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Des célébrations de Noël annulées à Bethléem, à Jérusalem et en Jordanie

Abasourdis par la guerre à Gaza, des chrétiens de Terre sainte troquent les festivités de Noël pour une veillée plus sobre, en solidarité avec leurs prochains dans la souffrance.

Un garçon tient un ballon en forme de père Noël à l’église de la Nativité à Bethléem, en Cisjordanie.

Un garçon tient un ballon en forme de père Noël à l’église de la Nativité à Bethléem, en Cisjordanie.

Christianity Today December 12, 2023
Uriel Sinai/Stringer/Getty Images

Il n’y aura pas de décorations de Noël à Bethléem cette année.

En solidarité avec les souffrances de Gaza dues à la guerre entre Israël et le Hamas, les responsables chrétiens et les autorités municipales de la ville de Cisjordanie ont décidé fin novembre dernier d’annuler toutes les festivités publiques. Pour la première fois depuis le début des célébrations modernes, le lieu de naissance de Jésus ne verra pas l’arbre de la place de la Mangeoire décoré.

Ce n’est pas « approprié », ont déclaré les autorités locales.

Mais cette décision de Bethléem fait suite à d’autres. Quelques jours auparavant, les patriarches et chefs des Églises de Jérusalem ont demandé aux chrétiens de Terre sainte de s’abstenir de toute activité « inutilement festive » à l’occasion de Noël. Les églises catholiques de Galilée ont demandé la même chose, de même que le Conseil des églises évangéliques locales de Terre sainte.

« Au vu des milliers de personnes tuées — et afin de prier pour la paix », a déclaré le président de l’association, le pasteur Munir Kakish, « nous n’organiserons que des services traditionnels et des méditations sur le sens de Noël. »

L’initiative est toutefois venue en premier lieu de Jordanie, où se trouve la plus grande concentration de réfugiés palestiniens au monde, dont beaucoup ont pris la nationalité jordanienne. Le 2 novembre, le Conseil jordanien des chefs religieux (CJCR) a annoncé l’annulation des célébrations de Noël.

Noël est un jour férié dans ce pays à majorité musulmane, et de nombreuses places et centres commerciaux sont ornés de décorations en lien avec cette période. Mais les communautés de tout le pays renonceront cette année aux festivités traditionnelles telles que l’illumination des sapins, les marchés de Noël, les défilés de scouts et la distribution de cadeaux aux enfants.

Les services religieux seront maintenus dans tous les lieux.

« Dans nos maisons, nous pouvons faire la fête, mais dans nos cœurs, nous souffrons », a déclaré Ibrahim Dabbour, secrétaire général du conseil et prêtre grec orthodoxe. « Comment pourrions-nous décorer un sapin de Noël ? »

La déclaration officielle des chrétiens jordaniens reflète un souci des « victimes innocentes » et dénonce les « actes barbares » de l’armée israélienne. Elle souligne la « période difficile » que traversent Gaza et l’ensemble de la Palestine, notant la destruction de maisons, d’écoles, d’hôpitaux et de lieux de culte.

Elle s’engageait également à ce que les offrandes collectées durant le week-end du 19 novembre soient reversées à Gaza.

Dabbour, dont les parents ont fui les villes de Ramallah et de Jaffa, aujourd’hui israéliennes, lors de la guerre de 1948, est né à Amman et préside la Société biblique jordanienne. Il établit un lien entre la guerre actuelle et ce déplacement initial, appelant au dialogue plutôt qu’à la poursuite d’une violence génératrice de fanatisme.

Mais au-delà de la solidarité avec leur nation affligée, Dabbour considère que le conseil, qui représente 130 000 chrétiens dans le royaume hachémite, avait un autre objectif dans cette déclaration.

« De nombreux musulmans ne connaissent pas l’histoire du christianisme et pensent que nos origines sont occidentales », dit-il. « Mais nous sommes les fils de Saint-Pierre, présents depuis 2000 ans. Nous voulons montrer à la société que nous sommes un seul et même peuple. »

Les évangéliques jordaniens estiment qu’ils ont encore une obligation supplémentaire.

« Nous avons un rôle à jouer auprès de nos amis occidentaux », dit David Rihani, président et surintendant général de l’Église des Assemblées de Dieu de Jordanie. « Jésus ne nous a pas enseigné à prendre aveuglément le parti l’un contre l’autre. »

Il cite une vidéo largement diffusée du pasteur américain Greg Locke, dans l’État du Tennessee, appelant Israël à transformer Gaza en « parking » et à faire exploser le Dôme du Rocher pour faire place au Troisième Temple et inaugurer le retour de Jésus. Rihani observe que les évangéliques locaux refusent d’être associés à ce sionisme chrétien.

La décision de renoncer aux festivités de Noël trouve également écho dans la culture jordanienne.

Ayant grandi à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d’Amman, dans la ville traditionnelle de Salt, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, Rihani se souvient que les musulmans et les chrétiens assistaient ensemble à toutes les célébrations de mariages dans le voisinage, sans qu’aucune invitation ne soit nécessaire. Mais s’il y avait des funérailles, tout mariage prévu était soit reporté, soit célébré discrètement au sein de la famille.

Les mariages au milieu de la guerre sont désormais traités de la même manière.

« L’annonce n’était même pas nécessaire », dit Imad Mayyah, président du Conseil évangélique jordanien. « Aucun Jordanien ne fête quoi que ce soit. »

Fondé en 2006 et représentant les Assemblées de Dieu, les baptistes, les nazaréens, les évangéliques libres et l’Alliance chrétienne et missionnaire, le Conseil évangélique jordanien a publié sa propre déclaration.

« Les fêtes de Noël, où nous nous souvenons de la naissance de notre sauveur Jésus-Christ, nous arrivent alors que nous sommes au cœur d’une tragédie humaine qui ravage notre région », dit le texte. « En obéissance à la Sainte Parole de Dieu et en accord avec [le sentiment chrétien et public, le conseil] a décidé de limiter les célébrations de Noël aux cérémonies religieuses et aux prières au sein de nos églises. »

Le Conseil évangélique a également prié pour la sagesse du roi Abdallah II et du prince héritier.

Au courant du mois de novembre, le roi a publié un article d’opinion dans lequel il réitérait le soutien de la Jordanie à une solution à deux États. Fin octobre, il avait annulé un sommet régional à Amman avec le président américain Joe Biden, pour protester contre la « punition collective » infligée par Israël à Gaza. Le 1er novembre, il a rappelé l’ambassadeur jordanien d’Israël et, deux semaines plus tard, il indiquait que « toutes les options » étaient sur la table.

La Jordanie a été le deuxième pays arabe à signer un traité de paix avec Israël, en 1994.

Depuis 1924, le royaume hachémite préserve son rôle de gardien des sites religieux musulmans et chrétiens de Jérusalem. Il a maintenu ce droit même lorsqu’il a renoncé à sa souveraineté sur la Cisjordanie en 1988.

Mais avec plus de 180 Palestiniens tués par les forces israéliennes ou des colons juifs en Cisjordanie depuis le début de la guerre, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que toute initiative visant à pousser les Palestiniens de l’autre côté du Jourdain serait considérée comme une « ligne rouge » équivalant à une déclaration de guerre.

L’armée jordanienne a depuis fortifié ses positions le long de la frontière.

Le roi a également désigné l’Organisation caritative hachémite jordanienne (OCHJ) pour faciliter les dons à la population de Gaza. La Jordanie a mis en place un hôpital de campagne géré par l’armée dans la partie nord de la bande de Gaza et a envoyé plusieurs ponts aériens en coordination avec Israël et les États-Unis. Sept membres du personnel ont toutefois été blessés par des tirs d’obus israéliens, que la Jordanie a qualifiés de « crimes odieux ».

Son deuxième hôpital de campagne a été mis en place dans le sud de la bande de Gaza.

La déclaration du CJCR encourage chaque confession de distribuer ses offrandes à la population de Gaza par les canaux qu’elle préfère. Les églises baptistes et les Assemblées de Dieu de Jordanie envoient des fonds par l’intermédiaire de l’OCHJ, tandis que les orthodoxes grecs travaillent directement par l’intermédiaire de leur patriarcat de Jérusalem et de l’église Saint Porphyre, où des centaines de chrétiens ont trouvé refuge.

David Rihani salue les chrétiens de Gaza pour le rôle qu’ils jouent depuis longtemps dans l’aide humanitaire. Ibrahim Dabbour réitère son soutien au roi qui s’oppose au fanatisme des deux camps : Israël qui insiste sur sa volonté d’être un État juif et le Hamas qui affirme que la Palestine est réservée aux musulmans.

Les analystes affirment que le groupe islamiste n’est pas très populaire en Jordanie. Mais lorsque la nouvelle des atrocités terroristes du 7 octobre s’est répandue, certains Jordaniens ont spontanément fait la fête dans les rues, distribuant des pâtisseries et scandant que « Toute la Jordanie est le Hamas » lors des manifestations qui ont suivi.

Tel n’est pas le cas, même parmi les islamistes. Le Hamas est une branche des Frères musulmans, dont les membres jordaniens se sont scindés en deux factions en 2015, en partie à cause de leurs affiliations régionales avec l’Égypte ou la Palestine. Le groupe national désormais autorisé est essentiellement composé de Jordaniens, tandis que l’autre entité encore active est essentiellement composée de Palestiniens.

Cette dernière a appelé à armer le peuple jordanien, tandis que le chef du Hamas à l’étranger a exhorté les tribus jordaniennes à entrer en guerre.

Mais la souffrance de la Palestine unit tout le monde, et des manifestations massives ont fait pression sur le palais. Les forces de sécurité ont interdit aux manifestants l’accès aux zones sensibles telles que l’ambassade d’Israël et la frontière, mais ont par ailleurs autorisé des manifestations de grande ampleur.

Suivant l’exemple de son mari, la reine Rania a accusé les dirigeants occidentaux de pratiquer un « double standard flagrant ».

« Est-on en train de nous dire qu’il est mal de tuer […] une famille entière sous la menace d’une arme, mais qu’il n’y a pas de problème à la tuer sous les bombes ? » a-t-elle demandé, faisant le parallèle avec les attaques du 7 octobre. « Il s’agit d’une histoire vieille de 75 ans, une histoire accablante de morts et de déplacement pour le peuple palestinien. »

Mais comment parler de ces morts ?

La déclaration du CJCR mentionne des « victimes innocentes », mais aussi le « sang pur de nos martyrs à Gaza et dans toute la Palestine ». Cette seconde expression implique-t-elle plus que les seules personnes tuées dans les « dommages collatéraux » ?

« Comment appelez-vous une famille qui vit à Gaza dans une maison héritée de ses arrière-grands-parents et qui est tuée parce qu’elle refuse l’ordre de partir ? », demande Rihani. « Ne défendent-ils pas leurs maisons, leurs enfants et leurs biens ? »

Bassam Shahatit, vicaire général de l’évêque grec catholique melkite de Jordanie, qui fait partie du CJCR, explique que dans la théologie chrétienne arabe, le terme de martyr inclut ceux qui meurent pour leur patrie. Le mot grec biblique original a le sens de « témoin », avec pour les chrétiens un accent particulier sur le témoignage de la foi, comme avec le martyr d’Étienne en Actes 7.

Mais de nombreux membres du clergé en Palestine, dit Shahatit, considèrent que la résistance et la libération font partie du devoir patriotique, et que ceux qui sont engagés dans la défense armée font partie du tissu national. Cependant, alors que les églises de la région appellent à des moyens pacifiques de soutenir la patrie, le sujet reste sensible et divise de nombreux arabes.

« Entrent-ils au paradis ? », s’interroge Shahatit à propos de tous ceux qui sont morts. « C’est une question pour Dieu. Bien qu’ils ne soient pas chrétiens, nous les appelons toujours des martyrs. »

Ibrahim Dabbour insiste lui sur la signification chrétienne du terme « martyr », désignant celui qui sacrifie sa vie pour Jésus ou l’Évangile. Mais compte tenu de l’usage sociétal du mot pour désigner celui qui meurt injustement ou pour défendre la patrie, il renvoie aussi à une définition musulmane plus large : « celui qui meurt pour la vérité ».

En ce sens, il estime que le terme s’applique à de nombreuses victimes à Gaza.

Mais ce qu’il faut maintenant, dit David Rihani, c’est de la compassion, et des actes. Se référant à Romains 12.15 — pleurez avec ceux qui pleurent — il rappelle que le message chrétien s’accompagne toujours d’espoir.

Ainsi, lorsqu’il sera assis avec ses enfants le jour de Noël, le sapin illuminé et les fenêtres fermées, il leur racontera l’histoire d’un bébé dans une mangeoire qui mourut sur une croix. Il soulignera que la résurrection montre que la souffrance de Jésus est porteuse d’espérance pour tous ceux qui croient en lui.

« Nous voulons porter cette espérance à Gaza », dit Rihani. « Pour que le monde voie leur souffrance et pousse à une solution pacifique. »

En observant les grands rassemblements propalestiniens dans le monde entier, il sent que l’opinion mondiale évolue. Les puissances internationales pourraient ainsi avoir l’occasion d’encourager les négociations de paix. Et si le message du roi jordanien est entendu, dit Rihani, il se pourrait qu’une solution à deux États voie le jour.

Pour les évangéliques du pays, ce serait un miracle pour les fêtes de fin d’année.

« Nous espérons que nous pourrons bientôt recommencer à faire la fête », dit Ibrahim Dabbour. « Si Dieu le veut, la guerre s’arrêtera avant Noël. »

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