Des centaines de Palestiniens ont été tués mardi 17 octobre lors d’une explosion dans la cour du seul hôpital chrétien de Gaza, l’hôpital arabe Al-Ahli.
Le ministère palestinien de la Santé dirigé par le Hamas, qui a estimé le nombre de morts à plus de 500, impute à Israël la responsabilité du drame survenu dans la ville de Gaza. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont elles déclaré que l’explosion était due à un tir de roquette raté du Jihad islamique, un groupe militant associé au Hamas. Le président des États-Unis, Joe Biden, en visite en Israël mercredi, a mentionné l’existence de données du ministère de la Défense américain qui confirmeraient les dires d’Israël.
L’hôpital Al-Ahli a été fondé par des missionnaires anglicans et existe dans la région depuis 1882. Pendant quelques décennies, au milieu du 20e siècle, il a été géré par des missionnaires américains de la Convention baptiste du sud. Il dépend actuellement du diocèse épiscopal anglican de Jérusalem.
Connu aussi sous le nom d’Al-Ma’amadani (ou « le baptiste » en arabe), il s’agit de l’un des 22 hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Après l’ordre d’évacuation des environs par Israël, des centaines de Palestiniens s’y sont réfugiés. Selon des reportages, des familles s’abritaient dans la cour où a eu lieu l’explosion.
« Nous sommes ici comme un instrument entre les mains de Dieu pour montrer l’amour de Jésus-Christ pour tous les peuples. Nous sommes fiers que, dans tous les conflits, cet hôpital ait été là pour soulager les souffrances des blessés et des pauvres, et pour aider ceux qui avaient besoin d’un cœur compatissant », exposait récemment Suhaila Tarazi, directrice de l’hôpital Al-Ahli, dans un appel lancé à des sponsors chrétiens.
« Cet hôpital restera un lieu de réconciliation et d’amour. L’histoire de cet hôpital montre que nous sommes tous les enfants d’un seul Dieu, que nous soyons chrétiens, musulmans ou juifs. »
Suhaila Tarazi, une chrétienne arabe venue de Caroline du Sud, fait face au taux de chômage élevé, aux coupures d’électricité et aux troubles divers depuis 30 années qu’elle se trouve à Gaza. Quelques semaines avant la guerre entre Israël et le Hamas, l’hôpital chrétien était déjà débordé et manquait de fonds. La directrice expliquait à un groupe que sa journée de travail commençait à 8 heures le matin et se terminait à 4 heures du matin le lendemain.
« Nous n’avons pas les moyens de payer les salaires du personnel à temps plein. » « Le simple fait d’essayer d’obtenir le carburant dont nous avons besoin pour faire fonctionner les générateurs ajoute une nouvelle couche de difficultés et de souffrances apparemment insurmontables. Nous manquons de médicaments. Nous sommes à court de fournitures. Nous manquons d’équipements médicaux essentiels. Nous manquons de personnel. Que pouvons-nous faire d’autre que de travailler jour et nuit ? Je suis épuisée. »
Avant l’explosion de mardi, l’hôpital avait déjà subi des dommages. Le service d’information de la Communion anglicane rapportait qu’il avait été touché samedi par des tirs de roquettes israéliens, endommageant deux étages de son centre de cancérologie et blessant quatre membres du personnel. Justin Welby, l’archevêque de Canterbury, a publié un communiqué indiquant que l’hôpital manquait de matériel médical et ne pouvait pas évacuer ses patients gravement malades et blessés.
Mercredi, Justin Welby a qualifié l’explosion survenue à l’hôpital de « violation du caractère sacré et de la dignité de la vie humaine ».
« Il s’agit d’une violation du droit humanitaire, qui stipule clairement que les hôpitaux, les médecins et les patients doivent être protégés », a-t-il déclaré. « C’est pourquoi il est essentiel que nous fassions preuve de retenue dans l’attribution des responsabilités avant que tous les faits ne soient clarifiés. »
Après l’explosion de mardi, environ 350 blessés ont été envoyés dans un hôpital voisin, qui était déjà lui-même submergé. L’incident a déclenché des protestations dans les pays arabes, où les manifestants réclament la fin des frappes aériennes israéliennes. En conséquence, la Jordanie a annulé un sommet prévu avec Joe Biden.
« Dans une unité sans faille, nous dénonçons avec véhémence ce crime et le condamnons avec la plus grande fermeté. Les premières informations sur la tragédie de l’hôpital de l’Église à Gaza nous ont plongés dans la tristesse, car il s’agit d’une transgression profonde des principes mêmes de l’humanité. Les hôpitaux, désignés comme des lieux sacrés en vertu du droit international, ont été profanés par les forces militaires », ont écrit les patriarches et les chefs des Églises de Jérusalem dans une déclaration commune.
Plus d’un million de Palestiniens ayant reçu l’ordre de fuir leurs maisons, les gens sont désespérément à la recherche de fournitures de première nécessité, de nourriture et d’eau. Après l’explosion de l’hôpital, Israël a autorisé l’entrée dans la bande de Gaza de la première aide humanitaire en provenance d’Égypte depuis 10 jours.
Ailleurs dans la région, à la suite des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre, plusieurs ministères juifs messianiques se sont mobilisés pour aider les membres de l’armée israélienne et pour former un « centre de réponse et de secours d’urgence » pour les Israéliens fuyant les attaques à la frontière. Dans le cadre de leur travail, ils ont collecté des dons, distribué des fournitures aux soldats et envoyé de la nourriture aux familles déplacées.
Au cours de sa longue histoire à Gaza, Al-Ahli a maintenu une présence chrétienne et s’est plusieurs fois trouvé pris entre deux feux dans le conflit en cours.
Selon la thèse de maîtrise de Carlton Carter Barnett III, historien de la médecine au Moyen-Orient, les missionnaires anglicans qui ont ouvert l’hôpital en 1882 y voyaient l’occasion d’apporter l’Évangile aux musulmans, notamment des pauvres, des habitants de la campagne et des femmes.
Le personnel des premiers temps de l’hôpital lisait régulièrement des versets de la Bible et priait avec les patients. Ils prenaient soin des musulmans qui ne voulaient pas mourir « sous un toit chrétien » en les emmenant à l’extérieur de l’hôpital le moment venu, mais pas avant d’avoir offert une dernière fois le message du salut. Les missionnaires britanniques eurent plus de succès dans l’évangélisation des élèves de l’école primaire située dans l’enceinte de l’hôpital.
En 1954, le Foreign Mission Board (aujourd’hui International Mission Board) de la Convention baptiste du sud a acheté l’hôpital, l’a rebaptisé Gaza Baptist Hospital et y a offert des soins pendant les trois décennies suivantes. Bien que le prosélytisme soit illégal à Gaza, les missionnaires baptistes considéraient ce travail comme une bonne occasion de partager l’Évangile et ouvrirent la seule école d’infirmières de Gaza avec la mission à l’esprit.
L’hôpital baptiste de Gaza a soigné les Palestiniens blessés lors de la crise de Suez en 1956 et d’autres incidents dans la région. Pendant que l’Égypte gouvernait Gaza de 1957 à 1967, le président égyptien Gamal Abdel Nasser a visité l’hôpital pour lui exprimer sa reconnaissance pour son travail.
Pendant la guerre des Six Jours en 1967, l’institution a continué à fonctionner bien qu’elle se soit trouvée au milieu d’importants échanges de tirs. Les fenêtres ont été brisées, plusieurs murs se sont effondrés et un membre du personnel a été blessé. Les missionnaires utilisèrent l’église baptiste de Gaza (l’ancien sanctuaire anglican) pour accueillir des lits d’hôpitaux supplémentaires, tandis que 500 personnes y avaient trouvé refuge.
À la fin des années 1970, la Convention baptiste a rendu l’hôpital aux anglicans, qui l’ont placé sous la tutelle du diocèse épiscopal anglican de Jérusalem. Les nouveaux exploitants ont donné à l’institution son nom actuel, l’hôpital arabe Al-Ahli, et le personnel baptiste a continué à y travailler jusqu’en 1987, pendant ce qu’ils ont gardé en mémoire comme un temps d’exacerbation des sentiments antichrétiens, jusqu’à une tentative d’assassinat du directeur intérimaire de l’hôpital par les Frères musulmans.
En 1980, un Palestinien lance deux grenades derrière un mur de l’hôpital, tuant trois personnes, dont un officier israélien et un passant arabe, et en blessant d’autres. En 1989, nous évoquions « l’hôpital Ali Arab géré par l’épiscopat » comme un exemple de partenariat entre Palestiniens chrétiens et missionnaires américains pour aider les victimes de l’escalade de la violence dans la région.
L’église baptiste de Gaza, qui reste la seule communauté évangélique de Gaza, se réunissait dans l’enceinte de l’hôpital jusqu’à ce que la seconde Intifada rende trop difficile la présence d’une église à proximité immédiate de la salle des urgences, rapporte Hanna Massad, un ancien pasteur de l’église qui travaillait en tant que technicien de laboratoire à Al-Ahli.
« Ce qui s’est passé hier est difficile à imaginer », témoigne-t-il. « Ces précieuses personnes sont venues chercher un abri parce qu’elles pensaient qu’elles seraient plus en sécurité dans un hôpital chrétien. »
Le diocèse de Jérusalem gère des établissements médicaux à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, en Jordanie et au Liban. Selon le diocèse, l’hôpital offrait « certains des meilleurs soins médicaux disponibles » au « milieu de l’une des régions les plus troublées du monde », notamment des dépistages gratuits du cancer du sein et le premier programme de formation des médecins de Gaza à la chirurgie mini-invasive.
Le responsable baptiste local Bader Mansour relève que de nombreux articles de presse continuent à décrire l’hôpital comme « baptiste », en dépit de sa direction actuelle.
« Il semble que certains à Gaza se souviennent encore de l’ancien nom et de la contribution des baptistes au service de la population de Gaza, qui se poursuit aujourd’hui par l’intermédiaire de l’église baptiste de Gaza », écrit-il.
Depuis qu’elle travaille à l’hôpital, Suhaila Tarazi a assisté au traitement de centaines d’enfants handicapés des suites des violences du conflit israélo-gazaoui de 2014. Il y a cinq ans, elle a dû faire face à une forte baisse de l’aide américaine à l’agence des Nations unies responsable des Palestiniens, ce qui a fait chuter le nombre de lits disponibles à l’hôpital de 80 à 50.
Entre-temps, la population chrétienne de Gaza, qui a parfois été confrontée à l’hostilité et à la violence de ses voisins musulmans, ne compte plus qu’un millier de personnes.
Depuis les attaques du 7 octobre du Hamas contre Israël, plus de 1 400 personnes ont été tuées en Israël et plus de 3 000 à Gaza, selon les autorités.
« Le chrétien arabe peut être un médiateur entre les juifs et les musulmans, l’Occident et le Moyen-Orient. Pour nous, le christianisme, c’est la paix et l’amour pour tous », dit Suhaila Tarazi telle que citée par Don Liebich dans Memos from the Mountains. « Mais nous craignons que Jésus ne trouve pas un seul disciple lorsqu’il reviendra. L’Église doit aider les chrétiens à rester sur place. C’est la terre du christianisme et de tous Ses disciples. Les chrétiens devraient être là pour aider et donner un bon exemple de ce qu’est le christianisme. »
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