Penni Hill ne s’attendait pas à ce que le First Step Pregnancy Resource Center de Bangor, dans l’État américain du Maine, devienne la cible de manifestants opposés à l’avortement. En effet, ce centre d’aide à la grossesse est une alternative « pro-vie » à une clinique d’avortement, aidant les femmes à faire le choix de mener leur grossesse à terme.
Mais quelques jours après la révélation d’un projet de décision de la Cour suprême des États-Unis annulant l’arrêt Roe v. Wade, qui avait instauré en 1973 un droit à l’avortement dans l’ensemble du pays, le centre a reçu des appels téléphoniques de personnes leur criant que l’avortement est un meurtre. Alors que la température du débat monte en flèche, certaines personnes en colère ne savent plus qui est de quel côté. C’est dans ce contexte que la directrice du centre d’aide à la grossesse a découvert que le panneau du centre et son support sur la porte d’entrée avaient été arrachés.
« Nous n’avons jamais rien eu de tel ici », déclare Penni Hill, dont le centre entretient de suffisamment bonnes relations avec le service de santé local pour que celui-ci lui envoie des participants pour des cours sur la parentalité. « La ville était en ébullition ».
Dans le Maine, même si l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade est adoptée, les avortements resteraient légaux jusqu’à la date de viabilité légale de l’enfant, soit 24 semaines. Penni Hill a été interrogée par les médias locaux de Bangor, en contrepoint aux reportages sur les manifestants qui défendent le droit à l’avortement.
Cependant, elle et d’autres responsables de centres d’aide à la grossesse, tant dans les États républicains que dans les États démocrates, affirment que les femmes dont ils s’occupent n’abordent pas du tout cette actualité.
« Je ne sais pas si nos patientes savent ce qui se passe », dit Hill. « Si elles sont confrontées à une grossesse non planifiée, elles ne font peut-être pas attention aux actualités ».
Pour les femmes qui envisagent d’accueillir un enfant non attendu, il y a des préoccupations plus pressantes, comme la pénurie nationale de lait maternisé. Melanie Miller, directrice générale du centre d’aide à la grossesse d’Ashland, dans l’Ohio, rapportait le 5 mai que son centre avait organisé une distribution de lait maternisé et qu’une mère était arrivée en sanglots parce qu’elle n’avait pu en trouver nulle part.
Dans le pays, les centres d’aide à la grossesse — des organisations confessionnelles pro-vie qui offrent des services allant du conseil de base aux soins médicaux complets pour les femmes confrontées à une grossesse non planifiée ou à d’autres besoins comme le dépistage des IST — se retrouvent au milieu d’une situation chaotique. La nouvelle selon laquelle la Cour suprême pourrait annuler la décision de 1973 les laisse plus tendus que triomphants.
Ils avaient anticipé une éventuelle décision en juin, mais n’étaient pas préparés à vivre cette agitation politique sans une décision effective.
Depuis la révélation du projet de décision, certains centres pour femmes enceintes ont été la cible d’actes de vandalisme. Deux jours après, quelqu’un cassait les fenêtres du Southeast Portland Pregnancy Resource Center dans l’Oregon et peignait à la bombe une obscénité à propos des centres d’aide à la grossesse. Le centre, dont le personnel médical effectue des échographies et des tests de dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST), fait partie d’une organisation faîtière, First Image, qui propose également un accompagnement du deuil en cas de fausse couche ou périnatal, ou pour les femmes qui ont subi un avortement ou font le deuil d’un enfant adopté.
« Lorsque le monde s’échauffe, je crois que nous sommes appelés à nous concentrer sur le travail de rédemption », écrit le directeur général Luke Cirillo dans un billet de blog rapportant les déprédations subies par le centre.
Dans le Wisconsin, la police a signalé que quelqu’un avait mis le feu au bureau d’un groupe politique opposé à l’avortement, en écrivant dans un graffiti : « Si les avortements ne sont pas en sécurité, alors vous ne l’êtes pas non plus ».
Le 4 mai, le personnel se rendant au travail dans un autre centre d’assistance aux femmes enceintes, Care Net, à Frederick, dans l’État du Maryland, a découvert des graffitis recouvrant le bâtiment. On pouvait lire en rouge et noir : « Fausse clinique… stop à la maternité forcée… l’avortement est un droit humain ».
Si l’arrêt Roe v. Wade est annulé, le Maryland continuera à autoriser l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus, et au-delà si la vie ou la santé de la femme est mise en danger. Un donateur du centre, propriétaire d’une entreprise de construction, a fait recouvrir les graffitis en fin d’après-midi. À l’intérieur, le centre accueillait un programme de guérison pour les femmes ayant subi un avortement.
« C’est troublant et déconcertant », commente la directrice générale Linda King. « Nous sommes une vraie clinique, nous avons toutes les autorisations requises par l’État, notre médecin est un gynécologue-obstétricien agréé dans l’État du Maryland. »
Il n’est cependant pas toujours évident de savoir ce qui a précisément motivé une attaque. Linda King rapporte que la nuit précédant le vandalisme, une réunion animée du conseil d’éducation local débattait de la sensibilisation au dépistage des IST pour les collégiens et d’une vidéo scolaire indiquant aux adolescents de se rendre auprès des services de planification familiale pour se faire dépister. Un ancien membre du conseil d’administration du centre d’aide aux femmes enceintes s’est levé lors de la réunion pour dire que Care Net proposait également des tests gratuits de dépistage des IST. Linda King ne sait pas si le graffiti était lié à cette discussion locale ou à la révélation à propos de la Cour suprême, ou aux deux.
Care Net est en train d’installer plus de caméras de sécurité autour du bâtiment.
Une nouvelle génération de centres de soutien à la grossesse tente d’être moins politisée et de répondre aux divers besoins des femmes enceintes, pendant et après leur grossesse. La plupart des centres annoncent les services spécifiques qu’ils proposent et précisent qu’ils ne pratiquent pas d’avortement.
« Je pense que nous devons être francs et honnêtes dès le départ. Personne n’aime être trompé sur la marchandise », explique Savannah Marten, directrice générale du centre d’aide à la grossesse de Greater Toledo, dans l’Ohio.
La ville de New York, cependant, a mis en ligne sur le site de son département de la santé une section intitulée « Éviter les fausses cliniques », faisant référence aux centres d’aide à la grossesse, et des liens vers une « carte des fausses cliniques », qui inclut les plus inoffensifs des centres de conseil et de soutien confessionnels.
Anne O’Connor, vice-présidente des affaires juridiques de NIFLA, une organisation qui chapeaute plusieurs centres de grossesse, a indiqué qu’elle appelait les centres à renforcer leur sécurité.
À l’écart d’une volonté de célébrer et des médias sociaux
Bon nombre de centres pour femmes enceintes contactés par nos soins ont déclaré qu’ils étaient soumis à un interdit médiatique, soit de la part de leur organisation mère, soit de leur propre chef. Ils ne voulaient pas commenter une situation incertaine, ni devenir des cibles dans le débat.
Le centre de Greater Toledo, dans l’Ohio, avait préparé une déclaration en prévision d’une éventuelle annulation de Roe v. Wade par la Cour suprême. Mais ils ont décidé de ne rien publier en raison de l’incertitude entourant la fuite du projet de décision. Savannah Marten, la directrice générale, confie que les nouvelles et les discussions sur les médias sociaux, notamment les affirmations selon lesquelles le camp pro-vie ne se soucie pas des femmes, ont été « épuisantes ».
« J’essaie de protéger mon équipe de cela ici », en leur disant de ne pas aller sur Internet pour essayer de se défendre. « J’ai vu un post sur Instagram qui déclarait : “Je n’ai jamais rencontré une personne pro-vie qui aborde la question de l’accès aux soins de santé, des garderies accessibles, de la formation universitaire.” Des centaines de personnes renchérissent : “Oui, je n’en ai jamais rencontré.” Je croirais devenir folle. Nous sommes là ! »
« Au même moment, nous faisons entrer des femmes dans un logement. Au même moment, nous les sortons de la violence domestique. Au même moment, nous leur fournissons des meubles », poursuit Savannah Marten. « Pour mon équipe, rentrer à la maison tous les jours et se faire incendier par des discours du type : “Si vous vous souciiez vraiment…” en allumant les actualités ou en ouvrant les réseaux sociaux, c’est une charge émotionnelle importante. »
Les centres trouvent qu’il est difficile de faire le lien entre certaines discussions nationales et ce qu’ils voient dans leurs communautés locales. Savannah Marten affirme que son centre a une relation « plutôt bonne » avec le centre d’avortement de la ville, qui comprend le travail effectué par le centre de grossesse, mais elle précise que cela a demandé cinq ans de travail. Néanmoins, compte tenu du débat national après la fuite de la Cour suprême, son centre a organisé une séance d’information sur la sécurité pour le personnel.
Une clientèle en hausse, mais pas à cause du débat en cours
Alors que les centres pour femmes enceintes des États démocrates, plus libéraux, s’attendent à un nombre plus élevé de clientes cherchant à se faire avorter au-delà des frontières de leur État, les centres de grossesse des États conservateurs tentent également d’adapter leur mode de fonctionnement. Les centres d’aide à la grossesse du Texas ont vu un afflux immédiat de femmes dans le besoin après que le Texas a adopté une loi interdisant les avortements après six semaines.
« Du jour au lendemain, cela a changé la façon dont les centres de grossesse s’acquittent de leur mission », rapporte Melanie Miller, directrice générale du centre d’Ashland. « Les femmes n’ont pas le temps. Elles doivent prendre une décision tout de suite. »
Les situations individuelles, bien sûr, ne correspondent pas toujours aux débats nationaux. Elle explique que les cinq semaines qui suivent les vacances de printemps sont toujours une période d’activité intense pour son centre, mais elle n’a entendu aucun patient évoquer la question de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade. Le centre de Greater Toledo a vu une augmentation significative du nombre de femmes envisageant l’avortement cette année, mais Savannah Marten n’a pas entendu beaucoup de gens parler de la Cour suprême.
« Chacune a ses propres raisons de franchir nos portes. »
Lisa Hogan, directrice générale du centre d’aide à la grossesse Sav-A-Life à Birmingham, en Alabama, estime que les centres de grossesse serviront au mieux les gens en restant constants et en ne changeant pas leur approche en fonction des hauts et des bas des luttes autour de l’avortement, de la politique et de l’actualité.
« Nous ne changeons rien à ce que nous faisons. Nous le faisons depuis 42 ans. » « Nous serons peut-être plus occupés… Nous rencontrerons les personnes là où elles sont, et les aimerons là où elles sont. »
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