Il y a une semaine et demie, Moïse Ombeni a emmené sa femme et ses quatre enfants à l’église de Goma, une ville de la République démocratique du Congo située à la frontière rwandaise. À la fin du deuxième culte, leur pasteur a annulé le culte qui devait suivre, demandant aux fidèles de se mettre à l’abri alors que des miliciens rebelles pénétraient dans la zone.
Le lendemain, Ombeni a vu les gens fuir la ville. Il avait déjà récupéré ses enfants d’âge scolaire à l’internat le jeudi. Très vite, il a entendu des détonations d’armes lourdes.
« On était en panique générale et on se demandait s’ il fallait rester ou quitter », a-t-il rapporté. Avant qu’il n’ait pu se décider, il a appris que certains quartiers étaient tombés aux mains du M23, des groupes armés qui revenaient dans la ville dont ils s’étaient emparé il y a près de 13 ans. La ville de Goma était déjà encerclée.
Ombeni a verrouillé les portes. Il a senti sa maison vibrer lorsque des balles perdues ont touché son toit et ont ricoché dans sa cour. À l’extérieur, des centaines de civils et de soldats sont morts sous les balles et les explosions. Contrairement aux conflits précédents, les forces gouvernementales ont combattu directement le M23 dans tous les quartiers de la ville, une décision qui a directement augmenté le nombre de victimes civiles et de bâtiments endommagés. Selon les Nations unies, au moins 900 corps ont été retrouvés jusqu’à présent dans les rues.
Ombeni a commencé à prier avec sa famille et à leur réciter les 16 versets du Psaume 91. Il a contacté ses amis de l’église et ils ont prié ensemble sur des réseaux en ligne jusqu’à ce que leur connexion internet soit coupée. Pourtant, son désespoir n’a fait que croître.
« On a l’impression que la vie n’ a plus de sens et que tout s’arrête », a-t-il déclaré.
Ce n’est pas la première fois que la ville où habite Ombeni est ravagée par le M23. Il était caissier à la Trust Merchant Bank à Goma lorsque le groupe armé a fait irruption en pleine journée le 20 novembre 2012.
Ombeni est sorti du bureau en courant et s’est retrouvé dans la rue, où la foule tentait d’éviter les balles et les véhicules qui traversaient la ville à toute vitesse, tandis que l’armée congolaise et le personnel de l’ONU se tenaient prêts à intervenir. Le M23 a violé plusieurs dizaines de femmes et de filles, certaines âgées d’à peine 10 ans, pillé des bâtiments et volé des véhicules. Ils ont recruté de force des soldats, des membres des forces de l’ordre et des civils pour les « recycler ».
Néanmoins, Ombeni a ressenti une lueur d’espoir. La communauté internationale a vu ce que le M23 a fait et a exigé que le groupe abandonne la ville. Les rebelles se sont retirés en quelques semaines et ont été vaincus l’année suivante.
« En 2012, j’étais encore célibataire ; je pouvais m’en sortir facilement. Mais aujourd’hui, c’est différent. J’ai une famille », a-t-il rajouté. « Même si j’ai peur moi-même, je dois avoir la force de consoler et soutenir mon épouse, mes enfants… Ce n’est pas facile. »
Peu avant l’attaque du mois dernier, Ombeni a appris que le M23 affrontait les forces armées de la RDC et une autre coalition rebelle à moins de 25 km de là. Il était terrifié.
La campagne du M23 a vidé les camps situés près de Goma qui accueillaient des milliers de personnes déplacées par les violences passées. Lorsque les combattants ont coupé l’eau et l’électricité, certaines personnes déplacées se sont réfugiées dans des zones proches de la maison d’un autre chrétien qui a demandé à ne pas être nommé pour des raisons de sécurité.
Le chrétien et sa famille ont essayé de partager leur nourriture et l’eau de leur citerne avec les dizaines de personnes qui se sont présentées sur leur propriété, après avoir fui leurs abris dans un camp voisin.
« Nous célébrons Dieu pour sa provision et sa sécurité », a-t-il écrit dans une mise à jour adressée à ses amis et à sa famille, se disant reconnaissant d’avoir été épargné par la violence qui a frappé sa ville de plein fouet. Ses voisins ont vu les combattants du M23 tuer les soldats congolais qui se rendaient à eux. Les miliciens ont laissé les corps dans la rue et certaines familles ont été contraintes d’enterrer leurs proches dans leurs logements.
Il a également déclaré qu’il se sentait impuissant face à des hôpitaux surchargés et à un personnel médical épuisé sur le plan émotionnel. Il n’a aucune idée de la manière dont son ministère pourrait répondre à la souffrance généralisée. Il travaille actuellement à la mise en place de kits de secours et réfléchit à la manière dont il peut offrir une assistance pastorale aux soldats et aux civils traumatisés.
« Merci de prier pour que Dieu nous donne l’occasion d’exercer notre ministère auprès de l’Église afin qu’elle puisse jouer son rôle en matière de pastorale, de rétablissement de la paix et de réconciliation », a-t-il écrit. « Priez pour que la guerre prenne fin. »
Le conflit actuel, auquel les processus de paix ont tenté et échoué à mettre fin, a des racines communes avec le génocide rwandais.
Goma se trouve pratiquement à la frontière entre la RDC et le Rwanda. Pendant des années, les éleveurs tutsis ont circulé entre ce qui est aujourd’hui le Burundi, le Rwanda et le Congo. Les colonisateurs belges ont également déplacé des Tutsis du Rwanda vers le Congo pour les aider dans leurs initiatives agricoles. Sous leur autorité, les Tutsis, qui depuis le 18e siècle régnaient en monarques dans la région, avaient bénéficié de postes gouvernementaux et d’autres privilèges.
Mais en 1959, des violences ont éclaté entre les Hutus et les Tutsis, un conflit qui s’est achevé par l’indépendance du Rwanda en 1962. Le nouveau gouvernement a valorisé le statut des Hutus au détriment des Tutsis, et plus de 100 000 Tutsis ont fui le pays, certains vers le Congo. De nombreux réfugiés tutsis ont lutté pour se construire une nouvelle vie. Le gouvernement de la RDC a beaucoup tergiversé quant à savoir s’il fallait accorder la citoyenneté aux Tutsis, bien que nombre d’entre eux aient été présents dans le pays avant son indépendance en 1960.
En 1993 et 1994, le conflit entre les Tutsis et les Hunde, un autre groupe ethnique, a fait des milliers de morts. Après le génocide rwandais de 1994, par peur des représailles des Tutsis, de nombreux Hutus ont fui vers le Congo, et leur migration a encore perturbé la région.
Une partie des Tutsis du Congo a formé le Congrès national pour la défense du peuple (CDNP), qui a plaidé pour la représentation politique de la communauté et a cherché à la protéger des attaques des Hutus. Le CDNP était dirigé par un ancien officier des forces rwandaises qui ont mis fin au génocide et qui portait un pin’s « Rebels for Christ » [Rebelles pour Christ].
Mais le groupe a également attaqué des civils, agressé sexuellement des femmes et détenu des enfants soldats. Lorsqu’il a signé un traité avec le gouvernement congolais en 2009, certains membres mécontents ont ensuite formé le M23, qui a pris la date de l’anniversaire (23 mars) comme nom.
Le président rwandais Paul Kagame a nié à plusieurs reprises le soutien de son gouvernement à ces mouvements. Mais un rapport des Nations unies de 2022 affirme que des troupes rwandaises se trouvaient en RDC, et un rapport de 2024 indique que 3 000 à 4 000 membres des forces gouvernementales rwandaises ont opéré aux côtés du M23.
Lundi, Kagame a déclaré qu’il ne savait pas si le Rwanda avait des troupes au Congo.
Kagame a déjà accusé le gouvernement congolais de collaborer avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hutu lié aux auteurs du génocide rwandais de 1994. Lundi, il a ajouté que le groupe représentait une « menace existentielle » pour son pays.
Mardi, invoquant des raisons humanitaires, le M23 a annoncé un cessez-le-feu dans les zones qu’il contrôle dans l’est du Congo et a déclaré qu’il renonçait à son objectif précédent de prendre Kinshasa, la capitale de la RDC.
La nouvelle a ramené les gens dans les rues, tandis que des camions chargés de marchandises en provenance des pays voisins entraient dans Goma et que les travailleurs humanitaires soignaient les blessés et les affamés. Quelques magasins ont rouvert.
Pourtant, la vie telle que la famille Ombeni l’a connue s’est arrêtée. L’éducation des enfants a été mise en suspens. Les banques, les stations-service et les supermarchés sont restés fermés. Personne ne peut s’élever contre le gouvernement ni résister à ses exigences, qu’il s’agisse de « faveurs » sexuelles ou de participation à des rassemblements politiques. De nombreux médecins ont fui, laissant les hôpitaux mal équipés pour servir la communauté. Bien que de nombreuses personnes recherchent la sécurité dans leur maison la nuit, elles s’inquiètent des cambriolages et des enlèvements.
« Certains chrétiens ont perdu la foi parce que la situation est insupportable », a déclaré Ombeni. « Que le Seigneur allume dans nos cœurs cette flamme de la prière et de la foi ! »
Traduit par Jonathan Hanley