Le cahier jauni de mon cours de philosophie de la religion au collège contient cette inscription plaintive : L’école du dimanche n’était jamais aussi compliquée. Les Béatitudes, elles aussi, sont plus complexes qu’elles ne paraissent. Elles sont (comme toute Écriture sainte) inépuisablement riches. Plus vous creusez profondément, plus elles offrent de nouveautés.
Il paraît difficile de penser qu’une béatitude signifie quoi que ce soit en dehors d’un contexte dans lequel ce sens puisse être mis en pratique, et en dehors de vies dans lesquelles les Béatitudes signifient quelque chose. Les Béatitudes doivent être interprétées dans leurs contextes narratifs au sein des Évangiles de Matthieu et de Luc : elles n’ont de sens que dans le cadre d’un récit plus large sur Dieu et son fils, Jésus.
Comme l’écrit Kavin Rowe, « Nous ne pouvons pas comprendre le sens des idées ou des pratiques en dehors des histoires qui les rendent avant tout intelligibles en tant que choses à penser ou faire ».
Ce que je voudrais suggérer ici, c’est que les Béatitudes peuvent être plus pleinement comprises non pas en lisant à leur sujet, mais en regardant à quoi elles ressemblent dans des vies humaines. Peut-être vaut-il mieux ne pas d’abord se concentrer sur ce que les Béatitudes pourraient signifier, mais plutôt sur le fait qu’elles portent l’espoir de transformer l’individu, qu’elles visent à nous changer.
Je ne m’attendais pas à être changée en écrivant un livre sur les Béatitudes, mais je l’ai été. J’ai souvent réfléchi à la façon dont je ressens et exprime ma colère, à savoir si je suis une personne douce, comment je dépense l’argent, comment je traite les pauvres ou les sans-abri, quand et comment je prie, et si je souffre pour un engagement envers la justice. « Comment peut-on communiquer la flamme des béatitudes, se demande René Coste, si l’on ne brûle pas soi-même ? »
Christin Lore Weber écrit à propos des Béatitudes :
Si nous abordons leur signification par l’analyse, nous ne parviendrons pas à les comprendre. Au lieu de cela, nous devons les recevoir avec amour […] et les garder jusqu’à ce qu’elles portent des fruits dans nos vies. Nous ne pouvons pas les expliquer ; mais nous pouvons raconter des histoires sur la manière dont elles s’incarnent dans les situations et les personnes que nous rencontrons.
En m’inspirant de Weber, je voudrais partager deux histoires, deux mises en scène des Béatitudes, si vous voulez. La première histoire est celle d’une fille nommée Lena.
Helena Jakobsdotter Ekblom (1784–1859) naquit à Östergötland, en Suède, la même province d’où est originaire le côté Eklund de ma famille. Dès son plus jeune âge, elle eut des visions du paradis, où toutes les promesses des Béatitudes étaient réalisées : elle voyait les pauvres se réjouir, rire et posséder la terre, couronnés comme fils et filles de Dieu. Elle commença à prêcher ses visions, attirant l’attention de foules de paysans pauvres, qui reçurent son message avec empressement, et des autorités, qui se montrèrent bien moins enthousiastes.
À travers les paroles des Béatitudes, Lena annonçait la bonne nouvelle à ceux qui, comme elle, vivaient dans la pauvreté. Comme dans l’Évangile de Luc, ce message comportait un corollaire implicite : « Malheur aux riches qui causent la pauvreté, à ceux qui rient au prix des larmes d’autrui, à ceux dont l’opulence est bâtie sur la misère, aux puissants dont la force est fondée sur l’injustice, à ceux qui méprisent, persécutent et oppriment les plus petits de Jésus ».
Ce revers de son message remettait profondément en cause les autorités étatiques et ecclésiastiques. Comme l’écrit Jerry Ryan, « Vu à travers les yeux de Lena, l’ordre existant devient intolérable, littéralement révoltant ». Sa prédication s’avéra si troublante qu’elle fut enfermée pendant 20 ans à Vadstena, dans un château transformé en asile d’aliénés. »
Même là, où elle se retrouvait parmi les plus pauvres des pauvres, les humiliés et les abandonnés, Lena continua à prêcher. Elle prêchait l’amour inébranlable de Dieu pour eux, leur assurant que même « dans leurs cellules, ils jouissent de la liberté des fils de Dieu, qu’ils sont les héritiers de la promesse » (cf. Mt 5.9-10).
Après 20 ans, elle fut libérée, mais ne cessa pas de prêcher la bonne nouvelle des Béatitudes : bonne nouvelle pour les pauvres, mauvaise nouvelle pour les puissants. Elle fut de nouveau arrêtée, mais sur le chemin du retour à Vadstena, elle et son escorte traversèrent une ville dévastée par la peste, et les gardes fuirent de terreur. Lena, cependant, resta là, soignant les malades, réconfortant ceux qui étaient en deuil.
Lorsque la peste se calma, elle était tellement aimée par la population locale que personne n’osa l’arrêter à nouveau. Lorsqu’elle fut âgée et incapable de travailler, elle déménagea dans un refuge pour pauvres de son village natal. Lena a interprété les Béatitudes dans sa prédication et dans sa vie — elle a béni les pauvres et était pauvre elle-même ; elle a consolé et elle a pleuré.
La deuxième histoire est celle d’une femme que j’appellerai Anna. Elle a été tour à tour organisatrice communautaire et prédicatrice, pasteure et compagne des plus démunis. Pendant de nombreuses années, elle a apporté un esprit pacifique, généreux et résilient dans un quartier déchiré par la violence armée et l’injustice raciale. Elle a également été mère de deux filles, dont l’une fut diagnostiquée comme autiste après une période de lutte angoissée pour comprendre pourquoi chaque étape de son développement était semée d’embûches.
Comme ses autres vocations, elle a porté celle-ci avec grâce, douceur et force. La connaissant personnellement, je n’ai pas eu à chercher bien loin pour voir à quoi ressemble un artisan de paix, à quel point la douceur est forte, ce que peut-être la pauvreté d’esprit, ou comment vivre le deuil d’une manière qui introduit la beauté dans les ténèbres.
Lorsque les Béatitudes s’enracinent dans des vies, elles fleurissent de différentes manières. Ces deux femmes ont vécu les deux côtés des Béatitudes : pleurant et réconfortant, faisant la paix et en ayant besoin, offrant miséricorde et la recevant. « Ainsi, nous honorerons les humiliés », écrit Allen Verhey, « et nous serons nous-mêmes humbles. Ainsi, nous consolerons ceux qui pleurent, et nous pleurerons nous-mêmes en reconnaissant douloureusement que nous ne sommes pas encore dans le futur voulu par Dieu. Ainsi, nous servirons avec douceur les doux. Nous aurons soif de la justice, et la poursuivrons. »
Les Béatitudes occupent le même espace que nous : un temps qui n’est pas encore ce futur voulu par Dieu. Pour le pasteur et théologien Sam Wells, la première partie de chaque béatitude est une description de la Croix (pauvre, assoiffé, doux, miséricordieux, persécuté), et la seconde moitié est une description de la Résurrection (réconfort, miséricorde, royaume de Dieu).
Il écrit que nous vivons entre la première et la seconde mi-temps. Nous sommes sur la virgule entre « Heureux vous qui pleurez maintenant » et « , car vous serez dans la joie ». La vie entre la Croix et de la Résurrection n’est pas facile, mais elle est joyeuse. Elle est pleine de douleurs, mais belle. Ainsi en va-t-il aussi des Béatitudes.
Les Béatitudes, comme les paraboles de Jésus, sont d’une simplicité trompeuse. Comme le dit Origène (tel que le rapportent Stephen et Martin Westerholm), « la présence de mystères dans le texte divin n’a rien d’accidentel : […] La lutte pour les comprendre est l’un des moyens divinement orchestrés pour amener les croyants à la maturité. »
L’une des principales fonctions des Béatitudes est peut-être de nous interroger à leur sujet. Plus vous luttez avec les Béatitudes, plus elles vous entraînent dans leurs profondeurs. Plus vous creusez profondément, plus elles ont à vous offrir.
Adapté de The Beatitudes through the Ages, de Rebekah Eklund (Eerdmans, 2021). Utilisé avec l’autorisation de l’éditeur.
Traduit par Carelle Melissa Irakoze
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