Ces dernières semaines, les débats ont fait rage au sujet du pasteur et auteur Alistair Begg, qui a conseillé à une grand-mère d’assister au mariage de son petit-enfant avec une personne transgenre. Maintenant que le calme revient à peu près, il paraît utile de s’interroger sur les enseignements que nous pourrions tirer de cet épisode.
J’ai expliqué ailleurs pourquoi je ne suis pas d’accord avec le conseil de Begg, mais je souhaite ici réfléchir à la manière dont nous gérons nos différends sur ces questions au sein du corps du Christ. Comment les chrétiens peuvent-ils vivre leurs désaccords d’une manière qui minimise les dommages collatéraux pour le royaume de Dieu ?
En l’occurrence, le désaccord ne porte pas sur une question d’éthique sexuelle (la position de Begg à ce sujet est claire). Il s’agit davantage d’une question de sagesse pratique : comment les chrétiens qui maintiennent une conception traditionnelle du mariage doivent-ils agir dans une société qui l’abandonne de plus en plus ? Par exemple, dans les circonstances évoquées par Begg — une relation entre une grand-mère et son petit-enfant dans laquelle la conviction de la grand-mère est clairement connue — la participation à une cérémonie de mariage gay ou transgenre est-elle envisageable ?
Bien que j’arrive à une conclusion différente de celle de Begg, sa position ne devrait pas faire oublier les décennies de ministère fidèle qu’il a derrière lui. Pourtant, de nombreuses réactions le décrivent comme fondamentalement compromis ou indigne de confiance, ou encore comme un partisan du mariage homosexuel. S’il est tout à fait normal que des gens puissent manifester leur désaccord, les dénonciations à l’emporte-pièce et les ruptures drastiques semblent refléter un dysfonctionnement plus large dans la manière dont les chrétiens se prêtent à cet exercice.
Malheureusement, la « cancel culture » est de plus en plus répandue dans l’Église et dans le monde. Les désaccords sur Internet, en particulier, témoignent d’une mentalité très réactive et du type « tout ou rien », qui réduit finalement l’autre personne à notre désaccord avec elle, même s’il s’agit d’un désaccord sur une question secondaire ou tertiaire. Nous avons désespérément besoin de préserver et cultiver notre capacité à dire : « Je ne suis pas d’accord avec telle personne sur telle question, mais elle reste mon frère ou ma sœur en Christ, et notre désaccord s’inscrit donc dans ce contexte plus large ». Trop souvent, notre manière de gérer nos désaccords ne reflète que peu ou pas la conscience de l’unité et de l’amour qu’il devrait y avoir entre les chrétiens.
Les précieuses figures chrétiennes du passé auraient-elles pu survivre au climat que nous créons actuellement ? John Stott serait-il boycotté pour ses opinions sur l’annihilationnisme ? Qu’en serait-il de C. S. Lewis et de son rejet de l’inerrance biblique ? Ou de Dietrich Bonhoeffer et sa position sur l’historicité de Genèse 2-3 ?
Je ne veux pas minimiser l’importance de ces questions. Il ne s’agit pas non plus de tout fondre dans une sorte de « Soyons gentils et ne parlons pas de nos désaccords ». Mais dans le cas d’un désaccord avec un autre chrétien, la manière dont nous vivons ce désaccord doit être conditionnée par la réalité de notre identité partagée en Christ.
À quoi pourrait ressembler un désaccord sain entre chrétiens ? Il n’y a pas de formule magique et je n’ai pas toutes les réponses, mais voici quelques idées qui pourraient mériter d’être prises en considération.
Faire une pause dans les débats publics le dimanche
Certaines des batailles entre chrétiens les plus passionnées se déroulent le dimanche sur Twitter, voire le dimanche matin. Je me demande si l’ennemi n’utilise pas cela pour nous détourner de ce moment de notre rythme hebdomadaire qui devrait être spécialement réservé au repos et à l’adoration. Et si nous faisions une pause dans nos querelles le jour du Seigneur et que nous nous engagions plutôt dans la louange, la prière et le repos ?
Je ne voudrais pas contraindre la conscience d’autrui sur une question de sagesse comme celle-ci, mais j’ai personnellement pris la décision d’éviter de m’engager dans un débat public le dimanche, et j’inviterais chacun à se demander si une démarche similaire pourrait être bénéfique pour sa propre vie.
Cultiver une culture de l’honneur
Le Nouveau Testament nous appelle à une culture de l’honneur (Rm 12.10) et de la douceur (Ga 6.1). Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas à demander des comptes ou à formuler des critiques si nécessaire. La réprimande publique peut avoir sa place (p. ex. 1 Tm 5.20), y compris à l’égard de responsables (Ga 2.11).
Toutefois, nous devons être attentifs à la culture ambiante que nous sommes en train d’installer dans l’Église, en particulier en ce qui concerne les responsables. Plus que jamais, les pasteurs et autres responsables d’église évoluent dans un climat de suspicion. Selon un récent sondage aux États-Unis, moins d’un tiers des Américains jugent le clergé honnête et moral. Par ailleurs, les pasteurs font de plus en plus face au découragement.
Là encore, les critiques légitimes ont leur place. Mais la trajectoire générale de notre culture est telle que la méfiance envers les responsables d’église (et envers les institutions et leurs responsables en général) ne cesse de croître. C’est une mauvaise chose pour nous tous. Si ses responsables sont épanouis, l’ensemble du corps du Christ a tout à y gagner. Mais qui peut s’épanouir dans un climat de suspicion et de jugements à l’emporte-pièce ?
Lorsque nous nous livrons à la critique, nous ferions bien de nous poser la question : Quelle est la culture ambiante que je cultive par mes paroles ?
Montrer de l’amour dans le désaccord
L’une des raisons pour lesquelles l’amour est si important est que le monde observe la façon dont nous sommes en désaccord les uns avec les autres. Jésus nous a enseigné : « C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13.35) Il a prié pour notre unité afin que le monde croie en lui (Jn 17.21).
Dans un récent podcast, l’auteur Trevin Wax attirait notre attention sur le commentaire de Francis Schaeffer concernant cet enseignement du Christ : « Jésus, ici, donne au monde le droit de faire quelque chose sur la base de sa propre autorité. Il donne au monde le droit de juger si vous et moi sommes des chrétiens nés de nouveau en fonction de l’amour que nous portons à tous les chrétiens. » Comment la controverse autour des propos de Begg a-t-elle été perçue par les non-chrétiens qui nous regardent ?
Encore une fois, l’amour ne signifie pas taire tout désaccord. Mais lorsque nous nous engageons dans un débat public avec un frère ou une sœur en Christ, nous devrions considérer l’effet plus large de ce débat sur la crédibilité de l’Évangile. Charles Spurgeon offre à ce sujet un modèle inspirant. Au sujet du poète George Herbert, il déclarait :
Là où est l’Esprit de Dieu, il doit y avoir de l’amour, et si j’ai connu et reconnu un homme comme mon frère en Jésus-Christ, l’amour du Christ m’oblige à ne plus le considérer comme un étranger, mais comme mon concitoyen parmi les saints. Certes, je déteste l’esprit de la Haute Église comme mon âme déteste Satan, mais j’aime George Herbert, bien que George Herbert soit désespérément un homme de la Haute Église. Je déteste son esprit de Haute Église, mais j’aime George Herbert du plus profond de mon âme, et j’ai un recoin chaleureux de mon cœur pour tous les hommes qui lui ressemblent. Que je trouve un homme qui aime mon Seigneur Jésus-Christ comme George Herbert, je ne me demande pas si je l’aimerai ou non ; il n’y a pas de place pour la question, car je ne peux pas m’en empêcher ; si je ne peux pas cesser d’aimer Jésus-Christ, je ne peux pas cesser d’aimer ceux qui l’aiment. […] Gardez-vous, si vous aimez un tant soit peu Jésus-Christ, de vouloir faire votre propre tri parmi son peuple.
Dans les années et les décennies à venir, nous serons probablement confrontés à des questions beaucoup plus complexes sur ce à quoi ressemble la fidélité chrétienne dans notre société. Nous ne serons pas toujours d’accord entre nous. Mais même nos désaccords pourront honorer Jésus et témoigner de l’Évangile à ceux qui nous entourent si nous avons un « recoin chaleureux » dans notre cœur pour toutes les brebis du Christ.
Gavin Ortlund (PhD, Fuller Seminary) est président de Truth Unites et théologien en résidence à Immanuel Nashville. Il est l’auteur de huit livres, dont Why God Makes Sense in a World That Doesn't.
Une précédente version de cet article a été publiée sur le site Truth Unites.