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Les louanges chrétiennes au Rwanda s’élèvent désormais à voix basse

Comment des réglementations poussant à l’uniformisation conduisent des églises vers la clandestinité.

A local church in Nyamata, Rwanda.

A local church in Nyamata, Rwanda.

Christianity Today September 11, 2025
UCG / Contributor / Getty

Sur une colline ensoleillée aux portes de Kigali, au Rwanda, où la route goudronnée cède la place à la l’argile rouge et où les chèvres se faufilent entre les potagers, le pasteur Kamanzi croise les mains près d’un réservoir ébréché et écoute. Dans le salon, dix voix entonnent doucement Yesu Ni Wanjye, à peine plus audibles que le bruissement des feuilles de bananiers dans le vent. Aucun tambour, aucun amplificateur. Juste des murmures, car tout volume plus élevé attirerait des ennuis.

La maison de Kamanzi est solide, mais modeste : briques vernies, fenêtres en fer, carrelage soigneusement nettoyé le matin même. J’ai également « nettoyé » ce récit pour protéger les pasteurs. Dans le contexte politique autocratique du Rwanda et face aux risques encourus par les responsables religieux engagés dans la défense de leurs droits, j’ai choisi de taire ou de modifier certains noms, comme celui de Kamanzi, ainsi que des détails précis, comme l’emplacement des églises. J’ai vérifié toutes les déclarations et tous les faits rapportés en me référant à des documents accessibles au public et auprès d’organisations de défense des droits humains.

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Dans cette maison de 200 m², une seule ampoule balance au plafond. Une table en plastique supporte une bible ouverte en kinyarwanda, un bol de morceaux de sucre et une enveloppe timbrée « Échéance de prêt ». Un rideau cousu de trois tissus différents divise la pièce. Derrière, une moustiquaire pend mollement au-dessus du lit superposé où dorment les fils de Kamanzi.

Le pasteur a bâti son église à partir de rien : il a vendu son ancienne maison, contracté des prêts, posé du carrelage, installé des sanitaires et insonorisé le plafond avec de la mousse. Il pensait avoir respecté toutes les règles imposées depuis 2018 par le Rwanda Governance Board (RGB). Pourtant, en mars, une plainte anonyme pour nuisances sonores a suffi à sceller les portes du bâtiment. « Ils nous ont fait fermer malgré toutes les améliorations apportées », dit-il, le regard fixé sur la fenêtre. « Désormais, nous prions dans l’ombre, espérant que personne ne nous dénonce à nouveau. »

L’histoire de Kamanzi fait écho à travers le pays. Une réglementation gouvernementale censée contrôler les prédicateurs douteux et assurer la sécurité a contraint des milliers d’églises à la clandestinité. La loi n° 72/2018 et ses mises à jour de 2025 exigent des diplômes de théologie, des bâtiments insonorisés, des parkings et des honoraires exorbitants de chaque pasteur et de chaque branche des églises. Les autorités présentent ces mesures comme une protection contre les abus. Les critiques les qualifient d’entraves à la foi.

En août 2024, 14 000 lieux de culte avaient été inspectés : 9 800 ont été fermés pour non-respect des normes de construction, d’hygiène ou de bruit. En juin 2025, plus de 7 700 restaient encore clos, incapables de rouvrir face au durcissement des règles et à des responsables contraints de se cacher.

Le président Paul Kagame mène personnellement cette politique, considérant les églises incontrôlées comme manipulatrices, accusant certaines d’« extorquer de l’argent aux pauvres ». En 2024, il a même menacé d’imposer une taxe : « Ces individus sans scrupules qui exploitent la religion et les églises pour manipuler et dépouiller les fidèles nous obligeront à introduire un impôt. »

Cette vision s’inscrit dans la reconstruction post-génocide du Rwanda, qui a misé sur l’ordre et le contrôle. Le génocide de 1994 perpétré par des extrémistes hutus a fait 800 000 morts en seulement 100 jours, ciblant principalement l’ethnie tutsie, mais aussi des Hutus et des Twas modérés. Ce traumatisme continue de façonner la perception que les Rwandais ont de la société, de la politique et de la foi.

Sous la direction de Doris Uwicyeza Picard depuis mars, le RGB applique ces restrictions par le biais de réunions et de systèmes en ligne. Lors d’une session de concertation le 21 mars dernier, l’institution a promis de mettre en place « tous les moyens, par le biais d’un système en ligne, pour permettre aux organisations confessionnelles d’obtenir les services nécessaires à l’obtention de tous les documents requis, y compris l’enregistrement et les certificats de conformité. »

Son ancienne dirigeante, Usta Kaitesi, avait déjà défendu ces mesures en 2024. Dans un article publié sur Christian Daily, elle avait défendu les réformes : « Il devrait y avoir une volonté intentionnelle de se conformer à la loi. » Ce qui, initialement, concernait seulement le clergé supérieur a été étendu à tous les responsables en 2025.

Beaucoup d’églises, comme celle de Kamanzi, s’étaient pourtant adaptées. Mais la nouvelle réglementation n° 01/2025 de mars, promulguée par le RGB, impose désormais 1 200 heures de formation théologique pour chaque pasteur et responsable de paroisse (environ un an d’étude), 1 000 signatures de soutien d’habitants, et 2 millions de francs rwandais (environ 1 200 euros) pour enregistrer chaque nouvelle église ou mosquée.

Kamanzi estime que la brutalité de ces changements a été particulièrement étouffante. « Les nouvelles exigences ont été introduites sans période de transition pour permettre aux pasteurs de branche existants d’obtenir la formation requise », explique-t-il.

Auparavant, ces exigences ne s’appliquaient qu’aux responsables de plusieurs communautés, et non à ceux qui ne s’occupaient que d’une seule. Pour de nombreuses églises, notamment rurales ou récemment mises en conformité, les règles du jeu ont changé juste au moment où elles pensaient avoir réussi à s’adapter aux changements.

Les bâtiments doivent aussi prouver un usage exclusif pour le culte, respecter les codes du district et être insonorisés, même dans les zones rurales isolées. Les diplômes étrangers nécessitent une équivalence. Selon le RGB, ces règles visent à protéger les croyants, affirmant dans le compte rendu de sa réunion de mars que la réglementation « améliorera le leadership » et favorisera « la transparence et la responsabilité au sein des organisations confessionnelles ».

Ces règles s’appliquent uniformément : qu’il s’agisse d’une église urbaine à Kigali ou d’une chapelle reculée sur une colline sans voisinage. Une logique qui, au nom de la standardisation, ignore souvent la réalité des assemblées rurales et pousse nombre de communautés vers la fermeture ou la clandestinité.

Certains responsables religieux soutiennent toutefois ces mesures, les considérant comme un moyen d’éliminer les charlatans. L’archevêque anglican rwandais Laurent Mbanda, a appelé à la mise en conformité : « Si nous avions pris ces exigences plus au sérieux et pris nos responsabilités, nous aurions fait des progrès significatifs dans le respect des normes. » Esron Maniragaba, président de l’Église évangélique libre du Rwanda, salue les améliorations des infrastructures : « Les efforts du gouvernement pour que les églises construisent de meilleures structures sont les bienvenus. »

Le pasteur Fred Kayitare, de la Harvesters Church à Kigali, fait figure d’exemple : après avoir implanté son église sans formation, il a obtenu un diplôme en théologie et envoyé quatre autres membres de son église se former. Kayitare était « totalement d’accord » avec les exigences de la formation théologique : « J’en suis l’exemple vivant. J’ai implanté une église avant d’entrer en faculté de théologie. Je peux témoigner du changement et de la transformation produits en moi par cette école. Je suis une autre personne maintenant. Et tous ceux qui me connaissaient dans notre église peuvent en témoigner. »

Les récentes cérémonies de remise de diplômes témoignent des efforts déployés en matière de mise en conformité. Le 2 août dernier, 100 étudiants de l’Africa College of Theology (ACT) à Kigali ont obtenu leurs diplômes en théologie et en leadership, « s’engageant à devenir des leaders religieux responsables et inspirants », rapporte AllAfrica. Une semaine plus tard, le Bible Communication Center Rwanda célébrait sa 11e promotion, offrant ainsi à davantage de pasteurs une formation accréditée. En février, 46 responsables ont décroché des diplômes internationaux grâce à un partenariat avec l’Erskine Theological Seminary, centré sur les compétences pratiques pour le ministère. Ces cérémonies témoignent de l’adaptation des églises, l’ACT ayant formé à lui seul des centaines d’entre eux depuis 2018 pour répondre aux exigences du RGB.

Pourtant, l’opposition grandit. Des responsables religieux affirment que ces réglementations ne sont pas perçues comme une protection, mais comme une punition.

Traduit par Mélanie Boukorras pour Infochrétienne.

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