Dans le monde chrétien, les histoires laissant la place à une part de ténèbres, en particulier pour les enfants, suscitent souvent bien des froncements de sourcils. Le contenu de certains livres ou films est scrupuleusement analysé. Des mères inspectent et signalent chaque parcelle d’ombre comme si elles avaient découvert une malicieuse hormone de croissance dans un beignet de poulet.
En tant qu’auteur de romans pour enfants, je suis souvent interrogé sur le choix de mes ingrédients. Un garçon découvre et ouvre des dizaines de petites portes magiques. Tout devrait bien se passer, non ? Pourquoi faudrait-il que ce soit dangereux ? Pourquoi inclure la solitude, l’absence du père et un ennemi terrifiant ?
Deux enfants délaissés, vivant dans un motel en bord de route, sont emmenés à Ashtown, un endroit où bon nombre des secrets les plus fous de ce monde ont été gardés pendant des siècles. Cela pourrait faire une super soirée pyjama. Alors, pourquoi inclure la douleur ? Pourquoi les enfants doivent-ils faire face à des difficultés ? Pourquoi les méchants doivent-ils être si méchants ? Cela ne vaudrait-il pas mieux pour tout le monde si le mal n’était qu’un plaisantin ? Quelque chose de léger ? Plutôt de l’ordre de la rivalité entre étudiants que d’une question de salut ou de damnation ?
Ce n’est pas comme cela que je vois les choses…
Réfléchissez à ceci : les choix artistiques de Dieu devraient diriger les nôtres. Plus que tout autre type d’artiste, les artistes chrétiens devraient être des passionnés de vérité, et avoir à cœur de la transmettre. Plus que tout autre consommateur, les lecteurs chrétiens — et les parents de jeunes lecteurs — devraient être des chercheurs de vérité.
Je comprendrais que des non-croyants abreuvent leurs enfants de récits gais et sans accrocs, pleins d’un enthousiasme trompeur. Leurs enfants finiront par grandir et réaliser à quel point la réalité est terrible, écrasante et dénuée de sens. Autant donc les emmailloter dans des illusions du type Père Noël tant qu’ils sont encore assez naïfs pour y croire. Mais un parent chrétien devrait toujours chercher à servir la vérité. La question qui reste est celle du dosage.
Protégez vos enfants. Oui. Absolument. Mais utilisez un abri de pique-nique, pas un bunker obscur ou des lunettes de réalité virtuelle qui changent les nuages en barbe à papa. Dans la sécurité qu’ils ont auprès de vous, régalez-vous ensemble de fiction. Riez avec eux à travers de terribles aventures bouillonnantes de la réalité du monde. Ils devraient sentir le vent et craindre la foudre, contempler des insensés et des héros, tout en restant protégés.
Les artistes chrétiens devraient offrir des temps de sabbat, pas des échappatoires. Nous devrions proposer des espaces de repos et d’inspiration qui nourrissent, alimentent et permettent aux lecteurs de s’engager plus profondément dans la réalité en tant qu’hommes et femmes de foi. Qui leur permettent de sortir du refuge le moment venu.
Dans votre abri de pique-nique, prévoyez des histoires qui bénissent les humbles et brisent les orgueilleux. Des histoires qui utilisent les épreuves pour purifier les personnages de leurs travers. Des histoires qui honorent ce qui est honorable et condamnent ce qui est condamnable.
L’enfance est un temps pour connaître la vérité, et l’âge adulte est un temps pour une compréhension plus profonde de cette même chose. Pour semer le courage, nous devons montrer la peur. Pour parler du triomphe, nous devons construire des ennemis. Pour dire la vérité sur ce que signifie agir de manière héroïque, nous devons développer une fiction pleine de dangers.
G. K. Chesterton disait : « Si les personnages ne sont pas mauvais, c’est le livre qui l’est ». Nous devons raconter des histoires à la manière de Dieu, des histoires dans lesquelles une sœur doit faire flotter son petit frère sur une rivière avec rien d’autre qu’un panier entre lui et les crocodiles. Des histoires dans lesquelles un roi agit en lâche tandis qu’un berger s’avance pour faire face au géant. Des histoires avec des serpents brûlants, des Léviathans et des sermons au milieu de la tempête. Des histoires dans lesquelles des meurtriers sont aveuglés sur leur âne et deviennent des héros. Des histoires de fosses aux lions, de fournaises ardentes et de prophètes solitaires se moquant des rois, des prêtres et des démons. Des histoires avec des têtes sur des plateaux. Des histoires de courage, de croix et de rédemption. Des histoires de résurrections.
Et les résurrections nécessitent des morts.
Nous ne rendons service à personne lorsque nous prétendons chasser les ténèbres de ce monde. Nous ne faisons que neutraliser le besoin de grâce. Et nous occultons le triomphe glorieux qui doit se produire après l’obscurité. Oui, le mal doit être modéré et parfois atténué dans l’art pour les enfants (et les adultes). À un certain degré, la connaissance du mal peut nuire au lecteur ou au spectateur.
Mais la relation entre le bien et le mal dans nos histoires devrait refléter la relation entre le bien et le mal dans les histoires de Dieu. Cette relation devrait présenter une vision du monde cohérente entre les œuvres destinées aux enfants de huit ans et celles destinées à ceux qui en ont quatre-vingts. Notre objectif est de promouvoir et de consommer la vérité, d’en être nourris, fortifiés, et de nous lever de nos sabbats narratifs prêts à vivre des vies plus dures, prêts à aimer et à rire plus profondément. De telles histoires nous préparent à nous engager dans le glorieux fracas qui nous mène tous vers notre propre tombe, et au-delà.
Jeunes et vieux, nos histoires devraient nous nourrir pour ce voyage.
Traduit par Teodora Haiducu
Révisé par Léo Lehmann