Propreté est sœur de sainteté.
Pardonne et oublie.
J’ai grandi au Texas dans une ville rurale conservatrice à majorité évangélique. Il m’est arrivé de rechercher dans ma bible certains proverbes utilisés couramment dans mon entourage. Je ne les ai pas trouvés. Petit à petit, je me suis rendu compte que la vie pouvait être plus compliquée que ce qu’en disent les dictons. Pourtant, je me surprends encore parfois à m’accrocher à un proverbe lapidaire avec l’ardeur spirituelle qui devrait être réservée aux seuls versets de la Bible.
Cela aussi passera.
Les voies de Dieu sont impénétrables.
À l’âge de neuf ans, je me suis avancée vers l’autel de mon église baptiste pour accepter Jésus-Christ comme mon Sauveur et Seigneur et je n’ai plus jamais regardé en arrière. J’ai été active dans Girls in Action, un groupe de filles chrétiennes engagées. J’ai participé aux grands quizz bibliques du « Bible Bowl » et ai été membre du groupe de jeunes de l’église charismatique de ma meilleure amie. J’ai fréquenté l’Université Baylor, une université chrétienne. Où que j’aille, j’étais toujours entourée de gens qui me ressemblaient, qui parlaient comme moi, qui pensaient comme moi et qui louaient Dieu comme moi.
Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es.
Qui se ressemble s’assemble.
J’ai supposé que cet entre-soi relevait d’une forme de prescription biblique. La Bible ne nous exhorte-t-elle pas à ne pas abandonner notre assemblée (Hé 10.25), accordant une grande importance au « vivre ensemble » de personnes partageant les mêmes idées ? Vivre dans un monde aussi homogène semblait être l’ordre naturel des choses. Je ne voyais pas encore l’envers du décor : le risque de s’abandonner à l’idolâtrie de sa propre réflexion, confondant ce qui est familier avec ce qui est bon et ce qui est pratique courante avec ce qui est juste.
Ma réflexion s’est depuis approfondie. Maintenant que mon aînée est adolescente, je vois l’intérêt de l’encourager à fréquenter des amis qui partagent nos valeurs ou notre foi. Il n’y a pas de garantie en matière d’éducation, mais les fréquentations des enfants, surtout à un âge aussi crucial, façonnent de manière durable ce qu’ils deviendront. Pourtant, dans son collège, qui est un établissement public important, je perçois aussi les dessous obscurs de ces regroupements. L’envie tout à fait normale que l’on a de se retrouver avec des amis partageant les mêmes idées mène généralement à un tri qui se fait selon des critères sociaux, raciaux, culturels et de socio-économiques. Bien sûr, il y a des exceptions, mais, dans les écoles américaines, l’auto-discrimination est la norme.
La tendance à l’entre-soi que l’on a en tant qu’enfant ou adolescent devient problématique si, à l’âge adulte, nous n’« abandonnons pas tout ce qui est propre à l’enfant » (1 Co 13.11, NFC), si nous vivons dans une homogénéité superficielle au lieu de vivre la réconciliation en Christ (Ep 2.11-22) ou, pire encore, si nous confondons le tri que nous faisons autour de nous avec la volonté de Dieu.
Ces égarements sont tentants. Les critères de polarisation sont omniprésents autour de nous : gauche versus droite, ville versus campagne, croyants versus non-croyants, nous contre eux. Les algorithmes nous fournissent les nouvelles que nous désirons entendre, nous rassurant virtuellement quant à notre bon droit. Tout devient politique et ce sont à présent des gouffres qui nous séparent, à tel point que « la plupart des démocrates et des républicains vivent à des niveaux de ségrégation partisane qui dépassent ce que les spécialistes de la ségrégation raciale considèrent comme “ségrégation forte” ». Même les hommes et les femmes s’éloignent les uns des autres. Quel que soit le niveau, de notre nation à nos quartiers, de nos églises à nos foyers, nous pratiquons la discrimination.
Qui se ressemble s’assemble se vérifie souvent dans la pratique. L’assurance que rien ne cloche fournie par ces vies construites avec des amis partageant les mêmes idées que nous peut être tellement rassurante ! Mais en tant que chrétiens, ces entre-soi devraient titiller notre conscience. Dans quel terreau nos communautés s’enracinent-elles ?
Il y a quelques semaines, mon pasteur m’a prise au dépourvu dans son analyse d’un passage de la Bible que j’avais toujours compris de travers. Il s’agissait de Philippiens 2, où Paul exhorte les chrétiens à « une unité de pensée », ayant « un même amour, un même cœur » que le Christ (v. 2) et une attitude « identique à celle de Jésus-Christ » (v 5). Selon mon pasteur, ces versets sont souvent mal interprétés.
Lorsque la plupart d’entre nous entendent l’expression « unité de pensée », nous pensons à des personnes qui partagent les mêmes idées que nous. Mais ce n’est certainement pas ce que Paul vise dans ce contexte. Il nous appelle à conformer ensemble notre esprit à celui de Christ.
La première manière de comprendre ce passage centre nos vies et nos relations sur nous-mêmes, nos idées préconçues et nos biais individuels. La seconde nous centre sur Jésus. La première mène à une nouvelle idolâtrie — non pas celle du veau d’or, mais celle de notre propre égo hissé sur l’autel. La seconde nous conduit au « culte raisonnable » de Romains 12.
Il ne faut pas nous y tromper : construire une communauté centrée sur soi ne correspond pas à l’appel de notre Sauveur. Le christianisme est une religion monothéiste, mais nous n’avons jamais été censés constituer une communauté monolithique. Comme le souligne Allen Hilton dans A House United, l’Église primitive transcendait les clivages de classe, d’ethnie et de religion. Dans Romains 16, écrit-il, « Paul brosse un portrait de famille étrange et merveilleux, avec des aristocrates et des artisans, des commerçants et des esclaves, des hommes et des femmes, des Grecs et des barbares, tous adorant ensemble ».
À cet égard, les chrétiens étaient uniques dans l’Empire romain. L’Église primitive attirait des personnes de diverses origines et celles-ci se réunissaient les unes chez les autres, s’émerveillant toutes de ce que Dieu accomplissait parmi elles alors qu’elles se consacraient à recevoir l’enseignement des apôtres et prenaient soin les unes des autres (Ac 2.42-47). Aujourd’hui, nous sommes souvent loin de cette réalité. Nos communautés se transforment en rassemblements de personnes partageant les mêmes idées et ce de la pire manière qui soit : nous sommes moins unis par un amour commun que par un ennemi commun.
Nous pourrions vouloir rejeter la responsabilité de ce dysfonctionnement sur nos dirigeants politiques ou religieux ou sur la « société ». Mais comme l’écrit Michael Wear dans The Spirit of Our Politics, l’air du temps est le reflet de nos propres cœurs : « Nombre de nos problèmes politiques les plus profonds reflètent la manière dont nos institutions politiques répondent aux habitudes de cœur qui se situent, fondamentalement, au niveau de l’individu. »
Peut-être pensons-nous que nos mains ne sont pas souillées par la politique politicienne, mais combien de fois, dans nos vies ordinaires, choisissons-nous l’hostilité plutôt que l’hospitalité ou le mépris plutôt que la curiosité ? Se sentir juste et puissant est délicieusement enivrant. Je le sais par expérience. C’est pourtant le fruit mûr d’un mauvais arbre, et nous nous en sommes gavés jusqu’à en être malades.
S’il est une chose sur laquelle les Américains s’accordent à l’approche des élections de 2024, c’est sur un sentiment commun d’effroi. Peu d’Américains souhaitent un nouveau match entre le président Joe Biden et l’ancien président Donald Trump. Mais cette crainte ne concerne pas seulement le pénible spectacle politique que nous allons endurer pendant des mois. Il s’agit également d’angoisses plus profondes : comment éviter que des relations déjà fragiles ne soient sacrifiées sur l’autel de la politique ? Comment résister à la tentation des controverses à tout propos ? Sommes-nous en train de semer pour nos enfants les germes d’une guerre civile ?
En tant que disciples de Jésus, nous avons réponse à cela — si seulement nous pouvions nous le rappeler. Rappeler : le verbe évoque l’idée d’un souvenir, mais aussi celle d’un rassemblement, d’un retour, à l’opposé de nos présentes divisions. L’Église a besoin de vivre les deux aspects de ce verbe.
Il est nécessaire de nous rappeler au Dieu éternel en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Ac 17.28), en cherchant chaque jour davantage à rapprocher notre pensée de la sienne. Nous devons aussi reconnaître les manières dont nous — en tant que chrétiens — avons contribué aux divisions de notre société. Plus d’une fois, nous avons succombé aux tentations auxquelles Jésus a résisté dans le désert en suivant notre désir d’apparaître malins, puissants et impressionnants, quel qu’en soit le prix.
En nous repentant de notre rôle dans les divisions, il nous faut assumer notre rôle dans la restauration en utilisant « les vieux décombres des vies passées pour construire à nouveau ». Et nous deviendrons de « ceux qui peuvent réparer n’importe quoi, restaurer les vieilles ruines, reconstruire et rénover, rendre la communauté habitable à nouveau » (Es 58.12, d’après The Message).
Essayer de changer la trajectoire d’une nation peut sembler aussi futile que d’essayer de réorienter un astéroïde. Mais nous pouvons assurément corriger le cours de notre propre vie. Vivre dans le même esprit que le Christ nous conduit à embrasser la condition de serviteur. Cela nous rend humbles et nous libère de notre vanité et de toute ambition égoïste. Cela nous pousse à nous soucier de l’autre, recherchant « la paix et la prospérité » des villes dans lesquelles nous nous sentons peut-être exilés (Ph 2 ; Jr 29.7).
Notre Seigneur qui se réjouit du « jour des petits commencements » (Za 4.10) ne méprise pas nos tâtonnements. Et nous ne devrions pas le faire non plus. En ce temps de carême, dans un monde qui semble parfois tomber en cendres entre nos mains, le temps du repentir est peut-être arrivé.
Carrie McKean est une autrice basée dans l’ouest du Texas dont les écrits ont été publiés dans le New York Times, The Atlantic et Texas Monthly Magazine. Vous pouvez la retrouver sur le site carriemckean.com.
Traduit par Anne Haumont