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Bannissons la violence, pas la Bible

Victimes de la haine dans certains endroits et ciblés au moyen de lois contre l’incitation à la haine dans d’autres, comment les chrétiens peuvent-ils faire face à ces deux menaces de manière cohérente ?

Christianity Today March 18, 2025
Image : Elizabeth Kaye Images sources : Getty/Unsplash/Wikimedia Commons

Les discours de haine sont un problème épineux dans de nombreuses régions du monde. L’actualité de pays comme le Pakistan et le Sri Lanka, par exemple, démontre régulièrement comment de tels discours peuvent être utilisés pour inciter à la violence contre les minorités chrétiennes. Mais même les pays occidentaux, qui accordent une grande importance à la liberté d’expression, font parfois face à des manifestations qui débouchent sur de la violence physique.

Dans le même temps, des évangéliques expriment une vive inquiétude quant à l’utilisation abusive des lois sur les discours de haine pour censurer et punir l’expression raisonnable de croyances chrétiennes traditionnelles. Des procès en Finlande et des propositions de loi au Canada, par exemple, menacent de criminaliser l’idée que l’homosexualité serait contraire à la volonté de Dieu, même lorsque l’on se limite à la citation des Écritures.

L’opposition rencontrée par les chrétiens varie d’une région du monde à l’autre. Pour s’en protéger, il faut une argumentation soigneusement nuancée et fondée sur des principes clairs. Les documents des Nations unies fournissent à ce sujet de bonnes orientations. Malheureusement, de nombreux politiciens pensent pouvoir gagner des points par une plus lourde législation nationale.

Qu’est-ce qu’un discours de haine ?

L’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), proposé pour la première fois en 1966 et ratifié par 173 pays, interdit « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse » impliquant « une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». Dans une tentative prudente de garder l’équilibre entre cet article 20 et la liberté d’expression, le plan d’action de Rabat de 2012 souligne que les restrictions imposées au discours doivent garder un caractère exceptionnel et être « étroitement définies » par la loi.

D’une manière générale, il est clair que la législation à l’encontre des propos haineux vise à combattre la création d’émotions intenses de détestation ou de mépris engendrant un risque imminent pour les personnes appartenant aux groupes ciblés. Elle n’implique toutefois pas l’établissement d’« espaces sûrs », où les gens seraient protégés de toute opinion qui les mettrait mal à l’aise.

Des restrictions aux propos haineux que nous devrions soutenir

De nombreux pays disposent de lois interdisant les discours de haine qui répondent aux exigences du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans l’esprit de ce qui a été vu à l’origine comme un antidote à la rhétorique antijuive qui a précédé l’Holocauste dans l’Allemagne nazie, des lois bien conçues aideraient des communautés chrétiennes minoritaires qui souffrent dans le monde entier.

En août 2023, au Pakistan, ce qui avait commencé comme un conflit familial a finalement engendré un déchaînement de violence. Sur la base de preuves douteuses que deux hommes avaient dégradé des pages du Coran, des musulmans ont été incités à détruire des églises et des maisons chrétiennes. Une attaque similaire a eu lieu le 25 mai l’an dernier, et deux chrétiens auraient été tués. Dans le contexte local, il n’est pas difficile d’ameuter de telles foules, car les chrétiens font déjà régulièrement l’objet de discours haineux.

Au Sri Lanka, les réseaux sociaux alimentent souvent cette promotion de la haine. L’Alliance chrétienne évangélique nationale suit régulièrement les discours de haine. L’an dernier, au cours des trois premiers mois de l’année 2024, elle avait recensé 15 incidents, dont deux comportaient un appel à la violence.

Dans de nombreuses régions du monde, les minorités chrétiennes vivent dans un climat d’hostilité qui va au-delà d’une simple différence en matière religieuse. Lorsque le rejet social franchit la ligne de l’incitation à la violence, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il doit être interdit.

Des restrictions auxquelles nous devons nous opposer

Les pays occidentaux, cependant, ont été témoins d’une utilisation croissante des lois sur les discours de haine pour cibler l’expression de perspectives chrétiennes, en particulier sur les questions controversées de la sexualité.

En 2021, la politicienne finlandaise Päivi Räsänen a été poursuivie en justice après avoir publié une image de Romains 1.24-27 et développé son point de vue sur le sujet dans une brochure et une interview à la radio. Son pasteur, Juhana Pohjola, a également été poursuivi pour avoir distribué la brochure. Tous deux ont été accusés d’avoir diffusé un message « menaçant, diffamatoire ou insultant » à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur orientation sexuelle. Acquittés à deux reprises, ils sont actuellement confrontés à un troisième procès devant la Cour suprême finlandaise. Ce qui est particulièrement troublant dans cette affaire, c’est que le « discours » est le texte de la Bible.

Plus inquiétant encore, ici au Canada, certains s’efforcent désormais de faire taire les gens avant même qu’ils ne disent quoi que ce soit. La Loi sur les préjudices en ligne (Online Harms Act), un projet de loi qui a été débattu au parlement canadien, portait principalement sur la protection des enfants contre l’exploitation en ligne. Mais une disposition clé permettait à une personne qui craignait que quelqu’un puisse tenir des propos offensants d’obtenir une ordonnance de « préservation de la paix » pour restreindre la liberté de cette personne. Des voix laïques se sont jointes aux croyants pour critiquer ce projet de loi que le magazine britannique The Spectator qualifiait d’« orwellien ».

Les chrétiens canadiens craignent de faire l’objet de poursuites similaires à celles que Räsänen et Pohjola ont subies. Le Code pénal national interdit déjà la promotion délibérée de la haine à l’encontre d’un groupe identifiable. Mais cette proposition de loi vise également à rétablir un article de la loi canadienne sur les droits humains, abrogé en 2013, qui permet aux personnes de déposer des plaintes anonymes alléguant un discours de haine, une mesure sévèrement critiquée par l’ancien président du Tribunal canadien des droits de l’homme.

Une voie de principe pour la liberté d’expression

La liberté d’expression est essentielle au bon fonctionnement de la société. Nous devons avoir la possibilité d’exprimer nos convictions profondes, même si celles-ci peuvent créer un malaise. Les restrictions à la liberté d’expression, souligne Freedom House, « peuvent permettre à des problèmes invisibles de s’envenimer et d’éclater sous des formes bien plus dangereuses ». Cette institution majeure de la promotion des droits humains décrit la préservation de la liberté d’expression comme « l’élément vital de la démocratie », qui permet le nécessaire débat sur les divers intérêts en jeu et les décisions politiques. Il n’y a pas de réel consensus sans cela.

Les discours de haine sont un problème mondial qui nécessite des solutions mondiales. Comme dans de nombreux cas, il s’agit de trouver un juste équilibre entre différents droits, pour en l’occurrence protéger la liberté d’expression légitime tout en protégeant les communautés vulnérables de la menace de la violence.

Il est essentiel d’avoir une définition claire des discours haineux et des critères permettant de les limiter. Le plan de Rabat propose un examen selon six critères pour établir le caractère pénalement condamnable d’une déclaration : (1) le contexte du discours ; (2) le statut de celui qui s’exprime ; (3) l’intention de celui qui s’exprime ; (4) le fond et la forme du discours ; (5) la portée des propos ; et (6) la probabilité que le discours incite à une action imminente.

Les dispositions du Code pénal pakistanais relatives au blasphème donnent un exemple de loi beaucoup trop large et vague. Elle interdit « les actes délibérés et malveillants visant à offenser les sentiments religieux. […] en insultant […] la religion ou les croyances religieuses » (italiques ajoutés). La définition d’un discours de haine considéré comme criminel doit aller au-delà des insultes et inclure l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, limitée à un contexte où de telles réactions sont jugées probables.

Le plan de Rabat relève en outre deux tendances inquiétantes : « la non-poursuite des “vrais” cas d’incitation à la haine » et « la persécution des minorités sous couvert de lois nationales contre l’incitation à la haine ». Les lois ne sont efficaces que si elles sont appliquées de manière juste et équitable par un système judiciaire indépendant et impartial.

Enfin, nous devons reconnaître que les lois contre l’incitation à la haine ne garderont qu’une efficacité limitée. La haine commence dans le cœur et l’esprit. Nous devons encourager le dialogue interconfessionnel et une culture de la paix, tant au sein d’un même pays qu’au niveau international. Nous devons également chercher à réformer l’enseignement là où la chose est nécessaire pour assurer que les enfants n’apprennent pas à haïr ceux qui sont différents d’eux.

Malheureusement, de nombreux dirigeants politiques semblent plus enclins à exacerber les divisions afin d’accroître leur popularité ou d’imposer les perspectives culturelles dominantes aux groupes minoritaires. En tant qu’artisans de paix chrétiens appelés à aimer tous nos prochains, nous devrions soutenir la mise en place et le maintien de limites soigneusement élaborées contre les discours de haine destinés à susciter la violence ou à étouffer les droits des minorités. Mais, quelle que soit son intention, nous devons également nous opposer à toute loi restreignant la liberté d’expression qui pourrait être utilisée pour marginaliser et faire taire la discussion et le débat publics, même lorsque les questions abordées sont controversées.

Les discours de haine qui incitent à la violence conduisent à la violence. C’est aussi simple que cela. Lorsque nous avons la possibilité de prévenir cette violence par une combinaison de législation et de dialogue, nous devons le faire. Mais nous ne devrions pas jeter un filet si large qu’une discussion légitime puisse devenir un acte criminel.

Janet Buckingham est directrice plaidoyer international pour l’Alliance évangélique mondiale et rédactrice en chef de l’International Journal for Religious Freedom.

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