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Parcours de vie : Jimmy Carter, politicien, cultivateur d’arachides et chrétien

Le baptiste originaire de Géorgie défiait les catégories par son témoignage évangélique et sa politique progressiste.

Jimmy Carter
Christianity Today December 30, 2024
Illustration by Christianity Today

L’ancien président Jimmy Carter, un évangélique qui parlait ouvertement de Jésus et d’aspiration à la justice, avait occupé la Maison-Blanche de 1977 à 1981. Il est décédé dimanche 29 décembre à son domicile de Plains, en Géorgie, à l’âge de 100 ans.

Il aura été le président états-unien à la plus grande longévité. Jusqu’à la fin de sa vie, il a continué à enseigner l’école du dimanche et à faire du bénévolat pour Habitat for Humanity dans son État d’origine, la Géorgie.

Ayant grandi dans le Sud profond tout en étant partisan de l’égalité raciale, cet évangélique théologiquement conservateur était porteur d’un programme politique progressiste. Ces paradoxes, qui handicapèrent parfois sa politique, ont fait de Carter l’une des figures évangéliques les plus fascinantes de notre époque.

En 1976, le magazine Playboy publiait une interview devenue célèbre de celui qui était à l’époque candidat démocrate à la présidence. Ceux qui lurent réellement cette interview controversée discernèrent aisément la piété de Carter.

Mais le climat politique tendu ne laissait entrevoir que deux options. Les experts non croyants tournèrent en dérision sa pudique confession d’être parfois aux prises avec « l’adultère dans mon cœur » et craignirent d’avoir à faire à un « plouc baptiste en ligne directe avec Dieu ». Les chrétiens conservateurs, eux, décrièrent son utilisation de l’expression « baiser », mais déplorèrent surtout le fait que Carter ait accordé une interview à un magazine pornographique. Il était à l’époque difficile pour beaucoup d’imaginer cela de la part d’une personne prétendant avoir la stature morale pour diriger les États-Unis.

L’interview faillit lui coûter l’élection. Quatre ans plus tard, toujours pris entre ces deux mondes, il perdit sa réélection. En réalité, la nature disputée de la carrière présidentielle de Carter n’était pas nouvelle.

Un enfant de la campagne

L’enfance de Carter l’avait préparé à défier les catégories. À bien des égards, Plains, en Géorgie, était une ville typique du Sud pendant la Grande Dépression. La région n’était guère prospère, et Carter grandit dans une maison sans eau courante, sans électricité et sans isolation. Le milieu est politiquement conservateur, et de nombreux Blancs rejoignent la très conservatrice John Birch Society. La ségrégation raciale est également la règle. Lorsque le jeune Carter et ses amis noirs s’approchaient de la porte du pâturage pour aller chasser ou pêcher, ces derniers faisaient toujours un pas de côté pour laisser le futur président passer le premier, dans un acte de déférence raciale.

Plains était également imprégné de culture évangélique conservatrice. Carter passa son enfance à essayer de ne pas jurer. Il fréquentait une église baptiste du Sud où il se convertit avant de, plus tard, reconsacrer sa vie au Christ. Jeune adulte, il effectua des voyages missionnaires en Pennsylvanie et dans le Massachusetts. En tant que président, Carter témoignait auprès de dirigeants étrangers, les exhortant à « accepter Jésus-Christ comme leur sauveur personnel ». Cette préoccupation pour l’évangélisation remontait à son enfance.

Mais Plains commençait à s’ouvrir au monde. Carter est le premier président à être né dans un hôpital. Il ira à l’Académie navale d’Annapolis et deviendra ingénieur en sous-marins nucléaires. À quelques kilomètres de là, à Americus, en Géorgie, se trouve la ferme interraciale Koinonia. Sa mère très croyante transgresse les frontières raciales et se présente comme féministe. Andrew Young, un éminent militant des droits civiques, dira plus tard : « Tous les libéraux avec lesquels j’avais travaillé devenaient nerveux dans une pièce remplie de Noirs, mais pas Jimmy Carter. »

Peu de temps après le début d’une carrière prometteuse dans la marine en tant qu’ingénieur, Carter défie les souhaits de sa jeune épouse et les plans de ses supérieurs pour son avenir. Il retourne à Plains pour y cultiver des arachides. Il réussit de façon spectaculaire à redresser l’entreprise familiale. Il entame ensuite une longue carrière au service de la collectivité. Il rejoint — puis dirige — des associations agricoles. Il sert comme gouverneur de district de l’organisation philanthropique Lions Club. Il siège courageusement au conseil d’éducation du comté de Sumter alors que le mouvement des droits civiques prend de l’ampleur, œuvrant pour l’égalité et l’intégration dans les écoles publiques.

Carter subit d’énormes pressions pour rejoindre le Conseil des citoyens blancs dans le sillage de l’arrêt Brown v. Board, qui, en 1955, déclarait la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques. Un groupe d’hommes vint solliciter Carter à son entrepôt, lui affirmant que tous les hommes blancs adultes de la communauté s’étaient engagés, sauf lui. Malgré la menace d’un boycott contre son commerce, un Carter en colère sortit 5 dollars de sa poche et déclara : « Je vais prendre ça et le jeter dans les toilettes, mais je ne rejoindrai pas le Conseil des citoyens blancs. »

C’est le désir de justice qui poussa Carter à se lancer dans la politique. Dans sa campagne pour le Sénat de Géorgie, il expliquait qu’il voulait « établir la justice dans un monde pécheur ». Héritier de Niebuhr dans son réalisme, il exprime une piété évangélique chaleureuse, un fort conversionisme et une conviction de l’importance de la séparation de l’Église et de l’État.

Son église baptiste du Sud, cependant, n’est pas aussi convaincue de la valeur de ce genre d’engagement. « Pourquoi donc voudriez-vous vous impliquer dans les basses combines de la politique ? » lui demandera un prédicateur de passage. Essayant de communiquer l’ampleur de son ambition, Carter répondit : « Que diriez-vous d’être le pasteur d’une Église de 75 000 membres ? »

Mais le jeune politicien, alors âgé de 39 ans, apprend rapidement à quel point la politique peut devenir nauséabonde. Après avoir perdu l’élection, Carter découvre que 117 électeurs s’étaient alignés précisément dans l’ordre alphabétique pour déposer leur bulletin de vote. Il s’avéra que beaucoup d’entre eux étaient morts, vivaient hors de l’État ou en prison. Avec la persévérance obstinée qui caractérisera sa carrière politique, Carter enquêta. Le résultat fut inversé.

Mais l’homme politique n’était pas un saint. Si beaucoup ont vanté son travail efficace, plein de compassion et persévérant au fur et à mesure qu’il gravissait les échelons politiques, un pragmatisme sordide a parfois aussi transparu.

Lorsque Carter se présente au poste de gouverneur en 1970, ses conseillers (se désignant eux-mêmes comme « stink tank », littéralement « réservoir de puanteur », jouant à partir de l’expression « think tank ») mènent une campagne répugnante. Dans un racisme flagrant, ils utilisent une photo de son adversaire libéral Carl Sanders fêtant avec les membres noirs des Hawks d’Atlanta après une victoire en championnat.

La photo était destinée à salir Sanders en l’associant à l’alcool et aux Afro-Américains. Bien que cette bassesse n’ait pas atteint le niveau de celle de nombre de ses rivaux, il n’en s’agissait pas moins d’une utilisation sans détour de ce que certains appelèrent la « stratégie du Sud », visant à gagner les voix des ségrégationnistes.

Le soutien d’une « minorité morale »

Mais là n’était pas le sujet le plus important lorsque Carter se profile au niveau national. « Vous n’aimerez pas ma campagne », avait dit Carter à Vernon Jordan, président de la National Urban League qui militait pour les droits civiques, « mais vous aimerez mon administration ».

Son administration rafraîchissante en tant que gouverneur constitue alors un modèle racial éclairé pour le Nouveau Sud. De plus, Carter apparaît comme un exemple de rectitude morale par rapport à la grossièreté de Johnson et la corruption de Nixon.

Il prend place sur l’estrade de Billy Graham lors de la croisade d’Atlanta en 1973 et témoigne fréquemment de sa foi. Devant une convention de méthodistes, le gouverneur déclare : « Je suis un cultivateur d’arachides et un chrétien. Je suis un père, et je suis un chrétien. Je suis un homme d’affaires et un chrétien. Je suis un politicien et un chrétien. Le facteur le plus important dans ma vie personnelle, c’est Jésus-Christ. »

Ce langage n’était pas courant chez les hommes politiques de l’époque et il séduit une grande partie des évangéliques qui soutiennent sa candidature à la Maison-Blanche en 1976. Ses propositions centristes sur la réforme énergétique, l’environnement, le canal de Panama et les pourparlers de paix au Moyen-Orient, par exemple, renforcèrent sa position aux yeux d’une coalition grandissante d’évangéliques progressistes qui avaient protesté contre la guerre du Viêt Nam, œuvré pour la justice raciale et voté pour le démocrate George McGovern en 1972.

Mais la plupart des évangéliques étaient simplement ravis qu’un croyant né de nouveau et parlant ouvertement se présente à la présidence. Des évangéliques qui n’avaient jamais voté auparavant votèrent pour Carter. Des évangéliques qui n’avaient jamais fait campagne pour un candidat firent campagne pour lui.

Dès que Carter obtient l’investiture démocrate, des éloges en son honneur fleurissent dans divers magazines et ouvrages évangéliques. Deux jours après la clôture de la convention qui l’investit, plusieurs annonces pleine page en sa faveur paraissent dans Christianity Today. La première exhortait les lecteurs évangéliques à acheter un livre qui venait de sortir, intitulé The Miracle of Jimmy Carter (« Le miracle de Jimmy Carter »).

Un autre supporter dessina une affiche devenue populaire représentant Carter avec de longs cheveux flottants et vêtu de vêtements d’époque biblique avec la légende « J.C. Can Save America » (« J. C. peut sauver l’Amérique »). L’affiche laissait ainsi entendre que Jimmy Carter serait un substitut politique de Jésus-Christ lui-même.

Carter combinait une rhétorique évangélique populiste avec la peur d’États-Unis déclin, ce qui eut un grand effet sur les évangéliques, qui se sentaient en marge de la culture dominante. « Je suis un outsider et vous aussi. J’aimerais nouer une relation intime avec le peuple de ce pays », répéta souvent Carter pendant la campagne. « Quand je serai président, ce pays sera à nouveau à nous. »

Les évangéliques contribuèrent à une solide victoire du démocrate sur Gerald Ford. Cette campagne reflétait la nature politiquement bipartisane du milieu évangélique jusqu’au milieu des années 1970. Il n’était pas encore acquis que les évangéliques se mobiliseraient davantage à droite qu’à gauche. Le parti républicain était dominé par des élites non croyantes, dont les oligarques ne se sentaient guère obligés de se plier aux désirs des conservateurs religieux.

La confrontation à la « Moral Majority »

La présidence de Carter ne concrétisa cependant pas les promesses de sa campagne. Des événements indépendants de sa volonté — notamment une économie stagnante, une inflation élevée et des crises diplomatiques en Afghanistan et en Iran — limitèrent ses possibilités d’action et sabordèrent sa campagne de réélection.

De plus, il perdit le soutien des évangéliques. Ayant bénéficié d’un large appui évangélique en 1976 sans avoir systématiquement fait campagne en ce sens, Carter ne parvint pas à maintenir son électorat religieux le plus substantiel. Les évangéliques observèrent que Carter n’organisait pas de services religieux à la Maison-Blanche et ne nommait pas des conservateurs religieux à des postes élevés.

Mais surtout, ils n’apprécièrent pas que Carter semble captif d’un parti démocrate qui s’orientait vers la gauche culturelle, notamment sur l’avortement. Généralement considéré comme une préoccupation catholique à cette époque, l’avortement ne devint une question centrale pour les évangéliques qu’à la fin des années 1970. Les badges « Avortez Carter » se multiplièrent à mesure que des évangéliques jugeaient insuffisante l’approche de Carter, qui s’opposait personnellement à l’avortement, mais se montrait politiquement favorable à une certaine libéralisation.

Les équivoques de Carter sur l’avortement offensèrent aussi de plus en plus la gauche politique. En fin de compte, il se retrouva pris entre deux groupes d’électeurs en désaccord sur une longue liste de questions : la prière à l’école, la taxation des écoles privées et l’amendement sur l’égalité des droits. De nombreux dirigeants évangéliques lui retirèrent amèrement leur soutien. Après une conférence de la Maison-Blanche sur la famille en 1979, Jerry Falwell accusa Carter de ne pas vouloir défendre la « famille traditionnelle » et de faire partie des « dirigeants impies et mous » qui laissaient « l’Amérique dépravée, décadente et démoralisée ».

Carter, et plus largement la gauche évangélique, eurent le grand malheur d’émerger à une époque de durcissement des structures des partis et de préoccupation accrue de renforcement des orthodoxies culturelles de chaque bord. En 1980, une grande partie de son électorat évangélique se rallia à Ronald Reagan, un acteur hollywoodien deux fois divorcé.

L’ironie de tout cela est que Carter lui-même contribua à catalyser cette mobilisation politique en ayant réveillé un électorat évangélique auparavant plutôt passif. L’évangéliste progressiste Ron Sider exprimait ainsi sa déception : « nous appelions à l’action sociale et politique, et nous avons eu huit ans de Ronald Reagan. »

Un géant de l’humanitaire

Carter quitta la Maison-Blanche avec la réputation d’un microgestionnaire bien intentionné, mais finalement inefficace. Par la suite, cependant, divers spécialistes ont remis en avant son impressionnant travail en faveur de la restitution du canal de Panama, des accords de Camp David, de la limitation des armes nucléaires, de l’amendement sur l’égalité des droits, et pour les droits de l’homme en Rhodésie, en Ouganda et dans de nombreux pays d’Amérique latine.

Sa carrière post-présidentielle, elle, n’eut guère besoin de réhabilitation. Jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans, Carter, que son biographe Randall Balmer a décrit comme un « homme sans cesse actif, consumé par une sorte de bienveillance frénétique », fut un fervent soutien de l’organisation Habitat for Humanity, issue de la ferme Koinonia. Le Centre Carter, fondé peu après qu’il ait quitté ses fonctions, chercha à lutter contre les violations des droits de l’homme, à éradiquer les maladies et à réconcilier les parties en guerre en Haïti, en Guyane, en Éthiopie, en Corée et en Serbie. Ses efforts lui ont valu le prix Nobel de la paix en 2002.

James Laney, l’ancien président de l’université Emory, qui abrite le centre, déclara : « Jimmy Carter est la seule personne dans l’histoire pour qui la présidence a été un tremplin. »

En fin de compte, Carter reflétait les multiples dimensions d’un mouvement évangélique diversifié. Pour ceux qui sont convaincus qu’une théologie conservatrice aboutit nécessairement à une politique conservatrice, l’ancien président a montré que les évangéliques adoptent parfois des approches avant-gardistes sur les droits civils, l’environnement et l’égalité des sexes. La carrière politique de Carter a cependant aussi montré d’importantes limites. Un évangélique progressiste a peut-être atteint la plus haute fonction aux États-Unis, mais il fut dépassé lorsque les réactions de sa propre population paralysèrent sa présidence et sabordèrent l’éventualité d’un second mandat.

Les tensions endurées dans cette période de très forte exposition publique se résorbèrent largement par la suite. Le cours du temps, les succès humanitaires et l’image saisissante d’un vieil homme enseignant l’école du dimanche dans une région rurale de Géorgie ont offert à Carter la bénédiction d’un bel et long épilogue à sa remarquable existence.

David R. Swartz enseigne l’histoire à l’université Asbury et est l’auteur de Moral Minority: The Evangelical Left in an Age of Conservatism.

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