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Parcours de vie : Daniel Bourdanné, de l’étude des mille-pattes à la direction mondiale de l’IFES

L’ancien responsable tchadien du ministère étudiant, décédé le 6 septembre dernier, soutenait particulièrement l’édition chrétienne en Afrique.

International Fellowship of Evangelical Students/Adaptations par Rick Szuecs
Christianity Today September 13, 2024

Daniel Bourdanné, scientifique originaire du Tchad, en Afrique centrale, aura inspiré de nombreux jeunes évangéliques du monde entier en tant que secrétaire général de l’IFES et promoteur de longue date de l’édition de livres chrétiens en Afrique. Il est décédé le 6 septembre à l’âge de 64 ans des suites d’un cancer. 

En 2007, après des années de ministère auprès des étudiants, Daniel Bourdanné était devenu secrétaire général de l’International Fellowship of Evangelical Students (IFES), faîtière de très nombreux Groupes bibliques universitaires à travers le monde. Il occupera le poste jusqu’en 2019. Lecteur passionné (et parfois auteur), il travailla de 2018 jusqu’à son décès avec Africa Speaks pour promouvoir l’édition de livres chrétiens sur le continent.

Daniel Bourdanné passa une grande partie de sa vie en Afrique francophone, notamment au Togo, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, avant de s’installer à Oxford, en Angleterre, à sa nomination comme secrétaire général de l’IFES. Au moment de son décès, il vivait à Swindon, en Angleterre. 

« Dieu m’a envoyé dans le monde à partir de ce continent, et il me ramène avec le monde sur ce même continent, pour que je termine mon rôle de missionnaire de l’Eglise africaine. », déclarait-il dans son discours d’adieu prononcé en Afrique du Sud en 2019, lors de l’assemblée mondiale de l’IFES. 

« Daniel était fier d’être africain », témoigne Tiémoko Coulibaly, secrétaire général des Groupes bibliques des élèves et étudiants du Mali, affilié à l’IFES. « Bien que vivant en Occident, son cœur était en Afrique, ce continent qui l’a vu naître et dont il n’a jamais désespéré. »

Fils de pasteur, Daniel Bourdanné naît le 18 octobre 1959 à Pala, dans le Mayo-Kebbi Ouest, au Tchad. À l’âge de 10 ans, il perd son père, dont la mort l’oblige à commencer à travailler dans les champs, à couper du bois et à cultiver des légumes pour que sa mère puisse les vendre. Ces responsabilités sont alourdies par la guerre civile qui durera de 1965 à 1979 et coûtera la vie à des milliers de personnes. 

Quelques mois avant la fin de la guerre, Daniel obtient une bourse pour poursuivre des études en écologie animale à l’Université du Tchad. Il obtient ensuite une licence en sciences naturelles à l’Université de Lomé, au Togo (anciennement Université du Bénin). 

En 1983, il s’installe à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour préparer un doctorat en écologie animale. Et en 1990, il soutient une thèse sur les mille-pattes et devient membre de la Société internationale des myriapodologues. 

Tout en poursuivant ses études, Daniel Bourdanné commence à travailler comme professeur de biologie dans un lycée. Cependant, sa passion pour le partage de l’Évangile avec les étudiants s’était déjà éveillée depuis bien longtemps. « À l’âge de 14 ans, lors d’une étude biblique sur Apocalypse 1, j’ai ressenti pour la première fois la vision et la passion de voir des étudiants sauvés pour le Seigneur », racontera-t-il par la suite.

« Directement ou indirectement, les universités déterminent et orientent plus ou moins profondément l’avenir des sociétés humaines », écrivait-il dans un article sur l’évangélisation des étudiants publié dans le Dictionnaire de théologie pratique en 2011. « Les étudiants sont souvent à l’avant-garde des changements sociaux dans le monde. En effet, quand ils se mettent en marche tous ensemble, grâce à leur énergie, leur vitalité, leur détermination, leur ferveur, leur imagination et leur créativité, ils peuvent faire bouger la société. »

En 1990, Daniel Bourdanné commence à travailler avec l’IFES en tant que secrétaire itinérant ; il est nommé secrétaire régional des Groupes bibliques universitaires d’Afrique francophone (GBUAF) en 1996.  

Lorsqu’il devient secrétaire général en 2007, succédant à Lindsay Brown qui occupait ce poste depuis 1991, l’IFES avait déjà 60 ans et était établie dans plus de 150 pays. Au cours de ses 12 années de mandat, le mouvement se développera encore considérablement, notamment en ce qui concerne la diversité de ses dirigeants. 

Sous la présidence de Daniel Bourdanné, l’IFES a accordé plus de place aux théologiens du Sud. En 2007, il nomme Christy Jutare, des Philippines, première femme secrétaire régionale de l’IFES, pour diriger la région Eurasie. En 2011, il installe les deux premiers représentants des étudiants au conseil d’administration de l’IFES. En 2016, il relance une revue mondiale de réflexion théologique et missiologique, Word and World.

Interrogé sur les moments forts de son mandat, il soulignait notamment le fait d’avoir vu Dieu « emprunter des chemins inhabituels » en invitant des personnes inattendues à se joindre à lui, ainsi que la joie de voir Dieu ouvrir des portes dans des contextes difficiles.

Il relevait également un défi majeur : « nous célébrons notre unité », écrivait-il dans son courriel d’adieu au ministère étudiant, « mais nous sommes humains, et il n’est donc pas surprenant que quelqu’un essaie parfois de promouvoir son agenda ou ses préférences. […] Ayant moi-même grandi dans un contexte de guerre et de conflits tribaux, j’ai été peut-être plus sensible à la façon dont ceci pouvait devenir une menace pour l’unité de l’IFES. »

L’une des grandes passions de Daniel Bourdanné était de permettre à l’Église mondiale d’entendre davantage les chrétiens africains. Il les encourageait à ne pas se contenter d’une unique école de pensée et à prendre leur place dans le domaine de la théologie.

« Certains d’entre nous se diront du côté de Billy Graham », observait-il dans son discours de 2019, « d’autres du côté de John Stott, ou encore de John Piper, et ces différences nous enrichissent, plus qu’elles ne nous divisent. » Cependant, ajoutait-il : « Parmi ces trois noms, il n’y en a pas d’africain. Il n’y a pas de nom non plus de quelqu’un d’Amérique latine, ni d’Asie. »

L’amour de Daniel Bourdanné pour les étudiants n’avait d’égal que son amour des livres. Le scientifique en possédait des milliers, soigneusement conservés dans trois bibliothèques différentes : chez lui, en Angleterre, dans son bureau d’Oxford et dans une résidence en Côte d’Ivoire.

C’est sa passion pour l’écrit qui l’amena à lancer son premier magazine. Avec quatre amis, ils mirent en commun leurs ressources pour financer le premier numéro et investir dans la publication. Le magazine tourna sans aide financière extérieure – hormis un don unique de 80 dollars de la part de missionnaires – jusqu’à la dispersion du groupe d’amis.

En 1995, Daniel Bourdanné devient directeur des Presses bibliques africaines. En 2018, il rejoint le conseil d’administration d’Africa Speaks, où il continua à siéger jusqu’à son décès, soutenant la croissance de l’industrie de l’édition chrétienne en Afrique en encourageant les auteurs chrétiens africains à écrire et à publier et en faisant la promotion de leurs livres. 

Pour les chrétiens africains, pensait-il, les livres pouvaient être des catalyseurs de transformation. « L’Afrique ne connaîtra pas sa révolution éditoriale tant que nous n’aurons pas gagné la bataille de l’amour des livres », écrivait-il. Une bataille qu’il voyait comme un appel à une contamination du continent africain : une contamination positive qui, à l’image des paroles de Jésus en Marc 7.14, ne viendrait pas de l’extérieur, mais de l’intérieur.

Il était convaincu que l’Afrique devait se donner les moyens de son propre progrès par un changement de mentalité accompagné d’une collaboration fructueuse avec l’Occident.

« À quoi sert la ferveur africaine du dimanche si les démons de la corruption, des conflits et des génocides ressurgissent de plus belle dès le lundi ? », interpellait-il en 2006 à Genève un auditoire composé principalement de responsables évangéliques européens. « À quoi servent en Europe nos cultes et nos prières, si nos vies restent orientées par la recherche du profit maximum et si nos Églises restent divisées ? » 

Il appelait les chrétiens européens à lutter pour le changement : « Nos actes parlent plus que nos paroles. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. »

Bien qu’il ait davantage fait la promotion de la littérature chrétienne qu’il n’a écrit lui-même, il est notamment l’auteur de Ces évangéliques d’Afrique, qui sont-ils ? (1998), et L’Évangile de la prospérité, une menace pour l’Église en Afrique (1999).

En 2018, l’Université Calvin lui décerne le Prix Abraham Kuyper pour l’excellence en théologie et en vie publique réformées, soulignant son travail dans l’édition chrétienne francophone et son ministère auprès de l’IFES. 

« Il y a un quart de siècle, Daniel a constaté que les étudiants chrétiens avaient besoin d’être guidés, à partir d’une vision chrétienne du monde, sur toute une série de sujets qui les préoccupaient, et il s’est donc mis à l’œuvre », déclarait Jul Medenblik, président du Calvin Theological Seminary. 

Timothée Joset, professeur associé de missiologie à la Faculté libre de théologie évangélique (FLTE) en France et membre du Global Resource Ministries de l’IFES, raconte que son ami Daniel l’avait initié aux questions complexes auxquelles est confrontée l’Afrique francophone et aux relations globales Nord-Sud.

« Ce qui m’a aussi impressionné, c’était sa résilience. Il n’était pas rancunier, même s’il a subi beaucoup de racisme », rapporte encore Timothée Joset, citant un exemple si flagrant que le théologien N.T. Wright le mentionna même dans un sermon de Pâques. 

Après que l’IFES l’avait engagé comme secrétaire général, « le haut-commissariat britannique à Accra traînait les pieds concernant la demande de Daniel de venir ici, puis l’a rejetée avec un minimum d’explications », raconte Wright. « Daniel a alors demandé l’autorisation de se rendre au Royaume-Uni avec son visa de visiteur en cours, et on lui a répondu qu’il pouvait le faire. Mais à son arrivée, il a été détenu pendant 22 heures, ses téléphones portables ont été saisis et il a été renvoyé en Afrique par avion. » 

Malgré ce qu’il avait subi, Daniel Bourdanné inspirait ses pairs par son caractère attentionné et son humilité. L’un de ses étudiants se souvient avec émotion de la façon dont il lui avait personnellement envoyé des livres, alors que le système postal anglais confondait sans cesse son adresse avec celle d’un autre pays. Un autre collègue international rappelle que Daniel préférait s’asseoir par terre pendant les conférences, pour permettre à d’autres d’avoir une chaise.

Cette humilité n’a cependant jamais empêché Daniel Bourdanné d’interpeller ses frères et sœurs sur des sujets qui lui tenaient à cœur, comme l’évangélisation. Il servit le Mouvement de Lausanne en tant que directeur adjoint international pour l’Afrique francophone (21 pays), jusqu’à la conférence de Lausanne de 2010 au Cap, en Afrique du Sud. Lorsqu’il quitta ce poste, il fut nommé au conseil d’administration du Mouvement de Lausanne.

« Peut-on être crédible en annonçant un évangile qui ignore l’exploitation des gens simples par les plus forts ? Peut-on continuer de se préoccuper du salut des âmes des Africains […] en fermant les yeux sur leur situation sociale ? », demandait-il en 2016. « En quoi l’Évangile est une bonne nouvelle pour des communautés qui vivent dans un environnement où leurs besoins minimums de base sont encore loin d’être satisfaits ? Comment rester silencieux face aux inégalités sociales qui montent en Afrique et face aux questions environnementales ? La proclamation et l’action doivent aller de pair. »

Daniel Bourdanné laisse derrière lui son épouse Halymah, originaire du Niger, et leurs quatre enfants.  

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