La consommation de pornographie aux États-Unis a continué à augmenter au cours de la dernière décennie, en particulier chez les jeunes qui sont plus tôt que jamais exposés à des images explicites. La plupart des répondants à un récent sondage ne considèrent cependant pas la pornographie comme une mauvaise chose pour la société, et de nombreux chrétiens disent qu’ils ne sont pas inquiets de ses effets.
C’est ce qui ressort d’un rapport publié l’automne dernier par l’organisme de recherche évangélique Barna Group et Pure Desire, un ministère pour les personnes dépendantes de la pornographie.
Les chercheurs ont constaté que 61 % des États-Uniens déclarent regarder de la pornographie au moins occasionnellement, contre 55 % dans l’enquête 2015 de Barna sur le sujet. Dans cette consommation, les femmes sont également plus nombreuses que par le passé (44 % contre 39 % il y a neuf ans).
Dans l’Église, les pasteurs sont aussi plus nombreux à faire état d’antécédents personnels de consommation de pornographie (67 % contre 57 % il y a neuf ans). Près d’un pasteur sur cinq affirme aussi être actuellement en lutte face à la pornographie. Et parmi les chrétiens déclarant avoir assisté à des cultes au cours du mois écoulé, plus de la moitié disent regarder de la pornographie au moins occasionnellement.
« La consommation de pornographie n’est plus limitée à un groupe démographique ou à une sous-culture spécifique », indique le rapport. « Elle touche toutes les couches de la société (des jeunes aux personnes âgées), sans distinction de sexe, de statut social ou de croyances religieuses. »
Ces nouvelles données s’inscrivent dans la lignée d’autres travaux montrant une augmentation spectaculaire de la quantité de pornographie en ligne créée et consommée au cours des dernières années.
Selon une étude récente, 2,5 millions de personnes regardent de la pornographie en ligne chaque minute, et la consommation de pornographie en ligne a augmenté de 91 % depuis 2000. La disponibilité accrue, la facilité d’accès sur internet et même l’isolement social exacerbé par le confinement de la pandémie de COVID-19 sont considérés comme des facteurs majeurs contribuant à cette augmentation.
Certaines initiatives chrétiennes visant à freiner la croissance de l’industrie pornographique en ligne ont prôné des restrictions légales, notamment en poussant à l’adoption de lois sur la vérification de l’âge et de réglementations plus strictes pour les créateurs d’appareils électroniques. D’autres ministères se sont attachés à aider les individus à se défaire de leurs habitudes en matière de pornographie.
Les responsables de Barna et de Pure Desire espèrent que leur étude mettra en évidence l’omniprésence de la pornographie et encouragera davantage de pasteurs et de personnes engagées dans l’Église à prendre en compte la nécessité du soutien aux personnes qui luttent contre ce fléau. Mais les statistiques pourraient révéler un obstacle encore plus important : de nombreuses personnes, y compris des chrétiens, n’y voient aucun problème.
« Plus de trois chrétiens sur cinq (62 %) disent à Barna qu’ils sont d’accord pour affirmer qu’une personne peut regarder régulièrement de la pornographie et vivre une vie sexuelle saine », peut-on lire dans le rapport. Ce chiffre n’est qu’à quatre points de la part de l’ensemble des adultes états-uniens (66 %) qui ne considèrent pas le visionnage de pornographie comme préjudiciable.
En outre, 49 % des chrétiens pratiquants qui admettent consommer personnellement de la pornographie déclarent être « à l’aise avec la quantité de pornographie » dont ils font usage.
« Il n’y a pas de sentiment d’urgence », commente Sean McDowell, professeur à l’Université Biola et animateur dupodcast Think Biblically. « Je pense qu’il s’agit d’un exemple de question où les gens s’inspirent beaucoup plus de la culture et des idées qui nous entourent que des Écritures et de leur vision chrétienne du monde. »
Cependant, dans l’étude, les personnes interrogées qui déclaraient consommer de la pornographie de façon au moins semi-régulière étaient aussi beaucoup plus susceptibles de déclarer se sentir fréquemment anxieuses, critiques envers elles-mêmes, facilement débordées et déprimées.
« Il existe une corrélation directe entre la quantité de pornographie que vous regardez et votre santé mentale, émotionnelle et relationnelle », affirme Nick Stumbo, directeur exécutif de Pure Desire. « Nous ne pouvons pas nous sentir bien avec un comportement qui nuit à notre santé mentale, émotionnelle et relationnelle. »
Un récent sondage de l’Institute for Family Studies/YouGov rapporte des résultats similaires établissant une corrélation entre la consommation de pornographie, la solitude et la dépression. Les chercheurs signalent que l’addiction généralisée à la pornographie est un véritable problème de santé publique, en notant que les sites pornographiques « utilisent des techniques similaires à celles des réseaux sociaux, telles que le défilement à l’infini, la lecture automatique et le contenu personnalisé pour maintenir les utilisateurs accrochés », et que les utilisateurs fréquents recherchent des vidéos toujours plus extrêmes à mesure qu’ils se désensibilisent.
Le rapport de Barna comprend une série de questions concernant la « blessure de trahison », soit l’impact de la consommation de pornographie d’une personne sur son conjoint ou « autrui significatif ».
Les différences entre les hommes et les femmes sont flagrantes. Les femmes sont au moins deux fois plus nombreuses à déclarer que la consommation de pornographie de leur partenaire nuit à leur relation d’une manière ou d’une autre. Principale préoccupation évoquée, 44 % d’entre elles déclarent craindre que leur partenaire ne soit plus attiré par elles. Pourtant, la même proportion d’hommes — 44 % — n’exprime aucune inquiétude quant à la consommation de pornographie de leur partenaire.
On notera également l’impact de la pornographie sur les jeunes. Le rapport montre que 39 % des adultes de la génération Z regardent de la pornographie tous les jours ou au moins chaque semaine. En outre, selon Barna, plus de la moitié de la tranche basse de la génération Y et de la tranche haute de la génération Z (soit des personnes entre 18 et 37 ans) affirment avoir déjà envoyé une photo d’eux-mêmes nu, et les trois quarts d’entre eux disent avoir reçu de telles images.
D’autres études récentes indiquent que les enfants voient de la pornographie beaucoup plus tôt que les générations précédentes. L’âge moyen de la première exposition des enfants aux États-Unis est aujourd’hui de 12 ans.
Nick Stumbo explique que Pure Desire développe des programmes de formation pour les parents qui cherchent des moyens d’aborder la question de la pornographie avec leurs enfants. Mais même cette stratégie se heurte à des obstacles : l’étude Barna a demandé aux personnes interrogées qui avait eu le plus grand impact sur leur vision de la sexualité et leur comportement sexuel. « Ma mère » et « mon père » sont moins bien classés que « mes amis », « la télévision ou les films », « les recherches sur internet » et la pornographie elle-même.
« Si vous voulez vraiment aider vos adolescents, l’une des meilleures choses que vous puissiez faire est de faire face à votre propre histoire et vos propres difficultés dans votre sexualité », estime Stumbo. « Plus vous serez en bonne santé, plus vous pourrez aider vos adolescents à l’être aussi. »
Selon Sean McDowell, il est important que les églises offrent des ressources aux personnes qui luttent contre la pornographie, même si elles affirment ne pas y voir de problème. L’enquête a révélé que 83 % des adultes ayant des antécédents de consommation de pornographie n’ont personne dans leur entourage pour les aider à s’en détourner.
« Je soupçonne que [les chrétiens] ne regardent pas de la pornographie parce qu’ils ont trouvé les arguments contre celle-ci peu convaincants », souligne-t-il. « Il y a souvent des blessures, des ruptures, de l’anxiété, des facteurs de stress sous-jacents et une mauvaise théologie qui empêchent les gens de recevoir l’aide dont ils ont besoin. »
Il recommande qu’en plus d’enseigner des éléments d’une saine sexualité en chaire, chaque église dispose d’un groupe de soutien pour les personnes qui luttent contre toute forme d’addiction, qu’elle soit de nature sexuelle ou non.
Juli Slattery, psychologue et fondatrice d’Authentic Intimacy, reconnaît qu’il est essentiel d’offrir des lieux de communion sûrs aux personnes qui luttent contre la pornographie. Elle a contribué à l’élaboration des conclusions du rapport en tant qu’experte.
« Vous pouvez dire aux gens : “Dieu dit d’arrêter de regarder de la pornographie” », dit-elle « mais, si vous ne leur fournissez pas les outils et la communauté nécessaires pour aborder ces questions plus profondes, beaucoup de gens se sentiront vraiment bloqués. [De nombreux chrétiens] ne comprennent pas le réel problème lorsque leur sexualité va mal parce qu’ils considèrent celle-ci avant tout comme une question d’éthique comportementale plutôt que comme un champ de bataille profondément spirituel. »
Nick Stumbo, de Pure Desire, rapporte avoir observé une baisse de l’intérêt pour les ministères de soutien face à la pornographie dans les églises au cours des dernières années, après un boom de prise de conscience et d’intérêt au début des années 2000.
L’essor d’internet a conduit à la création de plusieurs ministères, dont Covenant Eyes, qui propose un logiciel pour aider les gens à éviter la pornographie en ligne, et XXXchurch. La question a continué à retenir l’attention dans les années qui ont suivi, en particulier après l’apparition du smartphone.
La précédente enquête de Barna sur l’utilisation de la pornographie, « The Porn Phenomenon », était parue en 2016. À l’époque, « on semblait être dans une période où cette bulle éclatait sur la place publique et où les églises se disaient : “Nous devons faire quelque chose au sujet de la pornographie” », raconte Stumbo. Deux ans auparavant, Pure Desire avait publié sa populaire série Conquer, un programme vidéo pour accompagner la sortie de la dépendance à la pornographie qui a été visionné par plus de 2 millions d’hommes dans plus de 100 pays.
« Pure Desire a connu une forte croissance au cours de ces deux années », raconte son directeur. À peu près à la même époque, en 2016, Covenant Eyes a élargi sa mission et commencé à établir des partenariats avec d’autres ministères pour sensibiliser à la question de la pornographie dans l’Église. Un an plus tôt, des chrétiens fondaient Protect Young Eyes, un ministère visant à aider les écoles et les familles à mettre en place des mesures de sécurité numérique pour les enfants.
Selon Nick Stumbo, l’attention portée à cette question s’est quelque peu émoussée depuis lors : « Avec le recul, je pense que l’Église est passée à autre chose. »
Une certaine apathie de l’Église à l’égard du sujet pourrait involontairement renforcer un autre mythe répandu : l’enquête de Barna a montré que 66 % des adultes pensent qu’« avec suffisamment de volonté, une personne peut surmonter sa dépendance à la pornographie par elle-même ».
Pourtant, comme pour toute addiction, la première étape vers la guérison consiste à admettre que l’on a un problème. Si près de deux tiers des chrétiens pensent qu’il est possible de regarder régulièrement de la pornographie tout en menant une vie saine, ce premier pas pourrait s’avérer le plus difficile.
La normalisation morale de la consommation de pornographie pourrait cependant avoir un léger avantage : David Kinnaman, PDG de Barna, rapporte que les personnes interrogées sont beaucoup plus disposées à être ouvertes et honnêtes au sujet de leurs habitudes en matière de pornographie qu’elles ne l’étaient auparavant — une tendance utile pour les chercheurs en sciences sociales qui tentent de saisir l’ampleur du problème. Il compare cette ouverture à celle également croissante des milléniaux et des membres de la génération Z sur leurs problèmes de santé mentale.
« Ce genre de choses était autrefois plus difficile à demander », explique Kinnaman. « Il est vraiment remarquable de voir à quel point les gens sont honnêtes… surtout en ligne. »
Il espère que l’étude incitera les pasteurs à prendre en compte les problèmes de pornographie de leurs fidèles à travers tous les aspects de la vie chrétienne. Il s’agit d’enseigner une vision biblique de l’intégrité sexuelle depuis la chaire et d’encourager une véritable communion au sein de petits groupes, où les gens peuvent trouver une alternative aux « scripts internes » qui leur permettent de rationaliser leurs péchés.
Mais il craint que le problème ne disparaisse pas de sitôt. Chaque enquête incite les chercheurs à réfléchir aux questions qu’ils poseront la prochaine fois et celle-ci ne fait pas exception :
« Nous pensons que nous vivons à l’ère de la pornographie. Attendez de voir ce que fera l’IA. »