À un moment de la saison 4 de The Chosen, Jésus (Jonathan Roumie) sort un instant. Quelques disciples se chamaillent pour une question insignifiante et Jésus se retrouve seul avec le Jacques « le petit » (Jordan Walker Ross) et Thaddée (Giavani Cairo), les deux premiers hommes à l’avoir suivi.
À ce stade de l’histoire, Jésus a été confronté à toutes sortes de défis. Il a reçu de très mauvaises nouvelles concernant son cousin Jean le Baptiste (David Amito) ; ses disciples se disputent pour des questions de statut ; leur mouvement attire des milliers d’adeptes, de critiques et de curieux grâce aux sermons et aux miracles accomplis par Jésus. Et à présent, ses opposants se transforment en véritables ennemis, les joutes verbales commençant à laisser place à la violence physique.
Au milieu de tout cela, Jésus s’assoit tranquillement avec Jacques et Thaddée et leur demande s’ils se souviennent de l’époque où ils n’étaient que tous les trois. « Vous arrive-t-il de regretter cette époque ? » demande-t-il.
Il est difficile de ne pas y voir une part d’autobiographie du créateur de la série, Dallas Jenkins, et de ses collaborateurs. À l’instar du christianisme naissant qu’il dépeint, The Chosen s’est développé à pas de géant depuis la mise en ligne des quatre premiers épisodes, juste à temps pour Pâques 2019.
Le premier grand pas avait été franchi au début de la pandémie de COVID-19, lorsque les producteurs ont mis la série à disposition gratuitement. Il devait s’agir d’une mesure temporaire destinée à aider les gens à surmonter les fermetures et l’isolement, mais les responsables de la série ont constaté que les dons de fans affluaient si rapidement qu’ils permettraient de maintenir la gratuité à long terme. (La série est désormais financée par les dons faits à la Come and See Foundation.)
Après avoir achevé la deuxième saison en 2021, les producteurs ont commencé à expérimenter des sorties en salles, en commençant par un épisode spécial de Noël cette année-là et en continuant avec la première de la saison 3 en 2022 et sa finale en février 2023. Au total, si l’on tient compte d’un autre épisode spécial de Noël sorti en décembre dernier, les sorties en salles de The Chosen ont jusqu’à présent engrangé environ 38 millions de dollars. En Amérique du Nord, certains épisodes ont rencontré plus de succès que certaines superproductions ou des films candidats aux Oscars sortis au même moment.
En cours de route, la série est devenue un grand succès sur Netflix, Amazon Prime et d’autres plateformes ayant acquis les droits de diffusion, [y compris en francophonie où la saison 3 a même fait l’objet d’une première en salle à Paris]. Les acteurs principaux de la série ont prêté leur célébrité — même restreinte à un public de niche — à des films chrétiens à succès comme Jesus Revolution et The Shift.
La saison 4 sera l’expérience la plus audacieuse de la série. Aux États-Unis, chaque épisode a été diffusé en salle : les trois premiers le 1er février, trois autres le 15 février et les deux derniers le 29 février. (Le premier volet aura duré environ 3 heures et 20 minutes — plus long que le récent Oppenheimer, mais plus court que Killers of the Flower Moon.) C’est la première fois qu’une saison entière d’une série télévisée est diffusée sur grand écran.
Mais malgré ce succès et le soutien des fans de la série, The Chosen a également connu des douleurs de croissance. Certains rebondissements, comme la rechute de Marie-Madeleine (Elizabeth Tabish) dans la saison 2, ont suscité la controverse. Une campagne publicitaire de « psychologie inversée » consistant à « vandaliser » des panneaux d’affichage représentant Jésus et ses disciples a provoqué bien des critiques. Chaque bande-annonce et chaque vidéo des coulisses ont été scrutées à la loupe pour y déceler des éléments douteux, qu’il s’agisse d’un drapeau LGBTQ porté sur le plateau par l’un des caméramans ou de la théologie sous-jacente à certaines lignes de dialogue extrabibliques.
Ainsi, lorsque Jésus et ses deux disciples regardent en arrière et s’émerveillent de l’ampleur prise par leur mouvement depuis ses humbles débuts, il est tentant de penser que les réalisateurs insèrent quelque chose de leur propre expérience dans la série.
Mais Jenkins, qui a déjà parlé par le passé des influences de la vie réelle sur sa série, déclare que toute ressemblance sur ce point est purement involontaire. Répondant à nos questions à la veille de la première de la série à Los Angeles, il estime que l’histoire portée à l’écran façonne le phénomène The Chosen et ses acteurs plus que ceux-ci ne la façonnent.
« Je crois que c’est moins nous qui imprégnons la série que la série qui nous imprègne. Je pense que nous finissons par essayer de vivre certaines des leçons que nous tirons de la série en racontant l’histoire. Ma femme dit toujours : “Nous ne sommes pas à l’abri des leçons de chaque saison”, et je pense donc que ce qui se passe dans la saison a un impact sur nous. »
« Il est possible que des éléments subconscients entrent en ligne de compte », ajoute-t-il, « mais nous ne nous sommes pas dit : “Oh, comme le ministère de Jésus s’est développé de manière exponentielle, la série progresse aussi, alors parlons-en de cette manière.” Je pense que c’est un peu le fruit du hasard. »
Noah James, qui joue le disciple André, semble plus ouvert à l’idée que l’art puisse refléter la vie dans ce cas. « Nous n’avions aucune idée de la direction que prendrait cette série », nous explique-t-il. « Nous espérions, mais même dans nos rêves les plus fous, nous ne pensions pas que nous serions ici, à vous parler aujourd’hui, de la sortie de la saison 4 dans des salles de cinéma. Ce n’était même pas envisagé. »
« Et je pense que de la même manière, dans la série, nous, les disciples, faisons de notre mieux pour en somme garder le toit sur la maison. Nous ne savons pas où cela va, mais cela devient très, très effrayant, en particulier dans cette saison, parce qu’à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, il attire l’attention — parfois une attention non désirée — et vous voyez les disciples lutter pour y faire face. »
La saison 4 marque un tournant important pour la série. Jenkins a annoncé depuis un certain temps que la série durerait sept saisons. Nous en sommes donc au point médian, la partie où certains puissants moments des saisons précédentes — la nourriture distribuée à 5 000 personnes ou Jésus marchant sur l’eau — cèdent la place à un sentiment croissant que les choses pourraient très mal tourner pour Jésus et ses disciples.
Avec cette tournure plus sombre et inquiétante de l’histoire, la série plonge plus profondément dans les émotions de ses personnages — des émotions qui résonnent d’autant plus que les téléspectateurs ont maintenant passé près de cinq ans à apprendre à connaître ces hommes et ces femmes. Et l’un des personnages les plus profondément touchés, bien sûr, est Jésus lui-même.
L’un des choix les plus audacieux de The Chosen est la façon dont la série se penche sur l’humanité de Jésus, inventant page après page pour lui des dialogues sans source claire dans les Évangiles, tout en affirmant sa divinité.
D’une part, le Jésus de cette série évoque comme avec désinvolture le fait que la création du monde est « un de ses souvenirs préférés ». Mais la série le dépeint également comme une personne ordinaire avec une vie intérieure semblable à la nôtre. Il peut se montrer très vulnérable et a parfois besoin de prendre le temps de digérer ce qu’il vit.
L’un des épisodes de cette saison commence par le réveil de Jésus après un rêve et, pendant un instant, le spectateur a l’impression d’avoir un aperçu de ce qu’il se passe dans sa tête. À un autre moment, alors qu’il contemple les souffrances à venir, Jésus prend appui sur quelqu’un pour trouver un soutien — et la personne vers laquelle il se tourne n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. Et lorsque The Chosen nous conduit au tombeau de Lazare et au célèbre très court verset qui nous dit que « Jésus pleura » (Jn 11.35), le Jésus de la série ne se contente pas de verser une ou deux larmes dignes. Il tombe à genoux et se met à sangloter.
Jenkins admet qu’il s’engage dans des « eaux dangereuses » en plaçant le public « dans la tête de Jésus », « parce que comment pourriez-vous le faire pleinement ? »
Mais il soutient que cela fait partie d’une saine exploration de ce que signifie pour le divin de devenir humain, et pour le Créateur de devenir Emmanuel, « Dieu avec nous » (Mt 1.23). « Ce n’était pas Dieu au-dessus de nous pendant qu’il était ici », dit Jenkins. « Il était avec nous. Il a habité parmi nous. Il a dansé avec ses amis lors de mariages, il a certainement eu des rêves, et il a été triste. Nous le voyons triste dans les Écritures, et je pense qu’il est intéressant d’explorer les raisons de cette tristesse. »
Jonathan Roumie — qui avait d’abord joué Jésus dans des courts métrages réalisés par Jenkins avant qu’ils ne travaillent ensemble sur The Chosen — nous explique qu’il était important de montrer Jésus faisant l’expérience de toutes ces choses parce que c’est la pleine humanité de Jésus qui nous relie à lui et nous permet de nous identifier à lui et de prendre conscience de sa capacité de compatir à notre égard (Hé 4.14-16).
« Il sait exactement ce que c’est que d’être humain, parce qu’il a été pleinement humain », rappelle-t-il. « Il passait donc par toutes les choses que les humains traversent : les rêves, les rires, les pleurs, la douleur, la frustration, la colère — une juste colère, dans son cas, évidemment. Vous voyez, la frustration face aux gens qui ne le prennent pas au mot, qui ne le croient pas et qui ne l’entendent pas. Il a dû rêver. Il a dû faire toutes ces choses que nous faisons. »
La question de savoir dans quelle mesure Jésus connaissait l’avenir lors de son séjour sur terre est un débat de longue date, mais la question revêt une acuité particulière dans The Chosen, car certains rebondissements de l’intrigue mettent à rude épreuve les relations entre ceux qui accompagnent Jésus. Le Jésus de cette série sait-il que ces choses vont se produire ?
« Il y aura beaucoup de questions à ce sujet », admet Jenkins, qui ajoute que lui et Roumie ont laissé la place à une certaine « beauté du mélange » lorsqu’ils ont décidé combien de fois Dieu le Père « a accordé à Jésus la connaissance de certaines choses ».
« En fait », explique-t-il en se référant à Matthieu 24.36, « Jésus a dit qu’i l y a des choses que le Père sait et que lui ne sait pas. Nous sommes donc à l’aise dans cette tension. »
Pourtant, aussi sérieuse que soit cette saison, elle offre aussi beaucoup de joie, et l’on sent à certains moments le plaisir qu’y prennent les acteurs. Cela n’est peut-être nulle part plus évident que dans une scène où certains des disciples jouent eux-mêmes des acteurs, mettant en scène pour les autres disciples les événements célébrés chaque année à Hanoucca.
Jenkins estime que la légèreté de scènes comme celle-ci, qui pourraient ne pas sembler essentielles à l’objectif de la série, aide à préparer le terrain pour d’autres choses plus sérieuses.
« Nous aimons montrer ces moments plus personnels, ces moments d’humanité, ces moments amusants qui, à bien des égards, ont quelque chose du calme avant la tempête. » « Notre idée est que lorsque vous connaissez un peu plus Jésus, que vous connaissez davantage ces personnes et que vous passez du temps avec elles, même dans des moments plus légers qui n’ont pas grand-chose à voir avec leur ministère, alors lorsqu’elles font effectivement l’expérience de grandes choses, cela a d’autant plus d’impact. »
Quelle sera la suite ?
Trois saisons supplémentaires, pour commencer. Les Évangiles ne disent pas exactement combien de temps a duré le ministère terrestre de Jésus, mais on considère traditionnellement qu’il a duré environ trois ans. The Chosen a déjà duré deux ans de plus. « Nous faisons une course contre la montre pour nous assurer que nos acteurs n’aient pas l’air d’avoir vieilli de dix ans », plaisante le producteur Chris Juen.
Jenkins évoque la possibilité de réaliser un film au cinéma pendant l’une des futures saisons de The Chosen, au lieu de se contenter de rassembler des épisodes existants pour le grand écran. Jenkins et le président de la production de la série, Mark Sourian, ont tous deux mentionné la possibilité de raconter d’autres histoires se déroulant dans « l’univers de The Chosen ».
Pour l’instant, il ne s’agit que d’idées, et il est trop tôt pour dire où celles-ci pourraient mener. Mais l’avenir ouvert de la série rappelle une autre scène de la saison 4, dans laquelle Jacques « le petit » réfléchit à tout ce qui s’est passé.
« Aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer où tout cela allait nous mener », dit-il à Marie-Madeleine.
« Nous ne le pouvons toujours pas », répond-elle.
Peter T. Chattaway est un critique de cinéma qui s’intéresse particulièrement aux films en lien avec la Bible. Il vit avec sa famille à Abbotsford, en Colombie-Britannique, au Canada.