La manière dont sont conçus nos lieux de vie façonne notre manière d’interagir, de grandir ensemble et de nous aimer. Mais qui façonne ces lieux ?
Dans un sens large, nous le faisons tous. Le choix de notre lieu de vie et de notre façon de vivre, d’apprendre, de travailler et de pratiquer un culte influence le marché immobilier, la manière dont s’exercent les divers ministères et une certaine idée de ce qui est « juste » et « normal ». Mais certaines professions — urbanistes, designers urbains, architectes, promoteurs et agents immobiliers — jouent un rôle plus important et plus direct dans le développement de nos quartiers et de nos villes. Pour bien des chrétiens parmi eux, la foi est centrale dans leur travail, car elle les guide dans l’élaboration d’espaces propices à l’épanouissement des communautés urbaines.
Quatre professionnels chrétiens de ce secteur m’ont expliqué que l’endroit où nous vivons peut faire écho à la fois à la création et au renouveau à venir (Rm 8.18-25). Dans le monde fragmenté qui est le nôtre, ces lieux de vie peuvent favoriser l’émergence de communautés solides et durables. Les églises locales elles-mêmes peuvent être des modèles en matière de promotion d’un espace accueillant et attirant.
Les critères d’un bon aménagement urbain — beauté, fonctionnalité, développement communautaire, accessibilité — ne sont pas uniquement liés aux modes ou aux goûts des humains. Ils sont aussi un avant-goût de la terre nouvelle, une balise divine qui nous oriente vers une meilleure façon de vivre. Selon Chris Elisara, président du Congress for New Urbanism Members Christian Caucus, il ne faut pas perdre de vue que, dans la Bible, le monde à venir n’est pas décrit comme un jardin ou un village pittoresque, mais comme une ville (Ap 22.3). C’est dans une ville que culmine notre participation à la construction du royaume, me dit-il. Et c’est là que Dieu habitera à nouveau parmi son peuple.
En conséquence, la « construction du royaume » au quotidien par le biais de l'urbanisme et de l'aménagement des espaces ne doit pas être inconsidérée, insensible ou chaotique. Elle doit être soigneusement étudiée pour respecter la manière dont nous sommes appelés à vivre ensemble selon les Écritures. « Nous nous intégrons tous dans la création d’une manière spécifiquement conçue », poursuit Elisara. « C’est pourquoi, dans l’élaboration de nos plans, de nos architectures, nous devons montrer comment faire les choses d’une manière qui correspond à la vision que Dieu a de l’humanité ».
Dans A Theology of Cities, Tim Keller appelait à une vision marquée par le sceau du shalom de Dieu, favorisant notamment l’accessibilité à tous et les bonnes relations de voisinage. Une communauté résiliente s’épanouit lorsque l’environnement bâti encourage les rencontres spontanées, facilite les rassemblements et invite à la flânerie. C’est ce que l’architecte et urbaniste Mel McGowan appelle la facilitation des « connexions horizontales ».
« Lorsque je regarde les instructions données par Christ d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain, elles sont toutes deux relationnelles », dit Michael Watkins, urbaniste et architecte. « Et je suis certain que nous pouvons concevoir un environnement bâti qui nous permette d’être plus relationnels ». Dans son travail, cela signifie créer et développer des quartiers et structures qui encouragent les usages mixtes, les modes de vie intergénérationnels et les déplacements à pied.
Il est plus facile d’apprendre à connaître son voisin lorsqu’on le voit chaque jour dans son jardin ou dans la file d’attente du magasin du coin. Il est plus facile de se lier d’amitié avec une famille que l’on voit au parc plusieurs fois par semaine. De même, il est plus facile de vivre la communauté chrétienne en vivant géographiquement proches les uns des autres et pas seulement spirituellement et sentimentalement.
Mais il ne faut pas non plus oublier la connexion verticale. Sara Joy Proppe y travaille. Ancienne promotrice immobilière et fondatrice de Proximity Project, elle explique que le bâti est un élément essentiel « de ce qui nous façonne en tant qu’êtres humains — Dieu l’a créé pour qu’il serve de cadre à nos histoires ».
Et une partie de son travail consiste à aider les églises à bien utiliser leurs terrains et bâtiments. Grâce à ses conseils, plusieurs communautés ont transformé des surfaces inutilisées en jardins communautaires, en parcs pour chiens, en sentiers de promenade et autres espaces publics à petite échelle, favorisant une vie de quartier organique. « J’ai vraiment à cœur de guider l’Église vers une gestion active de ses biens pour qu’elle prenne sa place dans la localité », dit-elle. « L’environnement bâti est un réel canal de vie pour l’Évangile. Et je pense que c’est quelque chose que les églises ont du mal à voir clairement. »
Le design même d’une église peut avoir un impact important — bien que souvent discret — sur la vie d’une ville. Historiquement, les églises de zones plus denses et plus urbaines étaient souvent le point d’ancrage d’un pâté de maisons ou d’un quartier. Elles étaient donc construites à un endroit bien en vue, par exemple au coin d’une rue ou à l’avant-plan d’une petite place publique. La vie du quartier, à la fois séculière et sacrée, se déroulait autour et à l’intérieur de l’église. Orienter physiquement la vie locale autour de l’église était un pari sûr, car, comme l’écrivent Chris Elisara et Chris Ives, professeur de géographie, les églises tendent à être « obstinément dévouées » à leur voisinage.
Mel McGowan a étudié la manière dont les églises et autres lieux de culte s’intégraient dans la conception des villes des siècles passés. L’étude sur le terrain lui a montré que les substituts modernes et laïques aux églises traditionnelles — grandes surfaces commerciales et complexes cinématographiques — n’ont tout simplement pas le même impact. « Nous essayions littéralement de recréer ce type d’urbanité européenne à échelle humaine, mais c’est toujours l’espace sacré qui était le point central » de ces anciennes communautés, explique-t-il.
Une grande surface ou une de salle de cinéma peuvent faire l’affaire, mais elles ne donneront jamais à la vie locale le même ancrage spirituel à long terme, ni la même transcendance.
Avec l’Amérique d’après-guerre qui a centré la conception de ses quartiers résidentiels et de ses bâtiments cultuels sur les banlieues et l’usage de la voiture, peu vivent aujourd’hui dans un quartier construit autour d’une église. Les communautés ont tendance à avoir de grands parkings situés sur des terrains encore plus grands. Et ces espaces, utiles le dimanche matin, restent souvent vides (ou à peine utilisés) les six autres jours de la semaine.
Mais il est possible de réfléchir à la manière de faire bon usage de ces espaces, même en n’étant pas actifs dans le domaine de l’urbanisme. Tous, nous sommes appelés à « cultiver et garder » notre monde (Ge 2.15), ce qui inclut nos lieux de culte et les espaces qui les entourent. Comment pouvons-nous les rendre plus beaux et plus utiles, qu’ils soient en milieu urbain, suburbain ou rural ? Comment pouvons-nous en faire des lieux qui reflètent, selon l’expression de Chris Elisara, « ce que signifie être pleinement humains comme Dieu voulait que nous le soyons » ?
Viser une plus grande densité et une variété d’usages est souvent un bon point de départ. Des espaces plus denses, conçus pour être relationnels, permettent d’expérimenter à la fois les joies de la communauté et ce qui est encore « à sanctifier », comme les désagréments du vivre ensemble, l’égoïsme des uns et les travers des autres. Les églises qui disposent d’un terrain ou de salles inoccupées peuvent envisager de mettre ces espaces à la disposition de la population pour l’aide à l’enfance, l’éducation ou le logement abordable. Ou même en faire un « village urbain ».
Au-delà de cette optimisation de l’usage des biens des églises, Chris Elisara conseille aux chrétiens de plaider activement pour les politiques qui soient les plus favorables à leur quartier et à leur ville, avec des rues plus sûres, plus d’alternatives pour la construction de logements et de meilleures options de transport. Les revendications seront différentes pour les chrétiens qui vivent dans la périphérie ou à la campagne, mais, quelle que soit la densité de nos environnements bâtis, ils façonnent nos vies. Et même si nous ne le remarquons pas, ils façonnent aussi notre foi.
Rabekah Henderson est une écrivaine qui met en relation la foi, l’architecture et le monde bâti qui nous entoure. Elle vit à Raleigh, en Caroline du Nord, et a été publiée dans Mere Orthodoxy, Common Good et Dwell.
Traduit par Anne Haumont