Jésus renverserait-il la table de votre conseil ?

J’ai siégé au sein d’un conseil d’administration défaillant. Les chrétiens exerçant des responsabilités pourraient tirer des leçons de mes manquements.

Christianity Today May 7, 2024
Illustration de Jack Richardson

L’air de la pièce était chaud. Je fixais la table blanche immaculée devant moi, en prenant soin de ne pas lever les yeux, les muscles tendus. À ma gauche siégeaient des membres du conseil d’administration international de Ravi Zacharias International Ministries (RZIM), assis à la table ou présents par vidéo interposée. À ma droite, des avocats. L’un d’eux s’apprêtait à nous lire le rapport de 12 pages d’une enquête de plusieurs mois sur des accusations d’agression sexuelle à l’encontre du fondateur du ministère, Ravi Zacharias.

La tension était palpable. Même si cette obscurité correspondait à l’ambiance du moment, la salle de réunion semblait trop sombre ; certains d’entre nous n’étaient pas prêts pour la pleine lumière.

Mon expérience en tant que membre du conseil d’administration de RZIM a complètement changé la façon dont je vois le ministère aujourd’hui. Je pense que de nombreux conseils rassemblant des chrétiens sont défaillants, ou du moins très mal préparés aux défis auxquels ils peuvent être confrontés. Mon objectif est d’encourager la réflexion sur la manière d’y remédier.

En parlant de « conseils », je veux utiliser le terme au sens large. Vous et les personnes que vous connaissez ne siégez peut-être pas au conseil d’administration d’une organisation à but non lucratif de renommée internationale, comme RZIM à son apogée. Mais vous faites peut-être partie du conseil des anciens de votre communauté, d’un conseil diaconal, d’un conseil d’administration d’une œuvre locale ou d’un comité de recherche pastorale. Peut-être encore tentez-vous de soutenir l’école chrétienne de vos enfants ou aidez de manière informelle à diriger une banque alimentaire locale ou le comité de planification de l’école du dimanche à l’église.

Les leçons douloureuses que j’ai apprises peuvent s’appliquer à presque tous les types d’organismes de gestion d’un groupe, dans les contextes de ministère chrétien en particulier, mais aussi de manière plus générale. Cela dit, les besoins spécifiques et les circonstances varient. C’est la raison pour laquelle je partage ces leçons sous forme de questions que les chrétiens actifs dans un type ou un autre de conseil devraient sérieusement se poser, à eux-mêmes et à leurs collègues.

1. Les membres d’un conseil devraient-ils être tenus de suivre une formation continue ?

Non seulement j’étais mal équipée pour être membre de ce conseil d’administration, mais je n’étais pas préparée à l’assaut constant des crises qui allaient submerger cette organisation au fil de mon court mandat. D’après ce que j’ai pu observer, même les membres de longue date du conseil n’étaient pas préparés à ce qui semblait être une « situation sans précédent », l’expression à la mode pendant ces années-là.

Rétrospectivement, l’un des problèmes est qu’il ne s’agissait pas, en réalité, d’une situation sans précédent. Il arrive que des responsables engagés dans un ministère manquent à leurs devoirs. Il arrive que les signaux d’alarme ne soient pas remarqués ou, pire, délibérément ignorés. Comprendre les théories de la trahison institutionnelle et comment les personnalités abusives sèment le doute et attaquent verbalement leurs victimes tout en se défaussant de leur responsabilité m’a aidé à mieux comprendre la trajectoire de RZIM. Mais il aurait été beaucoup plus utile de savoir tout cela avant que les crises ne surviennent.

Si vous siégez dans un conseil, réfléchissez aux lacunes de vos connaissances qui pourraient limiter votre capacité à bien servir. Quelles sont les questions importantes qui reviennent régulièrement dans les réunions ? Quelles sont les autres perspectives dont vous pourriez avoir besoin pour comprendre les enjeux ? Êtes-vous simplement ouvert à apprendre et évoluer, ou véritablement désireux de le faire ? Comment pouvez-vous acquérir les connaissances et les compétences dont vous avez besoin pour servir fidèlement et encourager vos collègues à faire de même ?

2. Qui sont les membres du conseil ?

Le conseil d’administration de RZIM était composé en grande majorité de membres de la famille et d’amis de Ravi Zacharias. Ils étaient tous très investis dans le ministère et dans l’homme ; ils faisaient don de leur temps, de leur expertise, de leur argent et de leurs contacts en raison de cette relation personnelle. De mon point de vue d’observatrice extérieure, ils semblaient tous avoir des compétences très similaires. La loyauté était particulièrement valorisée.

J’étais un ajout inattendu à ce groupe et la première femme à siéger au comité de gouvernance. Je n’avais aucune relation avec Ravi. Je ne dirigeais pas une entreprise prospère et je n’avais pas une impressionnante liste de contacts. Cela me mettait dans une position extrêmement défavorable lorsque j’exprimais mes préoccupations. Les compétences que les autres membres du conseil voyaient comme utiles lorsque j’étais d’accord avec eux — ma volonté d’apprendre de nouvelles choses, mon empressement à écouter et ma capacité à m’exprimer sur les choses auxquelles je croyais — passaient pour un handicap lorsque nos opinions divergeaient.

Comment les membres de votre conseil sont-ils choisis ? Je ne parle pas seulement des procédures, qui sont certes importantes, mais souvent établies par des règlements ou des traditions dénominationnelles sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle. J’entends surtout par là les qualités et les compétences qui sont privilégiées au niveau de la culture du groupe. Tenez-vous compte des dons et de la maturité spirituelle ? Comment complétez-vous le panel au-delà des rôles principaux ? Êtes-vous à la recherche de personnalités inattendues qui pourraient vous offrir d’autres éclairages ?

3. Comment envisagez-vous le rapport à l’argent ?

Pour de nombreuses organisations à but non lucratif dans mon contexte, il est évident que la plupart des membres du conseil d’administration sont choisis pour leur capacité à faire des dons et à collecter des fonds. Après avoir passé du temps au sein de RZIM, je considère qu’il s’agit d’un dangereux mélange entre pouvoir et argent. La richesse ne peut pas être la mesure de l’engagement, de la foi ou de la contribution d’un responsable d’organisation. Cette manière de faire peut pousser les membres du conseil d’administration à une certaine arrogance et donner un sentiment de sécurité trompeur à l’équipe dirigeante. Lorsque les sièges du conseil d’administration ne sont occupés que par ceux qui assurent la stabilité financière du ministère, il y a une concentration des pouvoirs dans la structure qui peut conduire, et conduit souvent, à des relations malsaines.

Votre conseil néglige-t-il des membres potentiels parce qu’ils ne sont pas en mesure de faire des dons importants ? En êtes-vous inconsciemment venu à penser que plus une personne paraît importante, meilleure elle sera pour cette responsabilité ? Comment vous assurer de ne pas oublier la veuve et son simple denier et le fait que sagesse et richesse ne coïncident pas toujours ?

4. Comment votre conseil communique-t-il ?

La vérité et la transparence ont toujours été importantes pour moi, mais jamais autant qu’après mon passage dans RZIM.

L’organisation disposait d’un comité exécutif qui se réunissait en privé, à l’écart du conseil d’administration. Ce comité prenait toutes les décisions importantes et, si mon souvenir est bon, le conseil d’administration dans son ensemble n’a jamais reçu ou examiné leurs procès-verbaux au cours de mon année de service. Le comité envoyait des recommandations au reste du conseil d’administration et nos votes étaient fortement encouragés à être unanimes. J’ai observé — et on m’a dit — que l’abstention valait mieux qu’un vote négatif. Au fur et à mesure de l’évolution de la crise des abus, ce cloisonnement au sein du conseil d’administration a causé de graves problèmes, tout comme d’autres procédures « normales » de RZIM.

Votre conseil dispose-t-il de ce genre d’oligarchie secrète ? Le secret est-il la mesure par défaut ou l’exception dans votre organisation ? Est-il nécessaire d’invoquer un danger juridique pour que les membres du conseil fassent ce qui est nécessaire ? La protection fiscale de l’institution est-elle toujours prioritaire ? Les membres du conseil sont-ils en train de recycler les habitudes du monde à l’usage du ministère ? Êtes-vous prêts à dire toute la vérité, à vous-mêmes et aux autres, même si cela risque de créer du trouble ?

5. De quelle manière êtes-vous redevable de votre travail ?

Les membres d’un conseil sont censés veiller à la redevabilité institutionnelle des ministères qu’ils gèrent. Mais qui veille à la redevabilité du conseil ?

Au fur et à mesure que la saga RZIM progressait, nous avons entendu de nombreux appels à la démission du conseil d’administration de la part de donateurs et d’individus clés en dehors du cercle restreint. Le conseil d’administration n’a pas voulu démissionner. J’ai entendu des excuses telles que : « C’est nous qui devrions régler ce problème » ou « Si nous démissionnons, qui dirigera ? » Ce conseil n’est pas parvenu à écarter un prédateur sexuel de son organisation, mais a continué à rejeter les appels à la transparence, exigeant même l’anonymat pour lui-même, refusant la redevabilité la plus élémentaire qui soit, celle d’être nommé publiquement.

Avant qu’une crise ne survienne, il est essentiel de répondre aux questions suivantes : y a-t-il un certain point à partir duquel un conseil se montre généralement incapable de se corriger ? Que devrait-il se passer pour que des membres du conseil ne puissent plus siéger ? Un grave manquement public requiert-il une repentance publique ? Comment votre conseil s’autoévaluera-t-il ou se soumettra-t-il à une évaluation externe ? Concrètement, à quoi ressemble la redevabilité pour vous ?

6. Pour qui vous prenez-vous ?

Siéger au conseil d’administration d’un ministère international brassant plusieurs millions de dollars offre un certain statut. Lorsque les gens ont appris que je siégeais au conseil d’administration de RZIM, ils étaient impressionnés, curieux et fascinés par le pouvoir qu’ils percevaient en moi.

En interne, l’état d’esprit général du conseil était que Jésus avait besoin de nous pour faire ce travail. Les bannières Twitter affichaient fièrement des photos des membres du conseil d’administration apparaissant lors d’événements organisés par RZIM ou avec des célébrités liées à ce ministère. On pouvait lire des publications sur Facebook à propos du travail formidable que le conseil faisait pour le royaume. Nous avons eu droit à des dîners spéciaux, à des hôtels chics, à de belles installations et à un sentiment général de supériorité. Les réseaux sociaux étaient un beau moyen de mettre en avant nos réalisations, jusqu’à ce qu’il apparaisse qu’ils pouvaient aussi être un moyen d’exiger que nous rendions des comptes.

Les membres de votre conseil comprennent-ils bien l’attitude de service qui devrait être la leur dans l’exercice de cette responsabilité ? Dans quelle mesure fondent-ils leur identité dans leur place au sein de ce conseil ? Comment nous assurer que le pouvoir est toujours exercé de manière responsable, non seulement selon nos règles et procédures formelles, mais aussi dans nos cœurs ?

La devise officieuse de RZIM était qu’aucune question n’est interdite. En tant que membre du conseil d’administration, il m’est apparu clairement que tel n’était pas le cas. J’ai été directement confrontée à l’échec institutionnel. J’ai échoué, d’abord à croire les victimes, puis à aider à réformer un système défaillant.

Mais l’échec n’a pas à nous définir ; il doit plutôt nous permettre d’affiner les choses. Pour moi, cet échec a alimenté une passion pour aider les membres d’autres conseils à prévenir le type de dysfonctionnement et d’abus que nous n’avons pas empêché pour RZIM. Au lieu de se cacher et de se dédouaner de leurs responsabilités, les chrétiens qui exercent des responsabilités devraient pouvoir librement admettre et corriger leurs manquements institutionnels et personnels. Nous devrions être les premiers à reconnaître que le Dieu qui nous a offert un pardon plein et entier peut nous relever de chacun de nos manquements.

Les enjeux sont importants, mais les conseils ayant la responsabilité de nos divers ministères peuvent et doivent être un lieu où l’on observe les meilleurs exemples d’une réelle mentalité de service. Posez-vous donc la question : Jésus renverserait-il la table de votre conseil ?

Stacy Kassulke a une passion pour encourager les croyants à utiliser leurs dons afin de faire ce qui est juste au service de Christ et de son royaume. Elle a siégé au conseil d’administration de Ravi Zacharias International Ministries de février 2020 à mars 2021.

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