Notre attirance pour les idoles reste la même, même si les noms changent

Comment les cultes idolâtres d’aujourd’hui ressemble à ceux de l’Ancien Testament.

Christianity Today June 11, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Tuned_In / Getty / Envato Elements

En tant que chrétiens aujourd’hui, il pourrait être tentant de considérer l'idolâtrie comme une relique d’un antique passé. Qui, après tout, se prosterne encore devant des statues de veaux d'or ou vénère des images de Nabuchodonosor ? Dans son livre “Here Are Your Gods” : Faithful Discipleship in Idolatrous Times (« Voici tes dieux : disciple fidèle en des temps idolâtres »), Christopher J. H. Wright, spécialiste de la Bible et directeur international de Langham Partnership, démontre que l'idolâtrie est toujours bien vivante, même si elle opère souvent à l’insu de notre conscience. Christopher Reese, auteur indépendant et éditeur de The Worldview Bulletin, s'est entretenu avec Wright à propos de l'idolâtrie dans l'Ancien Testament et de la manière de résister à son attrait aujourd'hui encore.

Comment les auteurs des Écritures comprenaient-ils les dieux païens et les idoles ? Croyaient-ils à l'existence d'autres divinités ?

En un sens, la réponse est clairement non. Comparés à Yahvé, le seul Dieu vrai et vivant, tous les autres soi-disant dieux ne sont en fait que des « non-dieux ». Tel est l'enseignement clair d'Ésaïe 40-55 et de certains psaumes. Et pourtant, pour tous ceux qui les adoraient (que ce soient les païens ou les Israélites eux-mêmes), ces autres « dieux » avaient manifestement un impact sur toutes les sphères de la vie individuelle, sociale, économique et politique. Alors oui, ils existent, mais pas en tant que Dieu, seulement en tant que constructions humaines auxquelles les gens attribuent pouvoir et autorité.

Vous faites remonter toute l'idolâtrie humaine aux événements de Genèse 3. Pouvez-vous développer ce lien ?

Genèse 3 dépeint un moment dans lequel les êtres humains choisissent de ne pas faire confiance en la bonté de Dieu, de ne pas croire ses avertissements et de ne pas obéir à ses instructions, préférant définir par eux-mêmes ce qui est bon ou mauvais. Ayant ainsi détrôné Dieu, ils se retrouvent à se soumettre à des entités, qu’elles soient matérielles ou spirituelles, appartenant à l'ordre de la création – ou alors ils affirment leur propre autonomie morale.

Et tout cela se termine dans les larmes, comme Paul le met en évidence dans Romains 1. Le désordre personnel et sociétal qu'il décrit n'est pas tant le jugement direct de Dieu sur notre péché que les symptômes d’un jugement divin déjà à l'œuvre dans un monde où il nous laisse nous abandonner aux idoles que nous avons choisies. Pour Paul, tout le péché de l’être humain et tous les désordres de la création découlent de cette erreur fondamentale.

Les tentations en matière d’idolâtrie auxquelles le peuple de Dieu était confronté dans l'Ancien Testament sont-elles les mêmes que celles que les chrétiens rencontrent aujourd'hui ?

Nous donnons évidemment des noms différents aux idoles. Mais si vous analysez le culte de Baal dans l'Ancien Testament, les comparaisons ne sont pas difficiles à faire émerger.

Baal était le dieu de la fertilité, à la fois pour les femmes et pour la terre elle-même, fertilité dont dépendaient la richesse et l'importance sociale de chacun. Et le culte de Baal en Palestine impliquait une prostitution ritualisée pour assurer cette fertilité. Cette prostitution conduisait évidemment aussi à la naissance de bébés, mais on pouvait très bien les sacrifier à la divinité pour en tirer un avantage supplémentaire. La sacralisation du sexe et le sacrifice des bébés ont créé une civilisation si débauchée que Dieu en est venu à « vomir » ses habitants (Lv 18.25). Ces péchés sont encore très présents dans notre culture aujourd'hui, même s'ils tendent à s’exprimer sous des formes différentes.

Baal était aussi le dieu des affaires, du genre qu'un roi cupide comme Achab, et sa femme Jézabel, adoratrice de Baal, pouvaient invoquer pour contourner à leur profit les lois foncières qui protégeaient les petits paysans du royaume d’Israël. Il est difficile de ne pas faire un parallèle entre leur exemple d'accaparement des terres et, aujourd’hui, une idolâtrie de la cupidité et de l'accumulation excessive de richesses, conduisant à des inégalités croissantes et à la dépossession des pauvres.

L'Ancien Testament met en lumière les idolâtries de la cupidité, de la sexualité, de l’arrogance et des abus de pouvoir politiques et économiques. Beaucoup de ces idoles se sont reproduites jusqu'à notre époque. À partir de l’époque des Juges, les auteurs de l’Ancien Testament mettent en évidence les conséquences de l'idolâtrie dans une douloureuse répétition, comme si Dieu disait : « n'avez-vous pas encore compris le message ? ».

Y a-t-il des idoles que les évangéliques sont particulièrement enclins à embrasser ?

L'idolâtrie implique souvent la perversion de choses bonnes en elles-mêmes, comme la famille, le travail, la beauté ou le sexe. Il y a ainsi beaucoup de bonnes choses dans l'histoire et l'identité évangéliques qui peuvent facilement prendre un tour négatif. Prenez, par exemple, l’importance accordée à la conscience individuelle. Luther avait raison de défendre le droit de l'individu à s'en tenir à sa propre compréhension des Écritures, même si elle allait à l’encontre la tradition de l'Église. Mais cela peut facilement dégénérer pour produire l’espèce de tribalisme confessionnel qui a gangréné le protestantisme, ou conduire à une forme d’« individualisme sauvage » qui rejette toute autorité légitime.

Prenons aussi l’exemple de l'autorité de la Bible. Cette notion est essentielle pour la Réforme et il nous faut encore l'affirmer. Mais on dérive facilement de là vers une idolâtrie de mon interprétation de la Bible (ou de celle de ma dénomination, du leader de mon Église ou de mon blogueur préféré). La Bible elle-même peut être utilisée comme une arme au service d'idées qui vont à l'encontre du message qu'elle transmet.

Considérons également l'importance de la saine doctrine. Nous devons bien sûr défendre la vérité de l’Évangile contre de faux enseignements. Mais les systèmes doctrinaux peuvent devenir des marqueurs d’entre-soi ou des slogans idolâtres. Même la vérité peut être utilisée comme un paravent devant un comportement déviant et idolâtre, comme lorsque les habitants de Jérusalem continuaient à invoquer « le temple du Seigneur », croyant que leur invocation les protégerait des invasions étrangères malgré l’ampleur de leurs comportements injustes (Jr 7). Il est malheureusement courant pour certains évangéliques de se réclamer de la saine doctrine tout en menant des vies non conformes à celles de Christ.

Vous affirmez que de nombreuses nations occidentales seront probablement confrontées au jugement de Dieu en raison de leur passé de violence, de la croissance de la pauvreté, des inégalités flagrantes et d'autres transgressions. Devrions-nous également reconnaître à l'Occident ses contributions positives, comme l'État de droit, les droits de l'homme, la liberté de conscience et la mobilité sociale ?

Nous devrions certainement remercier Dieu pour tout ce que vous mentionnez. Mais le mérite en revient-il à « l'Occident » en tant que tel ? Dans un sens, oui, car nombre de ces réalisations ont été accomplies au cours des siècles par l'essor et l'expansion mondiale des peuples européens. Mais le précurseur de cette évolution a été l'imprégnation constante du continent par la foi chrétienne – pas toujours dans sa forme la plus pure – qui a alimenté le développement de ces idéaux positifs. L'ironie est que de nombreux occidentaux critiquent aujourd'hui vigoureusement le christianisme sur la base de ces mêmes idéaux, sans réaliser qu’ils ont émergé d'une vision du monde spécifiquement chrétienne.

En fin de compte, cette double liste n'est guère surprenante. Tous les hommes sont à la fois porteurs de l'image de Dieu et pécheurs déchus. Toutes les cultures reflètent la même dualité. Chaque grande civilisation peut mettre à son actif de grandes réalisations qui témoignent de la valeur de la créativité humaine, enracinée dans notre Dieu créateur. Mais elles portent aussi en elles les empreintes de Satan et de la rébellion humaine.

Vous parlez de prier à la fois pour les dirigeants politiques et contre eux. Quels sont les principes qui vous guident pour décider de votre manière de prier ?

Le fondement du premier type de prière est le commandement de Paul, dans 1 Timothée 2.1-4, de prier pour ceux qui sont en position d’autorité. Les dirigeants politiques sont des êtres humains, des pécheurs comme nous tous. Nous souhaitons leur salut autant que celui de n'importe qui d'autre (v. 4). Et que cela se produise ou non selon la providence de Dieu, nous souhaitons qu'ils gouvernent de manière à favoriser une société stable dans laquelle les chrétiens peuvent vivre en paix (v. 2).

Les fondements du second type de prière sont posés tout au long des Psaumes et des livres des prophètes. Lorsque les prophètes voyaient des personnes politiquement, économiquement ou religieusement puissantes agir de manière injuste, corrompue ou excessivement violente, ils priaient et s'exprimaient pour protester. Ils voyaient les gouvernements adopter des lois qui augmentaient la pauvreté (És 10.1-2). Ils voyaient des tribunaux remplis de juges véreux (Am 5.10, 12). Ils voyaient des prêtres et des prophètes qui n'exerçaient aucun contrôle moral sur des dirigeants adonnés au mal (Jr 6.13-15 ; Ez 22.26-29). Ils voyaient les riches exploiter et piétiner les pauvres (Am 2.6-7 ; Mi 3.1-3). Et ils suppliaient Dieu de réfréner de tels maux, au nom de sa divine justice.

Lorsque nous sommes face à de mauvais dirigeants, nous prions pour leur repentance et leur salut, mais également contre leur politique et leurs pratiques injustes. La Bible nous encourage clairement à l’un comme à l’autre.

Traduit par Denis Schultz

Révisé par Léo Lehmann

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3 moyens d’éviter les décrochages de l’étude biblique

Comment encourager l’engagement de ceux que nous conduisons dans l’étude des Écritures.

Christianity Today June 4, 2021
Shutterstock

Durant l'été, des Églises du monde entier évaluent quels programmes d'étude biblique proposer à l'automne. Dans la frénésie qui caractérise nos modes de vies, les Églises sont confrontées à cette question : qu’est-ce qui incite les gens à s’engager fidèlement à participer à une étude biblique une fois par semaine ? Alors que beaucoup commencent, peu persévèrent jusqu'au bout.

La première fois qu’un éditeur s’est intéressé aux études bibliques que je prépare, il m’a dit qu'il faudrait que je les raccourcisse pour passer d'un programme de 11 semaines à 6 semaines. Les femmes ne seraient pas prêtes à s’engager aussi longtemps, m’avait-on dit. Et elles ne feraient pas non plus les exercices proposés à moins que ceux-ci ne soient simplifiés.

Je savais que ce n’était pas le cas. Chaque semaine, je voyais les femmes participer en grand nombre aux cours que je dirigeais. Je n’étais pas un célèbre conducteur d'étude biblique. Mon approche n’avait rien de particulièrement sophistiqué ou raffiné : nous faisions simplement une étude du texte ligne par ligne.

Certaines semaines où la qualité de mon enseignement me semblait inférieure à la moyenne, je me suis demandé pourquoi les femmes continuaient de venir. Mais après avoir dirigé des études bibliques pendant près de 20 ans, j’ai réalisé qu’il n’était pas nécessaire d'abaisser la barre pour attirer les participants. En fait, c'est le contraire qui est vrai : les gens s’engagent davantage dans des études qui exigent plus d'eux que le simple fait d’être présent.

Dans un contexte où l'on privilégie souvent les thèmes accrocheurs et les approches culturellement adaptées pour l’enseignement de la Bible, les éléments intemporels qui nourrissent réellement des études bibliques durables semblent si peu créatifs qu’ils sont souvent négligés : la structure, la redevabilité et la constance.

Ces éléments suscitent l’engagement bien plus que les facteurs que nous présumons parfois cruciaux pour réussir : un enseignement exceptionnel et un contenu solide. J’ai vu des groupes se réunir avec constance pendant des années pour discuter d’un contenu moyen voire médiocre, simplement parce que ces trois autres composantes étaient présentes. Mais si l'on a de surcroît un enseignant compétent et un bon contenu, ces éléments créent un cadre dans lequel les gens sont prêts à s’engager et où des disciples accomplis peuvent être formés.

1. La structure

La formation de disciples est plus efficace quand le responsable établit un objectif clair. Des réunions non structurées risquent de se transformer en un échange sans fin d’opinions ou de demandes de prière, ce qui fait baisser l'assiduité au fur et à mesure que la fatigue de ce « partage » s’installe. Les études bien structurées s'appuient sur un schéma qui délimite les temps d'enseignement, de discussion, de louange et de prière. Elles utilisent un programme qui suit une certaine formule, ce qui permet aux personnes d’intégrer les compétences nécessaires à l'étude. Les participants gagnent ainsi en assurance que leur investissement aura une valeur à long terme.

2. La redevabilité

La formation de disciples est plus efficace quand le participant répond à une attente claire. Lorsque nous plaçons la barre plus haut pour nos étudiants, nous devons aussi mettre en place des mécanismes leur permettant de rendre des comptes pour les aider à atteindre cet objectif plus élevé. Nous ne sommes pas des maîtres d’école qui motivent avec des bonnes notes ou des blâmes. Nous ne vérifions pas les cahiers d'exercices et nous n'interdisons pas la participation si les devoirs ne sont pas faits. Mais nos rencontres et notre enseignement présupposent que nos étudiants viennent préparés. Nous les encourageons à accomplir les devoirs proposés, et nous les contactons s’ils sont absents. La sensation d'anonymat favorise l’apathie. Les participants qui se sentent vus et entendus sont plus susceptibles de faire leurs devoirs et d’être assidus dans leur participation.

3. La constance

La formation de disciples est plus efficace quand le responsable se conforme à une attente claire. Nous construisons la confiance avec nos étudiants lorsque nous respectons notre part du travail. Le simple fait d'être constant en fixant les mêmes intervalles de dates chaque année, en commençant et en terminant à l’heure chaque semaine, et en s’assurant que le temps est utilisé comme prévu, écarte l’incertitude pour les participants et leur permet de rester engagés. Un enseignement cohérent fondé sur une préparation solide gagne également leur confiance. En faisant ce que nous avions dit que nous ferions, quand et comme nous avions dit que nous le ferions, nous établissons la crédibilité de notre ministère sur le long terme.

Les notions de ministère « organique » ou « de terrain » peuvent sembler attrayantes – et bien fonctionner dans certains contextes de service – mais ces termes génèrent aussi un sentiment d’incertitude qui entrave l’établissement d’environnements d’apprentissage durables. La structure, la redevabilité et la constance permettent d'élever la barre de l’enseignement et d'accroître la participation.

Tous ceux qui parviennent à capter une part de notre temps offrent ces trois facteurs. Le coach particulier, l’entraîneur de sport, l'association des parents d'élèves et même le marché fermier local les utilisent pour obtenir notre adhésion et maintenir notre engagement sur des périodes de temps importantes.

En utilisant fidèlement ces éléments, les Églises communiquent qu'elles aussi honorent le temps que les personnes leur consacrent. Nous posons ainsi les bases d'une culture d’apprentissage en profondeur.

Jen Wilkin est une épouse, une mère et une enseignante de la Bible. Elle est l’auteure de Women of the Word et None Like Him.

Traduit par Valérie Marie-Agnès Dörrzapf

Révisé par Léo Lehmann

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Les privilèges politiques nuisent au christianisme

Notre analyse de 166 nations suggère que la plus grande menace à la vitalité chrétienne n’est pas la persécution, la richesse, le niveau d’éducation ou le pluralisme. C’est le soutien de l’État.

Christianity Today June 2, 2021
Illustration de Rick Szuecs / Images sources : NurPhoto / Contributeur / Getty / Ross Sokolovski / Eva Dang / Unsplash / Artdesigner Geno / Luis Quintero / Pexels

Pourquoi le christianisme se développe dans certains pays mais décline dans d'autres?

Pendant une grande partie du 20e siècle, les experts en sciences sociales ont répondu à cette question en faisant appel à ce qu’il est convenu d’appeler la thèse de la sécularisation : théorie selon laquelle la science, la technologie et l’éducation conduiraient à la diminution de l’influence du christianisme dans la société.

Plus récemment, certains chercheurs ont suggéré que la cause était plutôt l'accumulation de richesses. On estime là que la prospérité croissante épargne à l’̂être humain la nécessité de se tourner vers une puissance supérieure pour subvenir à ses besoins quotidiens. En d'autres termes, il existerait un lien direct entre richesse et athéisme.

Dans une étude évaluée par nos pairs et publiée ce mois-ci dans la revue Sociology of Religion, mon co-auteur et moi remettons en cause la sagesse apparente selon laquelle l'éducation et la richesse annoncent la fin du christianisme.

Dans notre analyse statistique d'un échantillon de 166 pays de 2010 à 2020, nous constatons que le facteur le plus déterminant pour la vitalité chrétienne est l’ampleur du soutien officiel que les gouvernements accordent au christianisme à travers leurs lois et leurs politiques, mais pas de la façon à laquelle les croyants pourraient s'attendre.

À mesure que le soutien gouvernemental en faveur du christianisme s’accroit, le nombre de chrétiens diminue considérablement. Cette relation est significative même si l'on tient compte d'autres facteurs qui pourraient expliquer les taux de croissance du nombre de chrétiens, en considérant les courbes démographiques globales, par exemple.

Notre méthodologie et les données collectées ne peuvent pas rendre compte d’un facteur très important pour les chrétiens : l’œuvre du Saint-Esprit. Cependant, nos nombreux tests statistiques sur les données disponibles mettent en évidence que la relation entre le soutien de l’État au christianisme et le déclin de la présence chrétienne est bien de l’ordre de la causalité et non de la simple corrélation.

Notre étude relève trois paradoxes ayant trait à la vitalité du christianisme : le paradoxe du pluralisme, le paradoxe des privilèges et le paradoxe de la persécution.

1. Le paradoxe du pluralisme

De nombreux chrétiens croient que la meilleure façon pour le christianisme de prospérer est d'exclure toutes les autres religions. Ironiquement cependant, le christianisme est souvent plus vigoureux dans les pays où il doit se mesurer à armes égales aux autres religions.

La meilleure explication de ce phénomène peut être déduite de La richesse des nations, l'œuvre la plus importante d'Adam Smith. Le célèbre économiste estimait que, tout comme l’économie de marché stimule la compétition, l'innovation et le dynamisme dans les entreprises en les forçant à la concurrence en vue de gagner des parts de marché, un marché religieux non réglementé aurait le même effet sur les institutions religieuses.

Tout comme le fer aiguise le fer, l’adversité affûte la foi. Les différents contextes dans lesquels s’exprime le pluralisme religieux poussent les chrétiens à rechercher les meilleurs arguments pour promouvoir leur foi. Il en va de même pour les autres religions. Cela oblige les chrétiens à approfondir leur connaissance de ce qu’ils croient et à le défendre sur le marché des idées.

Notre étude montre que, plus l'engagement d'un pays pour le pluralisme s’intensifie, plus le nombre de chrétiens augmente. Sept des dix pays qui ont une croissance la plus rapide en nombre de chrétiens n’accordent qu’un faible soutien officiel au christianisme, voire aucun. Paradoxalement, le christianisme fait mieux quand il doit se débrouiller seul.

Les 10 pays où la population chrétienne croît le plus rapidement


(En gras : soutien au christianisme faible ou inexistant)

1) Tanzanie

2) Malawi


3) Zambie

4) Ouganda
5) Rwanda
6) Madagascar
7) Libéria


8) Kenya

9) Congo RDC
10) Angola

Le paradoxe du pluralisme s’observe dans les deux régions du monde où le christianisme croît le plus rapidement 1 : l'Asie et l'Afrique.

La plus forte expansion du christianisme au cours du siècle dernier a eu lieu en Asie où la foi a progressé deux fois plus vite que la population globale. La croissance explosive du christianisme dans cette partie du monde est encore plus remarquable lorsqu’on considère que cette région n’a qu'un seul pays à majorité chrétienne : les Philippines.

Comment expliquer ce paradoxe? Contrairement à l'Europe, le christianisme dans les pays asiatiques n'était pas en position de recevoir un traitement de faveur de l'État et cette réalité a entrainé une croissance chrétienne incroyable. La foi chrétienne a en fait bénéficié du fait de ne pas être rattachée institutionnellement à l'État, fait qui a favorisé sa croissance et sa vitalité.

Considérons le cas de la Corée du Sud. En un siècle, ce pays dont le christianisme était pratiquement absent est devenu l’un de ses plus grands exportateurs. La Corée du Sud est actuellement le deuxième pays au monde en termes d’envoi de missionnaires, juste après les États-Unis.

Cet exemple illustre bien le paradoxe du pluralisme. Parce que la Corée du Sud n'est pas un État chrétien, le christianisme n’entretient aucune relation privilégiée avec celui-ci. Dans les faits, le christianisme en Corée a enduré la persécution brutale sous l’administration coloniale japonaise qui a imposé la fermeture des églises et la confiscation de leurs biens. L'Église a survécu à travers la pauvreté, la guerre, la dictature et les crises nationales de l'histoire coréenne.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le christianisme coréen s'est développé de manière exponentielle. Des dizaines de milliers d'églises ont été bâties et des séminaires ont diplômé des milliers de personnes chaque année. Aujourd'hui, environ un tiers du pays est chrétien.

L'Afrique est l'autre région du monde où le christianisme a connu une croissance à couper le souffle, en particulier au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, il y a près de 700 millions de chrétiens en Afrique, ce qui en fait le continent le plus christianisé au monde en termes de population. En effet, les 10 pays mentionnés plus haut pour la croissance de leur population chrétienne la plus rapide au monde, de 2010 à 2020, sont tous situés en Afrique subsaharienne.

Le christianisme a fait des progrès en Afrique non parce qu'il bénéficie d'une relation privilégiée avec l'État, mais parce qu'il doit se confronter à d’autres courants religieux en œuvrant sur un pied d’égalité sur le terrain. Parmi les pays qui ont vu le christianisme croître si remarquablement, un seul, la Tanzanie, soutient officiellement la religion à un niveau qui se situe dans la moyenne mondiale. Dans les autres cas (y compris le Kenya et la Zambie classés parmi les soutiens « modérés »), le niveau de soutien au christianisme était inférieur – et souvent largement – à la moyenne mondiale.

En bref, le christianisme, en Afrique comme en Asie, est en plein essor non parce qu'il est soutenu par l'État, mais parce qu'il ne l'est pas.

2. Le paradoxe des privilèges

Neuf des 10 pays dont la population chrétienne baisse le plus rapidement dans le monde montrent des niveaux de soutien officiel au christianisme allant de modéré à élevé. Tandis que la concurrence entre les religions stimule la vitalité chrétienne, le favoritisme de la part de l’État l’étouffe involontairement.

Les 10 pays où la population chrétienne décroît le plus rapidement


(En gras : soutien au christianisme modéré ou élevé)

1) République tchèque
2) Bulgarie
3) Lettonie
4) Estonie


5) Albanie

6) Moldavie
7) Serbie
8) Allemagne
9) Lituanie
10) Hongrie

Lorsque les chrétiens perçoivent une menace émanant des minorités religieuses, ils leur arrive de se tourner vers l'État pour qu’il leur procure un avantage sur les religions concurrentes. De tels avantages peuvent être un financement par l'État de buts religieux, un accès privilégié aux institutions de l'État ou encore des exemptions à la réglementation imposée aux minorités religieuses. Paradoxalement, d’après nos observations, quand l’État se montre bon prince à l’égard du christianisme de cette manière, l'Église n’est en fin de compte pas vraiment aidée.

Les chrétiens qui tentent de s’attirer les bonnes grâces de l'État perdent de vue leur mission parce qu’en s’accrochant à leurs privilèges, ils sont absorbés par les affaires du monde plutôt que par les affaires de Dieu.

Oui, les Églises dans un tel contexte peuvent user de leur position privilégiée pour exercer une influence sur le reste de la société. Toutefois, cela se traduit davantage en termes de rituels et de symboles – la religion civile – qu’en termes de ferveur spirituelle. Pour cette raison, les Églises soutenues par l'État se vident souvent de la substance spirituelle si précieuse pour ceux qui pratiquent la foi, conduisant fidèles à partir.

Fait intéressant, certaines recherches suggèrent même que les missionnaires des Églises soutenues par l'État sont moins efficaces que les missionnaires des Églises indépendantes de l'État.

Les spécialistes des religions ont longtemps noté que les tendances à la sécularisation semblent plus fortes dans les pays occidentaux, en particulier en Europe, où l'Église, depuis des siècles, a joué un rôle majeur dans la vie des peuples. De nombreux sondages ont illustré les niveaux relativement faibles de croyance religieuse et de fréquentation des offices religieux dans cette partie du monde.

Que l'Europe soit la région la plus sécularisée du monde – et aussi la plus riche – a amené beaucoup à postuler qu’une relation de causalité lie la richesse et le déclin du christianisme.

Notre étude affirme plutôt que la sécularisation de l'Europe découle essentiellement du soutien généralisé accordé par l'État à la chrétienté.

Au Royaume-Uni, par exemple, la loi a établi l'Église d'Angleterre comme Église d'État et le christianisme comme religion d'État, octroyant des privilèges dont sont exclus les minorités religieuses. Le déclin du christianisme s'est également opéré dans les pays protestants de la Scandinavie, où les relations État-Église ont été marquées par les privilèges (y compris les subventions publiques dans le passé). Pour exemple, l'Église de Suède a joui jusqu’en 2000 d’une relation étroite avec l’État, le roi de Suède étant considéré comme le chef de l’Église et le gouvernement nommant les évêques.

Un schéma similaire est observable dans les États à majorité catholique. Pour une grande partie du 20e siècle, des pays tels que le Portugal, l'Espagne, la Belgique et l'Italie ont fortement soutenu l'Église catholique romaine et ont activement discriminé les non-catholiques dans les domaines du droit de la famille, de la télédiffusion religieuse, de la politique fiscale et de l'éducation. Bien que l’exception catholique de ces pays ait diminué dans de nombreuses régions d'Europe, la marge de manœuvre dans l’espace publique reste fortement inégale, notamment s’agissant des obstacles à franchir pour tout nouveau mouvement religieux souhaitant s’y insérer.

La relation entre privilège politique et déclin de la chrétienté est la plus forte dans les pays dominés par le christianisme orthodoxe oriental. La Russie a par exemple étendu de nombreux privilèges accordés à l'Église orthodoxe russe – tels que le financement de lieux saints, l'accès aux institutions d'État et l'autonomie dans la gestion de ses affaires – tout en imposant des restrictions à tous les concurrents de cette Église orthodoxe, y compris la non-délivrance de visa au clergé étranger, l’expulsion des missionnaires et le retrait du droit de propriété. Les pays orthodoxes chrétiens comme la Russie sont les plus susceptibles de mêler étroitement Église et État.

Il résulte de tout cela que les Églises d'Europe qui n’ont pas à s'inquiéter d’autres mouvements religieux ne pouvant faire jeu égal avec elles sont devenues léthargiques, car dépendantes de l'État pour leur subsistance.

La fréquentation de l'Église dans ces pays reste la plus faible du monde chrétien, bien que la grande majorité des citoyens de certains de ces États conservent leur qualité de membre de l'Église officielle. Les Églises européennes officielles, tout en gardant un rôle cérémoniel important, ne jouent souvent qu’un rôle mineur dans la vie quotidienne des citoyens. Les cathédrales resplendissantes conçues pour recevoir des centaines de personnes n’accueillent généralement qu’une poignée de fidèles aux offices ordinaires du dimanche.

En somme, le christianisme en Europe n'a pas régressé faute de soutien de l'État, mais à cause de celui-ci.

3. Le paradoxe de la persécution

Au deuxième siècle, Tertullien, un des premiers pères de l'Église, arrivait à la conclusion frappante que « le sang des martyrs est semence de chrétiens ». Étonnamment, notre étude révèle que les contextes de discrimination anti-chrétienne n'ont généralement pas d'effet pour l'affaiblissement du christianisme ; dans certains cas même, la persécution raffermit l'Église.

Tout comme une saine émulation religieuse, la persécution — pour des raisons entièrement différentes — ne permet pas aux chrétiens d’être complaisants avec eux-mêmes. Bien sûr, dans certains cas, la persécution anti-chrétienne a considérablement nuit au christianisme, comme au 7e siècle en Afrique du Nord, dans le Japon du 17e siècle, en Albanie au 20e siècle et dans l'Iraq moderne. Pourtant, dans de nombreux autres contextes de discrimination et de persécution (sauf pour les violences génocidaires), l'Église a déjoué les pronostics : non seulement elle continue d'exister, mais dans certains cas, même, elle prospère.

Dans ces environnements, les croyants se nourrissent de leur foi pour se fortifier, et cette piété attire ceux qui n’ont pas la foi.

Dans le monde entier, des centaines de millions de chrétiens vivent dans des pays où la persécution atteint des niveaux élevés. Malgré tout, le christianisme continue de prouver son extraordinaire résilience, tout comme l'Église primitive sous la férule des empereurs romains.

Aujourd'hui, le christianisme se développe rapidement dans certains pays musulmans tels que l'Iran et l'Afghanistan, où la foi subit une forte persécution. Dans son index mondial de persécution des chrétiens, l’ONG Portes Ouvertes classe l'Iran à la huitième place, avec un niveau de persécution « extrême ». Dans la république islamique d’Iran, le gouvernement interdit la conversion des musulmans, emprisonne toute personne soupçonnée de prosélytisme, arrête ceux qui fréquentent les Églises de maison clandestines ou qui impriment et distribuent de la littérature chrétienne.

Néanmoins, malgré les menaces, la pression et la coercition qui pèsent sur les chrétiens, l’Église d’Iran est devenue l'une des plus florissantes dans le monde en nombre de conversions. Bien qu'il soit difficile de déterminer exactement le nombre exact de chrétiens en Iran, sachant que la plupart gardent leur foi secrète par crainte de la persécution, on estime, selon les données d’enquêtes, qu'il pourrait y avoir jusqu'à un million de chrétiens iraniens. La croissance surprenante de la foi chrétienne en Iran inquiète passablement les décideurs politiques qui craignent que le christianisme ne sape le fondement de la république islamique.

Une histoire comparable a lieu chez le voisin oriental de l’Iran, l’Afghanistan. Portes Ouvertes le place au second rang dans l’index mondial de persécution, juste derrière la Corée du Nord. Comme en Iran, il est illégal en Afghanistan de quitter l'islam pour une autre religion et ceux qui le font risquent l'emprisonnement, les sévices et même la mort. Les chrétiens affrontent non seulement la persécution du gouvernement, mais également celle des militants islamistes qui traquent les minorités religieuses. Les communautés chrétiennes afghanes ont été malmenées par des décennies de guerre.

Il est impossible d'avancer un chiffre précis pour le nombre de chrétiens en Afghanistan. Néanmoins, les preuves disponibles indiquent que le christianisme continue de croître, soutenu par l'existence d'une Église souterraine, et ce malgré la répression très courante et intense à laquelle les chrétiens font face. Certains rapports indiquent que le christianisme s’est même infiltré parmi les élites afghanes et des membres du parlement national. Un exemple connu : Rula Ghani, première dame du pays, est une chrétienne maronite du Liban.

En dehors du monde musulman, l'expérience de la plus grande Église persécutée au monde, l’Église chinoise, reflète celle de l’Église primitive, persécutée alors qu’elle vivait une croissance exponentielle.

Au cours des trois premières décennies du régime communiste en Chine, l'Église a été soumise à une persécution sévère, particulièrement pendant la période dite de la révolution culturelle, de 1966 à 1976. Lancée par Mao Zedong, cette campagne visait à préserver le communisme en Chine, déclarant la guerre à ses ennemis désignés, y compris la religion. Des centaines de milliers de chrétiens, tant catholiques que protestants, ont péri au cours de cette période.

Pourtant, le christianisme a survécu en passant dans la clandestinité. De manière remarquable, les protestants ont même été témoins d’une croissance assez considérable jusqu’à la fin de la révolution culturelle. Sociologue des religions, Fenggang Yang note que, depuis 1950, le christianisme protestant a augmenté d'un facteur de 23. Au moins 5% de la population chinoise, avoisinant les 1,5 milliard d’individus, se rattache maintenant au christianisme.

Yang prédit que le pourcentage augmentera de manière exponentielle au cours des prochaines années, de sorte que, d'ici 2030, la Chine comptera plus de chrétiens qu’aucun autre pays. D'ici 2050, la moitié de la Chine pourrait être chrétienne.

Il est possible que les prochaines années démontrent que ces projections étaient trop optimistes, car le Parti communiste chinois poursuit sa répression massive contre les groupes religieux. Mais il est peu probable que la répression en Chine puisse freiner la croissance chrétienne.

Ainsi, c’est bien la tentation des privilèges politiques, et non la persécution, qui constitue l'obstacle le plus important au développement de la foi chrétienne.

Des leçons pour le christianisme

Ces paradoxes ont des implications importantes pour les communautés chrétiennes du monde entier.

En Europe, des politiciens et des partis politiques, en Hongrie, en Italie, en Pologne, en Slovénie, en France, en Autriche, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse appellent de leurs vœux un approfondissement de la relation entre le christianisme et leur gouvernement. Certains politiciens en vue se positionnent comme défenseurs du christianisme face à une foi islamique étrangère qui menacerait l'intégrité chrétienne de leur pays.

Dans de nombreux endroits, les partis populistes de droite se sont montrés capables de regagner en force sur l’échiquier électoral, en partie grâce à des références à une « nation chrétienne ». Si de telles tendances se confirment, notre travail montre que nous pouvons nous attendre au délitement et au déclin du christianisme dans cette partie du monde.

Une histoire similaire se déroule par-delà l'Atlantique. Le christianisme aux États-Unis, et en particulier le mouvement évangélique, se situe aujourd'hui à un carrefour très dangereux.

Contrairement à certains pays européens, les États-Unis ne soutiennent officiellement aucune religion. Cela ne signifie pas pour autant que le christianisme n'a rien à voir avec l'État. En même temps que le christianisme est de plus en plus mêlé à des politiques partisanes, la pratique religieuse aux États-Unis subit un long fléchissement depuis des décennies, une tendance confirmée par un certain nombre d'études scientifiques.

Au cours des 30 dernières années, on a assisté aux États-Unis à une forte augmentation du nombre de croyants Américains sans Église, passant de 6% en 1991 à 23% aujourd'hui, même si la population américaine globale a augmenté significativement au cours de cette période. Notre travail nous incite à penser que cette baisse de l’affiliation religieuse est due en partie au fait que les chrétiens recherchent la faveur de l'État (et l’obtiennent parfois).

Les chrétiens conservateurs ont commencé à s’impliquer en politique dans les années 1970 pour lutter contre l'érosion des « valeurs chrétiennes » dans la société et de « ramener l'Amérique vers Dieu ». À cette fin, ils ont pris part aux affaires des partis politiques.

Ce genre de mariage entre religion et politique, toutefois, a également éloigné de la foi chrétienne des personnes qui l’ont vue utilisée à l’appui de politiques qu'elles n’approuvent pas. Ainsi, un christianisme politisé tend à s’adresser à un groupe d'individus de plus en plus restreint, quitte à éloigner de l'Église les tenants d’autres approches politiques.

La sacralisation de la politique laisse à penser que les États-Unis pourraient prendre le même chemin qu’ont emprunté ses homologues européens. La bonne nouvelle pour les chrétiens concernés est que, si nos recherches et notre analyse sont correctes, le courant de la sécularisation peut être inversé.

Ceci demanderait que les institutions religieuses fuient la tentation de recourir aux faveurs de l’État et ne voient pas la concurrence religieuse comme une menace à éradiquer. Une telle approche ne signifie pas du tout que les chrétiens doivent se couper de la vie publique ou déserter la politique. Il s’agit de nous mettre clairement en garde contre le risque de confondre un parti politique, une idéologie ou une nation, quels qu’ils soient, avec le Royaume de Dieu.

Nos recherches suggèrent que le meilleur moyen pour que les communautés chrétiennes exercent pleinement leur rôle de témoins de l'Évangile est de rejeter la recherche des faveurs politiques, incompatible avec les enseignements de Jésus. En faisant cela, elles attesteront qu’elles prennent au sérieux la promesse de Christ qu'aucune force ne pourra prévaloir contre son Église. Refuser tout privilège rendra les croyants plus dépendants du Saint-Esprit et plus réceptifs au message évangélique.

Nilay Saiya est professeur adjoint en politiques publiques et en affaires internationales à la Nanyang Technological University de Singapour. Il est auteur de Weapon of Peace: How Religious Liberty Combats Terrorism (Cambridge University Press, 2018 – « Une arme de paix : comment la liberté religieuse combat le terrorisme »).

Les auteurs de la rubrique « Speaking Out » de Christianity Today s’expriment en leur propre nom et leur opinion ne reflète pas nécessairement celle de la publication.

Méthodologie : Notre mesure du taux de croissance chrétienne provient du projet « L’avenir des religions dans le monde » de Pew-Templeton, tandis que notre mesure du soutien de l'État ou de la discrimination à l'égard du christianisme provient du projet « Religion et État ». Les données économiques et démographiques proviennent des indicateurs de la Banque mondiale pour le développement.

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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La liberté religieuse nous fait-elle tenter le Diable ?

Tertullien, Roger Williams et John MacArthur à propos des dangers de la liberté.

Christianity Today May 24, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Archive Photos / Stringer / Vincent Desjardins / PXHere / Wikimedia Commons

Il y a encore peu, j'aurais été surprise de voir cette question soulevée par Christianity Today. Nous pouvons être en désaccord sur les implications de la liberté religieuse ou sur la manière dont elle devrait être conçue ou employée. Cependant, la valeur de la liberté d’exercice de la pratique religieuse est, depuis longtemps et quels que soient les clivages politiques, largement admise au sein de la sphère évangélique américaine ainsi que plus largement dans la majorité des sociétés occidentales.

Une série de commentaires récents du pasteur et théologien John MacArthur rejette pourtant cette liberté en des termes véhéments. Il y a là une volte-face personnelle de MacArthur, Mais la question qui m’importe plus directement est de savoir si cette nouvelle perspective va gagner en popularité. Le point de vue qu'il défend comporte une part de vérité, mais il rejette imprudemment des convictions chrétiennes importantes pourtant défendues de longue date.

L'été dernier les procès se sont multipliés pour contrer les restrictions exceptionnellement strictes imposées par l’état de Californie aux rassemblements cultuels en présentiel en situation de pandémie, MacArthur et son Église, la Grace Community Church (GCC) de Los Angeles, ne parlaient alors que de liberté religieuse. Dans un communiqué publié en août, Jenna Ellis, une avocate qui défend la GCC, dénonçait le fait que le comté de Los Angeles « [dérogeait clairement] au mandat constitutionnel de protéger la liberté religieuse ». MacArthur lui-même citait le premier amendement dans une interview sur Fox News. Et dans une déclaration du mois de juillet, les anciens de la GCC, bien qu'ils aient explicitement refusé d'invoquer l'argument constitutionnel, ont continué à défendre la liberté religieuse et ont affirmé que tout ordre de fermeture d'une Église était une « intrusion illégitime de l'autorité de l'État ».

Six mois plus tard, MacArthur s'opposait catégoriquement à la liberté religieuse du haut de la chaire. Son premier sermon à inclure ce thème date du 17 janvier :

« Je ne soutiens même pas la liberté religieuse. La liberté religieuse envoie les gens en enfer. Dire que je soutiens la liberté religieuse, c'est dire “Je soutiens l'idolâtrie”. C'est dire, “Je soutiens les mensonges ; je soutiens l'enfer ; je soutiens le royaume des ténèbres”. Vous ne pouvez pas dire ça. Aucun chrétien sensé ne pourrait dire : “Nous soutenons la liberté religieuse”. Nous soutenons la vérité ! »

MacArthur a poursuivi sur le même thème le 24 janvier :

« Je vous ai dit la semaine dernière que je ne crois pas, en tant que chrétien, que je puisse soutenir vigoureusement la liberté de religion, parce que ce serait violer le premier commandement, n'est-ce pas ? “N'ayez pas d'autres dieux”. Vous vous dites : “L'Église n'a-t-elle pas besoin de la liberté de religion pour aller de l'avant ?” Non. En aucun cas une loi politique n'aide ou n'entrave l'Église de Jésus-Christ. Nous sommes un royaume séparé. »

Et il est revenu sur le sujet le 28 février :

« J'ai dit que je ne pouvais pas me battre pour la liberté religieuse parce que ce serait se battre pour que Satan réussisse, parce que toutes les religions du monde, sauf la vérité du christianisme, sont des mensonges de l'enfer. Vous vous dites, “Comment cela, la liberté religieuse n'est-elle pas importante pour le christianisme ? ” Non, elle n'a aucun sens. »

Et dans un discours sur « l'état de l'Église », le 3 mars, MacArthur déclarait que défendre la liberté religieuse, c'est « combattre pour l'idolâtrie » et « chercher des alliances avec Satan ».

Je cite extensivement MacArthur ici parce qu’il y a là un terrain étrange, nouveau, pour une figure évangélique de son envergure. Depuis plusieurs années, un débat a lieu parmi les politiciens conservateurs sur la valeur de la liberté religieuse et, plus largement, du libéralisme classique. Les évangéliques qui y participent, comme l'écrivain et avocat David French, sont généralement favorables à la liberté religieuse, affirmant que, malgré tous ses défauts, elle est ce que nous avons de mieux.

Les chrétiens « n'ont pas besoin du gouvernement pour répandre l'Évangile ».

MacArthur semble à présent prendre une autre voie. Une partie de ce qu'il dit est tout à fait juste, bien sûr : le royaume de Dieu est distinct des royaumes du monde, et une législation favorable n'est pas nécessaire pour répandre l'Évangile et faire croître l'Église (bien qu'elle puisse certainement y contribuer). En tant qu'anabaptiste, je soutiens de tout cœur l'affirmation de MacArthur selon laquelle les chrétiens « n'ont pas besoin du gouvernement pour répandre l'Évangile ».

MacArthur a également raison lorsqu'il affirme avec insistance que la Bible « ne préconise pas la démocratie ». De fait, l’énorme différence entre nos modes de gouvernance politique contemporains et ceux que connaissait le Proche-Orient antique constitue une difficulté majeure dans la définition d’une interaction chrétienne fidèle entre Église et État des milliers d’années plus tard. Néanmoins, il existe une longue tradition chrétienne de soutien à la liberté religieuse, en particulier dans des contextes comme le nôtre, dans lequel le gouvernement sollicite notre opinion et prétend refléter notre volonté dans son action.

Au troisième siècle, le théologien chrétien Tertullien plaidait ainsi pour la liberté religieuse auprès d'un fonctionnaire de Carthage : « Nous adorons un seul Dieu. […] Vous regardez aussi comme des dieux ceux que nous savons n'être que des démons. Toutefois, chaque homme reçoit de la loi et de la nature la liberté d'adorer ce que bon lui semble […]. Il est contraire à la religion de contraindre à la religion, qui doit être embrassée volontairement et non par force ».

La liberté religieuse est revenue sur le devant de la scène après la Réforme protestante, lorsque de nouvelles dénominations ont été persécutées par leurs coreligionnaires. Roger Williams, fondateur de l’état de Rhode Island et de la première Église baptiste dans ce qui constitue aujourd'hui les États-Unis, a pris fait et cause pour cette liberté après avoir été banni de la colonie de la baie du Massachusetts pour ses « opinions étranges ».

« Une uniformité forcée de la religion », soutenait Williams en 1644, « confond le civil et le religieux, nie les principes du christianisme et de la courtoisie et le fait que Jésus-Christ soit venu dans la chair ». De plus, ajoute Williams dans une note avisée, la restriction de la liberté de religion se retourne contre nous : « Tôt ou tard », elle occasionne des troubles civils, « le viol de la conscience », la persécution, l'hypocrisie et des occasions perdues pour l'Évangile. La liberté de religion doit être universelle, insistait-il, même – pour reprendre l'expression de MacArthur – pour les mensonges du diable. Des baptistes comme Russell Moore se font l'écho de la pensée de Williams encore aujourd'hui, insistant sur le fait que le royaume du Christ est construit « non par le pouvoir gouvernemental, mais par la “proclamation ouverte de la vérité” » (cf. 2 Co 4.2).

MacArthur n'exprime pas clairement ce qui selon lui adviendrait sans la liberté de conscience. Il a pu dire que les lois n’ont « aucun effet sur le royaume de Dieu », mais aussi affirmer que sans liberté religieuse, « la seule religion qui sera punie » sera le christianisme. Plus tôt, il déclarait que « plus notre gouvernement soutiendra » la liberté religieuse, plus « la persécution s'intensifiera » pour les chrétiens. Quoi qu’il en soit, son affirmation selon laquelle la liberté religieuse « envoie les gens en enfer » laisse imaginer que le christianisme qu’il envisage est une fade religion d'État dans un contexte post-libéral.

Cette confusion est la raison pour laquelle j'ai choisi ces deux exemples tirés de l'histoire de l'Église, écrits dans des contextes très différents : Tertullien était un membre d'une Église persécutée faisant appel à un fonctionnaire hostile au christianisme ; Williams s'adressait à des chrétiens brandissant l'épée contre leurs frères et sœurs en Christ. Pour ma part, je pense que nous passons d'une situation qui ressemble à celle de Williams à une situation qui se rapproche de celle de Tertullien. Une majorité irréligieuse gagne en force, voire se trouve déjà bien en place, selon la façon dont on la mesure. La liberté religieuse est de plus en plus regardée avec suspicion, envisagée comme un stratagème pour obtenir des privilèges spéciaux ou un moyen de priver les autres de leurs droits.

Cette perception fait de la défense équilibrée et irénique de la liberté religieuse une tâche nécessaire et urgente. Il serait incroyablement insensé d'abandonner la cause de la liberté de conscience, surtout maintenant. MacArthur a raison de dire que le royaume de Dieu n'a pas besoin de cette liberté pour se développer. Mais il doit imaginer un royaume bien pitoyable s'il pense que « Satan [aura] du succès » si les gens peuvent pratiquer leur culte comme ils l'entendent.

Bonnie Kristian est chroniqueuse à Christianity Today.

Traduit par Denis Schultz

Révisé par Léo Lehmann

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Où est l’Évangile lorsque Dieu juge les nations ?

Comment trouver le bon, le vrai et le beau dans des passages qui semblent en être aux antipodes.

Christianity Today May 18, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Creative Commons / Envato

D’après mon expérience, les passages les plus difficiles de l’Écriture ne sont pas ceux que l'on ne comprend pas. Ne pas comprendre peut être une bonne chose. Cela nous incite à la réflexion, à la recherche et peut permettre de nouvelles découvertes. Non, le véritable problème survient lorsque vous savez exactement ce que décrit un passage, mais que cela ne semble pas bon, vrai ou beau. Pensez, par exemple, aux oracles de jugement prononcés par certains prophètes contre les nations : terrifiants, étalés sur des pages et des pages, (apparemment) sans espoir, sans aucune application contemporaine, presque sans fin.

Les sept derniers chapitres de Jérémie en sont un bon exemple. Comment un livre contenant des promesses aussi glorieuses peut-il avoir une fin aussi déprimante ? On y trouve neuf oracles de jugement contre les nations – Égypte, Philistie, Moab, Ammon, Édom, Damas, Kedar et Hazor, Elam et Babylone – suivis de la destruction de Jérusalem. Les jugements sont sévères et parfois très explicites. Quatre nations reçoivent une brève promesse de miséricorde future exprimée par un seul verset (46.26 ; 48.47 ; 49.6 ; 49.39), mais ce ne sont que quatre gouttelettes d’espoir dans un océan de désastres en sept chapitres. Comment trouver la bonté, la joie et la bonne nouvelle dans ces passages ? Comme souvent dans l’Ancien Testament, on trouve une réponse à cette question dans le récit de l’Exode.

Les derniers chapitres de Jérémie contiennent dix jugements divins : neuf contre des nations étrangères et le dernier contre Juda lui-même. Ézéchiel 25–33 présente une séquence similaire : neuf oracles contre les nations et leurs rois, suivis de la destruction de Jérusalem. Et un schéma identique apparaît en Ésaïe 13–23. Il est peu probable qu'il s'agisse d'une coïncidence.

Dix, bien sûr, est un chiffre très significatif dans l’histoire de l’exode. Nous avons tous entendu parler des dix commandements, et nous nous souvenons peut-être que la génération du désert s'est vue refuser l'entrée dans la terre promise après avoir désobéi dix fois à Dieu (Nombres 14.22-23). Mais surtout, on se rappellera que dix plaies furent envoyées sur une nation étrangère (l’Égypte), la dernière ayant conduit à la délivrance d’Israël au milieu de la nuit. Ces fléaux étant l’exemple biblique par excellence d'un jugement sur une nation étrangère, il est possible que Jérémie, Ésaïe et Ézéchiel articulent délibérément leurs oracles d'une manière qui y fasse référence.

En y regardant de plus près, d'autres indices sont visibles. Jérémie commence ses oracles avec l’Égypte (46.2). Il termine par une fuite au milieu de la nuit, avec des ennemis lancés à la poursuite du roi de Juda (52.7–9). L'imagerie de ces chapitres intègre le Nil, les mouches piquantes, le bétail mort, les sauterelles, le jugement sur Pharaon et les dieux Égyptiens, le renversement des chevaux et des chars, et l’assèchement de la mer.

En lisant Jérémie avec ces éléments en tête, au moins trois choses deviennent plus claires. La première est que nous assistons à une bataille entre les dieux. À plusieurs reprises, Jérémie nous rappelle que l’imposture des dieux Amon, Rê, Kemoch, Moloch, Bêl, Marduk et autres a été clairement démontrée. Notre culture adore peut-être des dieux différents – Arès, Mammon, Bacchus, Aphrodite, Gaia – mais ils sont tout aussi impuissants à nous sauver. Lorsque Dieu prononce son jugement, leur impuissance est dévoilée, et c'est un motif de réjouissance.

Ensuite, il apparaît que le jugement le plus sévère tombe également sur le peuple de Dieu. Dans l’Exode, le dixième fléau frappe l’Égypte et Pharaon perd son fils aîné. Mais en Jérémie, le dixième jugement frappe Jérusalem, et le roi Sédécias perd ses deux fils avant d’être aveuglé et déporté à Babylone. L’oppression et l’idolâtrie parmi les nations leur attirent fléaux et jugements ; pour Sion, les conséquences sont encore pires. Israël ne peut pas pointer du doigt un monde dépravé tant qu’il tolère des idoles dans son propre sanctuaire.

La troisième chose à noter est qu’après le dixième fléau vient la délivrance. Dans l’Exode, après que le peuple de Dieu ait été enfermé dans l’esclavage pendant quatre siècles, le jugement s'abat et Israël est gracieusement libéré de la captivité. Jérémie se termine de la même manière. Le peuple de Dieu s'est enfermé dans l’idolâtrie pendant quatre siècles, et le jugement est tombé. Mais les quatre derniers versets montrent le roi Yehoyakîn libéré gracieusement de la captivité, revêtu de vêtements neufs, élevé au-dessus de tous les autres rois et assis à la table royale (52.31–34).

Au milieu du jugement, Dieu reste bienveillant. Yehoyakîn a de l’espoir et un avenir, tout comme son peuple. Bien des années plus tard, l’un des membres de ce peuple sera libéré de la prison de la mort, revêtu de vêtements neufs, élevé au-dessus de tous les rois et de toutes les nations, et s’assiéra à la table royale. Et il invitera tout le monde, y compris des étrangers, issus comme moi de nations idolâtres méritant le jugement, à se joindre à lui.

Andrew Wilson est pasteur enseignant à la King’s Church de Londres et auteur de l'ouvrage God of All Things (« Dieu de toutes choses »). Il peut être suivi sur Twitter : @AJWTheology.

Traduit par Valérie Marie-Agnès Dörrzapf

Révisé par Léo Lehmann

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Peut-on faire mieux que l’Ennéagramme ?

D’autres ressources pour la formation spirituelle sont scientifiquement mieux étayées

Christianity Today May 17, 2021
Illustration by Sarah Gordon

Au cours du chaud printemps de 2017 au Texas, un couple entre avec appréhension dans le bureau de son conseiller conjugal. Ils sortent ensemble et envisagent la prochaine étape : le mariage. Ils ont même acheté les bagues. Mais ces deux personnes, un couple réel, ont connu des difficultés et veulent s'assurer qu'ils bâtissent leur relation sur une base solide.

Son premier mariage à lui s’est terminé en divorce – malgré une thérapie conjugale – provoquant des blessures dont il souffre encore. Ses parents à elle ont divorcé alors qu’elle était encore adolescente et elle craint de reproduire le modèle familial.

Le thérapeute de couple leur fait passer plusieurs types de test pour apprendre à les connaître et également les aider à construire un langage commun pour qu’ils se connaissent eux-mêmes et se comprennent l’un l’autre. L'un de ces tests a été élaboré à partir de l'Ennéagramme, un outil d'évaluation de la personnalité qui a été diffusé aux quatre coins du monde chrétien au cours de la dernière décennie.

Cet homme et cette femme commencent alors un processus de découverte de soi, discernant leur type dans l’Ennéagramme, devenant plus conscients de leurs réflexes défensifs et de leurs angles morts, et travaillant à accorder leurs pensées, leurs actions et leurs paroles avec leurs objectifs de maturité spirituelle. « Nous apprenons un nouveau langage et des outils qui nous aident à reprogrammer des habitudes et des réflexes bien ancrés, affirment-ils, nous encourageant à se pardonner soi-même et réciproquement. »

Pendant ce temps, dans l’État de Caroline du Nord, un autre couple bien réel, marié depuis 20 ans, fait une expérience de l’Ennéagramme complètement différente. Leur mariage avait connu des hauts et des bas, mais les dernières années avaient été les meilleures. Après la naissance de leur enfant en 2014, le mari s'est replongé dans son travail, ce qui a mis leur relation à rude épreuve. Ils ont alors commencé une thérapie conjugale.

Après quelques mois de thérapie, les choses semblaient aller mieux. Le couple s’est accordé un temps de retraite qui a régénéré leur intimité. Ils passaient plus de temps en famille et avaient l'intention d'emmener leur fils à Disney World à l'été 2017. Mais entre-temps, quelqu'un a introduit le mari à La sagesse de l’Ennéagramme, un ouvrage de Don Richard Riso. Il a découvert qu'il était un « type 7 à aile 8 », ce qui signifiait, selon l'Ennéagramme, qu'il avait besoin de liberté.

Au fil des mois suivants, sa femme remarque des changements dans son comportement et dans son apparence qui semblent liés à son type dans l’Ennéagramme et au chemin qui lui est recommandé pour une meilleure santé intérieure. Finalement, il conclut que lui et sa femme ne sont pas compatibles.

L'épouse note dans son journal ces paroles qu’il lui a adressées : « Il est possible d'aimer quelqu'un énormément, très profondément, mais que cette personne ne soit pas “la bonne personne” ». « Si elle voulait blâmer quelqu’un [pour leur séparation], elle devrait blâmer l'Ennéagramme ».

Leur séparation et leur divorce sont entérinés peu après leur 24e anniversaire de mariage.

Comme le montrent les histoires de ces deux couples, l'Ennéagramme peut avoir une forte influence sur les relations. Mais quand est-elle positive ou négative ? L'Ennéagramme est-il rigoureux ? Quelle crédibilité faut-il accorder à cet outil ?

De nombreux psychologues ont des opinions bien arrêtées sur l'Ennéagramme, allant de la curiosité et de l’intérêt au dédain, voire au mépris. Ce système à neuf types a gagné en popularité, donnant lieu ces dernières années à toute une variété de livres et autres publications médiatiques, dont un documentaire de l’auteur américain à succès Chris Heuertz prévu pour l'automne 2020, qui a été annulé à cause d'allégations d'abus spirituels et psychologiques perpétrés par Heuertz lui-même (Zondervan a également arrêté la promotion des livres de Heuertz).

Malgré l’attention dont il fait l’objet, beaucoup ignorent l'origine, le but ou les limites de l'Ennéagramme. La plupart des psychologues s’accordent à dire qu'il y a un décalage entre les typologies de la culture populaire et la véritable science de la personnalité. Mais les alternatives plus scientifiquement étayées peinent à trouver leur chemin vers le grand public pour l’aider à réfléchir au fonctionnement de la personnalité en rapport avec la croissance spirituelle et relationnelle.

À l'heure actuelle, les preuves empiriques accréditant le fait que l'Ennéagramme décrive avec précision la personnalité ou la spiritualité sont maigres. Les neuf types ne correspondent à aucun modèle de personnalité scientifiquement évalué.

De plus, quantité d’études montrent que de nombreuses caractéristiques au sein des types de l'Ennéagramme ne sont pas fortement corrélées (par exemple, le sens des responsabilités ne va pas forcément avec l’anxiété, contrairement à la description que The Enneagram Institute fait du type 6). Les caractéristiques de la personnalité humaine ne tendent pas non plus à se regrouper autour de neuf types tels que ceux de l'Ennéagramme (au lieu de cela, la psychologie de la personnalité suggère plutôt qu'elles se regroupent en trois ou cinq profils plus larges, selon le modèle).

Plusieurs questionnaires sont proposés pour qui veut connaitre son type dans l'Ennéagramme, tels l'Indicateur Riso-Hudson, la Palette des styles de personnalité de Wagner et l'Inventaire et le guide de découverte de l'Ennéagramme de Stanford. Toutefois, au sein de la communauté des praticiens de l'Ennéagramme, il y a désaccord sur l'utilité de tels outils.

Certains soutiennent leur utilisation, tandis que d'autres maintiennent que, pour trouver son type, un processus de discernement sous la direction d'un directeur spirituel est une meilleure voie. Une poignée de recherches (principalement menées par des partisans de l'Ennéagramme) ont tenté de tester la fiabilité et la validité des questionnaires, mais les résultats ont largement échoué à prouver leur viabilité.

De nombreux adeptes de l'Ennéagramme affirment que la validité scientifique de celui-ci n'est pas un préalable nécessaire à son utilisation en matière de croissance spirituelle. À la suite d’Augustin, cependant, nous croyons que toute vérité est vérité de Dieu et que les données empiriques sur le monde aident à élargir ce que l’on peut connaître de Dieu à travers la révélation générale.

1 Thessaloniciens 5.20-21 nous enseigne que nous ne devons pas mépriser les prophéties ou la sagesse spirituelle, mais examiner et retenir ce qui est bon et vrai. Puisque l'Ennéagramme fait de nombreuses affirmations sur la nature humaine qui peuvent être scientifiquement mises à l’épreuve, il mérite cet examen rigoureux. L’être humain fait en effet partie de la création de Dieu.

Mais en l’absence de preuve scientifique de son exactitude, de nombreux psychologues craignent que l'Ennéagramme ne propage une description trompeuse de la personnalité humaine. Assurément, de nombreuses personnes progressent grâce aux programmes ou aux formations fondés sur l'Ennéagramme. Mais il se pourrait que cette croissance trouve son origine dans d’autres composantes de ces programmes, telles que la discussion de certaines questions importantes ou des exercices visant à développer l’empathie. Le modèle de l'Ennéagramme en lui-même n'est peut-être même pas nécessaire pour que ces mécanismes favorisent la croissance.

Søren Kierkegaard déclarait : « M’étiqueter, c’est me nier ». Si sa déclaration paraît extrême, il nous faut être conscient que les tendances naturelles et les biais humains influencent la manière dont nous traitons les informations à propos de nous-mêmes et des autres. Le biais de confirmation – l’idée que les humains repèrent et se souviennent des informations correspondant à leurs idées préconçues sur eux-mêmes ou sur les autres – est un phénomène soigneusement étudié depuis qu'il a été observé pour la première fois dans les années 1960.

Avec l'Ennéagramme, le biais de confirmation pourrait signifier qu'une fois leur type déterminé les gens ne remarqueraient et ne se souviendraient que des situations où ils se comportent en phase avec leur type et ignoreraient les comportements non concordants. Comme l'une des principales entreprises des programmes liés à l’Ennéagramme est d'identifier et de travailler les angles morts ou les faiblesses, certains psychologues craignent que ces faiblesses ne deviennent en fait plus ancrées. Au fur et à mesure que les gens commencent à se soucier d’eux-mêmes en rapport avec les faiblesses de leur type d'Ennéagramme, ils remarqueront et se souviendront probablement davantage des informations touchant à leurs faiblesses. Paradoxalement, cela pourrait rendre le changement plus difficile.

Les psychologues avertissent également que l'Ennéagramme peut favoriser les stéréotypes, auxquels les humains sont naturellement enclins. Dès que les utilisateurs de l'Ennéagramme commencent à penser aux autres en fonction de leur type, leur tendance à créer des stéréotypes entre en jeu : ils interpréteront et prédiront les comportements des autres en fonction de leur type. À cause du biais de confirmation, les gens auront tendance à remarquer les comportements correspondant aux stéréotypes et à ignorer les informations qui y seraient contraires. Il deviendra alors difficile de reconnaitre les variations et les changements dans les motivations et les comportements des autres.

Les risque des stéréotypes, bien sûr, guette toute tentative d’appréciation de la personnalité. De nombreux experts en Ennéagramme mettent en garde contre ce phénomène. Mais d'autres, comme Riso et Russ Hudson, partenaire de The Enneagram Institute, semblent préconiser l'utilisation de l'Ennéagramme pour interpréter le comportement des autres de manière stéréotypée. Dans leur livre de 2003, ils affirment que « comprendre l'Ennéagramme, c'est comme avoir une paire de lunettes spéciales qui permet de voir au-delà de la surface des gens avec une clairvoyance particulière : nous pouvons en fait les voir plus clairement qu'ils ne se voient eux-mêmes ». Des déclarations comme celle-ci stimulent le biais de confirmation et la production de stéréotypes préjudiciables.

Que l’on choisisse ou non d'utiliser l'Ennéagramme, les sciences de la psychologie offrent d'autres approches susceptibles d’aider à mieux comprendre notre personnalité et notre relation avec Dieu. Les psychologues tendent à voir la personnalité comme une entité à plusieurs niveaux et plusieurs dimensions. Dan McAdams, psychologue à l’Université Northwestern et l’un des plus grands experts mondiaux de la personnalité, affirme que la personnalité est composée de trois niveaux : les traits de personnalité ; les « adaptations du caractère » (characteristic adaptations), soit les manières habituelles de réagir à différentes situations et ce qui nous motive ; et les histoires personnelles que nous racontons à propos de nos vies individuelles.

Chaque niveau de personnalité fournit des informations uniques sur l'identité de la personne en fonction de ses prédispositions génétiques et de ses interactions avec son environnement, c'est-à-dire à la fois à partir de l’inné et de l'acquis.

En examinant les traits de personnalité les plus importants, les scientifiques ont démontré dans de nombreuses études menées auprès de millions de personnes à travers le monde qu’il y a cinq dimensions constantes. Connues sous le nom de « Cinq grands traits » (Big Five) ou « Cinq grands facteurs », et parfois regroupées sous l’acronyme OCEAN, ce sont :

L’extraversion, qui touche à la chaleur, le caractère grégaire, l’assertivité, l’émotivité positive, l’activité et la recherche de stimulation ;

Le névrosisme, qui touche à l’anxiété, l’agressivité, la dépression, la conscience de soi, l’impulsivité et la vulnérabilité ;

La conscienciosité, qui touche à la compétence, l’ordre, le devoir, la recherche d’accomplissement, l’autodiscipline et la réflexion ;

L’agréabilité, qui touche à la confiance, la déférence, l’altruisme, la franchise, la modestie et la tendresse ;

L’ouverture à de nouvelles expériences, qui touche à la fantaisie, le sens de l’esthétique, les sentiments, les actions, les idées et les valeurs.

La théorie des cinq grands traits place chaque personne sur un continuum pour chaque trait de personnalité, sachant que la plupart des gens sont quelque part au milieu pour chaque trait.

Au deuxième niveau de la personnalité, les adaptations du caractère, les recherches effectuées sur la notion de vertu sont particulièrement intéressantes pour la croissance spirituelle. Les psychologues définissent les vertus comme des habitudes que les gens cultivent en lien avec des motivations morales ou spirituelles, et leur identité. Alors que les traits de personnalité sont assez stables, les vertus peuvent être développées par des activités intentionnellement pratiquées en relation avec Dieu et avec une communauté spirituelle.

De nombreuses études confirment l'efficacité de ces actes intentionnels pour développer les vertus comme le pardon, la gratitude, la patience ou l'espoir. Il existe des livres, vidéos et podcasts offrant de solides stratégies pour aider les gens dans ce but précis. De même, divers outils de mesure et questionnaires scientifiquement validés sont disponibles gratuitement pour analyser les vertus, ainsi que les valeurs et motivations morales qui les sous-tendent.Enfin, les histoires que les gens racontent sur leur vie et la façon dont ils les racontent sont des composantes de la personnalité dont l’importance pour la formation spirituelle est souvent sous-évaluée. Lors d'entretiens avec des personnes en divers lieux des États-Unis, McAdams a constaté que les personnes qui racontaient leur histoire personnelle sous la forme d’un récit de rédemption étaient plus susceptibles d'être très généreuses que les personnes racontant leur histoire personnelle sous d’autres formes de récit (comme la tragédie, la comédie ou une trajectoire d’ascension permanente).

Ceci suggère que l'une des composantes les plus importantes de notre formation spirituelle est la construction et la reconstruction de notre histoire de vie et des histoires de nos communautés afin de refléter l'œuvre rédemptrice du Christ. Le récit de la rédemption par Christ est l’essence même de notre foi. La coutume consistant à raconter le récit de notre propre rédemption à travers des témoignages devrait être le fondement de la croissance spirituelle.

Revenons un instant à ces deux couples qui, en utilisant l'Ennéagramme pour amener un changement dans leurs relations, ont abouti à des résultats très contrastés.

Dans le premier couple, aux prises avec des histoires de divorce, chacun a grandi individuellement et a appris à s'engager dans un conflit sain. Ils sont mieux à même de comprendre les complexités de la personnalité de l’autre. Aidés par l'Ennéagramme, ils se concentrent sur la grâce de Dieu dans leur vie et prolongent cette grâce l’un pour l’autre.

En revanche, le deuxième couple ne communique presque plus, même pour coordonner la garde de leur fils. L'épouse a le cœur brisé à cause de l'effet produit par l'Ennéagramme sur sa famille, tandis que le mari est parti froidement, comme s'il ne pouvait plus rien faire pour sauver son mariage.

Il serait difficile de déterminer objectivement si l'Ennéagramme a vraiment joué un rôle dans le renouvellement ou la dissolution de ces relations, ou si les résultats auraient été identiques sans son concours. Mais il ne fait aucun doute que ces couples considèrent cet outil d’analyse de la personnalité comme déterminant.

Que faire donc d’une part des preuves scientifiques et d’autre part de récits de vie éloquents où l’on voit la croissance mais aussi les dégâts ? Nous pouvons affirmer qu'il est juste et bon pour les croyants de rechercher des outils et des opportunités pour grandir dans leur relation avec Dieu et développer une meilleure connaissance d'eux-mêmes. Mais les passionnés ou les explorateurs de l'Ennéagramme devraient être prudents dans l’utilisation d’un outil qui, scientifiquement parlant, devrait encore faire ses preuves, et ne devraient jamais utiliser les types de l'Ennéagramme pour stéréotyper les autres.

En revanche, nous pourrions tous bénéficier de certains outils éprouvés de la psychologie qui aident à comprendre nos traits de personnalité élémentaires, à développer des habitudes vertueuses et à raconter l’œuvre rédemptrice du Christ dans notre vie et notre formation spirituelle.

Sarah A. Schnitker est psychologue spécialisée en psychologie de la personnalité et en psychologie sociale à l'Université Baylor. Jay Medenwaldt prépare un doctorat en psychologie sociale à Baylor. Lizzy Davis, gestionnaire de subventions chez Baylor, a fait usage de l'Ennéagramme à la fois personnellement et dans le cadre de son travail.

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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Laissez les petits enfants venir au culte des grands

Une leçon de la pandémie : Ne sous-estimez pas le culte vécu aux côtés de vos enfants.

Christianity Today May 12, 2021
Illustration de Rick Szuecs / Images sources : Gene Gallin / Christin Hume / Unsplash

Depuis l'année dernière, la COVID-19 nous a tous demandé de multiples adaptations. Alors que certains pays commencent à sortir des mesures sanitaires restrictives, l'envie de revenir à la normale sera forte. Mais nous ferons aussi le bilan de ce que nous avons appris. Quelles pratiques voudrions-nous conserver ? Pour les jeunes familles chrétiennes, une pratique en particulier, imposée en temps de pandémie, est porteuse d'un énorme potentiel pour la formation de disciples.

Comme d'autres, les Wilkins se sont tournés vers les casse-têtes pour occuper ces heures inattendues de vie en famille. En mars 2020, il n'y avait pas que le papier toilette qui manquait. Il y avait aussi une pénurie de puzzles de 1000 pièces. Certains ayant manifestement commencé à accumuler les puzzles disponibles sur Amazon, j'ai finalement décidé d'en commander un sur un site d'impression à la demande. Quand il est arrivé, c'était bien un puzzle de 1 000 pièces… mais chaque pièce avait la taille d'une pièce de 10 cents. Autant d’occasions de perdre son sang-froid et d’être frustré… Peut-on rêver mieux en temps de confinement ?

Cela dit, j'espère que notre famille conservera l'habitude de travailler ensemble sur des puzzles (de taille normale) après la pandémie. Pour ce qui concerne le « puzzle » permanent consistant à faire de nos enfants des disciples, la COVID-19 a fourni l’occasion de tester en grandeur nature un moyen idéal d'y parvenir, par le biais inattendu de la diffusion des cultes du dimanche dans notre salon.

Pour de nombreuses jeunes familles, le confinement dû au coronavirus a permis d’expérimenter pour la première fois le culte ensemble, avec tous les éléments d’un service ordinaire, plutôt que de suivre la routine habituelle selon laquelle les enfants participent aux programmes d’école du dimanche tandis que les adultes assistent au rassemblement qui leur est adressé.

Dans ma propre Église, dès que nous avons démarré la diffusion de célébrations en ligne, les enfants ont commencé à poser des questions sur le baptême et la sainte cène à un rythme sans précédent. Beaucoup n'y avaient jamais assisté. Partout dans les salons, les enfants ont joint leur voix à la prière commune, écouté la prédication de la Parole, entendu des témoignages et entonné des chants avec leurs parents.

Comme mon puzzle miniature, ces réunions de culte familial n'étaient pas sans contrariété. Oui, les enfants ont été fidèles à eux-mêmes, se tortillant en tous sens, consommant de copieuses collations ou courant en rond dans le salon, mais il se passait quelque chose d'inestimable. Les familles vivaient les paroles du Psaume 34.3 : « Glorifiez l'Éternel avec moi, exaltons ensemble son nom » (souligné par l’auteur).

Les parents pratiquants qui se seraient peut-être attendus à ce que leur enfant ne retire rien du culte ont découvert le contraire. Parce qu’il n’y a rien de tel pour les enfants que de voir leurs parents vivre l'adoration. Parce que les enfants ont le droit d'être témoins de l’application des ordonnances de l'Église et d’en tirer instruction. Parce que les enfants ne sont pas l'Église de demain, ils sont l'Église d'aujourd'hui.

Comprenez-moi bien, je suis une grande partisane du ministère auprès des enfants. Je pense que ça n’a pas de prix. Je suis payée par mon Église pour y contribuer. Mais permettez-moi d’affirmer ceci : bien que les activités pour les enfants soient un merveilleux complément au culte ordinaire, elles en sont un pauvre substitut.

Un enfant en âge d'aller à la maternelle peut très bien être accueilli au culte avec un peu d'accompagnement de la part d'un parent aimant et désireux de faire de lui un disciple. S'il est vrai qu’on apprend davantage par l’exemple que par les discours, les parents devraient d’autant plus s’efforcer d’être des modèles d'adoration pour leurs enfants. Il y a là plus de potentiel que dans toute leçon enseignée par un moniteur d’école du dimanche ou un conducteur de culte pour enfants.

Dans un sens, la pandémie de COVID-19 a permis aux petits membres de l'Église d'aujourd'hui d’adorer exactement là où ils sont censés être : avec le reste de l'Église. Je crois me souvenir que quelqu'un d'autre a fait quelque chose de semblable, à la grande stupéfaction de ses disciples.

Après la pandémie, j'espère ne plus jamais trouver les étagères vides de papier toilette. Ou de puzzles. Ou de crackers Extra Toasty de Cheez-It, tant qu’à faire une liste. Mais j'espère que les pièces du puzzle qui se sont mises en place autour du culte en famille seront sauvegardées et approfondies. En revenant à la normale, j'espère que nous ne préserverons pas une pratique pré-COVID qui n'était peut-être pas aussi excellente qu'elle nous paraissait.

J'espère que davantage de familles amèneront les enfants d'âge scolaire au rassemblement du culte, en plus de les faire profiter de la bénédiction qu'est l’école du dimanche. Pour les familles, le « avec moi » du culte est important. Laissez venir les petits enfants, même s'ils gigotent et chuchotent. Ils sont les pièces manquantes qui complètent l'image de l'Église en tant que famille de Dieu. Laissez-les être formés dans la maison du Seigneur.

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Books

Décès de C. René Padilla, père de la mission intégrale.

Il poussait les évangéliques à voir l’action sociale et l’évangélisation comme « les deux ailes d’un avion ».

Christianity Today May 6, 2021
Courtesy of Fraternidad Teológica Latinoamericana / edits by Rick Szuecs

Note de l’éditeur : CT propose également une série d’hommages de la part de responsables et d’amis de Padilla (en anglais).

Carlos René Padilla, théologien, pasteur, éditeur et longtemps membre du personnel de l’association internationale des étudiants évangéliques (International Fellowship of Evangelical Students, IFES), est décédé le mardi 27 avril à l'âge de 88 ans. Padilla était surtout connu comme le père de la mission intégrale, un cadre théologique adopté par plus de 500 missions chrétiennes et organisations humanitaires dont Compassion International et World Vision. La mission intégrale a amené les évangéliques du monde entier à élargir leur mission chrétienne, affirmant que l’action sociale et l’évangélisation étaient deux éléments essentiels et indivisibles, « deux ailes d’un avion » selon les mots de Padilla.

Le rayonnement de Padilla s’est manifesté avec force au Congrès de Lausanne de 1974 lorsqu’il y prononça, en session plénière, un discours marquant. Près de 2500 leaders évangéliques de plus de 150 pays et 135 dénominations s’étaient réunis à Lausanne, en Suisse, pour un congrès dont le financement a été principalement assuré par l’Association évangélistique Billy Graham (Billy Graham Evangelistic Association, BGEA). Un magazine influent qualifiait alors Lausanne de « formidable forum, peut-être le plus vaste rassemblement de chrétiens jamais organisé ». Lorsque Padilla est monté sur scène, il portait les espoirs et les rêves de nombreux évangéliques des nations de l’hémisphère Sud cherchant à être intégrés à part égale dans la prise de décision concernant les Églises et les organisations missionnaires du monde entier.

Padilla a spécifiquement appelé les évangéliques américains à se repentir d’avoir exporté un certain mode de vie américain sur les champs de mission du monde entier – style de vie insensible à la responsabilité sociale et à l’aide humanitaire en faveur des pauvres – plaidant ainsi pour une « mission intégrale ». Il tirait cette expression de son pain au blé entier fait maison (pan integral en espagnol), appelant à une approche de la mission chrétienne synthétisant aspects spirituels et structurels, traduite à l'origine par « comprehensive mission » en anglais.

« Jésus-Christ est venu non seulement pour sauver mon âme, mais aussi pour former une nouvelle société », déclara-t-il à Lausanne.

L’histoire de la vie de Padilla est surprenante par sa portée mondiale – partant d’une enfance pauvre en Colombie et en Équateur pour aboutir à un travail de formation des évangéliques à travers le monde. Il exerça son ministère avec les missionnaires américains Jim Eliot, Nate Saint et Pete Fleming, morts prématurément en Équateur en 1956. Il fut l’interprète de Billy Graham pendant ses campagnes d’évangélisation à travers l'Amérique latine dans les années 1960. En accompagnant John Stott dans ses tournées de conférences en 1970, Padilla se lia d’une amitié profonde avec lui. Il établit un pont entre une jeune génération d'évangéliques du Sud et les dirigeants des États-Unis et de Grande-Bretagne, dans les années tumultueuses entre 1960 et 1970. Il fut à la tête d’organisations évangéliques mondiales. Il fut également largement publié dans des revues théologiques et des publications étudiantes comme celles de l'InterVarsity Christian Fellowship (IVCF).

Une grande partie de l'héritage de Padilla reste en Amérique latine, parmi les pasteurs, les théologiens et les dirigeants laïcs. Alors qu'on lui offrait souvent des postes aux États-Unis, Padilla choisit de rester en Amérique latine, pasteur parmi les pauvres, dirigeant le Centre Kairos pour la mission intégrale (Kairos Center for Integral Mission) et publiant des centaines de primo-auteurs latino-américains par l'intermédiaire de sa maison d'édition Ediciones Kairos. Padilla cofonda également le comité théologique latino-américain (Fraternidad Teológica Latinoamericana, FTL) et l’association internationale des théologiens évangéliques de la mission (International Fellowship of Evangelical Mission Theologians), et fut président de l’association caritative Tearfund UK & Ireland et du réseau Michée (Micah Network), qui a pris l’appellation Défi Michée en France.

Enfant de croyants minoritaires

Carlos René Padilla est né à Quito, en Équateur, le 12 octobre 1932. Padilla grandit aux côtés de la communauté missionnaire américaine dans la région, menant des projets d'évangélisation et traduisant des programmes de radio américains pour le ministère de la radio HCJB alors qu'il était encore adolescent. Enfant, il savait qu'il était différent, marqué par une identité religieuse marginalisée et exclue par la culture latino-américaine ambiante. Le père de Padilla était tailleur de métier, pour payer les factures, mais était aussi implanteur d'Église évangélique dans l'âme. Ses deux parents étaient devenus chrétiens évangéliques avant sa naissance, sous l’influence de l’oncle de Padilla, Heriberto Padilla, qui, selon Padilla, fut l’un des premiers pasteurs évangéliques en Équateur.

L'implantation d'Églises était une entreprise dangereuse dans la Colombie résolument catholique, où sa famille déménagea en 1934. Leurs maisons furent incendiées et de multiples tentatives d'assassinat perpétrées contre lui et son père alors qu'ils implantaient des Églises et évangélisaient en plein air. Dès l’âge de sept ans, Padilla portait des cicatrices à cause des pierres qu’on lui jetait alors qu'il marchait dans les rues de Bogotá pour se rendre à l'école communale.

Avec le recul, Padilla estimait qu’il y avait là le lot du chrétien évangélique fidèle : « En Colombie, vous deviez vous identifier en tant que chrétien évangélique, et si vous le faisiez, vous deviez en assumer les conséquences ».

Comme migrant économique et membre d'une communauté religieuse minoritaire, Padilla fut façonné par un contexte de violence, d'oppression et d'exclusion. La relation entre la souffrance et la théologie était organique pour lui. De sa jeunesse, il se rappelait « le désir de comprendre le sens de la foi chrétienne en lien avec les questions de justice et de paix dans une société profondément marquée par l'oppression, l'exploitation et l'abus de pouvoir ». La question pour Padilla n'était pas de savoir si l'Évangile avait quelque chose à dire à ce contexte latino-américain difficile, mais comment il le faisait. Ces questions conduisirent Padilla à chercher des réponses par la formation théologique et sa mise en pratique parmi les étudiants.

Adolescent, Padilla était à bord de l’avion du pilote missionnaire américain Nate Saint, survolant les Andes équatoriennes. Saint, aidé de Jim Elliot et Pete Fleming, avait récemment organisé un camp biblique évangélique pour enfants dans une petite ville à l’extérieur de Quito. Padilla se rappelait du conseil donné par Saint alors qu’il regardait à travers le cockpit la jungle amazonienne en contrebas : « Tu vas étudier la théologie – fais attention de ne pas absorber la théologie sans la digérer ». Lorsque les trois missionnaires furent tués par des autochtones Waorani, en 1956, lors d’une tentative d’évangélisation qui tourna mal, Padilla était étudiant là où avait étudié Elliot, au Wheaton College. Leur mort soudaine eut sur lui, selon ses mots, un « impact énorme » quand il était à Wheaton.

Études théologiques et retour en Amérique latine

Après son arrivée sur le campus à l'automne 1953, Padilla demanda l'aide du président de l'école, Victor Raymond Edman, qui avait servi comme missionnaire à Quito aux côtés des parents de Padilla, avec l'Alliance chrétienne et missionnaire (Christian and Missionary Alliance). Edman soutint son nouvel étudiant – qui parlait à peine anglais et s’était endetté pour acheter son billet d'avion – en l'aidant à trouver un emploi et à se familiariser avec les ressources du campus. En 1959, Padilla avait obtenu la licence en philosophie et la maîtrise en théologie. Mais il ne put recevoir son diplôme en main propre, car il était déjà parti dans l’équipe de l’IFES au Venezuela, en Colombie, au Pérou et en Équateur. (L'IFES est l'organisme mondial issu de mouvements chrétiens étudiants nationaux tels que la US-InterVarsity Christian Fellowship aux États-Unis, la Universities and Colleges Christian Fellowship en Grande-Bretagne, ou encore les Groupes Bibliques Universitaires en France et en Suisse)

C’est également depuis l’Amérique latine que Padilla demanda en mariage son amie américaine de longue date, une collègue d’étude à Wheaton et employée à InterVarsity, Catharine Feser. Pour lui, sa demande en mariage était double : il s’agissait de l'épouser, lui, et d’épouser l’Amérique latine. L’engagement de son épouse dans le champ missionnaire de l’Amérique latine jouera un rôle important dans leur ministère commun. (En fin de compte, elle rejeta les États-Unis et jura de ne jamais y retourner.) Catharine éditait presque tout ce que René écrivait, y compris son discours de Lausanne de 1974. Elle constitua un précieux pont entre une simple connaissance de l'anglais comme langue étrangère et un anglais tout à fait fluide.

Padilla endossa un nouveau rôle six mois après le renversement du régime de Fulgencio Batista à Cuba par les forces communistes dévouées à Fidel Castro. L’insurrection éveilla les jeunes de la région à la réalité que l’impérialisme américain n’était pas inévitable et amplifia les tendances nationalistes, jetant une large suspicion sur les idées d’origine étrangère. La plupart des ouvrages de théologie évangélique d'Amérique latine n'avaient pas grand-chose à dire sur l'attrait des idéologies marxistes. Le retour depuis la banlieue américaine dans le contexte politique tumultueux de l’Amérique latine choqua le jeune équatorien et remit en question ses catégories théologiques, en particulier celles véhiculées par son cursus à Wheaton.

Frustrations et aspirations à autre chose

L’insatisfaction de Padilla à l’égard des approches existantes du ministère, jointe à l’aspiration des étudiants pour l’engagement social, le poussa à explorer des solutions innovantes en missiologie et en théologie. Ses contacts étendus avec les universités et les étudiants dans l’Amérique latine de la guerre froide lui offrirent une perspective unique. Mais l'expérience dans la pratique du ministère n'était pas son seul domaine de compétence. Les références acquises dans sa formation évangélique lui donnèrent une plus grande crédibilité pour prendre la parole dans les débats théologiques, tels notamment ceux de Lausanne.

De 1963 à 1965, Padilla termine son doctorat à l'Université de Manchester sous la direction de F. F. Bruce, titulaire de la chaire Rylands de critique biblique et d'exégèse, « le bibliste évangélique et conservateur le plus éminent de l'après-guerre », ainsi que l'historien Brian Stanley le décrira plus tard. Étudier avec Bruce rendit Padilla digne de confiance au sein du monde évangélique élargi, au point qu’il fut invité à prendre la parole à Lausanne et à s’associer à John Stott, ce qui s’avéra crucial par la suite pour l’introduction de questions sociales lors du Congrès de Lausanne.

Dans les années 60 et au début des années 70, Padilla commença à parler de la pauvreté théologique de l’Amérique latine, déplorant qu’aux questions locales on donne des réponses étrangères. Padilla unit les forces de ses collègues de l'IFES, Samuel Escobar et Pedro Arana, avec celles du missionnaire Orlando Costas, créant ainsi une coalition éclectique de théologiens bouillonnants. Ensemble, ils partageaient l’expérience de la vie dans des situations d’injustice et d’inégalité pendant la guerre froide, et une frustration suscitée par la manière dont nombre d'organisations évangéliques traitaient les Latino-Américains.

Une telle frustration survint notamment lors du « Premier Congrès latino-américain pour l'évangélisation » (First Latin American Congress for Evangelization), aussi connu sous son acronyme espagnol, CLADE, pour Congreso Latinoamericano de Evangelización, sponsorisé par l’Association évangélistique de Billy Graham (BGEA) en 1969. L'événement avait pour objectif d’aider les pasteurs et théologiens latino-américains à déceler les dangers des théologies d’inspiration marxiste et à imposer les catégories théologiques américaines dans toute la région. La BGEA avait observé à la fois l'avancée apparemment incontrôlable de mouvements théologiques radicaux animés par d'éminents théologiens de la libération de la première génération, et l’amorce du déclin de l’engagement dans la mission évangélique protestante traditionnelle. Mais pour la gauche évangélique latino-américaine embryonnaire, ce CLADE représentait une résurgence du paternalisme et de l’impérialisme évangéliques américains. Padilla qualifia la conférence de « made in USA » et déclara que le paternalisme était « typique de la manière dont le travail est parfois accompli dans le milieu conservateur ».

En réponse, Padilla, Costas, Escobar et d'autres fondèrent la Fraternité théologique latino-américaine (FTL). L'organisation poussa Padilla à publier et à produire des réponses à des questions missiologiques brûlantes, et elle élabora, dans ses premières années d’existence, certaines des théologies contextuelles les plus importantes à l’attention des évangéliques protestants d'Amérique latine, parmi lesquelles le livre de Padilla Mission Between the Times: Essays on the Kingdom (« La mission entre les temps : essais sur le royaume »).

Son intervention au congrès de Lausanne

Avant même Lausanne, Padilla gagnait déjà en importance et aiguisait son sens critique. Dans un article de 1973 paru dans Christianity Today – le premier article du magazine traitant directement de la théologie de la libération – Padilla interpellait les évangéliques conservateurs afin qu’ils s’attaquent à leurs propres préjugés idéologiques avant de critiquer la théologie de la libération. Il rejetait également la théologie de la libération, tout en concluant : « Où est la théologie évangélique qui proposera une solution avec autant d’éloquence mais aussi avec un fondement plus ferme dans la Parole de Dieu ? »

En juillet 1974, Catharine Feser Padilla rassembla ses enfants autour d'un atlas mondial, dans leur maison du quartier Florida Este à Buenos Aires. Sa fille, Ruth Padilla DeBorst, racontera plus tard : « Le ton de la voix de ma mère dénotait une urgence inhabituelle : “Aujourd'hui, quand il fera son discours ici, à Lausanne, en Suisse – pointant du doigt la ville sur la carte – Papi dira certaines choses que tout le monde ne voudra pas entendre. Prions pour lui et pour les gens qui l’écoutent” ».

Au Congrès de Lausanne de 1974, pour la première fois, des dirigeants de l’hémisphère Sud gagnèrent leur place à la table de la gouvernance évangélique mondiale, apportant avec eux un nouveau type de christianisme social. Les Latino-Américains parlèrent d'une voix particulièrement forte, ayant affiné leur critique en tant que communauté religieuse minoritaire. Le rédacteur en chef du magazine Crusade écrivit que les remarques de Padilla « enflammèrent véritablement le congrès » et reçurent « la plus longue salve d’applaudissements jamais adressée à un orateur jusqu’à ce jour ». Même le magazine Time souligna le discours de Padilla dans sa couverture de l’événement, parlant de « l'un des discours les plus provocateurs du congrès ».

Profitant de l'élan produit par ses exposés et ceux d'Escobar en plénière, Padilla, avec John Howard Yoder, rassembla un groupe ad hoc de 500 participants, qu’ils désignèrent comme le rassemblement du « discipulat radical » (radical discipleship), cherchant à approfondir davantage les éléments sociaux dans le projet de la Déclaration de Lausanne. Après le congrès, Padilla estima que leur document sur le discipulat radical était « la déclaration sur la mission holistique la plus forte jamais formulée par une conférence évangélique jusqu'à cette date ». Il déclara également la mort de la dichotomie entre l’action sociale et l’évangélisation dans la mission chrétienne.

La présentation de Padilla fit cependant des vagues. John Stott, par exemple, avait précédemment rejeté ce point de vue, mais changea publiquement d’avis dans son livre de 1975, Mission chrétienne dans le monde moderne. Cela créa cependant un malaise chez de nombreux autres responsables évangéliques, non seulement en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, mais aussi dans l’hémisphère Sud. Le secrétaire général d'InterVarsity, Oliver Barclay, contesta le cœur de la présentation de Padilla à Lausanne et, plus tard dans l'année, le prévint de la réaction des « médias » à son article tenta de dissuader le jeune leader.

A Lausanne, Padilla établissait le lien entre la mission de l'Église et le contenu du message évangélique lui-même, contenu qui comprenait des réalités sociales. En cela, il contestait la théologie dominante de l'évangélisation protestante majoritaire selon laquelle l'action sociale découlait du message de l'Évangile, mais ne lui était pas inhérente. Pour certains toutefois, faire ainsi de l'éthique sociale une partie du message évangélique avait des relents troublants d’Évangile social et de libéralisme théologique.

Mais pour Padilla, embrasser le message évangélique dans toute son ampleur était vital pour la mission chrétienne. « Le manque de reconnaissance des dimensions plus larges de l'Évangile conduit inévitablement à une incompréhension de la mission de l'Église », affirma-t-il. « Il en résulte une évangélisation qui considère l'individu comme une unité autonome, une sorte de Robinson Crusoé à qui Dieu adresse son appel sur une île. »

Une influence qui perdure

Au cours des décennies suivantes, Padilla a contribué à influer la trajectoire du Mouvement de Lausanne, organisant des colloques et des conférences à travers le monde. Il a continué à parfaire son message, notamment en critiquant le rôle des États-Unis comme puissance mondiale. Son héritage missiologique est peut-être le plus clairement visible dans les documents du congrès de Lausanne à Cap Town en Afrique du Sud, en 2010. Pour la première fois, la mission intégrale a été incluse dans les documents officiels du Mouvement de Lausanne.

Aujourd'hui, il est monnaie courante pour de nombreux évangéliques de parler d'un message évangélique plus large : pour l'individu, pour le prochain, pour la création. Au-delà des rassemblements mondiaux, Padilla a passé une grande partie de son temps à mettre sur pied une formation théologique à la mission intégrale avec le concours de pasteurs et de responsables laïcs de toute l'Amérique latine, au Centre d’études théologiques interdisciplinaires (Centro de Estudios Teológicos Interdisciplinarios, CETI), fondé avec Catharine en 1982.

Le décès de Padilla a été précédé par celui de sa collègue de toujours et première épouse, Catharine Feser Padilla, en 2009. Il laisse dans le deuil sa deuxième épouse, Beatriz Vásquez, et les cinq enfants qu’il a eus avec Catharine : Daniel, Margarita, Elisa, Sara et Ruth, ainsi que avec de nombreux petits-enfants.

En français, on pourra lire la traduction d’une intervention de René Padilla dans l’ouvrage Le cri des chrétiens du Sud. Pour une Bonne Nouvelle incarnée dans des actes. Une de ses interventions sur l’avenir du Mouvement de Lausanne a également été traduite et mise en ligne par la revue Perspectives Missionnaires.

Traduit par Philippe Kaminski

Adapté par Léo Lehmann

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Les questions d’identité de genre ne doivent pas nous effrayer

Preston Sprinkle propose des orientations pour penser de manière biblique et écouter avec amour.

Christianity Today May 5, 2021
Illustration by Rick Szuecs

Parmi les nombreux livres traitant des questions LGBT d’un point de vue chrétien, la plupart s’arrêtent aux trois premières lettres de l'acronyme, négligeant malheureusement la dernière. Pourtant, les questions relatives à l'identité de genre sont de plus en plus nombreuses et pressantes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église. Dans son dernier livre, Embodied: Transgender Identities, the Church and What the Bible Has to Say (Incarné : Identités transgenres, l'Église et ce que la Bible a à dire, 2021), Preston Sprinkle, président du Center for Faith, Sexuality & Gender (Centre pour la foi, la sexualité et le genre), offre ses conseils à ceux qui souhaitent aborder ces questions de manière constructive et avec amour. Rachel Gilson, auteure et membre de l’équipe théologique de l’organisation Cru, s'est entretenue avec lui au sujet de son livre.

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

David C Cook

288 pages

$12.99

Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant ?

Deux axes fondamentaux se côtoient dans ce livre : un axe relationnel et un axe conceptuel. En d'autres termes, je suis déterminé à traiter les gens aimablement tout en réfléchissant de manière biblique, logique et scientifique à tous les sujets susceptibles de faire surface quand on parle d’identité de genre : la réalité corporelle de l'homme et de la femme, la relation entre le corps et l’âme, et les stéréotypes liés à la masculinité et à la féminité. L'un ne va pas sans l'autre. Réfléchir correctement sans aimer soigneusement crée des dégâts, aussi sûrement qu’aimer soigneusement sans réfléchir correctement.

Vos opinions ont-elles changé au cours la recherche et de l'écriture de ce livre ?

Je suis sans aucun doute devenu plus sensible à certaines des subtilités propres à ces discussions. Par exemple, une interrogation récurrente est celle de savoir si quelqu'un peut naître dans le « mauvais » corps. Mon intuition de départ était que non. Après avoir débattu de cette question sous plusieurs angles, je peux mieux comprendre pourquoi certains affirment que ce phénomène est réel, bien que mon opinion demeure la même. Quelle part de votre personnalité est due à votre cerveau, et quelle part à votre corps ? C'est une question complexe ! Elle fait intervenir les neurosciences, la philosophie, l'anthropologie théologique et d'autres perspectives sur la nature humaine. Les complexités sont plus nombreuses qu’on ne le reconnait de part et d’autre du débat.

Dans les conversations sur le genre, les personnes intersexes sont souvent utilisées comme des mascottes. Parfois, elles sont mises dans le même panier que les personnes transgenres, et d'autres fois, elles sont complètement ignorées. Comment pouvons-nous être attentifs aux personnes dont le corps n'est pas entièrement masculin ou féminin au sens conventionnel du terme ?

Les personnes intersexes sont souvent comme l'enfant pris dans un divorce, tiraillées de part et d’autre et utilisées au service d'un argument ou d'un autre. Comme l'ont souligné plusieurs personnes intersexes, cette pratique est déshumanisante.

Si nous devons aborder le sujet de l'intersexualité, assurons-nous que nous ne le faisons pas en passant, comme un raccourci vers autre chose. Les nouveau-nés dont le sexe est ambigu soulèvent des questions importantes en soi : faut-il les opérer immédiatement ? Et qui peut déterminer le sexe à privilégier ? Ce sont des préoccupations majeures au sein de la communauté intersexe. Il y a bien sûr des similitudes avec les débats sur l'identité transgenre, mais il n'en reste pas moins que nous ne pouvons pas simplement utiliser les réalités de l’intersexualité au profit d'un argument idéologique sur le genre et la sexualité en général.

Pour ceux qui ne s'identifient pas comme trans ou intersexe, comment aborder ce débat ? Que faut-il faire ou ne pas faire ?

Tout d'abord, écoutez ce que les personnes transgenres ont à dire, surtout si vous venez d'un environnement chrétien plus conservateur. Parfois, cet environnement peut endurcir nos cœurs à l'égard de personnes qui ont été marginalisées, humiliées ou mises à l'écart par l'Église, et la population transgenre correspond souvent à cette description. Pour corriger la dureté de notre attitude, nous devons développer des relations authentiques avec les personnes transgenres.

Deuxièmement, nous devons apprendre à employer correctement les termes : comprendre, par exemple, la différence entre le sexe et le genre, ce que signifie l'identité de genre, et pourquoi des mots comme « transgendérisme » peuvent être un repoussoir. Comme me l'a dit l'un de mes amis transgenres, « le “transgendérisme” apparaît comme un concept sans nom et sans visage que les gens peuvent diaboliser ». Pour beaucoup de gens, cela peut faire penser à une maladie. Certains mots véhiculent sans le vouloir certaines connotations, et il est important de le saisir.

De nombreuses personnes utilisent indifféremment les notions de sexe et de genre. Quelle est la différence ?

Il est incontestable que les humains sont sexuellement dimorphiques : Nous ne nous reproduisons que lorsqu'un mâle féconde une femelle, et ces catégories sont fondamentales pour notre humanité. Les Écritures en témoignent : Dieu a créé les êtres humains en tant que mâle et femelle (Ge 1.27).

Le genre, en revanche, relève de notre réponse psychologique et sociale au sexe biologique. Dans ce domaine, on peut distinguer trois catégories. L'identité de genre est notre sentiment interne d'identité, le fait de nous sentir de sexe masculin ou féminin. L'expression du genre est la façon dont nous manifestons cette identité intérieure, généralement par des vêtements ou des manières qui suggèrent la masculinité ou la féminité. Enfin, les rôles de genre renvoient aux attentes de la société envers les hommes et les femmes.

Certains chrétiens pourraient entendre votre réponse et se dire : « Cela semble raisonnable, mais la Bible ne parle pas de ces catégories. Comment suis-je censé les utiliser ? »

Bien que la Bible ne dispose pas d'un terme comme le genre utilisé de manière distincte de la notion de sexe, je pense qu'elle parle des différences que ces mots expriment. Elle reconnaît, bien sûr, que les humains sont créés en tant qu'hommes et femmes. Et elle dépeint des comportements que nous pourrions considérer comme masculins ou féminins.

Dans le monde gréco-romain, il y avait certaines attentes liées au fait d'être un homme ou une femme. Vous pouviez être un homme biologique, mais si vous étiez gentil avec les marginaux, par exemple, ou si vous laviez les pieds des gens, vous pouviez être stigmatisé comme trop peu masculin. Si la Bible célèbre la différence des sexes, elle remet également en question certains stéréotypes culturels. Prenez quelqu'un comme le roi David : c'était un grand guerrier qui a coupé la tête de Goliath, mais il écrivait des poèmes, jouait de la harpe et pleurait beaucoup. Ou prenez le livre des Juges, où des femmes comme Déborah ou Yaël jouent un rôle crucial dans les batailles militaires. L'Écriture a donc une vision plus large de ce que signifie vivre nos identités masculine et féminine.

Nous avons tous deux des amis qui s'identifient chrétiens trans ou non binaires. Que diriez-vous aux croyants qui se méfient de ces étiquettes ?

Des termes comme trans ou transgenre peuvent signifier différentes choses pour différentes personnes. J'ai un ami biologiquement masculin, par exemple, qui se dit transgenre parce qu'il s'identifie comme une femme. C’est généralement la première idée que le terme évoque. En revanche, une autre de mes amies est biologiquement de sexe féminin et se considère comme telle, mais se dit transgenre parce qu'elle souffre de dysphorie de genre. Ainsi, alors que certaines personnes utilisent ces termes pour parler de leur identité fondamentale, d'autres les utilisent principalement pour décrire leur expérience subjective.

Parfois il s’agit simplement du sentiment de ne pas correspondre à un ensemble particulier de stéréotypes de genre. Souvent, c'est tout ce que signifie le qualificatif « non binaire », non pas que l'on pense ne pas être biologiquement un homme ou une femme, mais que l'on ne se reconnaît pas complètement dans la masculinité ou la féminité. En fin de compte, la seule façon d'éviter la confusion est d'apprendre à connaître les personnes elles-mêmes, et d'apprendre pourquoi elles utilisent les mots qu'elles utilisent.

Qu'est-ce que les lecteurs transgenres doivent retirer de votre livre ? Et qu'en est-il des lecteurs non trans ?

Pour mes lecteurs trans, je veux qu'ils se sentent vus et compris. Je n'aurais jamais la prétention de leur parler de leurs propres expériences vécues, mais sur le plan conceptuel, j'espère qu'ils trouveront plus de clarté sur ce que la science et la Bible disent et ne disent pas. Après tout, de nombreux amis transgenres me rappellent qu'ils ne sont pas des experts en la matière. Ils n'ont pas nécessairement une connaissance absolue d'une théologie biblique du genre, ni même de la dysphorie de genre elle-même.

Toutefois, comme je le dis dans ma préface, mon public-cible est constitué de personnes non trans. J'espère qu'ils n'auront plus peur de ces questions. Car si vous en avez peur, vous aurez probablement peur des personnes transgenres elles-mêmes. Et ça, ç'est une attitude qu'aucun leader chrétien ne devrait avoir.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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Des valeurs communes pour renforcer la confiance entre science et foi

Elaine Howard Ecklund aborde la curiosité, le shalom et d’autres vertus qu’ont en commun scientifiques et chrétiens.

Christianity Today April 28, 2021
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Alex Kondratiev / James PT / Unsplash

Au milieu de la pandémie mondiale, certaines approches chrétiennes de la science ont attiré l'attention par leur méfiance à l'égard des vaccins contre le COVID-19, ou leur opposition au port du masque. Le défi n’est pas nouveau. Au fil des dernières années, des enquêtes nationales aux États-Unis ont relevé chez les chrétiens une méfiance plus marquée à l'égard de la science au sujet du réchauffement climatique provoqué par l’être humain, de l'évolution et d'autres problématiques, attirant souvent l'attention du public sur des sujets de discorde. Pourtant, de nombreux chrétiens ont non seulement trouvé l’harmonie entre la foi et la science, mais ont également une vocation qui se réalise au sein de cette tension.

Cherchant à répondre au besoin de plus de coopération et de collaboration entre les communautés scientifiques et confessionnelles, la sociologue de l’Université Rice Elaine Howard Ecklund souhaite faire avancer les choses en mettant en avant les points communs plutôt que les désaccords.

Ecklund a passé plus d'une décennie à rendre compte de ce que les scientifiques pensent de la religion et de ce que les religieux – en particulier les chrétiens – croient à propos de la science. Bien que près de 50% des scientifiques se considèrent comme religieux, une grande méfiance persiste entre chrétiens et scientifiques, chaque partie voyant souvent en l'autre une menace.

Dans son dernier livre, Why Science and Faith Need Each Other: Eight Shared Values That Move Us Beyond Fear (« Pourquoi la science et la foi ont besoin l'une de l'autre : huit valeurs communes qui nous affranchissent de la peur »), Ecklund propose que chrétiens et scientifiques trouvent un terrain d'entente autour de huit vertus indispensables à la foi et à la pratique de la science : la curiosité, le doute, l’humilité, la créativité, la guérison, l’émerveillement, le shalom et la gratitude.

Christopher Reese s'est entretenu avec Ecklund au sujet de son livre et de certaines questions épineuses sur la relation entre christianisme et science.

Pourquoi est-il important que christianisme et science trouvent un terrain d'entente?

Une enquête montre que les opinions des gens sur la relation entre religion et science ont des implications importantes. Comme on peut le lire dans mon livre, elles peuvent influencer le vote lors d’une élection et, par conséquent, le financement public alloué à la recherche scientifique. Les opinions sur la relation entre religion et science peuvent également peser sur la décision d’aller ou non à l'Église ou encore sur la volonté des jeunes de rester on non dans l'Église. Une étude révèle que de nombreux jeunes quittent l'Église parce qu'ils perçoivent une opposition irréconciliable entre christianisme et science.

Pourquoi la méfiance persiste-t-elle entre chrétiens et scientifiques ?

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent la persistance des craintes et de la méfiance. Dans les Églises que j'ai visitées, j'ai rencontré des chrétiens qui empêchent leurs enfants d’assister à certains cours de sciences, craignant que l'éducation scientifique ne les conduise à douter et finalement à rejeter la foi. Il y a des parents chrétiens qui s'inquiètent de ce que diront les professeurs de science à propos de la foi lorsqu'ils conseillent leurs enfants dans le choix du lycée ou de l’université.

Les chrétiens des communautés minoritaires, en particulier les chrétiens d’origine africaine et hispanique, s’inquiètent quant à leur intégration dans des champs de recherche scientifique ou technologique où non seulement leur couleur de peau ou leur ethnicité est sous-représentée, mais aussi leur foi. Les femmes et les jeunes filles chrétiennes désirant poursuivre des carrières scientifiques se demandent si elles seront marginalisées dans leurs communautés chrétiennes à cause de leurs aspirations scientifiques et dans la communauté scientifique à la fois en raison de leur sexe et de leur foi.

Des chrétiens s'inquiètent de certaines technologies et recherches médicales, ne sachant pas si elles sont éthiques et si elles prennent en compte le caractère unique de l'être humain et ce que signifie être créé à l'image de Dieu. J'ai rencontré de nombreux chrétiens qui ont peur de l'impact de la science sur leur foi et de l'influence des scientifiques sur la religion et sa place dans la société.

Les Églises devraient-elles encourager la poursuite de la science ? Si oui, de quelle manière ?

Absolument ! Les Églises ont tendance – pour autant qu’elles abordent les questions scientifiques – à s’intéresser surtout à des questions brûlantes comme l'évolution, le changement climatique et les technologies génétiques de reproduction humaine, pour n'en nommer que quelques-unes. Mais, pour stimuler l’intérêt pour la science, les jeunes – et tout le monde dans les communautés – ont besoin d'entendre des scientifiques chrétiens (et même ceux qui ne le sont pas) parler de leur travail scientifique et de la joie et de la beauté qu'ils trouvent dans la science. Les Églises pourraient consacrer plus de temps à parler de ce que les communautés scientifiques et confessionnelles ont en commun.

Quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'ai cherché chez moi un cahier de notes prises lors d’un cours que j'avais suivi il y a plus de 20 ans pendant le premier cycle à l'Université Cornell. Dans ce cours enseigné par Norman Kretzmann et portant sur le philosophe Thomas d'Aquin, j’avais commencé à réfléchir en profondeur aux vertus et valeurs chrétiennes, que Thomas d'Aquin considérait comme des pratiques ou des habitudes qui poussent au bien.

En étudiant, en interviewant et en travaillant avec des chrétiens et des scientifiques, j'ai été frappée par le fait qu'ils semblaient avoir beaucoup de vertus en commun. J'ai découvert que les vertus fondamentales qui guident la pratique et les habitudes de la science et de la religion sont bien plus semblables qu’on ne le pense, bien qu’il existe également des différences majeures. J'ai une nouvelle approche pour aborder la relation entre la science et la foi. Je vois la science et la foi non seulement comme des ensembles d'idées mais aussi comme des groupes de personnes, et je suis convaincue que scientifiques et chrétiens partagent des vertus communes qui mèneraient à un terrain d'entente si elles étaient mises en lumière. Je suis également convaincue qu'en reconnaissant les vertus communes à notre foi et à la science, et ce en quoi nos valeurs diffèrent, nous, chrétiens, pouvons commencer à développer une relation plus pertinente et plus fructueuse avec les sciences et les scientifiques.

Vous avez mentionné certaines différences importantes entre la pratique et les habitudes de la science et de la religion. Pouvez-vous nous en dire plus ?

De toute évidence, les scientifiques – qu'ils soient ou non croyants – posent des questions sur le monde naturel et biologique, des choses que nous pouvons voir et tester. La plupart des scientifiques estiment que leurs travaux fournissent peu d’éléments sur les choses extérieures au monde naturel.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chrétiens persuadés de devoir choisir entre la science et leur foi chrétienne ?

En bref : ils n’ont pas à choisir. Il existe de merveilleux exemples de scientifiques chrétiens capables de trouver des façons non seulement de faire cohabiter les identités qui caractérisent la foi et la science, mais aussi de constater en réalité que ces identités sont fécondes entre elles. Ce dont nous avons besoin, ce sont des exemples encore plus nombreux de chrétiens des deux sexes, de différentes origines, et de différents groupes ethniques, afin de nous aider à voir que des chrétiens de toutes sortes peuvent être des scientifiques.

Parmi les huit vertus que vous décrivez et que le christianisme partage avec la science, laquelle trouvez-vous la plus importante ?

Le Shalom. Dans mes entretiens avec des scientifiques chrétiens, j'ai constaté que beaucoup d'entre eux s'appuient sur les concepts de shalom et d’intendance. Shalom est un mot hébreu dont la racine renvoie aux notions de « complétude » et de « perfection », et qui signifie la paix, l'harmonie, le bien-être et la prospérité résultant de l'épanouissement de toute la création. Shalom peut se référer à l’action de s'impliquer dans le désordre du monde, de se confronter à des structures injustes pour les rendre plus justes.

L’intendance, ou le soin du monde, sous forme de protection de l'environnement, est souvent considérée comme une vertu scientifique, mais c'est tout autant une vertu profondément chrétienne, une pratique qui nous rapproche du shalom. L’intendance chrétienne intègre l’idée d’une humanité unique, que nous avons été créés par Dieu et que nous avons donc la responsabilité d’entretenir et de prendre soin de la création de Dieu.

Et certains scientifiques chrétiens que j'ai interviewés ont explicitement évoqué le progrès vers une représentation équitable de tous dans les sciences comme l’un de leurs objectifs et l'une des façons d’entrer dans le shalom par leur travail de scientifiques. Certains de ces scientifiques lient spécifiquement leur foi à leurs efforts pour développer les opportunités pour ceux qui sont en sous-représentation dans les disciplines scientifiques.

Étudier et accroître la diversité dans les sciences est un domaine qui me passionne particulièrement en tant que sociologue chrétienne. Certains de ceux que j'ai interviewés pour mes études me rejoignent. Une biologiste, par exemple, m’a parlé de sa participation, au sein de sa corporation, au comité qui travaille à promouvoir et représenter la diversité dans son domaine scientifique, et a souligné à quel point lutter pour la diversité dans les disciplines scientifiques fait partie intégrante de sa foi, non seulement pour elle, mais aussi pour d’autres membres du comité.

Si un scientifique non croyant exprime à son ami chrétien son émerveillement face à la complexité de l’univers et que le chrétien exprime son émerveillement face à la puissance créatrice de Dieu, ce genre d’interaction peut-il conduire à un terrain d’entente ?

Je pense que c’est parfois possible, si cela est fait de manière réfléchie. De nombreux scientifiques (croyants et non croyants) expriment combien la beauté du monde naturel qu’ils voient au travers de leur travail les remplit d'un sentiment d'émerveillement et d’admiration auquel ils attachent beaucoup de valeur. Disséquer, examiner et comprendre le monde naturel – même ses parties les plus petites et les plus complexes – ne fait qu'augmenter leurs sentiments d'étonnement, d’ébahissement et de reconnaissance.

Existe-t-il aujourd'hui des organisations ou des institutions où vous voyez des chrétiens et des scientifiques s'engager dans un dialogue fructueux ?

Il existe des organisations fantastiques. BioLogos, fondé par Francis Collins, est l'un des programmes les plus importants qui visent à aider les chrétiens à « voir l'harmonie entre la science et la foi biblique ». Science for the Church, à mes yeux, est également une ressource de valeur. Il y a également des organisations qui ne s’adressent pas spécifiquement aux chrétiens, mais où les chrétiens peuvent trouver des outils utiles, comme l’Association américaine pour l’avancement du dialogue scientifique sur la science, l’éthique et la religion. Et je pense aux programmes mis en place par Science for Seminaries, comme celui de l'Université Howard. Il y a beaucoup d’initiatives à encourager dans le domaine de la science et de la foi à l’heure actuelle.

NDT : Pour des ressources en français de bonne qualité sur le dialogue entre science et foi, on pourra notamment se référer au Réseau des scientifiques évangéliques, actif en France et en Suisse.

Christopher Reese est le rédacteur en chef du Worldview Bulletin, cofondateur de la Christian Apologetics Alliance et directeur de publication de Three Views on Christianity and Science (Zondervan, 2021)

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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