Theology

Que serait un monde sans Pâques ?

Tout est différent parce que Jésus est ressuscité. Mais vivons-nous comme des personnes qui le savent vivant ?

Christianity Today April 15, 2025
Illustration par Christianity Today/Images sources : WikiMedia Commons

In tDurant l’été 2022, j’ai visité la charmante ville alpine d’Oberammergau, en Allemagne. J’ai pu me promener dans ses rues verdoyantes bordées de maisons couvertes de fresques murales, dont les balcons débordent de bacs à fleurs.

Après avoir dégusté une glace et fait quelques achats parmi les célèbres sculptures sur bois de la ville, je me suis installé à ma place pour assister à une représentation de près de cinq heures et demie de la dernière semaine de Jésus avant sa mort et sa résurrection. Depuis 1634, Oberammergau organise un spectacle de la Passion auquel participent presque tous ses habitants. Ce spectacle a été joué pour la première fois en remerciement de la fin d’une épidémie de peste bubonique. Normalement, les représentations ont lieu la première année de chaque nouvelle décennie (2000, 2010, etc.), mais l’épidémie de COVID-19 avait retardé de deux ans la représentation de 2020.

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Des dizaines de bus ont déposé des touristes venus de nombreux pays étrangers. En regardant autour de moi, j’ai vu des groupes de Chinois, de Japonais et de Coréens, ainsi que de nombreux Européens et Américains. Cet été-là, près d’un demi-million de personnes sont venues assister à cette représentation de la passion de Jésus, récitée et chantée dans une langue que peu de gens dans la foule pouvaient comprendre.

Par quoi étaient-ils attirés ? À un moment donné, plus d’un millier d’acteurs ont rempli la scène, criant « Kreuzige ihn! » (« Crucifie-le ! ») dans un allemand guttural. Tandis que les soldats de Pilate torturaient et se moquaient de leur prisonnier, le public était plongé dans le silence.

Certains membres du groupe avec lequel je voyageais ont cependant reproché à la représentation de faire presque l’impasse sur la résurrection. En effet, seules trois des 132 pages du livret sont consacrées à cet événement capital. Ce rapport reflète pourtant bien les récits des Évangiles, qui accordent beaucoup plus d’attention à l’épreuve des procès et de la crucifixion qu’à cette conclusion triomphale. Cette critique a toutefois soulevé pour moi une question : une tradition comme celle d’Oberammergau aurait-elle perduré pendant quatre siècles si elle ne commémorait que la mort d’un personnage célèbre ?

Certes, j’ai vu des milliers de personnes faire la queue pour voir les corps conservés de Mao Zedong et de Vladimir Lénine sur la place Tiananmen à Pékin et sur la place Rouge à Moscou. Les martyrs aussi peuvent obtenir une place d’honneur dans la mémoire historique : Abraham Lincoln, Jeanne d’Arc, Martin Luther King Jr, Gandhi ou encore, plus récemment, Alexei Navalny.

Est-ce ainsi que nous nous souviendrions de Jésus s’il n’y avait pas eu le matin de Pâques ?

Lors de son dernier repas avec ses disciples avant son arrestation, Jésus tente de leur expliquer les bouleversements en cours. Les chapitres 13 à 17 de l’Évangile de Jean nous rapportent ce long dialogue dans lequel Jésus leur annonce ce qui va se passer. « L’un de vous me trahira », dit-il, et il identifie le coupable (13.21-27). Il leur annonce que lui, leur maître, va s’en aller. Mais pas vraiment non plus ; d’une certaine manière, il sera encore plus proche d’eux. Plus que jamais, il précise son identité, laissant Philippe dans l’interrogation face à cette déclaration extraordinaire : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (14.9).

Deux affirmations de cette soirée ont dû particulièrement hanter ses disciples dans les jours qui ont suivi. Tout d’abord : « Vous aurez à souffrir dans le monde, mais prenez courage : moi, j’ai vaincu le monde. » (16.33) Dans les heures qui suivent, les disciples assistent à l’arrestation de Jésus et à un enchaînement atroce de sévices et d’une exécution réservée aux pires criminels. Est-ce ainsi qu’il doit vaincre le monde ? La pilule est trop dure à avaler pour Pierre, qui se lance à brandir l’épée au nom de Jésus (18.10-11). Bientôt, cependant, il suivra pourtant Judas dans une trahison en trois temps (13.38 ; 18.27).

L’autre affirmation qui me frappe dans ce contexte est celle-ci : « je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille. » (16.7) Les disciples étaient encore dans la joie du dimanche des Rameaux, quelques jours auparavant, lorsque les cris de « Hosanna ! » et« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » résonnaient dans les rues de Jérusalem (12.13). Ils attendaient la gloire, la fière récompense des loyaux serviteurs du héros conquérant. Mais Jésus redéfinit abruptement cette gloire en leur lavant les pieds — malgré les protestations de Pierre — et en définissant ce qu’est le plus grand amour par le fait de donner sa vie pour ses amis (13.1-17 ; 15.13).

Je comprends la perplexité des disciples. N’aurait-il pas mieux valu que Jésus reste sur terre ? Comment l’histoire de la chrétienté se serait-elle déroulée si Jésus avait été là à la manière d’un pape pour mettre son veto aux croisades et aux inquisitions, interdire l’esclavage et répondre à nos interrogations contemporaines sur la guerre juste ou les questions de genre ?

Mais Jésus explique en quoi son départ pouvait être interprété comme une bonne chose. Il apporterait une nouvelle forme d’intimité : « Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. » (15.15) S’inspirant d’une image familière, il compare cette nouvelle proximité au lien entre le sarment et la vigne (15.1-16). En somme, il élève le rôle de l’être humain : ses disciples accompliront l’œuvre de Dieu, tout comme lui l’avait fait. De plus, en quittant la terre, il ouvre la voie à l’envoi de l’Esprit de Dieu, l’Avocat, qui viendra leur apporter la nourriture et la sagesse dont ils auront besoin (14.26 ; 16.7).

Bien qu’assis autour de la même table, Jésus et ses disciples ont une vue très différente de la réalité. Jésus garde la mémoire d’un temps « avant la création du monde » (17.24), tandis que les Douze (maintenant Onze) se souviennent à peine de leur vie avant que cet étrange rabbin ne leur ordonne de le suivre. Jésus a vu « le prince du monde » (14.30) s’approcher de lui dans la trahison de Judas, alors que les autres pensaient que leur condisciple partait faire une course. Jésus prévoit la persécution à venir, la descente dans l’Hadès, sa résurrection et son retour auprès du Père ; les disciples murmurent entre eux : « Nous ne savons pas de quoi il parle. » (16.18)

Pâques a tout changé, mais pas d’un seul coup. Un scénario hollywoodien aurait fait apparaître Jésus le lundi matin sous le porche de Pilate, entouré d’un chœur d’anges s’écriant : « Il est de retour ! »

Jésus s’est montré moins théâtral, à la manière de la brève représentation de la résurrection à Oberammergau. Il surprend les femmes devant le tombeau vide, rejoint un couple de vieux amis sur le chemin d’Emmaüs, apparaît mystérieusement dans une pièce fermée à clé pour répondre aux doutes de Thomas, et donne une leçon de pêche à quelques disciples retournés à leurs anciennes occupations en Galilée.

Après environ six semaines d’apparitions imprévisibles, les disciples se réunissent à nouveau, toujours incertains quant à l’avenir. Jésus restera-t-il finalement sur terre ? Sinon, qu’attend-il d’eux ? Lors de la première rencontre avec les disciples après sa résurrection, Jésus leur donne ce mandat : « Tout comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Jn 20.21) Et dans son Ascension, il confie tout simplement la mission à ce groupe hétéroclite qui espérait encore qu’il redonnerait vie à ses rêves de gloire évanouis.

C’est à vous de jouer maintenant, dit-il en substance. Jésus avait guéri des maladies, chassé des démons et apporté réconfort et consolation aux pauvres, aux opprimés et à ceux qui souffraient, mais seulement dans un petit coin de l’Empire romain. À présent, il envoie ses disciples porter ce même message en Judée, en Samarie et dans les régions les plus reculées de la terre.

Deux mille ans plus tard, 3 milliards de personnes dans le monde se considèrent comme disciples de Jésus. Le message qu’il a apporté s’est répandu vers l’Asie, l’Europe, l’Afrique, puis sur tous les autres continents. Les chances qu’une telle chose se soit produite sans le bouleversement que nous célébrons à Pâques sont infimes. Avant sa résurrection, les quelques disciples de Jésus le renient et se cachent des autorités du temple. Même par la suite, Thomas doute jusqu’à ce qu’il ait vu Jésus en chair et en os. Mais au fur et à mesure qu’ils comprenaient ce qui s’était passé dans la résurrection, les disciples ont pu entrer dans la vision cosmique de Jésus.

À la fin de la poignante dernière cène décrite en Jean 13-17, Jésus prie pour tous ceux qui leur succéderaient. « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole, afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé […] et qu’ainsi le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » (17.20-23)

Où en sommes-nous, nous, disciples de Jésus au 21e siècle ? Nous devrions être connus pour notre unité et notre espérance confiante, car, tout comme Jésus, nous ne sommes « pas du monde » (17.14). Si nous croyons vraiment que Jésus est ressuscité et que nous nous imprégnons de cette réalité, cela devrait contribuer à calmer nos craintes et notre l’anxiété sur des sujets tels que les problèmes économiques, les remous politiques et l’agitation qui nous entourent. Pour le monde qui nous regarde, les disciples de Jésus devraient se distinguer comme des artisans de paix : des bâtisseurs de ponts qui s’engagent à aimer plutôt qu’à mépriser leurs adversaires — et même leurs ennemis.

Une de mes amies a un jour été stoppée net dans son élan par un non-croyant. Après l’avoir écouté lui expliquer sa foi, il lui a dit ceci : « Mais tu n’agis pas comme si tu croyais que Dieu est vivant. »

J’essaie pour moi-même de transformer cette accusation en question : Est-ce que j’agis comme si Dieu était vivant ? C’est une bonne question qu’il me faut me poser chaque jour à nouveau.

Philip Yancey est l’auteur de nombreux livres, dont, plus récemment, ses mémoires intitulées Where the Light Fell.

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