Ce texte a été adapté de la newsletter de Russell Moore. S’abonner ici.
L’un des athées les plus célèbres a en quelque sorte connu son moment de « retour à Jésus ». Il a également enfin trouvé le moyen de saborder le christianisme qu’il déteste. Contrairement à ses précédentes tentatives, celle-ci me paraît bien plus dangereuse.
Richard Dawkins, l’auteur de Pour en finir avec Dieu, a été l’un des promoteurs les plus connus du nouvel athéisme, un mouvement de rejet de l’existence de Dieu qui a connu son âge d’or il y a 15 ou 20 ans. Aux côtés de Christopher Hitchens, Sam Harris et Daniel Dennett, il comptait parmi les « quatre cavaliers » du mouvement.
Ce qui était « nouveau » dans tout cela, ce n’était pas les arguments, qui relevaient généralement d’une sorte de réédition de ceux de Bertrand Russell. Cet athéisme se distinguait plutôt par sa tonalité combative. Par procuration, ses auditeurs pouvaient éprouver le plaisir d’une forme de subversion en entendant quelqu’un comme Hitchens tourner en dérision non seulement les télévangélistes ou les prêtres abuseurs, mais aussi mère Teresa, qu’il qualifiait d’imposture. Cette théâtralité a fini par s’essouffler, jusqu’à ce que même les athées en semblent embarrassés.
Mais Dawkins vient de refaire surface dans une vidéo virale où il plaide en faveur du christianisme… en quelque sorte. Constatant la chute de la fréquentation des églises et de l’adhésion au christianisme dans son pays, le Royaume-Uni, il s’en réjouit pour une part. Cependant, il se dit aussi « légèrement horrifié » d’observer la manière dont est promu le ramadan au Royaume-Uni. Après tout, il se considère comme un chrétien dans un pays chrétien.
Pour éviter toute confusion, Dawkins précise bien qu’il est un « chrétien culturel, […] pas un croyant ». Il aime les cantiques, les chants de Noël, les cathédrales, tout ce qui relève du christianisme, sauf le Christ : « J’aime vivre dans un pays culturellement chrétien, même si je ne crois pas un seul mot de la foi chrétienne. »
L’expression « chrétien culturel » semble en fait revêtir pour Dawkins une signification spécifique qui me paraîtrait plutôt équivalente à « non musulman ». Elle est une façon de définir un nous face à un eux sur la base de coutumes nationales, sans se préoccuper de savoir qui est Dieu ou s’il existe.
J’ai immédiatement pensé à une séquence de la série télévisée Ramy diffusée ces dernières années aux États-Unis, dans laquelle le personnage principal, interprété par Ramy Youssef, discute avec un homme d’affaires juif des points communs entre les expériences des juifs et des musulmans américains. L’une des principales similitudes, selon le personnage de Ramy, est le fait qu’ils ne fêtent pas Noël.
Je n’imagine pas une seule personne parmi mes connaissances et amis juifs ou musulmans définir ainsi le fait d’être juif ou musulman (et je suis sûr que Youssef ne dirait pas que c’est tout ce qu’il y a à dire). Mais je soupçonne qu’il y a des gens pour qui il y a là un élément essentiel de leur identité, pour qui la question n’est pas de savoir si Dieu était vraiment là au Sinaï ou à la Mecque, mais plutôt de savoir qui sont les nous et qui sont les eux. Le type de « christianisme » proposé par Dawkins remplace simplement le fait de ne pas fêter Noël par le fait de célébrer cette fête, ou Pâques, ou encore de ne pas observer le ramadan.
Il y a une quinzaine d’années, certains de mes amis chrétiens étaient terrifiés par le nouvel athéisme. Le langage des « quatre cavaliers » sonnait comme le signal d’une sorte de catastrophe dont ces athées étaient l’avant-garde. Mais le projet n’a pas fonctionné. Oui, certaines parties du monde occidental ont continué à se séculariser, mais je doute que les arguments de Pour en finir avec Dieu soient en bonne place parmi toutes les raisons qui peuvent y expliquer le recul de la foi.
Si je devais me faire l’avocat du diable et conseiller les athées sur la meilleure façon de détruire l’Église, le type de christianisme culturel explicitement désenchanté de Dawkins n’est pas ce que je proposerais. L’athéisme manifeste ne fonctionnera pas, du moins dans un premier temps. Les gens sont attirés par le fait d’appartenir à un groupe et ils sont attirés par le culte. Je reprendrais plutôt l’intuition de base derrière ce qu’a dit Dawkins, malgré son lien avec une rhétorique qui paraît encore religieuse. Attaquer directement le christianisme est rarement efficace. Le récupérer se montre bien plus redoutable.
L’idée de faire de la religion le moyen de prouver son identité culturelle face à ceux qui sont « autres » trouvera toujours un public enthousiaste. Pour ceux qui vénèrent leur chair — qu’elle soit définie en termes d’ethnicité, de région, de classe, d’identité politique, etc. — il sera toujours utile de disposer d’une mascotte qu’ils puissent appeler « Dieu ». La projection de tout ce qu’ils aiment de leur peuple, de leur nation et d’eux-mêmes sur une mascotte incontestable et incontestée peut renforcer la cohésion. Ils pourraient même appeler cette mascotte « Jésus ».
Ce type de « christianisme » vide la religion chrétienne de sa substance bien plus efficacement que les tentatives directes de convaincre les gens que Dieu est une illusion. Il défait le christianisme en remplaçant le Dieu vivant par un Dieu qui n’est en fait qu’une illusion.
Puis il s’efforce de supprimer cette petite voix qui, dans la nuit la plus profonde, nous interpelle pour nous avertir que le Dieu que nous adorons est une projection de notre groupe, et que le groupe que nous adorons est une projection de nous-mêmes. Il supprime la foi chrétienne qui n’appelle pas à une simple conformité extérieure, mais à une nouvelle naissance, à un renouvellement de l’esprit, à une union avec le Christ vivant. Il s’installe ensuite dans l’enveloppe de cette religion, la paganisant jusqu’à ce que l’on puisse se débarrasser de la coquille.
Ce dernier changement peut se produire très rapidement. Et ces religions du sang et du sol ne se contentent jamais de promouvoir leur propre sang et leur propre sol. Elles finissent par verser le sang d’autrui, par voler le sol d’autrui.
Le problème du « christianisme culturel » de Dawkins n’est donc pas qu’il en parle tout haut ; c’est que beaucoup de gens ont la même vision des choses et ne le disent pas… pour l’instant. Le christianisme n’est pas une affaire d’hymnes nationaux, de chapelles de village et de chants de Noël aux chandelles. Il ne consiste certainement pas à utiliser les leviers de la culture ou de l’État pour contraindre d’autres personnes à prétendre qu’elles sont chrétiennes alors qu’elles ne le sont pas.
Si l’Évangile n’est pas réel, il ne fonctionne pas. Le paganisme authentique l’emportera toujours sur un christianisme de pacotille.
L’apôtre Paul a averti que dans les derniers jours, des faux enseignants utiliseraient tout ce que les gens désirent — le plaisir, la puissance, l’appartenance, le moi — pour introduire une sorte de religion ayant « l’apparence de la piété, mais [reniant] ce qui en fait la force » (2 Tm 3.5). Le Diable est assez intelligent pour mettre à profit un christianisme culturel creux afin de faire de nous des athées sur le long terme, pour savoir que la meilleure façon d’abattre une croix est de la remplacer par une culture, une couronne, une cathédrale ou un sapin de Noël.
Mais n’oubliez pas : Jésus est vivant et sait aussi ces choses. Et lui aussi se présente comme un cavalier.
Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.