Les questions d’identité de genre ne doivent pas nous effrayer

Preston Sprinkle propose des orientations pour penser de manière biblique et écouter avec amour.

Christianity Today May 5, 2021
Illustration by Rick Szuecs

Parmi les nombreux livres traitant des questions LGBT d’un point de vue chrétien, la plupart s’arrêtent aux trois premières lettres de l'acronyme, négligeant malheureusement la dernière. Pourtant, les questions relatives à l'identité de genre sont de plus en plus nombreuses et pressantes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église. Dans son dernier livre, Embodied: Transgender Identities, the Church and What the Bible Has to Say (Incarné : Identités transgenres, l'Église et ce que la Bible a à dire, 2021), Preston Sprinkle, président du Center for Faith, Sexuality & Gender (Centre pour la foi, la sexualité et le genre), offre ses conseils à ceux qui souhaitent aborder ces questions de manière constructive et avec amour. Rachel Gilson, auteure et membre de l’équipe théologique de l’organisation Cru, s'est entretenue avec lui au sujet de son livre.

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

David C Cook

288 pages

$12.99

Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant ?

Deux axes fondamentaux se côtoient dans ce livre : un axe relationnel et un axe conceptuel. En d'autres termes, je suis déterminé à traiter les gens aimablement tout en réfléchissant de manière biblique, logique et scientifique à tous les sujets susceptibles de faire surface quand on parle d’identité de genre : la réalité corporelle de l'homme et de la femme, la relation entre le corps et l’âme, et les stéréotypes liés à la masculinité et à la féminité. L'un ne va pas sans l'autre. Réfléchir correctement sans aimer soigneusement crée des dégâts, aussi sûrement qu’aimer soigneusement sans réfléchir correctement.

Vos opinions ont-elles changé au cours la recherche et de l'écriture de ce livre ?

Je suis sans aucun doute devenu plus sensible à certaines des subtilités propres à ces discussions. Par exemple, une interrogation récurrente est celle de savoir si quelqu'un peut naître dans le « mauvais » corps. Mon intuition de départ était que non. Après avoir débattu de cette question sous plusieurs angles, je peux mieux comprendre pourquoi certains affirment que ce phénomène est réel, bien que mon opinion demeure la même. Quelle part de votre personnalité est due à votre cerveau, et quelle part à votre corps ? C'est une question complexe ! Elle fait intervenir les neurosciences, la philosophie, l'anthropologie théologique et d'autres perspectives sur la nature humaine. Les complexités sont plus nombreuses qu’on ne le reconnait de part et d’autre du débat.

Dans les conversations sur le genre, les personnes intersexes sont souvent utilisées comme des mascottes. Parfois, elles sont mises dans le même panier que les personnes transgenres, et d'autres fois, elles sont complètement ignorées. Comment pouvons-nous être attentifs aux personnes dont le corps n'est pas entièrement masculin ou féminin au sens conventionnel du terme ?

Les personnes intersexes sont souvent comme l'enfant pris dans un divorce, tiraillées de part et d’autre et utilisées au service d'un argument ou d'un autre. Comme l'ont souligné plusieurs personnes intersexes, cette pratique est déshumanisante.

Si nous devons aborder le sujet de l'intersexualité, assurons-nous que nous ne le faisons pas en passant, comme un raccourci vers autre chose. Les nouveau-nés dont le sexe est ambigu soulèvent des questions importantes en soi : faut-il les opérer immédiatement ? Et qui peut déterminer le sexe à privilégier ? Ce sont des préoccupations majeures au sein de la communauté intersexe. Il y a bien sûr des similitudes avec les débats sur l'identité transgenre, mais il n'en reste pas moins que nous ne pouvons pas simplement utiliser les réalités de l’intersexualité au profit d'un argument idéologique sur le genre et la sexualité en général.

Pour ceux qui ne s'identifient pas comme trans ou intersexe, comment aborder ce débat ? Que faut-il faire ou ne pas faire ?

Tout d'abord, écoutez ce que les personnes transgenres ont à dire, surtout si vous venez d'un environnement chrétien plus conservateur. Parfois, cet environnement peut endurcir nos cœurs à l'égard de personnes qui ont été marginalisées, humiliées ou mises à l'écart par l'Église, et la population transgenre correspond souvent à cette description. Pour corriger la dureté de notre attitude, nous devons développer des relations authentiques avec les personnes transgenres.

Deuxièmement, nous devons apprendre à employer correctement les termes : comprendre, par exemple, la différence entre le sexe et le genre, ce que signifie l'identité de genre, et pourquoi des mots comme « transgendérisme » peuvent être un repoussoir. Comme me l'a dit l'un de mes amis transgenres, « le “transgendérisme” apparaît comme un concept sans nom et sans visage que les gens peuvent diaboliser ». Pour beaucoup de gens, cela peut faire penser à une maladie. Certains mots véhiculent sans le vouloir certaines connotations, et il est important de le saisir.

De nombreuses personnes utilisent indifféremment les notions de sexe et de genre. Quelle est la différence ?

Il est incontestable que les humains sont sexuellement dimorphiques : Nous ne nous reproduisons que lorsqu'un mâle féconde une femelle, et ces catégories sont fondamentales pour notre humanité. Les Écritures en témoignent : Dieu a créé les êtres humains en tant que mâle et femelle (Ge 1.27).

Le genre, en revanche, relève de notre réponse psychologique et sociale au sexe biologique. Dans ce domaine, on peut distinguer trois catégories. L'identité de genre est notre sentiment interne d'identité, le fait de nous sentir de sexe masculin ou féminin. L'expression du genre est la façon dont nous manifestons cette identité intérieure, généralement par des vêtements ou des manières qui suggèrent la masculinité ou la féminité. Enfin, les rôles de genre renvoient aux attentes de la société envers les hommes et les femmes.

Certains chrétiens pourraient entendre votre réponse et se dire : « Cela semble raisonnable, mais la Bible ne parle pas de ces catégories. Comment suis-je censé les utiliser ? »

Bien que la Bible ne dispose pas d'un terme comme le genre utilisé de manière distincte de la notion de sexe, je pense qu'elle parle des différences que ces mots expriment. Elle reconnaît, bien sûr, que les humains sont créés en tant qu'hommes et femmes. Et elle dépeint des comportements que nous pourrions considérer comme masculins ou féminins.

Dans le monde gréco-romain, il y avait certaines attentes liées au fait d'être un homme ou une femme. Vous pouviez être un homme biologique, mais si vous étiez gentil avec les marginaux, par exemple, ou si vous laviez les pieds des gens, vous pouviez être stigmatisé comme trop peu masculin. Si la Bible célèbre la différence des sexes, elle remet également en question certains stéréotypes culturels. Prenez quelqu'un comme le roi David : c'était un grand guerrier qui a coupé la tête de Goliath, mais il écrivait des poèmes, jouait de la harpe et pleurait beaucoup. Ou prenez le livre des Juges, où des femmes comme Déborah ou Yaël jouent un rôle crucial dans les batailles militaires. L'Écriture a donc une vision plus large de ce que signifie vivre nos identités masculine et féminine.

Nous avons tous deux des amis qui s'identifient chrétiens trans ou non binaires. Que diriez-vous aux croyants qui se méfient de ces étiquettes ?

Des termes comme trans ou transgenre peuvent signifier différentes choses pour différentes personnes. J'ai un ami biologiquement masculin, par exemple, qui se dit transgenre parce qu'il s'identifie comme une femme. C’est généralement la première idée que le terme évoque. En revanche, une autre de mes amies est biologiquement de sexe féminin et se considère comme telle, mais se dit transgenre parce qu'elle souffre de dysphorie de genre. Ainsi, alors que certaines personnes utilisent ces termes pour parler de leur identité fondamentale, d'autres les utilisent principalement pour décrire leur expérience subjective.

Parfois il s’agit simplement du sentiment de ne pas correspondre à un ensemble particulier de stéréotypes de genre. Souvent, c'est tout ce que signifie le qualificatif « non binaire », non pas que l'on pense ne pas être biologiquement un homme ou une femme, mais que l'on ne se reconnaît pas complètement dans la masculinité ou la féminité. En fin de compte, la seule façon d'éviter la confusion est d'apprendre à connaître les personnes elles-mêmes, et d'apprendre pourquoi elles utilisent les mots qu'elles utilisent.

Qu'est-ce que les lecteurs transgenres doivent retirer de votre livre ? Et qu'en est-il des lecteurs non trans ?

Pour mes lecteurs trans, je veux qu'ils se sentent vus et compris. Je n'aurais jamais la prétention de leur parler de leurs propres expériences vécues, mais sur le plan conceptuel, j'espère qu'ils trouveront plus de clarté sur ce que la science et la Bible disent et ne disent pas. Après tout, de nombreux amis transgenres me rappellent qu'ils ne sont pas des experts en la matière. Ils n'ont pas nécessairement une connaissance absolue d'une théologie biblique du genre, ni même de la dysphorie de genre elle-même.

Toutefois, comme je le dis dans ma préface, mon public-cible est constitué de personnes non trans. J'espère qu'ils n'auront plus peur de ces questions. Car si vous en avez peur, vous aurez probablement peur des personnes transgenres elles-mêmes. Et ça, ç'est une attitude qu'aucun leader chrétien ne devrait avoir.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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