Des projets dans 130 pays — du Kenya au Vietnam en passant par l’Ukraine — ont été brusquement interrompus. Les employés sur le terrain, dont beaucoup appartiennent à des organisations chrétiennes, ont dû s’adapter d’heure en heure aux nouvelles informations qui paraissaient, essayant de trouver des solutions pour les patients qui cherchaient de l’aide dans des cliniques désormais fermées. Les projets mis à l’arrêt touchent par exemple à la prévention de la famine, à l’approvisionnement en électricité dans les centres de santé ruraux ou à la lutte contre les épidémies de paludisme.
Ce qui se présentait initialement comme un gel temporaire du financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) semble finalement viser à fermer définitivement l’agence humanitaire. Vieille de 64 ans, elle est la plus grande pourvoyeuse de secours et d’aide au développement dans le monde, mais est devenue la cible du nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) d’Elon Musk.
Le secrétaire d’État Marco Rubio a indiqué lundi que l’USAID, jusqu’ici agence indépendante, serait absorbée par le département d’État. On ne voit pas bien comment pourrait se faire cette intégration alors que l’infrastructure administrative de l’agence a été vidée de sa substance et que les projets ont été interrompus sans préavis. D’anciens responsables de l’aide étrangère états-unienne avec lesquels nous avons parlé espèrent cependant que Rubio pourra trouver un moyen de maintenir celle-ci sous une forme restructurée.
Mais au cours du week-end, Musk a annoncé sur sa plateforme de réseaux sociaux X que l’agence fermerait définitivement et que Trump soutenait la fermeture. Musk a publiquement accusé l’USAID d’être une « organisation criminelle ».
« Nous avons passé le week-end à faire passer l’USAID dans le broyeur », a posté Musk sur X dans la nuit de dimanche à lundi. Le Wall Street Journal rapporte que des employés du DOGE ont pénétré de force dans les bureaux de l’USAID au cours du week-end et ont eu accès à des informations classifiées.
La majeure partie du budget de l’USAID est consacrée à des subventions à des projets de développement spécifiques, portés notamment par Samaritan’s Purse, World Vision, World Relief, Catholic Relief Services et de nombreux autres organisations confessionnelles. L’agence soutient par exemple des dispensaires chrétiens locaux au Malawi et des groupes qui s’occupent des orphelins.
Au Kenya, l’hôpital PCEA Chogoria, un hôpital missionnaire historique aujourd’hui géré par des églises kenyanes, fournit des soins de santé complets aux patients atteints du VIH grâce au soutien de l’USAID. Le 24 janvier, l’hôpital a reçu un ordre de cesser le travail pour ces soins et n’a eu aucune indication d’un retour du financement malgré les promesses de Rubio selon lesquelles les soins vitaux contre le VIH pourraient continuer.
L’hôpital compte 3 162 patients atteints du VIH dans le cadre de ce programme financé par l’USAID, et 42 employés s’occupent d’eux. L’institution espère reprendre progressivement à sa charge le financement de ces traitements au cours des trois prochaines années.
« Cependant, la nature abrupte de cet arrêt de financement était inattendue et a laissé le personnel et les patients dans l’incertitude quant à l’avenir de leurs soins », explique Elijah Mwaura, PDG de Chogoria, dans un communiqué qu’il nous a adressé. « Nous reconnaissons et apprécions sincèrement le soutien inestimable apporté au fil des ans, qui a permis d’améliorer de manière significative les résultats en matière de santé pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH. Bien que ce développement représente un défi considérable, nous espérons toujours qu’une solution rapide pourra être trouvée pour maintenir ces services essentiels et minimiser les perturbations des soins aux patients. »
Lundi, des législateurs démocrates qui ont tenté en vain d’accéder au siège de l’agence, fermé à clé, ont protesté en affirmant que le président n’avait pas l’autorité constitutionnelle pour fermer celle-ci.
Trump a déclaré lundi qu’il n’avait pas besoin de l’autorisation du Congrès pour fermer l’agence en cas de fraude, sans pour autant avancer de preuve concrète d’une quelconque fraude au sein de l’agence. L’administration et Musk répètent que l’USAID avait financé pour 50 millions de dollars de préservatifs à Gaza, ce qui est faux. Le contrat cité par la Maison-Blanche n’a pas financé un centime de préservatifs pour Gaza.
« Il est extrêmement pénible d’observer tout cela », témoigne Kent Hill, un ancien haut fonctionnaire de l’USAID qui a également travaillé à World Vision et dans l’enseignement supérieur chrétien en tant que président de l’Eastern Nazarene College. Si l’USAID a des problèmes spécifiques, fermer toute l’agence au lieu de s’attaquer aux problèmes est une « réaction extrêmement excessive » et « inhumaine », estime-t-il.
« Peu d’investissements états-uniens, s’il en est, ont un rendement aussi remarquable. » « Parler de fermer l’USAID est inhumain et représente un énorme manque de discernement qui devrait susciter une condamnation bipartisane. »
Des organisations sur le terrain nous ont rapporté un gel permanent des fonds de l’USAID, tels que ceux utilisés pour les soins de santé essentiels, même après que le département d’État ait délivré une dérogation pour les soins vitaux.
« La fermeture totale de l’USAID causerait des dommages irréparables à un grand nombre d’institutions missionnaires chrétiennes en Afrique et, j’en suis sûr, dans le monde entier », déclare Matthew Loftus, médecin missionnaire au Kenya. « Une grande partie du financement de l’USAID concerne des infrastructures essentielles sur lesquelles tout le monde compte pour que leurs programmes fonctionnent tous les jours, comme les médicaments. »
La Mission for Essential Drugs and Supplies (MEDS), une organisation médicale chrétienne qui gère la chaîne d’approvisionnement et le contrôle de la qualité des médicaments au Kenya, en est un exemple. La MEDS travaille avec un financement de l’USAID. Selon Matthew Loftus, la MEDS est une « bouée de sauvetage » pour les hôpitaux missionnaires du Kenya, et c’est par son intermédiaire que son hôpital reçoit la plupart de ses médicaments.
« C’est ainsi que les missionnaires que vous soutenez font leur travail tous les jours », explique-t-il.
L’USAID soutient des mesures sanitaires, telles que le traitement du paludisme et le traitement et la prévention du VIH. Elle fournit également de l’aide non militaire en Ukraine, le plus important poste de son budget. Elle aide les gouvernements locaux à mettre en place des infrastructures de santé en leur apportant un soutien logistique et technique. L’Ukraine exceptée, la majeure partie de son budget est consacrée aux soins de santé. L’agence représente moins de 1 % du budget du gouvernement américain, de sorte que les économies réalisées par sa fermeture seraient sans commune mesure avec l’utilité des services qu’elle fournit.
Au fil des dernières années, divers responsables ont évoqué la nécessité de réformer l’USAID.
Les projets de l’agence sont généralement établis ainsi : le personnel de l’USAID définit un besoin (comme le manque d’eau dans une communauté) et une solution (comme la construction d’un puits) et en fait un projet. Une organisation — confessionnelle ou laïque, à but lucratif ou non lucratif — se porte ensuite candidate à la mise en œuvre de ce projet. La majeure partie de l’aide états-unienne à l’étranger fonctionne ainsi. L’ordre de cesser le travail en matière d’aide à l’étranger a interrompu tous ces projets.
Même lorsque l’administrateur d’un projet n’est pas religieux, il arrive que ce soit une église locale ou une organisation religieuse qui le mette en œuvre sur le terrain. L’USAID soutient les organisations confessionnelles locales, pouvait-on lire sur son site internet désormais fermé, car elle les considère comme « la colonne vertébrale des communautés locales ».
Pour les employés de l’USAID, les récentes actions du gouvernement états-unien présagent davantage de la fin de l’USAID en tant qu’agence que d’une pause de 90 jours pour un réexamen. Le site web de l’USAID est hors ligne. Des centaines d’employés ont été licenciés, et non simplement mis à pied, y compris au plus haut niveau. Associated Press rapportait lundi que les employés restants avaient reçu un avis leur demandant de ne pas se rendre au bureau.
Des employés de l’USAID récemment licenciés nous ont témoigné qu’avant même leur licenciement la semaine dernière, on leur avait interdit de parler à des partenaires sur le terrain ou d’organiser des réunions avec d’autres membres du personnel. Ils avaient déjà eu connaissance de projets qui avaient été interrompus, comme un projet visant à fournir de l’électricité à des centres de santé ruraux en Sierra Leone. Ils s’inquiètent de la rupture de confiance avec des partenaires du monde entier. Un employé récemment licencié explique que les biens fournis par l’USAID portaient la mention « From the American people » (« Du peuple américain ») afin que les gens sachent d’où venait l’aide. Ils sauront désormais aussi qui est responsable de cet arrêt.
Kent Hill, l’ancien fonctionnaire de l’USAID, considère que l’administration Trump a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels :
« Le Parti républicain, s’il veut conserver une certaine crédibilité auprès du peuple américain et des conservateurs sérieux et attachés à des principes, doit résister courageusement à tous les cas d’excès de pouvoir de la nouvelle administration, et il doit défendre l’USAID contre la destruction, car l’USAID a depuis sa création été financée et soutenue par le Congrès. »
Annē Linn est l’une des personnes récemment licenciées ; elle travaillait depuis 2019 pour l’Initiative présidentielle contre le paludisme (PMI), lancée par le président George W. Bush. Elle avait le statut de contractant institutionnel, ce qui signifie qu’elle dépendait d’un contractant, mais travaillait comme une employée de l’USAID. Elle considérait son travail à l’USAID comme une vocation chrétienne.
Elle rapporte que les propos de Musk au sujet de l’USAID ont été un « coup de poing à l’estomac » pour les personnes qui accomplissaient leur travail avec soin.
« C’est une chose de dire que ce n’est pas une bonne utilisation de l’argent des contribuables, mais être attaqué d’une manière aussi grotesque dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer », témoigne-t-elle.
Avant d’entrer au service de l’USAID, elle et son mari travaillaient au Sénégal, où un de leurs voisins est un jour mort du paludisme. Elle a alors découvert le travail de l’USAID contre le paludisme et a su qu’elle voulait y participer.
Aujourd’hui, elle est sous le choc de l’arrêt soudain de tous les projets de l’USAID :
« C’est tout simplement cruel. » Elle rapporte que des médicaments contre le paludisme déjà achetés ne peuvent pas être distribués.
Elle sait que certaines organisations trouveront le moyen de continuer à fournir des services, mais pas toutes.
« Je veux que l’Église sache ce qui se passe », déclare un ancien employé chrétien de l’USAID licencié la semaine dernière et qui craint de donner son nom notamment à cause de l’accès du DOGE aux dossiers du personnel. « Priez pour ce qui se passe. Des gens meurent chaque jour à cause de cela. »