À l’issue d’une de mes conférences, une étudiante chrétienne s’est approchée de moi. Elle voulait me demander si les Noirs étaient mal à l’aise avec le fait que Jésus soit blanc. J’ai répondu que Jésus n’était pas blanc. « Le Jésus historique ressemblait probablement plus à la femme noire que je suis qu’à la femme blanche que vous êtes ».
Il n’y avait pour moi rien de surprenant dans la supposition de cette étudiante ni dans l’assurance avec laquelle elle l’affirmait. Dans le contexte chrétien en Amérique du Nord, je rencontre si souvent cette idée que j’en suis venue à croire qu’il s’agit là de l’hypothèse par défaut sur l’apparence de Jésus. Le Jésus blanc est partout. Fresques, statues, crèches, cartes de Noël : très souvent, c’est un Jésus blanc qui y apparaît. En 2013, c’est un Jésus blanc que mettait en scène l’impressionnante minisérie de la chaîne History Channel intitulée The Bible pour plus de 100 millions de téléspectateurs. Dans la plupart des représentations occidentales, Jésus est blanc.
Si le Christ Seigneur transcende les couleurs de peau et les divisions raciales, le Jésus blanc a de réelles conséquences. Selon toute vraisemblance, si vous fermez les yeux et imaginez Jésus, vous imaginerez un homme blanc. Sans le vouloir ni l’avoir vraiment conscientisé, beaucoup d’entre nous sont devenus disciples d’un Jésus blanc. Non seulement ce Jésus blanc est inexact, mais il pourrait également inhiber notre capacité à honorer l’image de Dieu chez les personnes d’autres couleurs.
Jésus de Nazareth avait probablement un teint plus foncé que nous ne l’imaginons, un peu comme la peau mate courante chez les Moyen-Orientaux aujourd’hui. Le bibliste de Princeton James Charlesworth va jusqu’à dire que Jésus était « probablement brun foncé et bronzé ». Les premières représentations d’un Jésus adulte le montraient avec un « type oriental » et un teint brun. Mais au 6e siècle, certains artistes byzantins ont commencé à imaginer Jésus avec une peau blanche, une barbe et des cheveux séparés au milieu. Cette image est devenue la norme.
Pendant la période coloniale, l’Europe occidentale a le plus souvent exporté son image d’un Christ blanc, et le Jésus blanc a façonné la façon dont des chrétiens du monde entier comprenaient le ministère et la mission de Jésus. Certains chrétiens du 19e siècle, désireux de justifier les cruautés de l’esclavage, s’efforcèrent de présenter Jésus comme blanc. En niant sa proximité avec la minorité opprimée à la peau sombre, les propriétaires d’esclaves étaient mieux en mesure de justifier la hiérarchie maître-esclave et d’oublier la vocation de Jésus en vue de la libération des opprimés (Lc 4.18).
En tant que Juif, Jésus faisait pourtant partie d’une minorité ethnique dans l’Empire romain. Les Juifs furent marginalisés par les Romains, les Grecs et d’autres groupes non juifs dans de nombreuses villes antiques. Enfant, Jésus fut la cible d’un infanticide à l’initiative du pouvoir, dut fuir en Égypte comme réfugié, puis vécut sous l’exploitation par les percepteurs d’impôts romains. Tout au long de sa vie, il connut la douleur d’être membre d’un groupe ethnique dont la culture, la religion et les expériences sont marginalisées par les autorités en place.
Le fait que Jésus appartenait à une minorité ethnique nous oblige à réévaluer son identité et ceux avec qui il s’est associé dans l’accomplissement de sa mission. Lorsque les gens qui se trouvaient à la marge se rassemblaient, Jésus était parmi eux, non seulement parce qu’il les servait, mais parce qu’il était l’un d’entre eux. En tant que membre d’un groupe opprimé, Jésus ne faisait pas que se soucier des personnes victimes de la violence du système romain, il en était lui-même victime. Jésus ne se souciait pas simplement des réfugiés, Jésus était un réfugié. Jésus ne se souciait pas simplement des pauvres, il était pauvre. Pour Jésus, son ministère signifiait connaître de l’intérieur la douleur des plus marginalisés de la société.
Pour suivre Jésus dans sa mission aujourd’hui, nous avons besoin de choisir un amour qui se fasse véritablement solidaire. De nombreux chrétiens bien intentionnés traversent les fossés sociaux pour servir leur prochain, mais les Blancs peuvent s’occuper des personnes de couleur sans vraiment les considérer comme des égaux, et des personnes aux revenus élevés peuvent servir les personnes à faible revenu tout en connaissant peu les réalités de leur quotidien. L’identité ethnique et la situation sociale de Jésus nous poussent à aller au-delà du service des personnes marginalisées, pour nous tenir à leurs côtés comme Jésus se tient à leurs côtés.
Cela implique de considérer les perspectives et les coutumes culturelles non occidentales comme valables et précieuses, d’écouter ceux que notre contexte marginalise et de démontrer par nos paroles et nos actions que l’Évangile est à la source d’une libération spirituelle et sociale.
Mais avant tout, ceux qui s’imaginent encore un Christ blanc devraient se demander s’ils sont prêts et disposés à adorer un Jésus à la peau sombre.
Christena Cleveland est professeure agrégée de pratique de la réconciliation à la Divinity School de l’Université Duke.
Traduit par Teodora Haiducu
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