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La conquête de Canaan pose une question à laquelle quatre réponses sont possibles

Cette histoire ne doit pas être une pierre d’achoppement, mais nous devrions l’aborder avec crainte et tremblement.

Christianity Today June 14, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons

L’Ancien Testament pose un problème. Dans un moment clé de l’histoire du salut, le Dieu d’Abraham mandate une nation pour en détruire une autre. La nation assaillante doit combattre l’autre parce que Dieu a jugé cette dernière coupable. L’agresseur est sans pitié, n’épargnant ni les femmes ni les enfants, expulsant les habitants de leur terre et détruisant leurs sites sacrés et les symboles de leur pratique religieuse. Il s’agit en fait de les rayer de la carte. Et, selon les écritures hébraïques, tout cela se produit par la terrible volonté de l’Éternel des armées.

The Destruction of the Canaanites: God, Genocide, and Biblical Interpretation

C’est un moment déchirant dans l’histoire du peuple de Dieu. Mais je ne fais pas ici référence à la conquête de Canaan par les tribus d’Israël. Je parle de la conquête du royaume du nord d’Israël par les Assyriens un peu plus de 700 ans avant la naissance de Jésus et de la campagne contre le royaume du sud, en particulier la ville de Jérusalem et son temple, menée par les Babyloniens environ 130 ans plus tard.

Comme en témoignent les livres historiques et prophétiques de l’Ancien Testament, la violence exercée contre Israël, au nord et au sud, par ces empires païens n’était rien d’autre que le jugement du Dieu d’Abraham contre les enfants d’Abraham. Leur péché ? L’abandon de la volonté de Dieu pour leur vie dans le cadre de l’alliance, telle que révélée dans la loi de Moïse. Engagés en tant que communauté dans une alliance avec le Seigneur, ils subirent en tant que communauté les sanctions du non-respect l’alliance. Le résultat : une ruine générale, un chaos politique, des souffrances inimaginables, la mort (pour certains) et l’exil (pour d’autres). C’est une chose redoutable que de tomber entre les mains du Dieu vivant, même — ou surtout — lorsque l’on est son peuple élu.

Cet ensemble d’événements n’est généralement pas le premier qui vient à l’esprit lorsque les gens, y compris les chrétiens, s’interrogent sur l’éthique dans la Bible ou la nature du Dieu biblique. Ce qui vient en premier, de loin, serait plutôt la destruction des Cananéens par Israël sur ordre divin. Mais je vois deux raisons d’encadrer les réponses chrétiennes aux questions sur la conquête cananéenne par la dévastation d’Israël et de Juda par les Assyriens et les Babyloniens :

Tout d’abord, parce que la souffrance humaine infligée par Dieu selon la Loi et les prophètes est impartiale : Israël n’en est pas exempt. Deuxièmement, parce que les chrétiens qui lisent les textes sacrés d’Israël comme les leurs — c’est-à-dire comme les Écritures canoniques de l’Église — sont généralement des non-juifs, lesquels sont prompts à considérer les Juifs comme des faire-valoir dans l’histoire biblique : nous avons tendance à en faire de simples exemples de ce qu’il ne faut pas faire. Et cela, quand nous ne cédons pas à la tentation de suivre Marcion en laissant purement et simplement de côté certaines parties de l’Ancien Testament.

Mais les chrétiens n’ont pas cette possibilité. La question n’est pas de savoir si les non-juifs laissent la place à l’Ancien Testament, mais bien plutôt de savoir s’il y a en lui une place pour nous. Les apôtres ont répondu par l’affirmative. Depuis lors, nous prétendons être les enfants d’Abraham par la foi. Et c’est justement pour cette raison que les Écritures d’Israël sont un incontournable pour nous : une composante non négociable du dépôt de la foi, comprenant le double témoignage écrit des apôtres et des prophètes à la bonne nouvelle du Dieu d’Israël. Qu’on le veuille ou non, ce témoignage inclut le livre de Josué. Comment, alors, devrions-nous, nous, non-juifs qui professons la foi dans le second et plus grand Josué, recevoir et comprendre ce livre comme la parole du Seigneur pour aujourd’hui ?

Les faits et leurs interprétations

Pour répondre à cette question, Charlie Trimm a écrit un livre extraordinaire intitulé The Destruction of the Canaanites : God, Genocide, and Biblical Interpretation (« La destruction des Cananéens : Dieu, les génocides et l’interprétation biblique »). Le fait même de s’aventurer sur ces eaux est admirable, car la question du livre de Josué et de Canaan est devenue une sorte de genre à part entière dans les travaux universitaires et pastoraux. Les livres et articles sur le sujet abondent.

Trimm, professeur à l’université de Biola, se démarque avec ce petit volume qui ne cherche pas à résoudre le problème, mais à formuler des réponses possibles pour ses lecteurs. Les lecteurs en question ne sont pas des interlocuteurs de mauvaise foi. Ce pourraient être chacun de mes étudiants de premier cycle et pas mal d’autres chrétiens plus âgés. Beaucoup de gens honnêtes face l’Évangile aimeraient savoir que faire de cette conquête. Ils veulent croire au Dieu et Père de Jésus-Christ, mais Josué constitue un obstacle. Je n’ai donc aucun doute que le livre de Trimm — concis, accessible, pertinent et bien documenté — s’avérera une ressource inestimable dans le cadre pastoral et académique pour les années à venir.

Trimm organise le livre en deux parties. Dans la première, il donne un aperçu de ce qu’était la guerre dans le Proche-Orient ancien, récapitule les études contemporaines sur les génocides et présente les Cananéens aux lecteurs. Ces éléments constituent le fondement de la deuxième partie, où il expose quatre grandes options pour l’interprétation chrétienne de la conquête. Avant d’aborder ces options, mentionnons quelques faits qui ressortent des premiers chapitres.

Tout d’abord, contrairement à ce que certains d’entre nous ont pu lire ou supposer, la pratique du herem, de « l’interdit » (c’est-à-dire le fait de vouer à Dieu tous les habitants d’une ville par le biais d’un massacre), n’était pas courante dans le Proche-Orient ancien. En fait, en dehors de quelques mentions possibles dans les archives d’autres nations (et il se pourrait que celles-ci aient été des exagérations), il semble qu’Israël soit unique à cet égard.

Deuxièmement, la notion de génocide est difficile à définir. Faut-il y inclure un élément racial, ethnique ou religieux ? Doit-il viser l’anéantissement d’un groupe entier ? Comment définir le groupe en question ? (Par exemple, pourrait-il s’agir d’un parti politique, ou l’appartenance à ce groupe doit-elle être non volontaire ?) Est-ce la motivation qui compte ou les conséquences ? Par exemple, toute entreprise de colonisation est-elle essentiellement génocidaire ? Qu’en est-il des bombardements de Nagasaki et Hiroshima ?

Troisièmement, la différence entre les divers commandements donnés à Israël concernant les Cananéens est frappante. Exode 23, Lévitique 18, Nombres 33 et Deutéronome 6-7 contiennent tous des instructions différentes et parfois contradictoires. Presque aucune ne mentionne nommément le herem ou ne décrit même un massacre de masse. Ces divergences présentent de nombreuses possibilités morales, historiques, exégétiques et théologiques pour interpréter la conquête.

Trimm ramène ces possibilités à quatre, chacune étant une question de « réévaluation ». La question, le défi ou le problème de la conquête pourrait être résolu en réévaluant (1) Dieu, (2) l’Ancien Testament, (3) l’interprétation de l’Ancien Testament, ou (4) la violence dans l’Ancien Testament.

La première option prend la Bible au mot : le Dieu d’Abraham ordonne et approuve le génocide, mais le génocide est intrinsèquement mauvais. Par conséquent, le Dieu d’Abraham est mauvais et il faut donc le répudier, ne pas y croire, ou les deux. C’est le point de vue du « nouvel athée » Richard Dawkins, pour qui « le Dieu de l’Ancien Testament est sans doute le personnage le plus désagréable de toute la fiction ». C’est également l’avis du théologien orthodoxe oriental David Bentley Hart, qui écrit que « dans la majeure partie de l’Ancien Testament », le Dieu d’Israël est « présenté comme tout à fait mauvais : un dieu tempétueux, sanguinaire, cruel, guerrier, génocidaire, irascible, meurtrier et jaloux ». Trimm estime cependant qu’adopter ce point de vue revient à cesser d’être chrétien. C’est la seule des quatre options qu’il écarte.

La deuxième option soutient que « si l’Ancien Testament rapporte des exemples de violence divine extrême, nous ne devrions pas accepter ces textes violents comme faisant autorité pour nous et devrions en dissocier Dieu ». Les partisans de cette option, dont Walter Brueggemann, Eric Seibert, Thom Stark et Gregory Boyd, ne cherchent nullement à exhumer le projet marcionite. Ils veulent préserver l’Ancien Testament. Mais ils ne voient aucune possibilité d’harmoniser cette conquête avec nos consciences ou la vie et les enseignements de Jésus. Les chrétiens doivent donc reconnaître que les textes dans lesquels Dieu cautionne la violence ne font pas autorité pour l’Église et ne reflètent pas le véritable caractère de Dieu.

La troisième option suggère que le problème ne réside pas dans les textes, mais dans notre interprétation de ceux-ci. Peut-être faut-il allégoriser les événements relatés dans Josué, ou les comprendre de manière métaphorique, comme recommandant en réalité une action non létale ou le bannissement, ou encore les classer dans la catégorie des hyperboles, de sorte que les Cananéens ne sont pas tant exterminés que désarmés — c’est-à-dire dépossédés et ainsi transformés de menace en simples voisins.

Cette option, tout comme la précédente, doit cependant affronter deux questions connexes. Les événements décrits dans Josué se sont-ils réellement produits dans l’histoire ? Et même si ce n’est pas le cas, le texte ne fait-il pas clairement mention de Cananéens massacrés ? Même si ces morts ne sont que textuelles, le texte en question est l’Écriture sainte, par laquelle nous sommes (croyons-nous) formés à l’image du Christ. Le livre de Josué contribue-t-il à cette formation ?

Avec Job face à la tempête

La quatrième option défend à la fois l’historicité de la conquête et sa légitimité morale et théologique. Trimm présente plusieurs façons de le faire. La première est de considérer que c’est la méchanceté des Cananéens qui est la cause immédiate du jugement de Dieu sur eux par l’intermédiaire des Israélites. Cette idée est renforcée par le fait qu’Israël subit un jugement pratiquement identique dans la suite de son histoire. Une autre voie met en avant le caractère unique de la conquête — son « irrépétabilité », selon l’expression du théologien Willie James Jennings — comme quelque chose d’enraciné dans la promesse de l’alliance entre Dieu et Israël concernant la terre à Abraham.

Une troisième approche voit dans la conquête un type ou une préfiguration du jugement final, au cours duquel sera prononcée une sentence bien plus grave que la perte de la vie terrestre (le philosophe Phillip Cary nous voit tous comme des Rahab, vivant dans les murs d’une Jéricho spirituelle. Ouvrirons-nous notre maison au Seigneur ? Notre confiance en lui sauvera-t-elle notre âme ?) Enfin, certains relient la conquête non seulement à la destruction du temple et à l’expulsion du pays, mais aussi à l’Exode et au Déluge. Dans l’histoire de Noé, en particulier, on assiste à un jugement implacable de Dieu, lorsque le chaos des eaux engloutit tous les habitants de la terre, quels qu’ils soient. Le livre de l’Apocalypse offre des visions de mort et de destruction tout aussi saisissantes.

Le philosophe Howard Wettstein écrit que les textes touchant au herem nous placent avec Job face à la tempête. Nous gémissons et nous lamentons, mais ne recevons aucune réponse ; au lieu de réponses, ce sont des questions. Charlie Trimm propose quelque chose de semblable. Il ouvre à l’Église des possibilités. Il nous reviendra, avec crainte et tremblement, de décider.

Brad East est professeur adjoint de théologie à l’Université chrétienne d’Abilene. Il est l’auteur de The Doctrine of Scripture et The Church’s Book : Theology of Scripture in Ecclesial Context .

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