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Les métaphores ont un pouvoir plus que métaphorique

Joy Clarkson lève le voile sur la profondeur de formules qui peuplent notre imaginaire.

Christianity Today October 16, 2024
Illustration by Mallory Rentsch Tlapek / Source Images: Unsplash / Getty

« Je crains que ces hommes ne fassent que me ralentir », déclare un Benedict Cumberbatch sûr de lui dans le rôle du pionnier de l’informatique Alan Turing. Un biopic de 2014, The Imitation Game, dépeint Turing comme un génie solitaire, capable de changer le monde, qui accepte à contrecœur l’aide de collègues moins brillants qui ne feraient que menacer son efficacité et à qui il doit cacher des secrets qui menacent son habilitation, sa carrière et sa vie. Ensemble, ils déchiffrent le code Enigma des nazis et créent un modèle préludant à l’invention de l’ordinateur, la machine de Turing (c’est de l’histoire, pas un spoiler !).

You Are a Tree: And Other Metaphors to Nourish Life, Thought, and Prayer―A Contemplative Meditation on Language in Scripture and Poetry to Find Meaning and Understanding in Our Words

L’une des nombreuses contributions de Turing au développement de l’informatique a été le test de Turing, une méthode conçue pour évaluer la capacité d’une machine à afficher un comportement intelligent qu’un observateur humain pourrait confondre avec un comportement humain. Inutile de dire que les questionnements en la matière se poursuivent. En concevant des ordinateurs capables d’égaler et de dépasser de nombreux aspects de nos propres facultés cognitives, nous nous retrouvons au milieu d’un chaotique champ de bataille où l’âme de l’humanité est balancée entre jérémiades apocalyptiques sur l’IA et manifestes techno-optimistes utopiques.

Ces développements rapides sont guidés par une métaphore saisissante : l’esprit humain  comme ordinateur. Plus nous utilisons cette métaphore, plus nous y croyons. Pourtant, au fur et à mesure que cette vision s’est imprégnée dans notre inconscient collectif, elle s’est heurtée à une résistance de plus en plus forte.

Prenez par exemple le philosophe et cogniticien Tim van Gelder, auteur en 1995 d’un article intitulé « What Might Cognition Be, If Not Computation? » (« Qu’est-ce que la cognition, si ce n’est pas de la computation ? ») Il y suggère que la machine de Turing (un modèle informatique) est moins pertinente pour modéliser la cognition humaine que ce qu’il appelle un « système dynamique ». Un tel système s’adapte en permanence à un environnement en constante évolution, réagissant et s’ajustant dans une relation de réciprocité automatique. Une machine de Turing, elle, ne vise qu’à résoudre une équation spécifique.

En d’autres termes, notre cerveau se développe et s’adapte en permanence à notre monde ; ce n’est pas une machine programmée avec un algorithme fixe pour aboutir à un résultat spécifique.

Donner forme à l’immatériel

Dans son dernier livre, You Are a Tree: And Other Metaphors to Nourish Life, Thought, and Prayer (« Tu es un arbre, et autres métaphores pour nourrir la vie, la pensée et la prière »), l’écrivaine Joy Marie Clarkson explore les métaphores que nous utilisons dans notre vie quotidienne. Dans notre engouement à adopter certaines métaphores qui façonnent notre vie, nous sommes prompts à oublier que les métaphores sont, par définition, des approximations incomplètes. Comme l’explique Clarkson dans son introduction, « c’est la raison pour laquelle le philosophe français Paul Ricœur propose ce que l’on pourrait appeler une théorie de la métaphore en tension […] entre interprétation littérale et interprétation métaphorique. En observant où s’arrête la métaphore, nous sommes obligés de prêter plus attention à la raison pour laquelle la chose n’est pas réellement telle que nous la décrivons ».

Clarkson incarne une nouvelle génération d’écrivains et de penseurs qui se sont acquis un public en ligne en partageant progressivement leurs pensées, mêlant des observations dignes d’un journal intime à des notes érudites liées à des projets de recherche et d’écriture. En lisant son livre, on a plus l’impression de retrouver un vieil ami autour d’un café que de s’asseoir aux pieds d’un sage lointain et inaccessible.

Si van Gelder et Clarkson trouvent un terrain d’entente dans leur résistance à la métaphore de « l’homme en tant qu’ordinateur », les similitudes s’arrêtent là. Van Gelder écrit dans un style dense et mathématique (tant mieux pour vous si c’est votre truc), et utilise toujours une métaphore basée sur la machine pour décrire la pensée humaine. Clarkson, elle, étudie la théologie et la littérature au King’s College de Londres, et ses mots découlent d’une passion pour la poésie, la littérature, l’histoire et la Bible, révélant un esprit créatif et sympathique et une belle ouverture à l’émerveillement au quotidien. Elle s’en tient à des métaphores plus agricoles et naturalistes. Les ordinateurs, « en tant que métaphore systématique de l’épanouissement humain » lui paraissent « incomplets et impitoyables ».

Comme le suggère le titre de son livre, Clarkson voit moins en vous un ordinateur (conçu pour fonctionner avec efficacité) qu’un arbre dans une forêt. Les arbres, comme Turing et ses pairs, ont besoin des racines de ceux qui les entourent pour s’épanouir dans le manque comme dans l’abondance.

You are a tree commence par une réintroduction convaincante au concept de métaphore, en expliquant à quel point celles-ci peuvent subtilement nous façonner. Les métaphores sont plus qu’un simple ressort poétique supplémentaire au service du beau langage. Elles peuvent générer des moments de révélation cathartiques en permettant d’appréhender des sentiments ou des idées jusque-là inexprimables.

Clarkson raconte comment, pendant la majeure partie de sa vie, elle a été contrainte de déménager d’un endroit à l’autre, lui donnant l’impression d’être une plante en pot dont les racines ne peuvent s’enfoncer qu’à une certaine profondeur. La métaphore de la plante en pot, dit-elle, « m’a fait souffrir, mais m’a aussi soulagée ». Une bonne métaphore est libératrice, car elle nous permet de « dire nos expériences » et de « donner à ces choses une forme qui nous permette de les regarder, d’en parler, de les montrer à d’autres personnes afin qu’elles puissent en être témoins et peut-être même les comprendre ». Grâce aux métaphores, nous pouvons connaître et être connus.

Les mauvaises métaphores peuvent toutefois s’avérer dangereuses. Les comparaisons erronées ne se bornent pas à un manque de clarté conceptuelle : elles peuvent nous inciter à attribuer des caractéristiques trompeuses, voire déshumanisantes, à nous-mêmes et aux autres. Clarkson souligne que la métaphore de l’homme en tant qu’ordinateur accorde une grande valeur à la productivité, dévaluant ainsi potentiellement les personnes moins productives. Cette métaphore dit : Si vous ne pouvez pas fonctionner aussi bien, vous avez moins de valeur.

Les métaphores ne sont donc pas neutres. Que nous les choisissions consciemment ou que nous les absorbions sans y prêter attention, elles ont une subtile mais puissante influence sur nos vies, et s’y confronter peut être crucial dans nos parcours de formation spirituelle.

Après avoir établi la nature problématique des métaphores mécanistes de l’humanité, Clarkson réserve la plupart de ses chapitres à l’analyse d’un ensemble de métaphores plus saines et riches (sans parler des métaphores à l’intérieur des métaphores). Dans une progression à la fois patiente et agréablement sinueuse, elle retrace leurs apparitions dans l’Écriture, la littérature et la vie quotidienne. Elle accompagne également les lecteurs dans la réflexion avec des exemples et des recommandations tirés de poèmes, de peintures, de films, de chansons et même de l’architecture.

La sagesse des clichés

You Are a Tree est un guide éclairant sur les métaphores que nous utilisons pour Dieu et notre propre vie, et propose au lecteur des façons de méditer sur une métaphore et de laisser parler ses significations les plus profondes. La profondeur et la perspicacité de Clarkson apparaissent clairement le fait que de nombreuses métaphores qu’elle aborde — « la sagesse est une lumière », par exemple, ou « la vie est un voyage » — touchent à des formules que vous avez probablement déjà entendues un nombre incalculable de fois, au point qu’elles apparaissent comme des clichés. Que pourrait-on ajouter sur ces sujets ? Avec constance, Clarkson insuffle une nouvelle vie à ce langage qui pourrait sembler banal à première vue.

En raison de l’approche méditative du livre et de certains de ses détours, certaines parties s’avéreront probablement plus intéressantes que d’autres, en fonction des résonances de certaines métaphores pour tel ou tel lecteur. Dans certaines sections faisant moins écho, les métaphores peuvent paraître un peu monotones et la structure flottante des chapitres pourrait sembler manquer de direction. C’est l’une des raisons pour lesquelles je recommanderais de lire le livre par petits morceaux (une ou deux séances par chapitre) plutôt que d’une traite. Pour un livre relativement court, You Are a Tree couvre beaucoup de terrain, presque à la manière d’un cours d’introduction pour étudiants de premier cycle. Il est cependant riche en enseignements et si vous prêtez attention (comme l’autrice y invite souvent), vous devriez repartir avec une foule d’idées susceptibles de modifier votre regard.

Dans son dernier chapitre, Clarkson développe la métaphore « la vie est un voyage », admettant le défi de pouvoir écrire sur un tel lieu commun. Comme elle le dit, « je me rends compte que je suis dangereusement proche de devenir un ridicule panneau inspirant dans un magasin d’articles pour la maison et le jardin. “La vie n’est pas la destination, mais le voyage” ». À demi sérieuse, elle poursuit en philosophant : « Mais qu’est-ce que la vie et qu’est-ce que le voyage ? » En se plongeant réellement dans ces questions, Clarkson déchire le voile de la familiarité excessive qui masque si souvent les vérités les plus simples, mais les plus profondes.

En réfléchissant à la raison pour laquelle la vie est vraiment un voyage, elle évoque l’aspiration intranquille d’Augustin ou, selon ses termes, « ce que les existentialistes allemands pourraient appeler Unheimlichkeit, une absence radicale de foyer », une idée qu’elle développe en faisant référence à Camus, Heidegger, James K. A. Smith et Le Seigneur des Anneaux, entre autres. Pour moi, enfant de troisième culture ayant une relation compliquée avec les concepts de foyer et d’appartenance, cela a résonné en profondeur. C’est un sujet que j’aimerais encore explorer dans mes propres écrits. Et je suis certain qu’il y aura au moins une image ou une idée, et probablement beaucoup plus, qui trouveront un écho similaire chez vous.

Raed Gilliam est écrivain et cinéaste, et producteur associé pour CT Media.

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