Six enfants se tiennent debout au bord de la scène d’un auditorium, tandis qu’une guitare joue les premières notes de « Ma petite lumière ». Ainsi a commencé la retransmission en direct de Gather25. Un projecteur s’allume alors sur un garçon qui chante le premier couplet en anglais, puis passe de l’un à l’autre tandis que chacun chante à son tour quelques lignes du chant dans sa propre langue.
Gather25, un événement de 25 heures diffusé du 28 février au premier mars dernier depuis sept endroits différents dans le monde, est le dernier effort en date pour rassembler des chrétiens du monde entier dans une louange issue de diverses tribus et diverses langues.
« Je pense que les gens ont faim de cela », expliquait l’organisatrice Jennie Allen dans une interview pour Fox News. « Je crois en la diversité de l’Église. Chaque courant de l’Église apporte du bien d’une manière différente. À la fin de l’événement, nous chanterons “How Great Thou Art” [“Dieu tout puissant”], et notre espoir est que, pendant un moment, le monde entier chantera le même chant pour Dieu ».
Les organisateurs estiment que près de 7 millions de personnes ont bénéficié de l’événement, que ce soit sur place, via les retransmissions liées au Trinity Broadcast Network (TBN) ou les diffusions en direct dans 21 000 églises et foyers.
Apocalypse 7.9 — « je vis une foule immense que personne ne pouvait compter. C’étaient des hommes de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau » — inspire depuis des siècles les adorateurs chrétiens et apporte une dimension eschatologique aux rassemblements internationaux de croyants.
Mais d’un point de vue logistique et pratique, les responsables qui cherchent à représenter les diverses langues et styles de l’adoration chrétienne ont presque toujours du mal à créer des partages équitables, que ce soit sur scène ou dans l’assistance.
Les ethnodoxologues, qui étudient les diverses expressions culturelles de la louange à travers le monde, travaillent aussi sur le défi qu’il y a à rassembler des chrétiens de divers arrière-plans nationaux sans céder à l’attrait des pratiques culturelles et musicales des segments de l’Église les plus dotés en ressources et en influence.
La semaine précédant l’événement en direct, le collectif d’artistes impliqué dans Gather25 a sorti un album intitulé Hear the World That You So Love Sing Back to You (« Entends le monde que tu aimes tant te chanter en retour »). Les producteurs exécutifs Matt Redman et Jason Ingram ont réuni une équipe de musiciens et d’auteurs-compositeurs chrétiens originaires de dix pays.
« Il s’agit d’un projet unique et d’un bel aperçu de l’Église mondiale, vivante et en bonne santé, qui chante de tout son cœur », déclarait Redman dans le cadre de la promotion de l’album.
Bon nombre des artistes figurant sur le disque disposent déjà d’une large audience. La Nigériane Sinach (qui a écrit « Way Maker »), le groupe guatémaltèque Miel San Marcos et la Brésilienne Gabriela Rocha ont chacun des millions d’adeptes sur les réseaux sociaux et produisent de la musique qui s’inscrit généralement dans le même style contemporain de louange et d’adoration que ce qui est le plus populaire aux États-Unis.
L’album comprend également plusieurs chansons en mandarin, espagnol, hindi, portugais et swahili, mais, en termes d’expression musicale, les sonorités restent généralement uniformes : louange et adoration de type pop occidentale.
« Je n’ai pas vu beaucoup de diversité dans l’expression musicale », analyse l’ethnodoxologue Joy Kim, qui travaille pour l’organisation Proskuneo Ministries. « Ce n’est pas nécessairement un problème s’il y a eu une collaboration approfondie. Si des artistes du monde entier ont participé à l’écriture des chansons et que le résultat ressemble à de la pop occidentale, c’est une chose. Mais tout ce que nous pouvons voir, c’est le résultat. »
Gather25 a commencé sur le site de diffusion états-unien, à Dallas, avec des enfants qui chantaient une chanson folk traditionnelle popularisée dans le pays pendant le mouvement des droits civiques. Suivaient une performance de l’équipe de danse et une séance de louange énergique conduite par l’artiste gospel primé Tye Tribbett. Christine Caine, Francis Chan, Priscilla Shirer et Rick Warren ont également pris la parole pour des allocutions et des prières.
Au fil des heures, les lieux de diffusion se sont déplacés dans le monde entier : Roumanie, Rwanda, Inde, Malaisie, Royaume-Uni, Pérou et un lieu non divulgué présentant des chrétiens de l’Église persécutée.
Les événements en direct eux-mêmes exprimaient une plus grande diversité musicale que l’album. Dans la nuit du vendredi au samedi, à 2 heures du matin, on pouvait écouter des frères et sœurs indiens chanter dans des styles vocaux régionaux tout en conduisant la louange de leur assemblée. Le samedi, de 10 heures à 13 heures, des artistes rwandais présentaient des danses et des jeux de tambours traditionnels.

Les chrétiens de la région ont rempli l’arène de Kigali, au Rwanda, et se sont réjouis de cette chance donnée à leurs ministères et leurs responsables d’être sous les feux de la rampe : une chorale d’enfants d’Ouganda, des batteurs du Burundi, un chanteur de gospel du Nigeria. Le pasteur rwandais Hassan Kibirango a décrit comme « exaltant » et un des « moments marquants » de sa vie le fait de prendre la parole lors de cet événement.
Si les rencontres étaient traduites en temps réel — les organisateurs indiquent que 87 langues étaient proposées — les chrétiens occidentaux anglophones ont également pu entendre des musiciens du monde entier reprendre des chants familiers ou adopter des paroles en anglais.
Avec l’expansion international des styles de louange contemporaine à partir des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie, des églises du Nigeria, de Corée du Sud ou encore des Philippines reprennent certains des chants courants des mégaéglises américaines.
Historiquement, l’Église a oscillé entre répertoire musical unifié et diversité régionale.
Ce n’est en tout cas pas la première fois dans l’histoire de l’Église que l’on constate une recherche ou un mouvement en direction d’un répertoire et d’une pratique musicale unifiés.
L’Église catholique romaine favorisait une liturgie standardisée et un ensemble défini de chants. Ainsi, avant la Réforme, un grand nombre de chrétiens entendaient généralement la même musique et le même texte dans la même langue (le latin) pendant les offices.
Les missionnaires baptistes, méthodistes et luthériens ont exporté leurs propres hymnes au 18e siècle, cherchant par là à unifier l’Église en dépit de l’éloignement géographique. Dans certains cas, cela eut pour conséquence que les pratiques musicales occidentales — considérées comme « véritable » musique de l’Église — l’ont emporté sur les pratiques locales.
« Au milieu du 20e siècle, on a commencé à encourager les chrétiens extérieurs à la tradition musicale de l’Europe occidentale à adopter leur propre expression musicale », explique Brian Hehn, directeur du Center for Congregational Song. « Mais l’Église mondiale n’a eu que quelques décennies pour lutter contre la hiérarchie musicale existante. Et les gens n’ont pas assez de ressources pour lutter contre l’industrie musicale. »
Selon le spécialiste, la hiérarchie musicale de l’Église façonne encore lourdement les pratiques cultuelles des chrétiens du monde entier et interroge la recherche permanente d’une pratique globalisée ou d’un « chant global ».
« Ceux qui disposent des ressources et du pouvoir doivent s’arrêter et se demander s’ils permettent bien aux gens du monde entier de pratiquer leur culte avec leur propre voix, par le biais de leurs propres expressions locales… », dit Brian Hehn.
Joy Kim, l’ethnodoxologue, reconnaît que la collaboration interculturelle peut être difficile et coûteuse, en particulier lorsqu’il s’agit d’écrire des chansons par-delà des barrières linguistiques.
En dehors des États-Unis, la plupart des musiciens d’église sont bivocationnels et travaillent dans des contextes où ils n’ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour se rendre à des rencontres d’auteurs-compositeurs. Même à l’ère de la vidéoconférence, l’écriture commune ou l’enregistrement ne fonctionnent pas aussi bien lorsque tout le monde ne se trouve pas dans la même pièce.
« Si j’avais de l’argent, j’inviterais des responsables de louange du monde entier, je paierais tous leurs frais et nous écririons de la musique ensemble », dit Joy Kim.
Jaewoo Kim, auteur de Willingly Uncomfortable Worship et directeur des relations publiques et du développement du ministère pour Proskuneo Ministries (et mari de Joy Kim), s’est penché sur l’importance de regarder au-delà de la musique chrétienne occidentale après le quatrième Congrès de Lausanne de l’année dernière. Comme Gather25, Lausanne rassemblait des chrétiens de plus de 200 pays et territoires, virtuellement et en personne, et visait à exprimer la diversité de l’Église mondiale.
« Les chants choisis [pour Lausanne] avaient également été principalement écrits par des compositeurs occidentaux ou anglophones », écrit-il. « Chaque chanson naît d’un contexte spécifique. Lorsque nous chantons une chanson d’une autre partie du monde, nous n’introduisons pas seulement la langue d’une culture particulière dans notre assemblée, mais nous accueillons également l’histoire de ce pays et sa théologie vécue dans les mots et la mélodie. Il s’agit d’un exercice de mutualité. »
Joy Kim affirme que le fait d’apprendre à rendre le culte plus « polycentrique » — en donnant un poids égal à de multiples cultures plutôt qu’à une culture dominante — permet d’établir des relations plus riches et d’avoir une vision plus large de l’Église mondiale. Elle espère que des événements tels que Gather25 constitueront un pas dans la bonne direction.
« Nous devons tous apprendre ce que signifie un culte polycentrique, multiculturel et interculturel, un culte qui reflète l’épouse du Christ », dit-elle. « Je me réjouis des efforts tels que cet événement pour rassembler auprès d’une même audience des responsables de louange non occidentaux et des langues diverses. Nous avons encore un long chemin à parcourir, mais j’apprécie réellement cela. »