Qu’est-ce que le nationalisme chrétien ?

En quoi cette pensée est-elle à distinguer d’autres formes de nationalisme, du patriotisme ou du christianisme ? Explication.

Christianity Today March 22, 2021
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Cameron Smith / Mohammad Aqhib / Unsplash / Reza Estakhrian / Getty Images

Depuis la « marche de Jéricho » en décembre à Washington, D. C., et depuis qu'une foule de partisans de Trump – nombre d’entre eux arborant des signes, slogans ou symboles chrétiens – se sont soulevés et ont pris d'assaut le bâtiment du Capitole américain le 6 janvier dernier, vous avez peut-être entendu parler des méfaits du nationalisme chrétien aux États-Unis.

Qu'est-ce que le nationalisme chrétien et en quoi est-il différent du christianisme ? En quoi est-il à distinguer du patriotisme ? Comment les chrétiens devraient-ils concevoir leur nation ? Si le nationalisme est une mauvaise chose, cela signifie-t-il que nous devions rejeter également l’appartenance nationale et la loyauté à l’égard de notre pays ?

Qu'est-ce que le patriotisme, et est-ce une bonne chose ?

Le patriotisme, c’est l’amour de son pays. Il est à distinguer du nationalisme, qui touche à la manière dont nous définissons notre pays. Les chrétiens devraient reconnaître que le patriotisme est bon parce que toute la création de Dieu est bonne et que le patriotisme nous aide à apprécier notre propre place en son sein. Notre attachement et notre respect pour une partie spécifique de la création de Dieu nous aident à faire ce qui est bien pour développer et améliorer l’endroit où nous vivons. En tant que chrétiens, nous pouvons et devons aimer notre pays, ce qui signifie également travailler à rendre notre pays meilleur, en le soumettant à la critique et en agissant pour la justice quand il fait fausse route.

Qu'est-ce que le nationalisme ?

Il existe de nombreuses définitions du nationalisme, ce qui suscite un vif débat sur la meilleure manière de le décrire. En passant en revue la littérature académique sur le nationalisme j'ai trouvé plusieurs thèmes récurrents. La plupart des chercheurs conviennent que le nationalisme commence par la croyance que l'humanité est divisible en groupes culturels absolument distincts et intrinsèquement cohérents, définis par des traits communs tels que la langue, la religion, l'ethnicité ou la culture. À partir de là, affirment les chercheurs, les nationalistes croient que ces groupes devraient avoir chacun leur propre gouvernement, que les gouvernements devraient promouvoir et protéger l’identité culturelle de la nation et que ces groupes nationaux souverains donnent un sens et un but aux êtres humains.

Qu'est-ce que le nationalisme chrétien ?

Le nationalisme chrétien est la conviction qu’une nation est définie par le christianisme et que le gouvernement devrait prendre les mesures nécessaires pour préserver cet état de fait. Généralement, les nationalistes chrétiens affirment que leur nation est et doit rester une « nation chrétienne », non pas donc simplement dans une éventuelle perspective historique, mais dans celle d’un programme normatif de ce que leur pays doit continuer à être pour le futur. Dans le contexte des États-Unis on doit notamment le développement de ce type d’idée à des intellectuels tels que Samuel Huntington : l'Amérique est définie par son passé « anglo-protestant » et les Américains perdraient leur identité et leur liberté s’ils ne préservent pas cet héritage culturel.

Toujours dans le contexte des États-Unis, les nationalistes chrétiens ne rejettent pas le premier amendement de la constitution qui garantit la liberté de religion, et ils ne prônent pas la théocratie, mais ils sont persuadés que le christianisme devrait jouir d'une position privilégiée dans l’espace public. La notion de « nationalisme chrétien » est relativement nouvelle et ses partisans ne se l’appliquent généralement pas eux-mêmes, mais il décrit précisément les nationalistes pour qui l’identité nationale est indissociable du christianisme.

Quel est le problème du nationalisme ?

L'humanité n'est pas aisément divisible en unités culturelles absolument distinctes. Les cultures se chevauchent et leurs frontières sont imprécises. Puisque les unités culturelles sont floues, elles ne sont pas adéquates comme fondement de l’ordre politique. Les identités culturelles sont mouvantes et leurs contours sont difficilement repérables, tandis que les frontières politiques sont rigides et semi-permanentes. Tenter de fonder une légitimité politique sur l’identité culturelle signifie que le pouvoir politique risque constamment d'être perçu comme illégitime par tel groupe ou tel autre. Le pluralisme culturel est par essence inévitable dans toute nation.

Est-ce un véritable problème ou un simple souci abstrait ?

C'est un problème sérieux. Lorsque les nationalistes s’emploient à construire leur nation, ils doivent définir qui fait et qui ne fait pas partie de la nation. Mais il y a toujours des dissidents et des minorités qui ne se conforment pas ou ne peuvent pas se conformer au modèle culturel exclusif des nationalistes. En l'absence d'autorité morale, les nationalistes ne peuvent s'établir que par la force. Les spécialistes sont presque unanimes à dire que, dans la pratique, les gouvernements nationalistes ont tendance à devenir autoritaires et oppressifs. Par exemple, dans les générations passées, dans la mesure où le protestantisme faisait pratiquement fonction de religion établie aux États-Unis, la situation n’était pas celle d’une vraie liberté religieuse. Pire encore, les États-Unis et de nombreux États en leur sein ont fait du christianisme un pilier pour soutenir l'esclavage et la ségrégation.

En quoi ce que veulent les nationalistes chrétiens diffère d’un engagement chrétien normal en politique?

Les nationalistes chrétiens veulent définir leur nation comme une nation chrétienne et veulent que le gouvernement érige leur modèle culturel spécifique en culture officielle du pays. Aux-États-Unis, certains ont prôné un amendement à la Constitution pour reconnaître l'héritage chrétien de l'Amérique, d'autres militent pour rétablir la prière dans les écoles publiques. Les uns travaillent à inscrire une interprétation nationaliste chrétienne de l'histoire américaine dans les programmes scolaires, affirmant même que l'Amérique a une relation privilégiée avec Dieu ou a été « choisie » par lui pour accomplir une mission spéciale sur terre. D'autres encore préconisent des restrictions migratoires destinées à empêcher tout changement de démographie religieuse et ethnique aux États-Unis ou tout changement dans la culture américaine. On en trouve également qui voudraient conférer au gouvernement le pouvoir de prendre des mesures plus énergiques pour circonscrire les comportements jugés immoraux.

Certains, encore une fois comme l’intellectuel Samuel Huntington, ont soutenu que le gouvernement des États-Unis doit défendre et préserver sa culture « anglo-protestante » prédominante pour assurer la survie de la démocratie américaine. Le nationalisme chrétien se fait parfois le plus flagrant non pas par son agenda politique, mais dans le genre d'attitude dont il témoigne : un présupposé implicite que les chrétiens auraient droit à la première place dans l’espace public parce qu'ils seraient les héritiers du patrimoine véritable ou essentiel de la culture nationale. Les chrétiens auraient un droit prioritaire à définir le sens de l'expérience américaine parce qu'ils se considèrent comme les architectes, les premiers citoyens et les gardiens de l'Amérique.

En quoi est-ce dangereux pour une nation ?

Le nationalisme chrétien a tendance à traiter les autres citoyens comme des citoyens de seconde zone. S'il était pleinement mis en œuvre, il ne respecterait pas la pleine liberté religieuse de tout un chacun. Doter l'État d’une « législation morale » pour réglementer la conduite comporte toujours le risque d'aller trop loin, de créer un mauvais précédent et de créer des pouvoirs politiques qui pourraient se retourner plus tard contre les chrétiens. Dans le contexte des États-Unis, le nationalisme chrétien est par ailleurs une idéologie défendue majoritairement par des Américains blancs, et il a donc tendance à exacerber les clivages raciaux et ethniques. Ces dernières années, le mouvement s'est amplifié, caractérisé par la peur et une conviction que les chrétiens seraient victimes de persécution. Certains commencent à affirmer que les chrétiens américains doivent se préparer à se battre, physiquement, pour préserver l’identité américaine, une idée qui a joué un rôle dans les émeutes du 6 janvier dernier.

En quoi le nationalisme chrétien est-il dangereux pour l'Église ?

Le nationalisme chrétien confond le nom de Christ avec un agenda politique terrestre, proclamant que son programme est le programme politique valable pour tout vrai croyant. Cela est fondamentalement trompeur, quel que soit le programme en question, car seule l'Église est habilitée à proclamer le nom de Jésus et à porter son étendard dans le monde. C'est encore pire lorsque l’on est face à un mouvement politique qui se fait le champion de causes injustes, ce qui est le cas du nationalisme chrétien aux États-Unis et de l’absolutisme qui l'accompagne. Ce nationalisme chrétien en vient à appeler le mal bien et le bien mal. Il se sert du nom du Christ comme d’une feuille de vigne pour couvrir son programme politique, s’approprie le message de Jésus pour en faire un outil de propagande politique et traite l'Église comme la servante et la pom-pom girl de l'État.

En quoi le christianisme diffère-t-il du nationalisme chrétien ?

Le christianisme est une religion centrée sur la personne et l’œuvre de Jésus-Christ telles que définies par la Bible chrétienne et les crédos des apôtres et de Nicée. C'est le rassemblement d’individus « de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue » qui adorent Jésus (Ap 7.9), une foi qui réunit Juifs et Grecs, nationaux et étrangers. Le christianisme est politique, en ce sens que ses partisans ont toujours compris que leur foi entre en dialogue avec leurs allégeances terrestres, les affecte et les transcende, mais il n'y a pas de point de vue unique sur les implications politiques qui découlent de la foi chrétienne, hormis le commandement de « craindre Dieu et honorer le roi » (cf. 1 P 2.17), payer ses impôts, aimer ses voisins et rechercher la justice.

Le nationalisme chrétien, par contre, est une idéologie politique axée sur l'identité nationale d’un pays. Dans le cas des États-Unis, cela implique une compréhension du gouvernement et de l'histoire du pays qui est de toute évidence extrabiblique et est contestée par de nombreux historiens et politologues. Plus important encore, le nationalisme chrétien intègre des prescriptions politiques particulières qu'il prétend bibliques mais qui, au mieux, sont des extrapolations de principes bibliques ou, au pire, sont contraires à ces derniers.

Les chrétiens peuvent-ils s'engager politiquement sans être des nationalistes chrétiens ?

Oui. Aux États-Unis, des chrétiens ont été exemplaires par le passé en aidant à mettre en place l'expérience américaine, et de nombreux chrétiens ont travaillé à mettre fin à l'esclavage, à la ségrégation et à d'autres maux. Ils l'ont fait parce qu'ils croyaient que le christianisme exigeait d’eux qu’ils œuvrent pour la justice. Mais ils ont travaillé pour faire avancer des principes chrétiens, non le pouvoir chrétien ou la culture chrétienne. Il y a là la principale distinction entre l’engagement politique chrétien normal et le nationalisme chrétien. L'engagement politique chrétien normal est humble, aimant et sacrificiel. Il rejette l'idée que les chrétiens ont un droit à la primauté dans l’espace public ou un droit naturel à maintenir leur prédominance historique dans la culture américaine. Aujourd'hui, les chrétiens devraient chercher à aimer leurs prochains en recherchant la justice dans l’espace publique, y compris dans la lutte contre l'avortement, en promouvant la liberté religieuse, en favorisant la justice raciale, en protégeant l'état de droit et en respectant les processus constitutionnels. Cette feuille de route est différente de la promotion d’une culture chrétienne, de l’héritage occidental ou de valeurs anglo-protestantes.

Paul D. Miller est professeur de pratique des affaires internationales à l'Université de Georgetown et chercheur à la Commission d'éthique et de liberté religieuse.

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé et adapté par Léo Lehmann

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