Pour la première fois, les États-Unis ont estimé que l’Azerbaïdjan contrevenait à la liberté de religion.
Son inscription sur la liste de surveillance spéciale (SWL) de deuxième niveau du département d’État américain expose ce pays à majorité musulmane chiite et riche en pétrole à la possibilité de sanctions économiques.
Depuis 2013, la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde (USCIRF) appelait chaque année à la condamnation de ce pays du Caucase. Créé par la loi de 1998 sur la liberté religieuse internationale (IRFA), le rapport annuel bipartisan de l’USCIRF évalue les violations « systématiques, continues et flagrantes » indépendamment des préoccupations de politique étrangère des États-Unis et suit la mise en œuvre de ses recommandations par les gouvernements.
L’application d’éventuelles sanctions sera cependant compliquée par le fait que l’Azerbaïdjan s’aligne sur la politique étrangère des États-Unis dans certains domaines : le pays coopère étroitement avec Israël, s’aligne contre l’Iran et a accepté d’augmenter ses exportations de pétrole vers l’Europe à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Dans une brève déclaration, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a maintenu inchangés tous les autres statuts de pays établis en 2022 conformément à l’IRFA. L’Azerbaïdjan rejoint l’Algérie, la République centrafricaine, les Comores et le Vietnam sur la liste de surveillance des pays épinglés pour avoir « commis ou toléré de graves violations de la liberté de religion ».
Douze pays — la Chine, Cuba, l’Érythrée, l’Iran, le Myanmar, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Pakistan, la Russie, l’Arabie saoudite, le Tadjikistan et le Turkménistan — ont à nouveau été repris sur la liste de premier niveau établissant les pays particulièrement préoccupants (CPC).
L’USCIRF a accueilli favorablement le nouveau statut de l’Azerbaïdjan. Toutefois, la commission a déclaré que rien ne justifiait le fait de que ne soit pas suivie sa recommandation d’intégrer l’Inde et le Nigeria à la liste de premier niveau des CPC.
L’Inde avait été recommandée pour la première fois pour la liste de premier niveau de 2002 à 2004, pour la liste de deuxième niveau (SWL) de 2010 à 2019, puis à nouveau pour la liste de premier niveau à partir de 2020. Le Nigeria a été recommandé pour la SWL de 2003 à 2008, et en tant que CPC depuis 2009.
L’Inde n’a jamais été intégrée dans ces listes, mais l’ancien président Donald Trump avait inscrit le Nigeria sur la SWL en 2019 et en tant que pays particulièrement préoccupant en 2020. Le président Joe Biden l’a entièrement supprimé des deux listes l’année suivante.
L’USCIRF a demandé une audition au Congrès sur ces omissions et a également critiqué le Département d’État pour avoir instauré des dérogations aux sanctions contre le Pakistan, l’Arabie Saoudite, le Tadjikistan et le Turkménistan inscrits parmi les CPC.
Dans une déclaration à notre magazine, Lilieth Whyte, responsable des relations publiques du Bureau de la liberté religieuse internationale du département d’État, a cité trois facteurs principaux pour ce nouveau statut de l’Azerbaïdjan.
La législation du pays impose aux groupes religieux des « exigences onéreuses en matière d’enregistrement » au niveau national, ce qui restreint encore davantage leur droit de pratiquer librement leur culte et de choisir leur propre clergé. Le gouvernement maltraite physiquement, arrête et emprisonne les militants religieux, a-t-elle ajouté, tandis que les objecteurs de conscience ne sont pas autorisés à servir leur pays conformément à leurs croyances.
Elle ne mentionne pas le blocus de plusieurs mois établi par l’Azerbaïdjan contre l’enclave du Haut-Karabakh, ou Artsakh en arménien, peuplée d’Arméniens. La situation avait abouti à l’invasion du territoire en septembre dernier, déplaçant plus de 100 000 Arméniens.
À l’époque, le secrétaire d’État américain avait « exhorté » le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à « cesser immédiatement les actions militaires ». En novembre, son adjoint James O’Brien avait déclaré devant une commission du Congrès que les relations des États-Unis avec le pays ne pouvaient pas se poursuivre comme si de rien n’était.
Mais en décembre dernier, le service de presse du département d’État a précisé que l’arrêt des échanges avec l’Azerbaïdjan serait « contraire à nos intérêts ». Au lieu de cela, la politique américaine continuerait à faire pression sur le pays pour qu’il respecte davantage les « droits de l’homme et les libertés fondamentales » et pour qu’il conclue un accord de paix durable avec l’Arménie.
Peu de temps après, les deux pays ont procédé à un échange de prisonniers de guerre, annoncé comme une « mesure tangible visant à restaurer la confiance » en vue d’un accord de paix. L’Azerbaïdjan a déclaré en décembre qu’un accord était proche.
Zaven Khanjian, directeur exécutif de l’Armenian Missionary Association of America, s’est félicité de cette nouvelle désignation par le Département d’État. Considérant le déplacement de population du Haut-Karabakh comme un exemple de « nettoyage ethnique », il a également mentionné l’effacement du patrimoine arménien dans les zones contrôlées par l’Azerbaïdjan.
Il souhaite que la pression exercée par les États-Unis aille au-delà d’une simple inscription sur cette liste de surveillance.
« Les Arméniens ne peuvent pas attendre que les champs de pétrole de Bakou soient asséchés pour que Washington prenne des mesures punitives. »
De nombreux Arméniens se méfient toutefois des pourparlers de paix. Zaven Khanjian y est favorable, mais sceptique. Son hésitation s’explique par sa méfiance à l’égard d’un Azerbaïdjan autocratique, et il estime qu’il faudra également que s’alignent les intérêts russes et américains. Il continue à prier pour ces négociations.
L’un des enjeux est le retour des Arméniens dans le Haut-Karabakh. Mais l’Azerbaïdjan rétorque que les Azéris ethniques déplacés d’Arménie lors de conflits antérieurs devraient également voir leurs droits reconnus. Dans des lettres envoyées aux Nations Unies, cela inclurait également un droit de retour vers l’ouest, en Arménie.
Cette inscription de l’Azerbaïdjan dans la liste de second niveau par Blinken a été sèchement accueillie dans le pays, non pas par l’administration d’Aliyev, mais par une association représentant les personnes déplacées, anciennement appelée Azerbaijan Refugee Society (Société des réfugiés d’Azerbaïdjan). Un mois avant l’invasion du Haut-Karabakh, le groupe a changé de nom pour devenir la Communauté de l’Azerbaïdjan occidental (WAC), dont le site web affiche une carte de ce territoire recouvrant le territoire de l’Arménie.
« La liste américaine sur la liberté religieuse n’a aucune force, aucun poids, et nous la rejetons catégoriquement », a déclaré la WAC, qui y voit un exemple « arrogant » de l’hostilité américaine.
Le président Aliyev a déjà déclaré que l’Azerbaïdjan retournerait sur ces « terres historiques », mais en des termes vagues, les autorités précisant qu’il ne s’agissait pas de revendications territoriales.
Tant que ces menaces voilées persisteront, estime Craig Simonian, coordinateur pour la région du Caucase du réseau pour la paix et la réconciliation de l’Alliance évangélique mondiale, il très incertain que les négociations de paix puissent être fructueuses. L’Azerbaïdjan continue également de détenir des dirigeants politiques et des prisonniers de guerre arméniens de l’Artsakh, tandis que ses troupes sont déployées sur la frontière encore en place.
Le vocabulaire de l’« Azerbaïdjan occidental » est « extrêmement agressif » à ses yeux et rejeté par les principaux chercheurs. Mais malgré tout, et en dépit de tout ce qui s’est passé, les deux nations se parlent au moins.
« La réconciliation est possible », dit Simonian. « Peut-être pas entre les gouvernements — du moins pas rapidement — mais entre ceux qui choisissent de suivre le Christ. »
Après le placement de son pays sur la SWL, Aliyev s’est entretenu directement avec certains d’entre eux.
Noël est un symbole de bonté, a-t-il déclaré aux citoyens orthodoxes de l’Azerbaïdjan en présentant ses vœux à cette communauté d’origine majoritairement russe et qui suit le calendrier oriental.
« Il est louable que nos compatriotes chrétiens, profitant des vastes possibilités créées par les relations exemplaires entre l’État et la religion, maintiennent vivantes leurs traditions, leur langue et leur culture uniques », a déclaré le président. « La diversité ethnique et religieuse […] est l’une des qualités prédominantes de notre société. »
Les chrétiens représentent environ 3 % de la population de l’Azerbaïdjan. En 2022, l’USCIRF dénonçait le caractère d’« investisseurs majeurs » du Bahreïn, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis dans la promotion d’une tolérance religieuse qui « occulte la responsabilité de l’État et son incapacité à protéger et à promouvoir la liberté de religion ou de croyance pour tous ».
La dernière mise à jour de l’USCIRF indique que si l’Azerbaïdjan a mis fin à certaines pratiques problématiques, les protestants continuent de se heurter à des obstacles en matière d’enregistrement. Aucune communauté non musulmane n’a été approuvée au cours des trois dernières années.
Ce n’est pas si grave, nous explique un responsable chrétien azerbaïdjanais.
« En tant que membre du petit cercle des évangéliques, je ne vois pas de changements majeurs dans les églises », déclare-t-il sous couvert d’anonymat. « Nous avons encore de la liberté et je considère plutôt cette désignation comme un changement dans la politique américaine. »
Les protestants d’Azerbaïdjan sont principalement d’origine musulmane.
Il y a une légitimité, ajoute notre source, dans certaines politiques de régulation de la religion islamique. Les autorités religieuses officielles maintiennent leur contrôle sur les mosquées chiites, et des centaines de mollahs ont été arrêtés pour leur soutien à l’Iran. Méfiant à l’égard de l’extrémisme, le gouvernement laïque surveille de près les prédicateurs étrangers de toute religion et exige l’approbation de toute littérature spirituelle diffusée.
Ce chrétien azerbaïdjanais nous rapporte quelques anecdotes révélant une attitude inégale à l’égard du christianisme.
Une église reçoit régulièrement l’autorisation de recevoir des pasteurs américains en visite, après en avoir informé les services de sécurité. Cependant, deux chrétiens étrangers se sont vu refuser leur visa de résidence en raison de soupçons d’évangélisation non déclarée.
Une communauté composée essentiellement de convertis musulmans souhaitait célébrer son dixième anniversaire dans une grande salle publique. Le gouvernement a refusé le permis, leur demandant de célébrer en privé dans l’église. Le pasteur a insisté, proposant que lui soit retirée son autorisation officielle et menaçant par là que les autorités perdent le contact avec son réseau d’églises de maison. Les autorités ont alors cédé et la fête a pu avoir lieu.
Un ancien voyou est devenu chrétien et a commencé à évangéliser dans une région où vivent des minorités ethniques musulmanes. Lorsque des habitants se sont plaints, il a été convoqué par la police et, au cours de l’interrogatoire, il a fait part de tout son parcours spirituel. Par la suite, l’officier lui a dit qu’il était libre de continuer et qu’il pouvait les prévenir si quelqu’un lui posait encore des problèmes.
Dans un épisode assez humoristique, un prédicateur de petite taille avait implanté une église dans un territoire frontalier éloigné de Bakou. Les autorités locales l’ont arrêté, mais, en l’absence d’une loi interdisant l’évangélisation qu’il pratiquait, l’ont plutôt accusé d’agression contre les officiers qui l’avaient arrêté, nettement plus costauds que lui. Le juge a demandé comment cela avait pu se produire.
L’évangéliste a répondu : C’était facile, monsieur. Ma femme les a retenus.
En riant, le juge a abandonné toutes les charges.
Pourquoi alors notre interlocuteur chrétien reste-t-il anonyme ?
« Tout ce qui est politique, à moins de soutenir le gouvernement à 100 %, pourrait être utilisé contre moi. » « Tant que les chrétiens sont en paix avec les autorités, je ne veux pas rompre l’équilibre. »
L’organisation américaine Freedom House qualifie l’Azerbaïdjan de pays « non libre », classé au treizième rang dans son rapport annuel sur la liberté dans le monde. Mais le pays n’est pas actuellement classé dans l’Index mondial de persécution de Portes Ouvertes recensant les 50 pays où il est le plus difficile de suivre Jésus, bien qu’il ait atteint la 34e place en 2016.
Pourtant, pour la première fois, les États-Unis ont donc mis l’Azerbaïdjan au rang de quatre autres pays surveillés, suivant les 12 autres faisant l’objet d’une attention toute particulière. Ce nouveau statut se traduira-t-il par une amélioration pour tous ?
« Les défis posés à la liberté religieuse dans le monde sont structurels, systémiques et profondément enracinés », a estimé Antony Blinken. « Mais grâce à l’engagement réfléchi et soutenu de ceux qui ne veulent pas accepter un statu quo fait de haine, d’intolérance et de persécution, nous verrons un jour un monde où tous les peuples vivront dans la dignité et l’égalité. »
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