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Quand la « culture de la pureté » détourne de la foi en Christ

Dans ses récentes mémoires, Shannon Harris fait entendre sa version du célèbre J’ai tourné le dos au flirt. Elle promeut également un évangile bien différent de celui de Christ.

Christianity Today December 7, 2023
Adaptations par Christianity Today/Image source : Getty/Unsplash

J’ai lu l’original anglais de Jeune homme rencontre jeune fille il y a plusieurs dizaines d’années, alors que j’étais adolescente, comme des milliers d’autres jeunes ayant grandi dans l’Église. Il s’agissait de la suite très attendue du désormais célèbre livre de Joshua Harris, J’ai tourné le dos au flirt. Encore très jeune adulte, Joshua Harris nous expliquait comment sortir ensemble (ou plutôt comment se « faire la cour ») en toute pureté, afin que nous puissions tous arriver vierges à notre nuit de noces.

The Woman They Wanted: Shattering the Illusion of the Good Christian Wife

Jeune homme rencontre jeune fille devait nous raconter comment tout cela avait fonctionné pour Josh sur le plan personnel. L’ouvrage nous introduisait également à Shannon, que j’imaginais alors comme une « première dame » marchant aux côtés de Josh. Il s’avère finalement que son rôle était plutôt celui d’une aide d’arrière-plan. Comme l’explique Shannon Harris dans son récent ouvrage The Woman They Wanted: Shattering the Illusion of the Good Christian Wife (« La femme qu’ils voulaient : briser l’illusion de la bonne épouse chrétienne »), elle nourrissait le rêve de devenir chanteuse et actrice, mais s’est retrouvée chargée de distribuer des collations à l’équipe.

J’ai naïvement lu Jeune homme rencontre jeune fille comme une histoire d’amour. Je voyais Joshua et Shannon Harris comme un exemple pour tous les jeunes qui essaient de fréquenter quelqu’un de la « bonne » façon. Le livre apparaissait comme une sorte de promesse que, si je suivais les mêmes règles, je pourrais moi aussi trouver mon futur conjoint et vivre heureuse jusqu’à la fin de mes jours.

Des décennies plus tard, en tenant les mémoires de Shannon Harris, je peux pratiquement sentir entre mes mains le poids des réalités qui ont été tues. Shannon Harris insère enfin sa propre voix dans le récit, nous donnant une perspective entièrement différente sur leur mariage, leur ministère et la façon dont le fait d’être la femme d’un célèbre pasteur et leader évangélique l’a laissée « affamée » et sans « plus rien à donner ».

De « lourds fardeaux » à gérer

Comment Shannon Harris est-elle passée d’une vie de jeune chrétienne enthousiaste au sentiment que l’église locale l’avait chargée de « lourds fardeaux » ? Ceux qui ont connu la jeune femme avant sa conversion, comme l’autrice Aimee Byrd, la décrivent comme « belle, populaire, très talentueuse, amicale et toujours souriante ». Harris dit d’elle-même : « J’étais une jeune femme talentueuse et pleine d’énergie. »

Elle était une enfant courageuse et motivée, prête à jouer le rôle principal dans la pièce de théâtre de l’école. Une chanteuse toujours heureuse de faire entendre sa voix. Mais peu de temps après avoir commencé à fréquenter Joshua, Shannon s’est retrouvée projetée dans un nouveau monde avec son code spécifique de règles et d’attentes et un appel à abandonner ses rêves.

Elle se souvient que Carolyn, l’épouse de C. J. Mahaney (le pasteur principal de l’église de Joshua), lui a dit, au début de leur relation, qu’épouser Josh signifierait renoncer à ses propres ambitions. Carolyn Mahaney la présentera même comme « la fille qui a renoncé à ses rêves pour l’église locale ».

Pendant plus de dix ans, elle a joué le rôle de femme de pasteur : elle a cuisiné, fait le ménage, élevé les enfants, aidé à l’organisation du culte et ouvert sa maison. On lui dit également ce qu’elle ne doit pas porter, à quelle fréquence elle peut faire entendre sa propre voix et quelle est sa place dans la hiérarchie de l’église. « Il n’était pas question de suivre mon cœur, dit-elle, mais seulement de suivre le leader. »

Elle se souvient du jour où Carolyn Mahaney l’a emmenée dans le garage pour lui montrer son congélateur rempli de repas préparés pour sa famille et pour les membres de l’église qu’elle accueillait. Shannon raconte que lorsqu’elle a vu les rangées de poulets à la Kiev et de tartes au chocolat et à la menthe surgelés, elle a su que ce n’était pas l’idée qu’elle se faisait de la « féminité ». Néanmoins, elle s’est conformée docilement au plan qui lui était proposé, en acceptant d’être « surveillée et dirigée » tout au long de son parcours. Pour survivre, Harris dit qu’elle a essayé de s’installer « dans la coquille la plus silencieuse et la plus petite possible ».

Les femmes et la « théologie du vermisseau »

En réfléchissant à ces années où elle s’est sentie comme de la pâte à modeler entre les mains des responsables masculins de son église, Shannon Harris conclut que toute sa conversion au christianisme a été essentiellement fondée sur « la prémisse de la honte ». Ainsi, elle avait l’impression d’être toujours en train d’essayer de rattraper ses péchés. De nombreuses femmes issues du mouvement de la « culture de la pureté » (dont le mari de Shannon, Joshua, était ironiquement le fer de lance) ressentent la même chose, avec l’impression que l’évangile qu’elles ont entendu était le suivant : « Vous avez commis une erreur, vous êtes donc à jamais sale et coupable, et vous devez vivre une vie de basse servitude. »

Nous savons que ce n’est pas ce qu’enseignent les Écritures. Pourquoi donc est-ce ce qu’entendent tant de gens dans l’Église ? Cette question nous oblige à examiner la place du calvinisme dans l’amertume de Harris à l’égard du christianisme . Elle considère la théologie calviniste comme la raison pour laquelle elle paie maintenant son thérapeute « des centaines de dollars pour lui rappeler qu’elle est fabuleuse ».

Ce qu’elle a vu dans ce camp théologique particulier était un groupe d’hommes qui prônaient avec force la doctrine de la dépravation totale, mais qui, d’une certaine manière, pensaient qu’eux avaient tout juste. « Personne d’autre ne pratiquait le christianisme de manière assez juste, assez rigoureuse ou assez biblique », écrit Harris, « et leur certitude indiscutable était devenue lassante. »

J’ai moi aussi été baignée par la théologie calviniste pendant mes années de formation dans l’Église. Le mouvement de jeunesse Young, Restless and Reformed battait son plein à l’époque où j’étais à l’université. Shannon Harris souligne à juste titre certains des mauvais fruits que le mouvement peut porter, tels que l’orgueil, le manque de prise en considération de l’imago Dei en l’être humain et une approche confuse de notre valeur aux yeux de Dieu. Sommes-nous totalement dépravés ou « une créature si merveilleuse » (Ps 139.14) ?

Harris conclut que, pour guérir de cette théologie, nous devons nous efforcer de nous connecter « à notre propre sagesse, à la nature et à notre corps, à notre propre épanouissement dans le travail et le plaisir, et à nos propres façons d’être et de faire ». J’imagine que de nombreux lecteurs ont souligné cette phrase dans leur exemplaire de son livre, trouvant rafraîchissant de penser de manière aussi positive à eux-mêmes et à leur corps après des années de sermons sur nos « cœurs insensés » et notre « chair pécheresse ».

Mais comment cela se passe-t-il dans la pratique ?

Parfois, il peut s’agir d’apporter à votre voisin du pain fraîchement préparé, juste pour lui remonter le moral. Mais dans d’autres cas, cela peut consister à suivre sa propre sagesse et à rechercher son propre plaisir, par exemple en se goinfrant de biscuits tout en regardant du porno. Ou troller quelqu’un que vous n’aimez pas en ligne au lieu de passer du temps avec vos enfants.

Nous pouvons représenter Dieu de toutes sortes de belles manières, et nous le faisons, mais sans le Christ, nous sommes toujours des malades, des pécheurs qui ont besoin d’être sauvés.

Nous sommes d’éblouissants porteurs de l’image de Dieu et nous avons aussi hérité du péché d’Adam. Nous sommes des créatures merveilleuses et nous ne sommes pas à la hauteur de la gloire de Dieu. Les deux sont vrais et ne s’opposent pas l’un à l’autre. Je pense que c’est à juste titre que Shannon Harris nous met en garde contre une « théologie du vermisseau », mais elle s’égare par ailleurs : si nous ne faisons que souligner notre bonté et nier notre problème avec le péché, nous perdons notre besoin de repentance. Nous perdons ainsi l’Évangile, et nous perdons Jésus.

Le rejet de l’Esprit saint

Un matin, pendant leur lune de miel, Shannon raconte que Joshua avait la migraine. Elle décide alors d’aller se promener seule. Elle aperçoit bientôt, à travers une porte ouverte, un homme en jean bleu et chemise de flanelle qui travaille le bois. Elle écrit à propos de ce moment : « Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j’avais vu un homme aussi séduisant, et je suis restée quelques secondes dans l’embrasure de la porte à le regarder. » Puis elle s’est dit : « Voilà un gars avec qui j’aimerais faire l’amour. »

Ce récit s’inscrit dans le contexte des premières inquiétudes concernant son mariage, preuve, je suppose, que dès le départ tout n’était pas rose. Mais à dire vrai, si les sexes dans cette histoire étaient inversés — si un homme marié (disons, Joshua Harris) racontait comment, pendant sa lune de miel, il s’est arrêté et a regardé une femme à travers une porte ouverte et a pensé à la façon dont il aimerait avoir des relations sexuelles avec elle, alors que sa jeune épouse était au lit avec un mal de tête — bien des chrétiens sur les réseaux sociaux seraient à juste titre dans tous leurs états.

Cependant, de nombreux lecteurs chrétiens du livre de Shannon Harris qui tweetent sur la façon dont celle-ci a été maltraitée par l’Église (parce qu’elle l’a effectivement été), et certains commentateurs soulignant comment nous devrions écouter son histoire (et nous devrions effectivement le faire), ne disent rien sur le fait que son ouvrage propose un évangile entièrement différent de l’Évangile de Jésus-Christ.

Au bout du compte, Harris se débarrasse de la totalité de la dépravation humaine, qualifiant de « courageux » le péché originel qui a amené Jésus sur terre pour mourir pour nous et faisant d’Ève dans le jardin d’Éden « une femme qui a pris l’initiative ».

Si je peux écouter avec respect et compassion l’histoire de ce qu’elle a vécu et confirmer nombre de ses critiques de l’Église moderne, je ne peux pas approuver toutes ses conclusions, en particulier lorsqu’elle rejette notre besoin du Christ et se choisit elle-même, plutôt que le Saint-Esprit, comme guide ultime. Dans un chapitre, Harris explique comment elle apprend aujourd’hui à faire confiance à son intuition, à sa voix intérieure, à son cœur et à sa sagesse. Pour comprendre ce qu’elle entend par là, on peut notamment se reporter au chapitre suivant, où elle qualifie de « sagesse » l’acte d’Ève mangeant de l’arbre interdit : « Et si Eve avait eu raison de prendre le fruit ? Et si elle était censée avoir la sagesse ? »

Paul, anticipant notre tendance humaine à abuser de la liberté chrétienne pour satisfaire notre propre chair, avertissait l’église de Galatie que nos désirs et le Saint-Esprit sont souvent « opposés entre eux » (5.17). Nous ne pouvons pas simplement « suivre notre cœur » et nous attendre à ce que nous choisissions naturellement le chemin de la ressemblance à Christ. Nous avons besoin d’aide. Nous avons besoin de l’Esprit saint, le « Secours » que Jésus nous a laissé lorsqu’il est retourné au ciel. Le nier, c’est rejeter les paroles mêmes de Jésus.

Shannon Harris s’est éloignée de l’Église. « Peut-on lui en vouloir ? », se demanderont beaucoup. Après les horribles traitements qu’elle a subis, comment ne s’en serait-elle pas détournée ? En lisant des récits comme le sien, il nous faut nous compte que, comme elle le souligne, son « expérience de l’Église est malheureusement représentative de l’expérience de beaucoup d’autres ».

Nous serions stupides et arrogants de rejeter son histoire simplement parce qu’elle affirme ne plus savoir si Dieu existe. De nombreux fidèles, en particulier des femmes, sont épuisés, blessés et trouvent davantage de réconfort dans la thérapie que dans l’Église.

Cela s’explique en partie par le fait que l’Église leur a dit qu’ils ou elles devaient, comme Harris, se ranger dans une petite boîte fabriquée par les hommes pour être de bons chrétiens. Il est possible de reconnaître cela, de pointer du doigt l’Église et ses responsables corrompus, et de tweeter avec colère à ce sujet.

Mais je pense qu’il est également nécessaire de réfléchir sobrement à la manière dont nous avons aussi pu contribuer personnellement à pousser des personnes hors de l’Église — des personnes comme Shannon Harris. Par exemple des frères et sœurs dont on se moquerait parce qu’ils « déconstruisent » leur foi. Peut-être que tout ce qu’ils ont vu et expérimenté dans l’Église n’a rien à voir avec Jésus, et qu’ils s’en vont sans n’avoir jamais vu son visage.

Rachel Joy Welcher est éditrice pour Fathom Magazine. Elle est l’autrice de Talking Back to Purity Culture: Rediscovering Faithful Christian Sexuality.

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