Cela fait longtemps que Rosie Venner parle des banques. Elle y voit un sujet essentiel — pour Dieu.
« Nous sommes appelés à être de bons intendants, à aimer notre prochain, à rechercher la paix, à agir avec justice. Cela devrait clairement influencer notre rapport à l’argent et les endroits où nous effectuons nos opérations bancaires », nous dit-elle.
Venner est une chrétienne britannique qui milite contre le changement climatique. Elle travaille sur la campagne Money Makes Change avec le JustMoney Movement. Ce groupe se veut « l’organisation de référence pour les chrétiens et les églises » qui mettent en pratique les enseignements de leur foi et les appels bibliques à la justice dans la gestion de leur argent. C’est dans ce contexte que Venner interroge les banques britanniques. Quels choix font-elles lorsqu’elles investissent l’argent placé par des chrétiens soucieux des effets négatifs de l’utilisation des combustibles fossiles sur l’environnement ?
Barclays, par exemple, qui est considérée par certains experts comme une société clé pour la stabilité financière mondiale, a été le plus grand bailleur de fonds du secteur des combustibles fossiles en Europe entre 2016 et 2021. Cette société bancaire y a investi, certaines années, plus de 23 milliards de livres (environ 27 milliards d’euros), finançant aussi l’extraction de pétrole dans le cercle polaire arctique et la forêt amazonienne.
Au total, selon les données les plus récentes, les banques ont injecté plus de 733 milliards de livres (environ 858 milliards d’euros), par an, dans l’industrie des combustibles fossiles.
Venner encourage les chrétiens à suivre l’appel du Seigneur à la compassion et la justice, selon Michée 6.8, et à retirer leur argent de telles banques.
Pendant le carême et en association avec d’autres organisations chrétiennes de défense du climat (comme Just Love, Operation Noah et Switch it Green), JustMoney incite les chrétiens à changer leurs habitudes financières. L’opération s’intitule « The Big Bank Switch » (« Le grand changement de banque »). Pendant cette période où les chrétiens tentent de se détacher des choses matérielles et d’approfondir leur foi, cette action spéciale les invite à « aligner leurs finances sur leurs valeurs, en passant d’une banque qui finance des combustibles fossiles destructeurs pour la planète à une autre qui ne le fait pas ».
Les personnes qui souscrivent à « The Big Bank Switch » s’engagent à transférer leurs comptes bancaires vers une banque plus verte d’ici la fin du mois d’avril. Jusqu’à présent, plus de 100 chrétiens ont promis de changer de banque. Les militants espèrent arriver à 1 000 personnes d’ici la fin de la campagne.
« L’action très pratique de changer de banque nous permet d’influencer les politiques en supprimant notre soutien au développement des combustibles fossiles », déclare Stefan Spence, directeur de la campagne Just Love UK. Les entreprises et les gouvernements s’appuient sur le soutien du public, et le message clair envoyé par la campagne « The Big Bank Switch » nécessitera donc une réponse. Le moment est opportun, car d’autres campagnes comme Make My Money Matter exercent une pression similaire. Et ces dernières années, les banques ont également commencé à mettre à jour leur politique de développement durable.
Historiquement, nous raconte Spence, les banques ont fondé leurs choix d’investissement uniquement sur le rendement pour les actionnaires et sur les préoccupations relatives aux risques financiers. Leur seule considération éthique était le respect de la législation. En conséquence, elles ont parfois investi leur argent d’une manière jugée choquante par leurs déposants. L’argent consacré à l’industrie de combustibles fossiles va à l’encontre d’une réduction effective des émissions de carbone par la Grande-Bretagne. Or, pour de nombreux chrétiens, il s’agit là d’un enjeu éthique essentiel.
« En tant que chrétiens, nous réalisons que la terre et les cieux ont été créés pour proclamer la gloire de Dieu », nous dit Spence. « Les plantes, les animaux et les êtres humains sur Terre sont beaux et précieux. Le commandement de Dieu de gérer la création implique que nous prenions soin à la fois des personnes et de l’environnement. »
Il cite des versets tels que Proverbes 22.16 comme mandats clairs des Écritures. Le Seigneur réprouve ceux qui agissent d’une manière qui rend les riches plus riches et nuit aux pauvres. Et ceux qui « sèment l’injustice » récolteront le malheur (v. 8).
Selon Spence, le secteur bancaire ne devrait pas agir de la sorte. Les investisseurs pourraient très bien tenir compte de considérations éthiques lorsqu’ils mettent en balance le profit potentiel à réaliser et le risque financier encouru.
Spence fait remarquer que ce n’est pas la première fois que les chrétiens tentent d’utiliser leurs finances pour créer un changement social. Dans les années 1970 et 1980, les campagnes antiapartheid ont exercé efficacement des boycotts pour pousser les entreprises à cesser de financer des projets en Afrique du Sud.
Operation Noah, l’une des premières organisations caritatives chrétiennes de défense du climat au Royaume-Uni, a également passé une décennie à encourager les chrétiens et les organisations confessionnelles à se retirer de placements qui nuisent à l’environnement.
« Cette pression donne de réels résultats », explique Cameron Conant, responsable de la communication de l’organisation. « Parfois les gens se découragent et ont l’impression que les campagnes ne donnent rien, mais je peux dire, en tant que militant qui fait campagne depuis pas mal d’années, que ça marche vraiment. »
Conant a vu de nombreux particuliers changer d’avis, mais il souligne également les succès obtenus auprès d’institutions plus importantes. L’année dernière, l’Église d’Angleterre s’est désengagée de tous les investissements dans le pétrole et le gaz qui n’étaient pas « véritablement alignés » sur les objectifs fixés de limitation des émissions de carbone.
Selon Conant, la stratégie à suivre doit consister à aider les gens à comprendre qu’ils ont une influence et à connecter leur action à leur foi chrétienne.
« Qui finance les combustibles fossiles ? Qui les y autorise ? C’est notre système politique et nos banques », dit Conant. « Nous avons essayé de parler d’une seule voix chrétienne pour dire que c’est un sujet sur lequel les chrétiens devraient être unis. Nous sommes appelés à prendre soin de la création de Dieu. Et tout comme en tant qu’églises et organisations religieuses nous ne devrions pas financer le tabac, les armes ou les jeux d’argent, nous ne devrions pas non plus financer les combustibles fossiles. »
Cette action porte vraisemblablement déjà ses fruits. La base de données mondiale des promesses de désinvestissement à l’égard des combustibles fossiles montre que les organisations confessionnelles sont à l’avant-garde du processus. Les grandes banques s’en rendent compte. Barclays a annoncé le mois dernier qu’elle cesserait de financer directement de nouveaux projets pétroliers et gaziers.
Holly-Anna Petersen relate que la Christian Climate Action, dont elle est membre, a également obtenu beaucoup de succès en amenant les organisations chrétiennes à réfléchir plus attentivement à l’impact de leur argent sur le changement climatique. Récemment, des militants ont organisé une veillée devant la cathédrale de l’Église d’Angleterre à Sheffield, exhortant cette communauté à changer de banque.
« Pour des organisations chrétiennes qui mènent elles-mêmes diverses campagnes, le fait d’être l’objet d’une campagne plus vaste était un peu inconfortable », nous dit Petersen. « Mais elles ont rapidement compris le tort que leur banque faisait et se sont donc montrées très réceptives. »
L’organisation Christian Aid s’est également laissé convaincre de changer de banque.
« C’est pratique de rester dans la banque que l’on a toujours fréquentée. Changer de banque demande assurément un certain effort. Mais la crise climatique est financée et alimentée par l’argent », déclare Ashley Taylor, conseillère principale de Christian Aid en matière de plaidoyer. « Il est essentiel de faire ce que nous pouvons pour aider à interrompre ce flux financier si nous voulons mettre fin aux souffrances de nos frères et sœurs qui subissent les pires impacts climatiques. »
Taylor encourage ses semblables à ne pas sous-estimer l’impact qu’ils peuvent avoir.
« Les actes parlent plus que les mots », dit-elle. « C’est facile de déclarer une urgence climatique, de dire qu’on se soucie du sort de ceux qui souffrent et qu’on ne soutient pas les pollueurs. Mais en effectuant nos opérations bancaires par l’entremise de ceux qui financent les pollueurs, on risque de faire partie du problème auquel on prétend s’opposer. »
Pour Rosie Venner, il est essentiel de prendre conscience de ce lien. Elle se souvient du jour où elle a réalisé que la banque avec laquelle elle travaillait faisait partie du système qui la tourmentait et que ses activités bancaires menaçaient les enjeux pour lesquels elle priait.
« J’ai travaillé pour une organisation caritative de développement international », explique-t-elle. « J’ai rencontré des gens du monde entier. J’ai entendu parler des luttes des communautés déplacées de leurs terres ou de celles dont les moyens de subsistance sont menacés à cause de l’exploitation minière, de l’agriculture à grande échelle ou de projets pétroliers et gaziers. Le financement de ces activités provenait des banques devant lesquelles je passais dans la rue : il y avait un lien direct avec les personnes qui me tenaient à cœur et les communautés pour lesquelles je priais. »
Pendant le carême, elle espère aider d’autres chrétiens à saisir ce lien avec l’opération « The Big Bank Switch ».
« Je pense que c’est le bon moment », conclut Venner. « De nombreux chrétiens sont préoccupés par la crise climatique et prennent conscience du rôle que joue la finance dans ce contexte. »
Traduit par Anne Haumont
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