Pastors

Prêcher après le poète

Le défunt théologien Walter Brueggemann nous laisse un défi : ne pas prêcher pour expliquer, mais pour laisser surgir. Pas pour domestiquer, mais pour rendre témoignage.

CT Pastors July 1, 2025
Sojourners/édité par Christianity Today

Walter Brueggemann n’est plus.

Mais si vous avez déjà élaboré un sermon supposé surprendre, chargé de tension ou habité par l’espérance, l’héritage qu’il laisse ne vous sera probablement pas indifférent. Sa disparition marque la fin d’un ministère terrestre remarquable, mais ses paroles résonnent encore pour notre monde. Comme Brueggemann lui-même aurait pu le dire, elles sont toujours dangereuses. Parce qu’elles osent encore parler de Dieu.

Brueggemann n’a jamais considéré la prédication comme une simple instruction ou un discours motivationnel religieux. Pour lui, et il insistait inlassablement là-dessus, la véritable prédication était un acte de poésie — dangereux, subversif et imprégné de l’imagination divine.

Recevez nos articles en français directement sur votre téléphone ! Rejoignez notre chaîne WhatsApp.

« Le poète/prophète », écrivait-il dans Finally Comes the Poet (« Enfin arrive le poète ») « est une voix qui secoue la réalité établie et fait surgir de nouvelles possibilités pour l’assemblée qui l’écoute ». Pour Brueggemann, cette voix était toujours fondamentalement poétique. Elle est ardente, inspirante, troublante. Elle ne se laisse jamais dompter.

Finally Comes the Poet est le livre qui a autorisé beaucoup d’entre nous à arrêter de prêcher comme des techniciens pour commencer à prêcher comme des artistes. À une époque où les plans de sermons tendaient à prendre pour modèle les exposés universitaires ou les conférences TED, Brueggemann nous a rappelé que l’Évangile ne tient pas en trois points avec des titres qui riment. Il fait irruption. Il plane dans l’air. Il construit un monde et nous invite à y entrer.

Pour Brueggemann, le but du sermon n’était pas d’informer. Il devait déstabiliser. Ses paroles ne se contentaient pas d’expliquer l’Écriture : elles la laissaient frémir en ses auditeurs. Il ne défendait pas le poète/prophète par goût du style, mais par nécessité théologique. Il croyait, avec les prophètes bibliques, que le langage pouvait ouvrir ou fermer le cœur humain à Dieu. Nous devons donc parler avec attention. Ou mieux : avec audace.

Brueggemann détaille l’anatomie du ministère prophétique dans The Prophetic Imagination (« L’imagination prophétique »). Il y décrit le travail du prophète comme une tension entre deux tâches : susciter la tristesse et faire naître l’espoir. Dans une culture addict au déni et engourdie par le consumérisme, le prophète parle pour rompre le charme.

« Le prophète ne demande pas si la vision peut être mise en œuvre », écrit-il. « Car les questions de mise en œuvre sont sans importance tant que la vision ne peut pas être imaginée. L’imagination doit précéder la mise en œuvre. » Cette phrase devrait être affichée sur la porte de chaque prédicateur. Dans le monde de Brueggemann, l’imagination n’est pas une fuite, c’est une résistance. Prêcher avec imagination, c’est défier les pouvoirs en place et proclamer qu’une autre voie est possible.

C’est là qu’intervient A Way Other Than Our Own (« Une autre voie que la nôtre »). Ce petit livre — structuré comme un recueil de prières pour le carême — est du grand Brueggemann. Plein de courtes réflexions et de formules incisives, il est empreint d’un sens profond de l’Écriture comme fondement d’une autre vie. « Le carême est une question d’attention », écrit-il. L’attention aux mensonges que nous avons acceptés. L’attention aux peurs que nous avons intégrées à notre foi. L’attention aux illusions qui passent pour des vérités. Mais également — tout aussi important — l’attention à l’œuvre persévérante et surprenante de Dieu dans le désert.

Pour Brueggemann, la prédication s’élaborait au désert. Il n’y était pas question de pertinence, mais de résistance. Et cette tonalité — son urgence, sa poésie, sa sainte défiance — est un héritage que beaucoup d’entre nous essaient de transmettre. Non seulement sa théologie, mais aussi sa manière de la communiquer aux saints

Le théologien avait le don de formuler les choses pour que l’on frémisse et sourie tout à la fois. Il pouvait envahir votre salon des drames de l’Israël antique. Il citait Jérémie comme s’il l’avait lu dans le journal du matin. Il racontait la rébellion de Pharaon avec une clarté telle qu’elle permettait de nommer nos propres rébellions.  

Mais cet esprit finement aiguisé s’accompagnait d’extraordinaires profondeurs de compassion pastorale. C’est la raison pour laquelle Prayers for a Privileged People (« Prières pour un peuple privilégié ») continue de surprendre. Dans ces prières, ce n’est pas Brueggemann l’érudit qui parle, mais bien son cœur de pasteur. Il confesse. Il implore. Il pleure. Ses prières sont marquées de blessures et audacieuses, remplies d’une foi tremblante en un Dieu qui écoute et qui ose encore agir. Leur lecture suscite le sentiment que, pour Brueggemann, la prédication et la prière sont une seule et même chose. Toutes deux consistent à parler honnêtement de Dieu et à Dieu dans un monde devenu cynique.

Cette honnêteté — ce refus de sentimentaliser Dieu — a été l’un des grands cadeaux de Brueggemann à l’Église. Il n’a jamais adouci les prophètes. Il n’a jamais lissé les Psaumes. Il a perpétué leurs angoisses. Et il a laissé retentir avec force leur espérance.

À une époque obsédée par les chiffres et les stratégies, Brueggemann appelait les prédicateurs à embrasser à nouveau le mystère. « Je veux considérer la prédication comme la construction poétique d’un autre monde », écrivait-il.

L’objectif d’une telle prédication est de nous amener à chérir la vérité, à la libérer du réductionnisme omniprésent que lui impose notre société, à briser la rationalité craintive qui empêche les nouvelles d’être nouvelles.

Ce chemin est exigeant. Un sermon n’est pas une question de contrôle. Il s’agit de confiance. Il ne s’agit pas seulement de fournir un contenu, mais de frayer un chemin à une sainte perturbation. L’entreprise est risquée. Mais c’est là que se trouve la fidélité.

Pour Walter Brueggemann, la Bible fait naître un monde. Et la prédication, dans ce qu’elle a de meilleur, se joint à cette parole créatrice. Ceux qui prêchent ne se contentent donc pas d’expliquer ce que le texte signifie — ils le laissent parler pour aujourd’hui. Ils le laissent susciter le courage. Ils le laissent dénoncer les empires. Ils le laissent nommer nos détresses et offrir une joie inimaginable. C’est ce que Brueggemann nous a appris à faire.

Mais ses écrits ne sont pas son seul héritage. Il y a aussi sa posture. Il enseignait à se tenir devant le texte avec crainte. À monter en chaire en tremblant. À honorer la poésie du discours de Dieu, et pas seulement la logique de notre propre discours. Ce n’est pas que Brueggemann était contre la clarté : il était contre le lissage des aspérités. Contre la réduction du mystère à la technique. Contre le fait d’offrir des réponses là où l’Écriture n’offre qu’une présence.

Dans un monde où le christianisme se vend souvent comme un système de certitudes, Brueggemann nous a invités à redécouvrir la foi comme une sainte désorientation. « L’Évangile n’est pas un ensemble de certitudes », rappelait-il, « mais une invitation au pèlerinage ». Ses paroles nous conduisaient toujours vers une direction spécifique : vers les marges, vers la douleur de l’exil, vers la fidélité sauvage de Dieu.

Son départ nous affecte donc non seulement parce qu’un érudit est décédé, mais aussi parce qu’un poète du Royaume s’est tu. Pourtant, ses mots résonnent encore dans des chaires et sur des bancs du monde entier. Son imagination a remodelé celle de beaucoup. Sa fidélité intrépide au témoignage biblique nous a permis de réapprendre à parler non pas en tant que spécialistes du marketing, non pas en tant que gestionnaires, mais en tant que prophètes, poètes et gens du Livre.

Il y a une prédication qui dit la vérité.

Et une autre qui laisse faire la vérité.

Brueggemann nous a montré comment revenir à la seconde.

Il nous a appris à nous tenir entre Pharaon et la Terre promise et à continuer à chanter. À prêcher encore. À toujours faire confiance.

Il nous a montré que l’Évangile n’est pas politiquement correct. Il ne se sédentarise pas. Il brise les chaînes et ouvre à d’autres futurs.

Quel est le sens de cet héritage pour la prédication ? Nous devons cesser de nous contenter d’un discours qui ne prendrait pas de risques. Nos églises doivent retrouver une identité liée à une prédication qui soit à la fois poétique et prophétique. L’héritage que Brueggemann nous laisse nous ramène à croire que la parole est vivante et que, lorsque nous la prononçons fidèlement, elle nous appelle à entrer dans un monde nouveau.

Prêcher à l’ombre de la vie de Brueggemann, c’est prendre le risque de l’émerveillement. C’est croire que la Parole de Dieu n’est pas une relique, mais un fleuve. Pas une formule, mais un feu.

Et si nous nous y risquons, il se pourrait que nous finissions par parler comme des poètes. Comme des prophètes. Comme des personnes qui ont été brisées et restaurées par la grâce.

Ces quelques lignes ne sont pas une nécrologie. Elles sont un merci. Un engagement. Une prière.

Merci, Walter Brueggemann, de nous avoir appris à emprunter les voies de l’imagination sacrée.

Nous nous engageons à continuer à prêcher avec feu et poésie.

Et nous prions : Seigneur, accorde-nous encore des poètes.

Sean Palmer est pasteur enseignant à Ecclesia Houston, écrivain, coach en art oratoire et auteur de Speaking by the Numbers.

Traduit par Anne Haumont

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous sur Facebook, X, Instagram ou Whatsapp.

Our Latest

News

Les évangéliques brésiliens voient Dieu à l’œuvre parmi la classe ouvrière

De petites églises pentecôtistes installées dans les quartiers pauvres des périphéries alimentent la croissance protestante à travers tout le pays.

News

Les universités chrétiennes s’opposent à l’« ingérence » de Trump dans l’enseignement supérieur

L’administration étatsunienne veut instaurer un pacte avec les universités qui, entre autres mesures, gèlerait les frais de scolarité pendant cinq ans et limiterait le nombre d’étudiants internationaux.

Là où des millions de chrétiens ne peuvent pas lire la Bible

Un nouveau rapport met en lumière les pays où la pauvreté, la persécution et le manque d’imprimeries limitent l’accès aux Écritures.

Comment je vais ? Mal !

L’Église est un lieu où l’on peut laisser de côté les sourires forcés et les paroles rassurantes.

Les murs portent le témoignage des femmes

J’avais besoin d’héroïnes. Je les ai trouvées dans de vieilles églises.

News

De bonnes nouvelles à propos des hôpitaux chrétiens en Afrique

L’auteur d’une étude salue les membres du personnel qui « restent là où leur présence compte le plus ».

News

La Chine arrête un influent pasteur d’églises de maison

Les autorités chinoises ont arrêté Jin « Ezra » Mingri, pasteur principal de la l’Église de Sion, ainsi que des dizaines de responsables de cette communauté chrétienne.

News

Du 7 octobre à la guerre à Gaza, des chrétiens auprès des victimes

Des églises en Israël et en Égypte fournissent de la nourriture, de l’aide et une oreille attentive à ceux que la violence a désemparés.

Apple PodcastsDown ArrowDown ArrowDown Arrowarrow_left_altLeft ArrowLeft ArrowRight ArrowRight ArrowRight Arrowarrow_up_altUp ArrowUp ArrowAvailable at Amazoncaret-downCloseCloseEmailEmailExpandExpandExternalExternalFacebookfacebook-squareGiftGiftGooglegoogleGoogle KeephamburgerInstagraminstagram-squareLinkLinklinkedin-squareListenListenListenChristianity TodayCT Creative Studio Logologo_orgMegaphoneMenuMenupausePinterestPlayPlayPocketPodcastRSSRSSSaveSaveSaveSearchSearchsearchSpotifyStitcherTelegramTable of ContentsTable of Contentstwitter-squareWhatsAppXYouTubeYouTube