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Décès de Gordon Fee, qui invitait les évangéliques à adopter un autre regard sur la Bible

Cet « érudit de feu », spécialiste du Nouveau Testament, voulait enseigner l’Écriture comme une rencontre avec Dieu.

Gordon Fee

Gordon Fee

Christianity Today October 31, 2022
Regent College / edits by Rick Szuecs

Le premier jour d’un cours de Nouveau Testament, Gordon Fee avait dit à ses étudiants au Wheaton College, qu’ils tomberaient un jour sur un gros titre disant « Gordon Fee est mort ».

« N’y croyez pas ! » avait-il clamé, juché sur un bureau. « Il chante avec son Seigneur et son roi. »

Puis, au lieu de distribuer le plan de cours comme c’était l’habitude, il fit chanter à la classe l’original anglais de « Seigneur, que n’ai-je mille voix », de Charles Wesley (« O For a Thousand Tongues to Sing »).

Fee, un professeur de Nouveau Testament très influent qui croyait que la lecture de la Bible, l’enseignement de la Bible et l’interprétation de la Bible devaient amener les gens à rencontrer un Dieu vivant, se décrivait lui-même comme un « érudit de feu ». Il est décédé mardi 25 octobre à l’âge de 88 ans — même si, comme le savent ceux qui l’ont côtoyé en classe ou dans ses nombreux livres, ce n’est pas ainsi qu’il aurait décrit sa situation.

Au début des années 1980, Fee avait coécrit Un nouveau regard sur la Bible avec Douglas Stuart, un collègue du séminaire théologique Gordon-Conwell. La version originale du livre How to Read the Bible for All Its Worth en est à sa quatrième édition et s’est vendue à environ un million d’exemplaires. L’ouvrage est devenu pour beaucoup le texte de référence sur la meilleure façon d’aborder les Écritures. Il était également l’auteur d’un manuel d’interprétation biblique abondamment repris, de plusieurs commentaires très appréciés sur les épîtres du Nouveau Testament et d’un travail universitaire sans précédent sur la place du Saint-Esprit dans la vie et l’œuvre de l’apôtre Paul.

« Si vous aviez demandé à Paul de définir ce qu’est un chrétien », avait un jour dit Fee dans notre magazine, « il n’aurait pas dit : “Un chrétien est une personne qui croit telle et telle doctrine sur le Christ”, mais “Un chrétien est une personne qui marche dans l’Esprit, qui connaît le Christ”. »

De la même manière, Fee soutenait que l’étude de la forme, de l’histoire et du contexte de l’Écriture en valait la peine parce qu’il ne s’agissait pas d’une « simple histoire ». Bien faite, l’interprétation biblique frappe comme l’éclair

« Notre exégèse porte du fruit lorsque nous nous tenons nous-mêmes dans un indicible émerveillement en présence de Dieu », écrivait-il. « Nous devons entendre les paroles avec notre cœur, nous devons nous prélasser dans la gloire même de Dieu, nous devons être touchés par un sentiment de crainte accablante devant les richesses de Dieu dans sa gloire, nous devons repenser à l’incroyable merveille que ces richesses sont nôtres dans le Christ Jésus, et nous devons ensuite adorer le Dieu vivant en chantant des louanges à sa gloire. »

Lorsque la nouvelle de sa mort s’est répandue sur les médias sociaux, des pasteurs et des professeurs de séminaire de tout le milieu évangélique ont évoqué les livres de Fee qui les ont le plus marqués. Wesley Hill, professeur de Nouveau Testament au Western Theological Seminary, estime que God's Empowering Presence a été l’un des textes les plus marquants qu’il ait lus. Greg Salazar, pasteur de l’Église presbytérienne américaine, écrit qu’il utilise en ce moment le commentaire de Fee sur Philippiens pour une série de sermons. Peter Englert, pasteur dans une Église non confessionnelle de New York, fait l’éloge du commentaire de Fee sur 1 Corinthiens.

Denny Burk, professeur du Southern Baptist Theological Seminary, qui était en profond désaccord avec Fee sur la question de la place des femmes dans le ministère, a déclaré que Fee était « l’un des spécialistes du Nouveau Testament les plus influents qui aient jamais vécu ».

Le nom de Fee n’était pas connu de la plupart des membres des Églises évangéliques, mais cela ne fait que souligner l’importance de sa contribution.

« Aucun des membres de mon Église ne pourrait vous dire qui est Gordon Fee », écrit Griffin Gulledge, pasteur de la Madison Baptist Church à Madison, dans l’État de Géorgie. « Mais chacun d’entre eux a bénéficié de son travail. Je parie que c’est vrai dans des dizaines de milliers d’Églises. »

Manier les Écritures avec précaution

Fee était né dans la famille de Donald et Gracy Jacobson Fee à Ashland, Oregon, le 23 mai 1934.

Son père Donald était un charpentier habile et un prédicateur textuel dans les Assemblées de Dieu. Gordon grandit en observant la différence entre les sermons prudents de son père, qui décortiquait le sens de la Bible, et certaines approches moins cadrées adoptées par d’autres ministres des Assemblées de Dieu.

De nombreux pentecôtistes semblaient penser que la planification et l’étude inhiberaient le Saint-Esprit, déclarera-t-il par la suite. Ils saisissaient une phrase de l’Écriture et parlaient ensuite à bâtons rompus, confiants que Dieu pourrait guider leurs paroles s’ils étaient ouverts et spontanés. Certains ne choisissaient même pas le texte de leur sermon à l’avance, ouvrant la Bible et demandant à Dieu de les guider sur le moment.

Les résultats ne témoignaient pas toujours de la puissance du Saint-Esprit.

Le père de Fee, en revanche, croyait que Dieu honorait la préparation et que l’Écriture, tout comme une belle pièce de bois, devait être maniée avec habileté et soin.

« Mon père fut le premier érudit que j’ai rencontré », écrivit Fee, « même si, dans ces premières années, je ne le reconnaissais pas. Pourtant, sa passion pour la vérité et sa détermination à creuser profondément dans les Écritures […] ont déteint sur moi. »

Fee décida de suivre les traces de son père dans le ministère. Il se rendit au Seattle Pacific College (aujourd’hui University), où il rencontra et épousa Maudine Lofdhal, qui était également fille d’un pasteur des Assemblées de Dieu. Après avoir obtenu sa maîtrise, Fee accepta un poste de pasteur dans les banlieues en pleine expansion au sud de l’aéroport de Seattle-Tacoma et, pour joindre les deux bouts, il commença également à enseigner l’anglais au Northwest College (aujourd’hui University), l’école affiliée aux Assemblées de Dieu à Kirkland, dans l’État de Washington.

Fee découvrit qu’il aimait enseigner. Il aimait tellement ça, disait-il, qu’il en avait mal aux dents.

Il lutta pendant plusieurs années dans un conflit entre une vocation pour le ministère — il envisageait avec Maudine de devenir missionnaire au Japon — et une vocation pour le monde universitaire. Le tournant se produisit, comme Fee le racontera plus tard, lorsqu’un collègue lui dit : « Gordon, ce n’est pas parce que tu veux le faire que Dieu s’y oppose ».

Fee prit conscience que « cela pourrait bien sûr aussi être une sorte de vocation ». Il décida de s’inscrire à l’université de Californie du Sud pour obtenir un doctorat en études du Nouveau Testament, axé sur la critique textuelle. Il rédigea sa thèse sur le Papyrus 66, une copie presque complète de l’Évangile de Jean qui serait l’un des plus anciens manuscrits du Nouveau Testament.

Même s’il se lança dans une carrière universitaire, il ressentit une certaine tension entre ses identités d’universitaire et de pentecôtiste. Il obtint un poste d’enseignant au Wheaton College, et découvrit qu’il était le premier pentecôtiste que beaucoup de ses collègues avaient jamais rencontré — et certainement le premier qui avait un doctorat en études bibliques.

Influence sur la version anglaise NIV

Ses collègues pentecôtistes des Assemblées de Dieu, quant à eux, n’ont pas toujours célébré son succès dans le monde universitaire. Un jour, alors qu’il lui parlait de ses recherches universitaires, un homme plus âgé le mit en garde contre les dangers spirituels de l’érudition.

« Mieux vaut un fou de feu », dit l’homme, « qu’un érudit de glace »

En priant à ce sujet, cependant, Fee réalisa que l’alternative était trompeuse. Il pouvait être « un érudit de feu ».

Il enseigna à Wheaton pendant cinq ans, puis prit un poste au Gordon-Conwell Theological Seminary. Il y resta plus de dix ans avant de rejoindre le Regent College de Vancouver, en Colombie-Britannique, où il enseigna le Nouveau Testament jusqu’à sa retraite.

Fee a écrit des commentaires universitaires et populaires sur 1 et 2 Corinthiens, 1 et 2 Timothée, 1 et 2 Thessaloniciens, Philippiens et l’Apocalypse. Il a produit des études approfondies sur la christologie et la pneumatologie de l’apôtre Paul. Il a coordonné l’influente série New International Commentary et a également travaillé pendant plus de 30 ans avec le Committee on Bible translation, l’équipe de spécialistes responsable de la New International Version. Selon Douglas Moo, titulaire de la chaire d’études bibliques de Wheaton, les lecteurs de la NIV « rencontrent ses suggestions de traduction presque à chaque page ».

La contribution la plus importante de Fee, cependant, est peut-être à trouver dans son enseignement à l’école du dimanche. Il avait constaté que de nombreux chrétiens adultes, dont certains avaient passé toute leur vie à l’Église, ne savaient pas comment lire la Bible. Ils comprenaient les chapitres et les versets, et pouvaient même avoir mémorisé certains passages, mais souvent ils ne comprenaient pas les différences significatives entre les diverses parties de l’Écriture.

« Quelle est la différence entre une nouvelle et un poème ? » demandait-il. « On ne lit pas un poème comme on lit une nouvelle, ou une nouvelle comme on lit un poème […] Pourquoi quelqu’un voudrait-il mettre ces choses sur le même plan comme si ça ne faisait aucune différence ? […] Cela fait toute la différence du monde ! Dieu a choisi de faire les choses de cette façon. Ce n’est pas la découverte de Gordon. C’est Dieu qui a fait ça. »

Avec Douglas Stuart, professeur d’Ancien Testament, il avait publié en 1981 Un nouveau regard sur la Bible. Fee, exagérant un peu, affirmait que son éditeur chez Zondervan l’avait envoyé à tous les biblistes d’Amérique du Nord. « Je ne sais pas combien de centaines d’exemplaires il a envoyés, dit-il, mais en un an, les ventes ont explosé. » La version française vient d’être rééditée en 2021.

Les dons de l’Esprit

La position de Fee en tant qu’éminent spécialiste pentecôtiste de la Bible dans des institutions évangéliques de premier plan lui valut d’être parfois mêlé à des controverses théologiques. Dans les années 1970 et 1980, il fut entraîné dans le débat pentecôtiste sur la question de savoir si le parler en langues était la « preuve initiale » de l’habitation du Saint-Esprit. Certains l’accusèrent de « rejeter » de la doctrine fondatrice du pentecôtisme.

« Je ne rejette pas la preuve initiale », répondit-il. « Je rejette ce langage, car il n’est pas biblique, et donc sans pertinence. »

Fee a également encouragé les femmes dans le ministère sur la base de sa lecture du Nouveau Testament. Il a soutenu le Council for Biblical Equality et a contribué à la rédaction de l’ouvrage collectif Discovering Biblical Equality : Complementarity without Hierarchy, commentant 1 Corinthiens 11.2-6 et Galates 3.26-29.

Fee a également écrit sur le rôle du Saint-Esprit dans l’Église du Nouveau Testament : « Ce que montre le Nouveau Testament est que le Saint-Esprit est inclusif en matière de genre, équipant à la fois hommes et femmes, et donc libérant potentiellement le corps entier pour que toutes les parties puissent exercer leur ministère et donner de diverses manières la direction aux autres. Ainsi, ma position ne relève pas d’un agenda féministe — un plaidoyer pour les femmes dans le ministère. Il s’agit plutôt de l’agenda de l’Esprit ».

Cette position lui a valu plus de critiques que tout ce qu’il a écrit d’autre. Il estimait être sur la « liste noire » de certains cercles évangéliques.

« J’ai enduré beaucoup de balivernes », déclarait-il au magazine Charisma. « Je n’arrive pas à croire que certaines personnes pensent que le sexe passe avant le don. »

Cependant, Fee a surtout essayé d’éviter les controverses, se concentrant sur ses cours et enseignant aux gens à lire la Bible d’une manière transformatrice.

« Les cours rigoureux de Gordon étaient encore plus particulièrement connus pour leurs opportunités de rencontre avec son Seigneur », rapporte Rikk Watts, professeur de Nouveau Testament au Regent College. « Il a montré à des milliers d’étudiants dans le monde entier que l’on pouvait être un “érudit de feu” »

Fee est décédé chez lui à New York. Son épouse l’avait précédé dans la mort en 2014. Il laisse derrière lui ses enfants, Mark, Cherith Nordling, Brian et Craig. Des commémorations sont prévues à New York et à Vancouver.

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