La condamnation de Trump pour crime est entourée de confusion morale

Tant parmi les opposants au candidat républicain que parmi ses partisans, il est courant d’entendre appeler le mal bien et le bien mal.

Des partisans et des opposants à l’ancien président américain Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan.

Des partisans et des opposants à l’ancien président américain Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan.

Christianity Today June 3, 2024
Timothy A. Clary/Getty

Jeudi dernier, la page d’accueil du site du New York Times annonçait la condamnation de Donald Trump pour 34 chefs d’inculpation avec un large titre en lettres noires rappelant de vieux journaux jaunis annonçant le déclenchement de la guerre. « TRUMP COUPABLE SUR TOUS LES POINTS », pouvait-on lire au-dessus d’une photo de l’ancien président, l’air fatigué, dans un espace public bondé.

En faisant défiler la page, on pouvait trouver des liens vers un article soulignant le caractère historique de ce moment et vers un autre article détaillant chacun des 34 chefs d’accusation. Sur la page d’accueil, le titre du premier et le résumé du second formaient une étrange juxtaposition. « Donald Trump devient le premier président criminel des États-Unis », pouvait-on lire, et en dessous, une liste à puces : « 11 chefs d’accusation concernant des factures, 12 chefs d’accusation concernant des écritures comptables, 11 chefs d’accusation concernant des chèques. » Des factures ? Voilà qui ne ressemble pas vraiment au crime du siècle.

Ceci met en évidence le problème central des réactions les plus courantes à ce verdict dans notre discours politique : tant parmi les opposants à Trump que parmi ses partisans, il est courant d’appeler le mal bien et le bien mal (Es 5.20).

Je peine à y voir de la simple malhonnêteté. Les réactions les plus animées que j’ai observées n’étaient pas calculées, bien au contraire. En dehors des cercles plus intellectuels, ces réactions ressemblaient surtout à des explosions spontanées de jubilation et de Schadenfreude, ou d’indignation et de ressentiment. Dans les deux camps, je pense que la plupart des gens considèrent sincèrement leurs réactions comme découlant d’une volonté de défendre la justice. Mais quand bien même les motivations seraient bonnes, on peut observer une certaine confusion morale.

Commençons par les opposants de Trump, qui se sont réjouis de l’annonce du verdict. Quelle est la nature exacte du crime ? Contrairement à l’inculpation de Trump en Géorgie [pour ses tentatives présumées d’inverser les résultats de l’élection de 2020], que je trouve moralement et légalement convaincante, les crimes dont Trump a été reconnu coupable à New York sont obscurs et éthiquement peu intuitifs.

Cette affaire a été couramment résumée comme concernant des paiements effectués par Trump pour dissimuler ses liaisons avec deux actrices pornographiques. C’est en partie cela, mais là n’est pas le crime condamné, car il n’est pas illégal d’avoir des liaisons avec des actrices pornographiques ou de payer pour garder secrètes des relations adultères.

En résumé, Trump a été reconnu coupable d’avoir violé une loi de l’État de New York interdisant la falsification de documents commerciaux afin de masquer sa violation délibérée de la loi fédérale sur le financement des campagnes électorales (ainsi que d’autres lois). Celle-ci l’aurait obligé à divulguer un processus de paiement en plusieurs étapes visant justement à dissimuler ses liaisons pour éviter que sa campagne présidentielle de 2016 ne soit affectée par la révélation publique de son infidélité.

Si ces falsifications de documents ont été classées comme crimes et non comme délits, comme le seraient habituellement ce type de faits, c’est donc parce que celles-ci sont censées avoir couvert cet autre crime — un crime pour lequel Trump n’a jamais été inculpé, et encore moins condamné.

Si cela vous semble à la fois alambiqué et étonnamment banal, vous n’êtes pas le seul. Lorsque le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, a rendu publiques les accusations pour la première fois l’année dernière, elles ont presque universellement été accueillies par des haussements de sourcils des principaux analystes, y compris parmi des expertsjuridiques orientés à gauche.

Politico, qui est loin d’être un brûlot pro-Trump, a qualifié l’affaire de « casse-tête ». Le commentateur de CNN, Fareed Zakaria, a décrit la situation comme « un cas où l’on juge la bonne personne pour le mauvais crime ». Andrew Prokop, de Vox, a argumenté en détail que, bien que Trump ne soit pas un « fervent partisan de l’État de droit » (ce qui est vrai), ce procès était également politisé : une large pêche aux informations aurait ensuite permis d’exploiter « une question obscure ou technique » en utilisant une nouvelle théorie juridique sous la conduite d’un opposant politique élu de l’accusé.

Tout cela me laisse dire que ce verdict ne mérite pas réellement d’être qualifié de « bon ». Peut-être est-il techniquement correct sur le plan juridique — je n’ai pas l’expertise nécessaire pour le dire. Mais même si tel est le cas, cette condamnation semble être le résultat d’une affaire motivée bien plus par des rivalités politiques que par un réel intérêt pour la justice et l’État de droit.

Nous ne savons pas encore quelle sera la sentence de Trump (celle-ci est prévue pour le 11 juillet), mais dans le cas improbable où il serait effectivement emprisonné pour ce crime non violent, une réaction de jubilation serait non seulement inconvenante, mais aussi injuste (Pr 24.17, 1 Co 13.6).

Passons maintenant aux partisans de Trump. L’ancien président a nié les accusations d’adultère et de tentatives de dissimuler ses méfaits. Mais il a déjà admis à plusieurs reprises au moins un de ces paiements et Rudy Giuliani en a également parlé publiquement lorsqu’il était l’avocat de Trump. Compte tenu de l’historique bien documenté de commentaires (et de séances photo) de l’ancien président à propos de sa sexualité, ses dénégations sont pour le moins questionnables.

Trump a passé des décennies à attirer naturellement et à se forger délibérément une réputation de « personne immorale, impure ou cupide » connue pour sa lubricité, ses « obscénités, ses propos insensés » et ses « plaisanteries grossières » — toutes choses, cela va sans dire, bien éloignées de « ce qui convient à des saints » (Ep 5.3-5). Quelqu’un croit-il ses dénégations concernant ses liaisons avec des stars du porno ?

Franchement, je doute que même ses électeurs les plus enthousiastes y prêtent foi. En toute transparence, Trump n’est pas un homme de bonne moralité. Il n’est pas le genre d’homme au sujet duquel ces accusations sembleraient invraisemblables. J’ai la chance de connaître de nombreux hommes d’un autre genre, tout comme vous, j’imagine. De telles accusations à leur encontre me surprendraient au plus haut point. Je peinerais à ne pas en rire. Mais Trump ? Ses paroles disent non, mais tout son personnage public dit oui. Tout cela est indigne et honteux. Le fait de nous y associer est de nature à corrompre notre caractère (1 Co 15.33-34).

En bref, il est peut-être exact de dire que Trump est victime d’une certaine injustice, comme l’affirment de nombreux républicains. Si l’on considère les questions juridiques, je tends à les rejoindre. Mais cela ne fait pas de lui un héros persécuté qui mériterait d’être suivi et défendu à tout prix. En considérant Trump sous l’angle de la morale, il devrait être très facile de voir que sa vie ne mérite pas d’être qualifiée de « bonne ».

En tant que chrétiens, nous confessons bien sûr qu’« il n’y en a aucun qui fasse le bien, pas même un seul », que « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et ils sont gratuitement déclarés justes par sa grâce, par le moyen de la libération qui se trouve en Jésus-Christ. » (Rm 3.12, 23-24)

En observant les difficultés rencontrées par Trump — certaines injustes, mais beaucoup causées par sa propre main — cette confession devrait nous éloigner de la jubilation ou de l’indignation, de la joie malsaine ou de la rancœur. Elle devrait nous inciter à l’humilité, à reconnaître que nous n’avons pas moins besoin de rédemption. Quel intérêt y a-t-il à ce que quelqu’un remporte une grande victoire judiciaire — ou même la présidence — tout en perdant son âme ?

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today.

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