Theology

Dieu pourvoit parfois par le Prozac

Mon combat contre la dépression post-partum a élargi ma vision de la façon dont Dieu peut prendre soin de nous.

Christianity Today January 16, 2025
Edits by Christianity Today / Source Image: Unsplash

Les hormones de la grossesse et du post-partum font tourner le monde. Mais si elles permettent de faire naître et préserver la vie, elles peuvent aussi ébranler le monde intérieur de certaines mamans.

Les hormones sont en principe gardiennes de notre santé mentale, mais les miennes ont chaviré après la naissance de mes deux filles. Prendre soin d’un nouveau-né n’est déjà pas évident pour celles qui ont un niveau d’œstrogène et de progestérone normal. C’est bien pire lorsque celui-ci est déréglé.

Mes deux filles, Elaine et Olivia, sont les prunelles de mes yeux. Mais les premiers jours après chaque naissance furent un véritable cauchemar. J’étais submergée par une panique glacée jusqu’à perdre le sens de la réalité et me couper d’un monde aux rythmes normaux et paisibles.

Je ne me souviens pas m’être tenue au-dessus du berceau de mes filles bébés pour veiller sur elles. J’étais obnubilée par mon propre sommeil, ou son absence. Je m’enveloppais dans les draps, enviant mon mari qui dormait profondément. Je me sentais complètement isolée, abandonnée. J’essayais de dormir partout, n’importe où. Sous mon bureau. Sur le sol. Dehors dans ma petite berline. Loin du berceau.

Pendant la journée, je vivotais, mais chaque soir, au coucher du soleil, mon anxiété montait en flèche. Le monstre du « et si » envahissait ma tête : Et si je n’arrive pas à dormir, si je m’effondre. Et si je ne m’occupe pas comme il faut de mon bébé… et si je déçois tout le monde ? À toute heure, je me demandais si je verrais un jour mes filles rire et courir ensemble dans le jardin, les cheveux au vent.

La première fois, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. J’avais entendu parler de dépression post-partum, mais pas d’angoisses. Ma grossesse s’était déroulée sans encombre et j’ai accouché naturellement d’une merveilleuse petite fille en bonne santé. Elle ne souffrait pas de coliques. Mon mari était présent et me soutenait. Notre famille était ravie de cette nouvelle petite vie. Pourquoi étais-je si angoissée ? J’avais toutes les raisons de nager en plein bonheur, et je m’en sentais d’autant plus coupable.

Bien sûr, des antécédents plus sombres et complexes pouvaient expliquer certaines choses. Une relation difficile avec ma propre mère renforçait ma peur de devenir une maman instable. Mais, même si cet élément avait pu permettre de prédire mes insomnies et mes crises de panique post-partum, cela ne suffisait pas à expliquer la situation dans laquelle je me trouvais. Dans mon être intérieur se livrait comme une lutte entre la raison et l’esprit, me plaçant en tension constante entre la pulsion de prendre soin de cette nouvelle vie et celle de mettre fin à la mienne.

J’avais besoin d’une aide médicale, mais il y avait un problème : dans mon esprit, employer un produit chimique pour faire ce que seule la Croix était censée faire témoignait d’un manque de confiance en Jésus. Ma foi s’était épanouie dans une église qui interdisait la consommation d’alcool et de drogues psychotropes et où les sermons exaltaient une « vie chrétienne propre ». L’alcool et l’herbe étaient en contradiction avec les choses de Dieu.

Éphésiens 5.18 était souvent invoqué : « Ne vous enivrez pas de vin, qui est un excès, mais soyez remplis de l’Esprit ». Cela me convenait parfaitement, car j’avais grandi dans l’ombre de l’alcoolisme. Mon grand-père n’était épisodiquement sobre que grâce à la surveillance étroite de ma grand-mère.

Pendant une grande partie de ma vie, la réponse évidente à toute addiction était une théologie fondamentaliste. C’est dans cet état d’esprit que j’ai découvert, lors de vacances en Italie, l’œuvre décalée de Damien Hirst. À Venise, nous nous baladions dans une petite galerie d’art, et là, dans une ville regorgeant d’icônes religieuses, nous sommes tombés sur ce qui semblait être un sanctuaire dédié aux produits pharmaceutiques.

Partout, il y avait des symboles chrétiens décorés de pilules de toutes les formes et de toutes les couleurs. Les murs étaient recouverts des affiches d’un chemin de croix évoquant des moments spécifiques du récit biblique avec des versets juxtaposés à des flacons de produits en tous genres. Dans chaque œuvre, la méditation était visuellement associée à la promotion de médicaments de marque. Et au milieu de tous ces étalages trônaient des crânes humains laqués de couleurs vives.

C’est pourtant une pièce relativement discrète qui m’a le plus marquée et qui est restée gravée dans ma mémoire : une simple croix en bois de cèdre avec des pilules figées, en son centre, dans de la résine.

À ce moment de mon histoire personnelle, des années avant mes troubles liés au post-partum, j’avais deux façons différentes, mais tout aussi valables d’interpréter cette œuvre d’art. La première était évidente : elle démontrait le pouvoir avilissant de la religion. Je voyais là une représentation artistique de la déclaration de Karl Marx : « La religion est l’opium du peuple ».

Lorsque Dieu devient une idée ou un système de croyances plutôt qu’un être aimant et actif, nous finissons par utiliser ce dieu pour nous protéger de la réalité. En ce sens, l’œuvre d’art m’accusait. Dans mes jeunes années de foi, je me servais de la religion pour me distancier de la douleur des relations familiales.

L’autre interprétation me portait à voir comment certains produits pharmaceutiques, si légale et médicalement nécessaire que puisse être l’altération de l’esprit qu’ils offrent, étaient devenus un substitut de Dieu dans la société contemporaine. Après tout, qui a besoin de la prière, d’une communauté et d’un abandon confiant lorsque le Valium peut faire disparaître toute douleur et toute solitude ? Qui a besoin du secours salvateur de Christ quand on a des pilules contre l’anxiété ?

Et même si, à ce moment de ma vie, je comprenais bien certaines raisons médicales légitimes de prendre des analgésiques, des sédatifs et des antidépresseurs, je n’arrivais pas à les dissocier de l’abus d’alcool dont j’avais été témoin dans mon enfance. En quoi une personne qui, en proie à l’anxiété, ouvre un flacon de pilules était-elle différente d’une personne qui ouvre une bouteille d’alcool ?

Aujourd’hui, cependant, je contemple le crucifix de Damien Hirst d’un tout autre œil. Plus qu’un réquisitoire ou un avertissement, il est devenu pour moi symbole d’espoir. Mais ce n’est qu’après qu’une immense souffrance, sublimée par l’Esprit saint, que ma vision a changé. Il m’a fallu pour cela expérimenter le même genre d’effondrement intérieur qui pousse les gens à boire et à s’anesthésier.

Je me souviens d’une nuit où, en proie à l’angoisse, j’ai essayé d’éloigner mes pulsions à me faire du mal en me concentrant sur une image mentale. Le mieux que j’ai pu faire est d’imaginer que, de ma propre main, je découpais des mini-croix dans ma chair. Encore et encore, j’ai fait le signe de croix et, finalement, j’ai pu m’endormir — une rare victoire.

Tout ce que je voulais, c’était un repos bienfaisant qui me permettrait d’être une maman à la hauteur de son nouveau-né. Mais, comme la grâce elle-même, le sommeil se dérobe à mesure que nous nous efforçons de le saisir. Et cela nous rend tout simplement fous.

Je ne savais pas comment m’aider moi-même. Ce que je savais, ce que l’on m’avait appris dans mon enfance, c’était de m’en sortir par la honte de soi. Mais la honte est à l’anxiété ce que l’essence est au feu. Quand je regarde en arrière, je vois bien cette triste ironie que ce que je craignais le plus — échouer en tant que mère — serait précisément arrivé si j’avais écouté la voix du désespoir et mis fin à mes jours.

J’ai passé des journées entières à prier — des prières on ne peut plus sincères et bruyantes, au point parfois de déranger les voisins. J’étais entourée par ma communauté et me suis appuyée sur ma famille comme je ne l’avais jamais fait auparavant. Un merveilleux thérapeute chrétien m’a enseigné des techniques de thérapie cognitivo-comportementale. J’ai même trouvé un naturopathe chrétien qui m’a prescrit des compléments alimentaires pour revitaliser mon corps épuisé.

Après des semaines d’insomnie et de crises de panique, j’avais gagné quelques batailles importantes. Mais dans l’ensemble, j’étais en train de perdre la guerre. J’avais besoin d’une aide médicamenteuse.

En fin de compte, ma bataille contre les troubles mentaux du post-partum est devenue une invitation à une vie spirituelle plus profonde. J’ai dû affronter ma peur viscérale d’un monde matériel où les produits chimiques peuvent nous détruire. Et j’ai fini par accepter que le matériel, le chimique et le physique pouvaient aussi nous sauver.

J’avais grandi en lisant les Écritures affirmant l’incarnation de Jésus et son importance pour notre salut, mais je ne l’avais pas encore intégrée dans ma propre vie.

Le fait que Dieu embrasse le monde matériel par l’intermédiaire du Christ incarné a toujours été un point délicat dans l’histoire de l’Église. Les controverses christologiques du quatrième siècle en témoignent. Arius et Apollinaire, par exemple, n’acceptaient pas que Jésus fût pleinement humain à tous égards (cf. Hé 2.14-17).

En réponse à leur hérésie et d’autres de cette époque, Grégoire de Nazianze expliquait que seule l’humanité holistique du Christ peut expier notre péché et tous ses effets, car « ce qui n’est pas assumé n’est pas guéri ». En d’autres termes, Jésus devait devenir pleinement humain pour guérir pleinement notre humanité brisée.

Je n’avais pas seulement besoin que Jésus fortifie mon esprit dans ces moments de crise — j’avais aussi besoin qu’il guérisse mon corps. Et cette guérison, qu’elle survienne par des moyens surnaturels ou naturels, vient du Christ. Car nous savons que toute chose bonne et parfaite vient de lui (Jc 1.17).

Lentement, avec l’illumination de l’Esprit saint, j’ai commencé à voir mes anxiolytiques comme un signe de la providence de Dieu envers mon corps créé bon, et non plus comme un signe de la faiblesse de ma foi. Jésus a pleinement vécu dans corps physique. Nous devrions faire de même.

Aujourd’hui, je brosse les cheveux de mes filles et je les regarde se brosser les dents. Elles ont du mal à rester calmes pendant ce rituel et, dès qu’elles ont fini, elles se précipitent en courant hors de la salle de bain. Je les entends rigoler pendant que je remplis un verre d’eau et que je prends mon Prozac.

Je l’avale, et je vis ce moment comme une sorte de sacrement béni — une reconnaissance de mon corps créé par Jésus, et qui sera un jour complètement guéri, comme son corps ressuscité.

Katherine Lee est une poétesse. Elle travaille à un mémoire sur la façon dont les femmes de sa famille ont déterminé sa maternité. Son master en théologie a éclairé ses recherches de manière surprenante.

Traduit par Anne Haumont

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