiopie : un toit de bonne qualité. « Pour leurs voisins, cela semble extravagant », car la plupart d’entre eux ont des toits de chaume qui doivent être remplacés fréquemment. Pour Becker, c’est toutefois le contraire de l’accumulation. « L’inégalité des richesses est l’un des plus grands problèmes de notre société et de notre monde. La façon dont on gère l’argent est très importante. » Ce qui peut paraître extravagant dans ce cas, dit-il, est pratique et constitue une bonne utilisation de leurs plus larges ressources. La famille de l’ami sera ainsi plus à l’abri des intempéries et des moustiques et elle dépensera beaucoup moins d’énergie et d’argent au fil du temps.

« Il y a une saine extravagance à mettre ce que l’on a de meilleur à la disposition de Dieu pour lui rendre gloire, sans chercher à ce que les autres le voient », explique Lucinda Kinsinger. Il n’est même pas nécessaire que ce soit un cadeau à vocation pratique.

Toute notre gestion de l’argent doit être imprégnée de la conscience de l’éternité : la valeur des personnes, la valeur du culte rendu à Dieu, la nature passagère de notre argent, la confiance dans les richesses de Dieu et une adhésion à son empressement à voir la création s’épanouir.

Comment garder les yeux fixés sur Jésus plutôt que sur nos ressources ? Une fois que nous nous sommes débarrassés de nos illusions à propos de la valeur et de la sécurité de l’argent, ou à propos d’une vie d’austérité, il devient plus aisé de parler de simplicité chrétienne. La simplicité est ce dont nous avons vraiment besoin pour naviguer au milieu des fluctuations de notre richesse. Et cette simplicité peut étonnamment ressembler à un esprit d’économie.

L’économie se recoupe avec la simplicité, qui est notre réponse au commandement de Jésus de rechercher « d’abord le royaume et la justice de Dieu » (Mt 6.33). Les personnes simples, comme les personnes économes, peuvent être indifférentes aux apparences. Elles savent que « assez » n’est pas toujours un « un peu plus » inaccessible et peuvent se contenter de vivre en dessous de leurs moyens.

Cette simplicité ne signifie pas nécessairement se situer dans la « normale ». « Ne me donne ni pauvreté ni richesse » (Pr 30.8) n’exprime pas un désir de se retrouver dans la classe moyenne, mais l’espoir d’une vie dans laquelle la gestion de l’argent ne joue qu’un rôle mineur.

La simplicité nous permet de voir la valeur de nos biens et de nos activités à la lumière du royaume du Christ. Elle nous aide à retrouver la joie, la beauté et le plaisir qu’un esprit trop économe pourrait vouloir supprimer. Mais elle n’entraîne pas au gaspillage ou à une mauvaise gestion. La simplicité nous aide plutôt à comprendre ce qui fait la valeur d’une chose.

Richard Foster a écrit que la simplicité consiste en fait à se concentrer sur une « vie avec Dieu ». Quelqu’un qui privilégie le prestige, le confort et l’autonomie tout en essayant de s’intéresser à Jésus n’est pas simple. Mais une personne bibliquement simple peut néanmoins être un as de la finance ou un entrepreneur-gestionnaire-artisan à la manière de la femme de Proverbes 31.

Si la simplicité transforme assurément une personne, « nous apprendrons rapidement que l’expression extérieure de la simplicité sera aussi variée que les individus et les circonstances diverses qui composent leur vie. Nous ne devons jamais laisser la simplicité se dégrader en une nouvelle série de légalismes qui détruisent l’âme », écrit encore Foster.

Pour Victor Nakah, la simplicité relève d’ » une appréciation plus profonde de ce que Jésus nous a donné ». Vous voulez un mode de vie facile à gérer, où vous ne vous faites pas de soucis à propos de votre tapis blanc » et où « vous pouvez profiter des choses sans vouloir les posséder ».

Susie Rowan va dans le même sens : nous ne pouvons pas savoir si les gens suivent les enseignements de Jésus sur l’argent sur la seule base de leur tranche d’imposition.

Si nous considérons la simplicité comme le fait d’être centré sur Jésus, nous pourrons trouver l’équilibre entre les diverses nécessités de ne pas gaspiller, de ne pas trouver notre valeur dans l’argent, et d’être généreux et hospitalier plutôt qu’avare. Ce qui peut sembler une contradiction pour les non-chrétiens — n’être ni dépensier ni radin — peut alors avoir faire pleinement sens.

L’une des choses qui se dégagent le plus d’une vie chrétienne vécue dans la simplicité est une générosité radicale. Non pas une générosité qui viserait à renforcer notre position sociale ou nous rapporterait des faveurs ou des revenus : une générosité qui change notre façon de vivre.

Si nous sommes préoccupés par la mesure à donner à notre générosité, un esprit trop économe ira à l’encontre de ce qui est bon. Mais si nous planifions en vue de pouvoir nous montrer généreux, une sage économie est bénéfique.

Karen Shaw estime que, malheureusement, les évangéliques ne semblent pas partager l’accent mis par Jésus sur la générosité de Dieu. Dans les Évangiles, dit-elle, « il y a ce merveilleux sentiment de contentement dans ce que Dieu a donné et de gratitude à son égard ».

Jésus nous a appris à ne pas nous laisser impressionner par la valeur de l’argent. Le Seigneur peut utiliser n’importe quel montant. Il est assez économe pour nourrir 5 000 personnes avec cinq pains et deux poissons et assez extravagant pour accepter le don d’un parfum coûtant un an de salaire.

Lorsque nous réfléchissons aux folies que nous serions tentés de faire, nous devrions également réfléchir à la signification de ces dépenses, souligne Lucinda Kinsinger. Une Land Rover sera-t-elle une aide ou un obstacle pour ma vie de disciple ? Quel message nos enfants perçoivent-ils face à certaines montagnes de cadeaux de Noël ? Un coûteux mariage en vaut-il la peine ? La réponse ne sera peut-être pas la même pour chaque chrétien.

Une chose devrait cependant être vraie pour tous. Les chrétiens doivent-ils savoir faire preuve d’une certaine extravagance ? « Oui, oui, oui et oui ! », Répond Karen Shaw. « Comment d’autre pourrions-nous être comme le Père ? »

Ce qui nous reste semble donc être fait de tensions : nous devons assumer la responsabilité de notre richesse pour nous-mêmes et pour les autres, mais nous ne devons pas dépendre de celle-ci. Nous ne devons pas gaspiller, mais nous ne devons pas non plus être obsédés par la comptabilité. Nous devons partager nos richesses, en particulier avec les plus pauvres, mais nous devons savoir quand nous répandre largement dans un geste d’adoration ou de célébration. Nous devons utiliser l’argent, mais à des fins éternelles, sans nous laisser prendre par les pressions de Mammon. Nous devons apprendre à discerner ce qui a de la valeur en dehors de ce que les marchés ou la culture nous dictent.

Nous trouverons notre équilibre et notre direction en nous focalisant sur Jésus. En lui, nous trouvons quelqu’un dont la valeur et les ressources sont infinies, et d’une générosité qui dépasse toute imagination.

Susan Mettes est éditrice associée pour Christianity Today.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

L’Ancien Testament prédit la crucifixion. Qu’en est-il de la résurrection ?

Même avant la venue du Christ, un « troisième jour » traverse les Écritures.

Christianity Today February 28, 2024
Christianity Today/Images sources : WikiArt/Getty

Si l’on vous demandait de résumer l’Évangile en quelques mots, quel passage biblique choisiriez-vous ? À mon avis, toute liste de candidats potentiels devrait inclure 1 Corinthiens 15.3-5.

L’Évangile, dit Paul dans ce célèbre texte, est que « Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures. Ensuite il est apparu à Céphas, puis aux douze. » Fondamentalement, l’Évangile est la vie, la mort, l’ensevelissement et la résurrection de Jésus-Christ en accomplissement des Écritures. Il y a plus que cela, bien sûr, mais pas moins.

Mais un problème bien connu se pose. Il est relativement facile d’identifier des textes reflétant la souffrance et la mort du Christ pour les péchés. Les quatre Évangiles évoquent bien des passages de ce genre, comme le font d’ailleurs eux-mêmes le Psaume 22, Ésaïe 53 et Zacharie 12.10-14 qu’ils citent. Mais qu’a Paul à l’esprit lorsqu’il dit que Jésus est « ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures » ? Y a-t-il quelque part dans la Bible hébraïque un verset caché qui le prédit ?

Même ma Bible d’étude reste perplexe. Habituellement truffée de références croisées, le seul texte de l’Ancien Testament qu’elle suggère ici est Osée 6.2 (« le troisième jour il nous relèvera »), qui semble parler d’Israël dans son ensemble. Les notes proposent des textes annonçant clairement la crucifixion, comme Ésaïe 53, mais pas d’équivalent pour la résurrection, et encore moins pour une résurrection le troisième jour.

La raison de cela n’est pas que l’idée de vie nouvelle au troisième jour est absente de l’Écriture. En réalité, elle y est omniprésente. L’observation de ce phénomène pourrait nous apprendre à lire la Bible plus attentivement. Il s’agit souvent davantage de savoir écouter les refrains et échos d’une symphonie que de chercher des phrases sur Google pour trouver une correspondance exacte.

Le premier exemple de vie sortant de terre le troisième jour se trouve dans le premier chapitre de la Genèse. Le troisième jour, la terre produit des plantes et des arbres fruitiers qui portent des semences « selon leur espèce » (Gn 1.12), avec la capacité de perpétuer la vie dans les générations suivantes.

À partir de là, l’éveil à la vie de la « semence » vivifiante semée par Dieu le troisième jour devient une forme d’archétype. Isaac, le fils destiné à mourir sur le mont Morija est rendu à la vie le troisième jour (Gn 22.1-14). Il en va de même pour le roi Ézéchias (2 R 20.5). Et encore pour Jonas (Jon 1.17). Les frères de Joseph sont libérés de la menace de la mort le troisième jour (Gn 42.18), de même que l’échanson de Pharaon (40.20-21). Israël, mourant de soif dans le désert, trouve de l’eau pour le revivifier le troisième jour (Ex 15.22-25). À l’arrivée au Sinaï, il est demandé au peuple de se tenir prêt pour le troisième jour, « car le troisième jour […] l’Éternel descendra sur le mont Sinaï » (19.11). La reine juive Esther, dont le peuple est condamné à mort, entre en présence du roi le troisième jour, trouve grâce à ses yeux et fait passer les siens de la mort à la vie (Est 5.1).

Ainsi, lorsque Osée parle de la résurrection d’Israël le troisième jour, il ne choisit pas un chiffre au hasard. Il renvoie à un thème bien établi qui trouve son origine dans le premier chapitre de la Bible. Voici les paroles du prophète :

Venez, retournons à l’Éternel !
En effet, il a déchiré,
mais il nous guérira,
il a frappé,
mais il bandera nos plaies.
Il nous rendra la vie dans deux jours,
le troisième jour il nous relèvera
et nous vivrons devant lui. (Os 6.1-2)

C’est exactement ce qui s’est passé le dimanche de Pâques. Le Christ n’est pas seulement ressuscité, il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures. Il est l’arbre fruitier capable d’apporter une vie nouvelle « selon son espèce ». Il est le Fils unique, destiné à la mort, puis rendu à son Père bien vivant, ayant prouvé la profondeur de l’amour du Père. Il est le nouveau Jonas, vomi des profondeurs après trois jours pour prêcher le pardon aux païens. Il est la nouvelle Esther, qui a renversé la destinée de son peuple en intercédant dans la salle du trône céleste, en trouvant grâce auprès du roi, en triomphant de ses ennemis et, enfin, en lui donnant le repos.

Le troisième jour, promet Osée, Dieu nous rétablira pour que nous puissions vivre en sa présence. C’est désormais chose faite. Nous pouvons entrer dans cette vie.

Andrew Wilson est pasteur-enseignant à la King’s Church de Londres et auteur de Remaking the World.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Habemus papam ? Des évangéliques européens aux prises avec Rome.

En Europe, les évangéliques sont divisés sur la relation à entretenir avec les catholiques.

Christianity Today February 28, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Unsplash/Getty

Leonardo De Chirico est en débat permanent avec le gouvernement italien au sujet des « caractéristiques essentielles » des édifices religieux.

Le pasteur évangélique tente de faire comprendre que la communauté évangélique Breccia di Roma, installée dans une simple boutique à environ un kilomètre du Colisée, est une église. Les chrétiens s’y retrouvent régulièrement pour prier, louer Dieu et écouter la prédication de la Parole. L’administration fiscale nationale observe cependant que cet espace multifonctionnel, qui abrite également une bibliothèque théologique et un centre de formation à la mission, ne possède pas les plafonds voûtés, les vitraux, l’autel surélevé, les cierges ou les statues de saints généralement associés aux églises dans un pays majoritairement catholique et ne remplit donc pas les conditions requises pour bénéficier de l’exonération de l’impôt sur les cultes.

« Les arguments sont absurdes et de pauvre qualité », nous dit De Chirico. « Les photos qu’ils ont mises en avant présentaient des bâtiments impressionnants, mais nous avons montré que les salles de prière musulmanes sont simples et que certaines communautés catholiques se réunissent dans des magasins. Les synagogues ressemblent à ce que nous avons. Et tous sont exonérés d’impôts. Nous ne demandons pas un privilège. Nous ne demandons pas quelque chose que les autres n’ont pas. »

Ce conflit dure depuis 2016. Une juridiction inférieure a donné raison à cette église réformée baptiste, mais l’administration fiscale a fait appel. L’affaire est maintenant portée devant la Cour suprême d’Italie.

Mais le statut d’exonération fiscale n’est pas le désaccord le plus sérieux que De Chirico a avec ses compatriotes sur ce qu’est une église. En 2014, il avait rédigé un pamphlet critiquant la papauté. En 2021, celui qui est aujourd’hui président de la commission théologique de l’Alliance évangélique italienne écrivait encore un livre dans lequel il affirme que « le cadre théologique du catholicisme romain n’est pas fidèle à l’Évangile biblique ».

Il a donc été pour le moins déçu lorsque Thomas Schirrmacher, à la tête de l’Alliance évangélique mondiale (AEM), s’est joint à une veillée de prière œcuménique sur la place Saint-Pierre, au Vatican, en septembre dernier. Il lui a semblé que le secrétaire général de la faîtière évangélique internationale embrassait par là le leadership spirituel du pape François et approuvait une vision de l’unité qui n’était pas fondée sur l’Évangile.

« Lorsque vous priez avec quelqu’un en public, vous dites que les différences entre nos théologies ne sont que des notes de bas de page », estime De Chirico. « Le dialogue est le bienvenu, mais il existe des différences fondamentales que nous ne pouvons ni oublier ni ignorer. »

En octobre, l’Alliance évangélique italienne a publiquement critiqué Schirrmacher, déclarant qu’il avait « franchi une limite ». L’Alliance évangélique espagnole a publié une déclaration similaire le mois suivant.

« Il n’est pas facile de défendre le fait que nous, évangéliques, ne nous inclinons pas devant le pape alors que le secrétaire général de l’AEM le fait », souligne le communiqué des évangéliques espagnols. « Nous estimons qu’il est nécessaire d’exprimer publiquement notre rejet catégorique de sa participation à cet événement et de la manière dont il a agi. »

Pendant la majeure partie de l’histoire des évangéliques, la relation avec les catholiques en Europe a été définie par le rejet, la mise à l’écart, l’opposition et la persécution. Si l’on remonte assez loin dans le temps, l’histoire est faite de martyrs, de procès pour hérésie et d’exécutions publiques.

La première Alliance évangélique avait été instituée dans les années 1800 pour s’opposer à l’influence étatique de la religion et à la répression des conversions par les catholiques. Le groupe organise sa première campagne publique en 1851 pour libérer deux protestants emprisonnés en Italie. Un couple avait été reconnu coupable d’impiété après s’être opposé aux autorités de Florence sur les caractéristiques intrinsèques de la foi chrétienne.

Cependant, au cours des dernières décennies, la relation s’est considérablement modifiée. Les inquiétudes suscitées par le communisme pendant la guerre froide, puis la sécularisation et le pluralisme religieux au 21e siècle, ainsi que les réformes de Vatican II, ont conduit de nombreux évangéliques européens à considérer l’Église catholique romaine comme une amie et une alliée.

En Italie, en Espagne et dans d’autres pays à majorité catholiques, les liens entre État et religion se sont nettement distendus. Cependant, l’Église catholique jouit encore souvent de privilèges juridiques. Et elle constitue la norme de ce que les autorités reconnaissent comme étant religieux, ce qui complique la vie de la minorité évangélique.

La direction de l’AEM reconnaît que les relations entre évangéliques et catholiques peuvent être une question très sensible. Mais l’organisation insiste également sur le fait que le dialogue et la collaboration interconfessionnels en cours sur des questions telles que la liberté religieuse n’ont pas « changé, trahi ou compromis les principes théologiques de l’AEM ».

Dans les pays majoritairement catholiques, cependant, de nombreux évangéliques européens éprouvent encore le besoin de souligner les différences, en partie parce qu’ils luttent encore fréquemment pour leur reconnaissance. Cela se matérialise parfois par un conflit avec un fonctionnaire qui a une idée très arrêtée de ce à quoi ressemble une église. Dans d’autres cas, il s’agit de lutter contre des présupposés culturels généraux sur ce que l’on entend par « religion ».

Dans des pays comme l’Irlande, « les évangéliques ne sont même pas pris en compte », affirme Bob Wilson, un implanteur d’églises à Dublin soutenu par l’organisation Communitas International. « Autrefois, lorsque tout le monde allait à l’église, tout le monde allait à l’Église catholique romaine. Maintenant, quand personne ne va à l’église, personne ne va dans aucune église. »

L’Irlande est officiellement laïque depuis qu’un amendement à sa constitution a été adopté à une écrasante majorité en 1972. L’influence de l’Église catholique romaine sur la culture reste cependant très prononcée. Les attentes et les normes sociales — de ce que doit être une famille à l’apparence d’un pasteur — sont établies au standard de l’Église catholique.

Cela peut rendre la vie difficile aux évangéliques, en particulier aux implanteurs d’églises, aux pasteurs et aux missionnaires. Wilson a parfois du mal à convaincre les gens qu’il est réellement pasteur.

Il y a quelques années, se souvient-il, il s’est retrouvé dans un pub de Dublin à essayer d’expliquer ce que signifiait être un implanteur d’église. Il se souvient qu’il espérait vraiment pouvoir créer un espace ouvert dans le pub pour parler de Jésus.

Cela ne s’est pas passé comme il l’avait espéré.

Poliment, un homme a incliné une pinte de bière dans sa direction et lui a dit : « Vous savez, l’Irlandais moyen penserait que vous débloquez. »

Mais tout le monde n’a pas réagi de la sorte. Wilson a été encouragé de voir certains catholiques éloignés retrouver le chemin de l’église et découvrir une autre façon de vivre la foi en Christ. Mais c’est un lent processus.

« Il s’agit avant tout d’établir des relations », dit Wilson, « et c’est quelque chose qu’il faut faire, une personne à la fois. »

Felipe Lobo Arranz, pasteur évangélique luthérien, estime que la situation est similaire en Espagne. Selon les données démographiques, le pays est composé de deux tiers de catholiques. Mais la réalité est que beaucoup d’entre eux se sont éloignés. Ils ne prennent pas leur catholicisme au sérieux, dit-il, même si celui-ci façonne leurs opinions bien arrêtées sur ce à quoi le christianisme devrait ressembler.

Arranz trouve cependant le moyen de s’en servir. Dans son travail d’évangélisation dans la ville côtière d’Alicante, il peut souvent prendre appui sur les idéaux d’Espagnols mécontents et désabusés à l’égard de l’Église.

« C’est un pays qui sait quand quelque chose est bon et vrai », commente-t-il. « Les Espagnols admirent les humbles : les personnes qui font le bien et qui se comportent avec les autres comme de véritables amis. »

En tant que missionnaire, Arranz passe la plupart de son temps à discuter avec d’autres personnes autour d’un « bon repas et d’une bonne boisson ». Il noue des relations, s’implique dans la vie des gens et les voit s’ouvrir peu à peu aux discussions sur l’Évangile.

« Au bout d’un certain temps, on est accueilli dans le sancta sanctorum espagnol pour parler du divin, mais il faut alimenter longtemps le feu de la véritable amitié pour y arriver. »

La même chose est vraie en Italie. Bien que Leonardo De Chirico se soit trouvé aux prises avec les tribunaux et qu’il estime important de remettre publiquement en question la théologie catholique, ce n’est pas son occupation principale en tant que pasteur évangélique.

Il prêche et s’occupe de sa communauté d’environ 60 personnes, comme il le fait depuis 2009 — et comme il l’avait fait pendant 12 ans auparavant dans la ville de Ferrare, dans le nord du pays. Il est en contact avec ceux qui l’entourent : prêtres, professeurs de séminaires catholiques voisins, étudiants internationaux et autochtones romains.

L’église sert également de centre de formation pour des pasteurs et des implanteurs d’églises et constitue une sorte de plaque tournante pour les évangéliques de tout le pays.

« Il n’y a pas de menace physique, pas d’opposition vigoureuse au sens où l’on fermerait des églises ou ce genre de choses », rappelle De Chirico. « Ce sont juste des complications de notre vie. »

Et si le ministère est plus difficile qu’il pourrait l’être, l’important pour lui est que les évangéliques des pays majoritairement catholiques restent simplement fidèles à leur vocation.

« Dans un contexte minoritaire comme celui de l’Italie, les choses se font toujours petit à petit, ou, comme on le dit ici, piano, piano. »

Ken Chitwood est un spécialiste des religions mondiales qui vit et travaille en Allemagne.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook ou Twitter.

Le sans-abrisme politique pourrait nous faire du bien.

Dans ce monde partisan, nous devons rester des pèlerins.

Christianity Today February 28, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Unsplash/Getty

« Ces temps-ci, je me sens politiquement sans domicile fixe. »

Au cours des six dernières heures précédant l’écriture de ces lignes, j’ai entendu quelque chose en ce sens de la part de deux personnes très différentes : un élu républicain conservateur et un militant progressiste qui se trouve être juif. Que ce soit en raison de la figure polarisante de Donald Trump dans le premier cas ou de la montée de l’antisémitisme depuis les attentats du 7 octobre contre Israël dans le second, ces deux personnes éprouvaient une sensation de distance entre eux et leurs factions politiques respectives.

Beaucoup de gens se sentent ainsi à l’heure actuelle, y compris de nombreux disciples de Jésus. Ceux qui étaient nos alliés ne le sont plus et ceux qui passaient pour nos adversaires se sont rapprochés de nous dans leur approche de la crise présente. La situation se fait d’autant plus complexe lorsque beaucoup n’osent même pas parler de ce sentiment d’éloignement, de peur de perdre leur place dans leur tribu.

Beaucoup d’entre nous pensaient que cette situation serait temporaire. Certains républicains s’attendaient à ce que les choses reviennent à la normale après le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche. Certains démocrates pensaient qu’une fois passés les appels à « abolir la police » suite à certaines violences, la vie reprendrait un cours plus familier. Mais les deux partis n’ont pas encore retrouvé leur équilibre, et il est peu probable qu’ils le retrouvent de sitôt.

Pour les chrétiens, cependant, le « sans-abrisme politique » est toujours une occasion de réévaluer nos priorités. Si nous pensons être là en territoire inconnu, ce n’est pas le cas. Tout au long des Évangiles, Jésus est confronté à des pressions extérieures tentant de le pousser à rejoindre telle faction contre telle autre. La plupart des questions controversées qui lui ont été posées portaient précisément sur cela.

Se rangerait-il du côté des pharisiens dans leur révolte tranquille contre un trône de David désormais occupé par des usurpateurs à la solde des Romains, ou sympathiserait-il avec les zélotes dans leur rébellion beaucoup plus active contre l’empire ? Serait-il de mèche avec les collecteurs d’impôts qui collaboraient avec les Romains, ou s’allierait-il avec les sadducéens pour s’accommoder de la domination romaine ?

Jésus a refusé de se laisser assimiler à l’une ou l’autre de ces factions. Au contraire, il s’est éloigné de ceux qui voulaient faire de lui leur roi (Jn 6.15) ou celui qui les nourrirait (6.26). Et contre toute attente, il s’est présenté comme le Chemin, la Vérité et la Vie (14.6).

Du pays d’Ur d’Abraham à l’île de Patmos de Jean, la Bible dépeint ce à quoi Dieu nous appelle comme un pèlerinage. Nous partons de ce qui nous est familier pour nous lancer vers l’inconnu. La lettre aux Hébreux fait l’éloge de nos pères et mères dans la foi qui se reconnaissaient comme « étrangers et voyageurs sur la terre » (Hé 11.13). Et l’auteur poursuit : « Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie. S’ils avaient eu la nostalgie de celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu le temps d’y retourner. Mais en réalité, ils désirent une meilleure patrie, c’est-à-dire la patrie céleste. » (v. 14-16)

En principe, nos affiliations politiques devraient ne constituer qu’une part très limitée de notre vie. Pourtant, en cette époque de tribalisme totalisant, où la politique apparaît comme un mécanisme permettant de se définir et de distinguer nos amis de nos ennemis, tel n’est souvent pas le cas. Dans une telle période, quiconque ne se conforme pas à cette forme d’absolutisme se sentira seul, s’il ne finit pas par l’être effectivement.

Souvent, cependant, Dieu utilise des circonstances extérieures, comme l’ébranlement d’un ordre civique qui semblait stable, pour nous libérer d’idoles auxquelles nous n’aurions pas renoncé de nous-mêmes. En des temps d’idolâtrie politique, notre expérience de déracinement est peut-être une façon pour Dieu de nous rappeler que nous ne sommes que des voyageurs : ancrés dans le temps et l’espace, certes, mais conçus pour une réalité qui les dépasse largement.

En nous sentant politiquement sans abri, nous sommes peut-être appelés à nous remémorer, ainsi qu’au reste du monde, que nous nous sommes trop longtemps contentés d’une définition erronée de ce qui fait notre chez nous. Les politiques identitaires partisanes du moment se révèlent finalement être une maison construite sur du sable. Nous aspirons à un autre type de foyer, cette demeure comportant de nombreuses pièces que notre Père bâtit sur un rocher solide.

Cette vérité pourra paraître curieuse en ces temps étranges. Pourtant, nous devons nous rappeler que le pèlerinage vaut mieux que nos appartenances en ce monde, tant que nous errons dans la bonne direction.

Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook ou Twitter.

Apple PodcastsDown ArrowDown ArrowDown Arrowarrow_left_altLeft ArrowLeft ArrowRight ArrowRight ArrowRight Arrowarrow_up_altUp ArrowUp ArrowAvailable at Amazoncaret-downCloseCloseEmailEmailExpandExpandExternalExternalFacebookfacebook-squareGiftGiftGooglegoogleGoogle KeephamburgerInstagraminstagram-squareLinkLinklinkedin-squareListenListenListenChristianity TodayCT Creative Studio Logologo_orgMegaphoneMenuMenupausePinterestPlayPlayPocketPodcastRSSRSSSaveSaveSaveSearchSearchsearchSpotifyStitcherTelegramTable of ContentsTable of Contentstwitter-squareWhatsAppXYouTubeYouTube