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Peur et espoir pour les chrétiens face aux manifestations de la génération Z au Népal

De jeunes manifestants révoltés par la corruption ont exigé un changement politique, mais les églises sont confrontées à un avenir incertain.

Des manifestants ont mis le feu au principal bâtiment administratif du gouvernement népalais le 9 septembre 2025.

Des manifestants ont mis le feu au principal bâtiment administratif du gouvernement népalais le 9 septembre 2025.

Christianity Today September 26, 2025
Prabin Ranabhat / Contributeur / Getty

Le 7 septembre, à la veille de la manifestation historique de la génération Z qui a eu lieu au Népal, l’intellectuelle chrétienne népalaise Karuna Sharma attendait un vol de Katmandou, la capitale, vers Dubaï lorsqu’elle croisa un ancien politicien. Leur conversation dériva vers la manifestation prévue le lendemain contre la corruption gouvernementale, et l’homme politique balaya avec assurance son impact potentiel.

« Il y aura 1 000 à 2 000 jeunes, puis tout retombera », avait-il prédit. 

Au contraire, les manifestations ont rapidement dégénéré pour donner lieu aux troubles politiques les plus violents de l’histoire récente du Népal, faisant 74 morts. Des flammes ont ravagé le Parlement. Le Premier ministre K. P. Sharma Oli a démissionné. Suivant les préférences exprimées par les représentants de la contestation, le président a investi l’ancienne juge en chef Sushila Karki comme Première ministre par intérim du Népal.

« Le gouvernement n’a pas vraiment pris la protestation de la génération Z au sérieux », explique Sharma. « Ils pensaient qu’en effrayant la foule, le mouvement s’éteindrait. C’est pourquoi nous avons assisté à des tirs dès le premier jour. Personne n’avait imaginé que les manifestations prendraient une telle ampleur. »

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Pour les chrétiens du Népal — l’une des communautés chrétiennes à la croissance la plus rapide au monde —, ce soulèvement a suscité à la fois la peur, en tant que minorité religieuse vulnérable, et l’espoir prudent en un nouveau gouvernement. La plupart des églises ont évité de s’impliquer directement, mais certains croyants ont trouvé des manières de contribuer au mouvement.

Le pasteur Phur Jangbu, de l’Église Boudha Dunamis à Katmandou, a confié à Christian Daily International : « Nous prions habituellement pour la nation en termes généraux, mais aujourd’hui il est temps de prier spécifiquement pour une bonne gouvernance. Si le pays ne survit pas, comment pourrions-nous survivre ? »

Depuis des mois, les jeunes Népalais s’organisaient sur Discord (une plateforme populaire parmi les joueurs) et d’autres forums en ligne, exprimant leur frustration face à la corruption, au chômage et aux inégalités. Vijay V.K., un chrétien de 24 ans vivant à Katmandou, a participé à l’un de ces groupes soutenant les revendications de la génération Z.

« Le but de la contestation n’était pas de nuire à qui que ce soit », explique-t-il. « Les jeunes étaient frustrés par la classe politique et voulaient se rassembler devant le Parlement et d’autres lieux de protestation. »

La décision du gouvernement, le 4 septembre, d’interdire 26 réseaux sociaux — dont Facebook, Instagram, WhatsApp, YouTube et X — n’a fait qu’attiser les tensions et, selon V.K., « s’est mêlée à la manifestation pacifique ».

Ainsi, le matin du 8 septembre, des milliers de jeunes manifestants se sont rassemblés à Katmandou, scandant des slogans contre la corruption et appelant à la justice. À midi, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles dans la foule, tuant au moins 19 personnes dès le premier jour. Le soir, les protestations s’étaient propagées à des dizaines de villes, dont Pokhara, Nepalgunj et Biratnagar.

Au cours des 48 heures qui ont suivi, le paysage politique népalais s’est effondré à une vitesse fulgurante. Les manifestants ont incendié le Parlement, pris d’assaut la Cour suprême et brûlé la résidence du Premier ministre. Des commissariats ont été envahis et des prisons forcées, libérant plus de 13 000 détenus dans les rues.

Alors que les médias attribuaient les incendies aux jeunes de la génération Z, V.K. affirme que sa génération restait attachée à une contestation pacifique : « Certains individus, animés d’objectifs politiques, ont mené la population à la violence », a-t-il déclaré.

Le 12 septembre — soit quatre jours après le début des manifestations — Oli avait démissionné et Karki dirigeait le pays.

« Ce n’est pas un gouvernement élu, et les six prochains mois seront très difficiles », explique Tanka Subedi, militant des droits humains et pasteur principal de la Family of God Church à Katmandou. « Mais nous gardons espoir. Le peuple a réclamé Karki pour son intégrité. Nous prions pour qu’elle conduise la nation vers des élections et préserve la démocratie. »

Le Conseil de l’Église nationale unie du Népal (UNNCC) a exhorté les croyants à éviter toute activité provocatrice sur les réseaux sociaux : « Abstenez-vous de publier des messages inutiles ou des commentaires négatifs sur Facebook, TikTok ou d’autres plateformes qui pourraient provoquer des malentendus et alimenter des tensions communautaires », a écrit l’organisation dans un communiqué. Il a plutôt appelé les chrétiens à « s’engager dans la prière pour la paix, la réconciliation et la guérison de la nation ».

Certains chrétiens ayant soutenu le mouvement ont cherché à être une lumière au milieu des manifestants. V.K. explique qu’il utilisait un VPN pour accéder aux réseaux sociaux interdits et y publier des appels à la paix :

« J’écrivais des messages aux jeunes de la génération Z pour qu’ils restent calmes et n’aient recours à aucune forme de violence », explique-t-il.

Une adolescente chrétienne a raconté que la plupart des manifestants n’étaient pas chrétiens et que les jeunes croyants ont surtout aidé en relayant des informations aux médias et en prodiguant les premiers soins aux manifestants. Christianity Today a accepté de ne pas mentionner son nom pour des raisons de sécurité.

Bien que les manifestants n’aient pas directement visé les églises, de jeunes hommes ont menacé une communauté dans l’ouest du Népal, rapporte Christian Solidarity International. Lorsque le pasteur a sollicité l’aide de la police, les agents lui ont conseillé de contacter l’armée, qui était inaccessible.

Subedi a personnellement contacté plusieurs églises pour prendre des nouvelles des membres chrétiens de la génération Z. « Nous remercions Dieu de n’avoir entendu parler d’aucun chrétien tué ou blessé pendant ces violences », affirme-t-il.

Ces moments de crise ont également ouvert la voie à des gestes inattendus d’hospitalité chrétienne. Gary Hoag et Emma Pervaiz, de l’organisation chrétienne de responsabilité financière Global Trust Partners, venaient de terminer une formation à Pokhara lorsque les manifestations ont éclaté. Coincés à l’aéroport en raison des vols annulés et des routes bloquées par des débris et des incendies, ils ont été secourus par une famille chrétienne locale, les Maharjan. 

Ces derniers sont venus les chercher en moto, traversant des carrefours en flammes et des routes encombrées de pierres. « Des gens ont même lancé des bouteilles vers nous », explique Maharjan. « Mais nous sommes arrivés sains et saufs à la maison, tandis que l’armée reprenait le contrôle de la ville. »

La famille a hébergé les visiteurs pendant deux nuits, alors que les autorités imposaient un couvre-feu.

Les manifestations ont mis en lumière la profonde frustration d’une génération longtemps ignorée par l’élite dirigeante du Népal. Le chômage des jeunes atteignait 20,8 % en 2024. Chaque année, des dizaines de milliers de jeunes quittent le pays pour travailler dans les États du Golfe, souvent dans des conditions dangereuses. Jusqu’à 15 000 Népalais auraient même été recrutés comme soldats sous contrat dans la guerre russe contre l’Ukraine.

Pendant ce temps, les enfants de politiciens exhibaient un train de vie luxueux en ligne. Les manifestants ont popularisé l’expression « nepo kids » pour illustrer l’écart entre les élites et la jeunesse ordinaire. Une pancarte brandie lors des manifestations proclamait :

« Les enfants des politiciens ramènent des sacs Gucci ; nos enfants reviennent dans des cercueils. »

Les chrétiens du Népal partagent cette profonde frustration, mais leur situation présente des vulnérabilités particulières. Selon Operation World, 2,9 % de la population se déclare chrétienne, soit environ 866 000 personnes. Pourtant, le recensement officiel de 2021 n’a comptabilisé que 512 313 chrétiens. Les analystes estiment que cette différence pourrait s’expliquer par une sous-déclaration et par la forte proportion d’églises de maison. Pour les chrétiens, ces chiffres contestés révèlent à la fois une croissance remarquable et une fragilité persistante, les statistiques devenant souvent un enjeu politique dans les débats sur la liberté religieuse.

En 1961, on dénombrait moins de 500 chrétiens dans tout le pays. Aujourd’hui, des croyants pratiquent leur foi dans chaque district. Les églises de maison se sont multipliées durant la guerre civile népalaise (1996-2006), puis après l’abolition de la monarchie en 2008, période où de nouvelles libertés ont favorisé une expansion inédite. Cependant, les chrétiens ont aussi subi du harcèlement, des arrestations ponctuelles et des accusations d’influence étrangère.

Les contestations judiciaires continuent de troubler la communauté. La loi anti-conversion de 2017 criminalise toute tentative visant à « porter atteinte au sentiment religieux », une formulation assez large pour pénaliser l’évangélisation. Un pasteur local a décrit la pression systématique exercée sur les missionnaires étrangers après la visite du Premier ministre Oli en Inde en 2018 :

« Les expulsions ont commencé, aussi bien pour les musulmans que pour les chrétiens. Ils ont mis en place des systèmes de surveillance des activités étrangères. Beaucoup pensent que ces dispositifs sont calqués sur les lois de l’Uttar Pradesh, en Inde. »

Le 4 septembre, les autorités ont arrêté, condamné à une amende et expulsé le missionnaire américain Daniel Stephen Kearney pour prosélytisme.

Selon le même pasteur — dont l’anonymat a été préservé par Christianity Today pour des raisons de sécurité —, des rumeurs avaient circulé lors des manifestations, affirmant que les protestataires incendieraient le temple de Pashupatinath, l’un des sanctuaires les plus sacrés de l’hindouisme, puis en attribueraient la responsabilité aux chrétiens. L’attaque n’a jamais eu lieu, mais cet épisode a illustré combien la minorité chrétienne pouvait rapidement être prise pour cible.

Malgré ces pressions, les chrétiens ont continué à se développer. Plus de 30 organisations chrétiennes et des milliers de communautés se sont enregistrées comme fondations religieuses publiques, rapporte l’avocat chrétien Prakash Karki (sans lien avec Sushila Karki), qui a mené cette initiative. « C’est la plus grande porte que Dieu nous a ouverte », a-t-il déclaré. « Cela nous permet d’agir librement, de payer des impôts et d’obtenir des droits. »

Pour beaucoup de Népalais, la nomination de Sushila Karki a suscité un grand espoir. Le père Silas Bogati, administrateur apostolique du Vicariat du Népal, affirme que sa communauté fait confiance à son intégrité, rappelant qu’elle avait déjà défendu des membres du clergé catholique accusés à tort.

D’autres ont exprimé des réserves. Le révérend Dilli Ram Paudel, président de la Société chrétienne du Népal, a salué le leadership de Karki, mais a souligné que la dissolution du gouvernement intérimaire et du Parlement n’était pas conforme aux dispositions constitutionnelles. « De nombreux partis politiques s’opposent à cette décision », a-t-il déclaré, appelant à prier pour la paix et une résolution légale.

Subedi ajoute que la sécurité à long terme des chrétiens dépendra de la préservation de la démocratie au Népal : « Les jeunes leaders de la génération Z ont clairement dit qu’ils ne voulaient pas que le Népal soit déclaré nation hindoue. Ils soutiennent la démocratie, la république et la liberté religieuse. Mais l’influence hindoue reste omniprésente dans l’administration, ce qui rend les chrétiens vulnérables. »

Le père Bogati, lui, a exhorté les chrétiens à ne pas céder à l’agitation politique, mais à se tourner vers le service : la santé et l’éducation sont, selon lui, des domaines où l’Église peut jouer un rôle déterminant, surtout dans les zones reculées où le soutien gouvernemental est limité. Pour lui, ces actions incarnent à la fois la compassion et le témoignage de l’Évangile.

Le pasteur Paudel décrit la crise dans une perspective spirituelle : « Nous gardons espoir et faisons confiance à Dieu pour une intervention divine et un prompt rétablissement », a-t-il écrit dans une lettre de prière envoyée au Connecticut. « Prions pour que des ressources soient disponibles, pour des partenariats avisés et pour une direction divine afin de reconstruire notre nation. »

Comme le reste du pays, les chrétiens font face à un avenir incertain. Les jeunes croyants comme V.K. et l’adolescente anonyme oscillent entre inquiétude et résilience. « D’ici cinq à dix ans, nous espérons pouvoir vivre ici une vie agréable », confie l’adolescente.

Traduit par Mélanie Boukorras pour Infochrétienne.

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