Ne vous conformez pas aux habitudes de l’IA.

Si nous faisons notre travail comme des robots, les robots finiront par nous le prendre.

Christianity Today September 26, 2023
Image créée à l’aide de l’IA/Modifications par Abigail Erickson/Images sources : Getty

Au cœur de l’été, une vidéo de 19 secondes issue du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, a fait le buzz sur Twitter (aujourd’hui X). La grande question politique et économique du 21e siècle serait la suivante : « À quelles fins avons-nous besoin des êtres humains ? » Elle est posée par l’historien israélien Yuval Harari qui déclare, en outre : « À l’heure actuelle, la meilleure idée que nous ayons eue est de les maintenir heureux à l’aide de drogues et de jeux vidéo. »

Les écrits plus généraux d’Harari ne soutiennent pas les perspectives dépeintes dans cette vidéo, et ces 19 secondes ne donnent évidemment pas une idée complète de sa vision de l’avenir. Mais quelle qu’ait été l’intention de l’historien, sa question devient de plus en plus cruciale à mesure que les technologies liées à l’intelligence artificielle envahissent la vie quotidienne.

À quoi servent les humains ? À quoi sert l’IA ? « Quels problèmes voulons-nous que ChatGPT et d’autres jouets et outils d’IA résolvent ? L’IA nous rendra-t-elle de bons services ? Ou bien devrons-nous finalement nous soumettre à la machine ? » s’interrogeait dernièrement Jeffrey Bilbro, auteur et professeur au Grove City College, en Pennsylvanie, dans la revue Plough.

J’ai réfléchi à tout cela dans le contexte de mon propre travail, car des lecteurs me demandent sans cesse si je pense que des programmes comme ChatGPT pourraient remplacer les journalistes. Quelques entreprises de médias, notamment BuzzFeed, ont déjà annoncé qu’elles utiliseraient l’IA pour produire encore plus d’articles de divertissement à un coût encore plus bas qu’auparavant. Les médias plus sérieux, qui produisent des informations solides et des analyses approfondies, feront-ils de même ?

Au risque de paraître trop optimiste, je pense que non. L’IA prendra en charge une partie du travail journalistique, oui, mais pas celui qu’il serait le plus important que nous lisions. L’IA ne remplacera pas le correspondant de guerre, le reporter à la réunion du conseil scolaire, l’intellectuelle publique curieuse de tout ou encore l’essayiste alimentant de nombreux échanges. Je pense que les rédactrices et rédacteurs humains deviendront la marque de fabrique des médias de haute qualité et de prestige (qui ne sont pas nécessairement les mêmes), tout comme un service humain soigné et personnalisé est aujourd’hui la marque de fabrique des restaurants et des hôtels de luxe.

L’IA, quant à elle, se chargera de la collecte d’informations numériques bon marché, récupérées dans des reportages humains et ensuite réassemblées en des synthèses dépassées et de mauvaise qualité. Elle produira un contenu médiocre à partir d’un matériau de base de piètre qualité produit dans les « fermes à contenus » que sont certains sites d’informations de seconde zone.

« L’IA est particulièrement apte à remplacer le travail humain […] dans des situations où les humains se sont déjà conformés, volontairement ou non, au modèle de la machine », estime L. M. Sacasas, observateur chrétien du monde de la tech. « Construisez un système technosocial qui exige que les humains agissent comme des machines et, comme par magie, il s’avèrera que les machines peuvent finalement remplacer les humains avec une relative facilité. »

Ce que signifie se conformer au modèle de la machine dans notre travail varie bien sûr en fonction de l’emploi que nous occupons. Pour moi, faire un travail « machinal » pourrait consister à ne prêter aucune attention à la qualité de mon vocabulaire, à négliger certains faits, à utiliser des raccourcis dans mon argumentation — tout ce qui permet d’aller plus vite, d’augmenter le volume de production et de réduire les coûts.

Dans d’autres secteurs d’activité les détails spécifiques seront différents, mais les valeurs directrices de rapidité implacable, de conformisme bureaucratique, de paresse face à la complexité et de négligence du bien élémentaire des êtres humains seront les mêmes. La plupart des machines sont des outils moralement neutres, mais elles devraient être dirigées par les besoins et les modèles humains, et non l’inverse.

Se conformer au modèle d’une machine pourrait être une façon typiquement moderne de « se conformer au modèle de ce monde », soit se rendre insensible à la volonté de Dieu qui est bonne, agréable et parfaite, manquer de sagesse, oublier la miséricorde de Dieu et se montrer peu enclin à l’adorer et à le servir (Rm 12.1-13).

Être transformés par le renouvellement de notre intelligence n’est pas chose facile. Mais l’IA et les technologies qui s’y rapportent n’en sont pas la première cause. Comme le disait déjà C.S. Lewis dans Les fondements du christianisme, nous avons toujours eu des difficultés sur le chemin de la sanctification, « parce que nous n’avons pas la moindre idée des choses extraordinaires que Dieu veut accomplir à travers nous ». Mais il est clair que l’IA apporte son lot de défis dans notre marche avec le Christ, avec de nouvelles possibilités de nous comporter en deçà de ce qu’est notre humanité et de nous déformer d’étranges manières.

La promesse de l’IA, comme celle de nombreuses machines, est de nous libérer du travail humain pour réaliser de meilleures choses. Certains travaux sont certainement bons à pouvoir laisser de côté. Mais il ne nous faudrait pas manquer ce que Bilbro appelle une « lutte disciplinée et laborieuse » qui nous façonne et nous fortifie et contribue à notre sanctification. Éviter cela ne nous rendra pas plus libres, mais risque plutôt de nous affaiblir et de nous mener sur le chemin du vice.

Traduit par Anne Haumont

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