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Il faut tout un village pour échapper à un leader toxique

La notion de « déni de la trahison » peut nous aider à réagir aux abus dans les Églises et ministères chrétiens.

Christianity Today October 26, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Dziana Hasanbekava / Pexels / Valerie Gionet / Priscilla du Preez / Unsplash

Un récent article à propos de Ravi Zacharias International Ministries (RZIM) retrace comment une proche collaboratrice de Ravi Zacharias, Ruth Malhotra, a pris conscience que les apparences de l’apologète et de son ministère étaient trompeuses. Le reportage évoque des questions que beaucoup se sont sans doute posées à propos d’elle et d’autres : Comment ont-ils pu ne pas voir les choses plus tôt ? Pourquoi ne sont-ils pas partis plus tôt ?

Ces questions ne sont pas déraisonnables. À l’écoute du podcast The Rise and Fall of Mars Hill produit par CT, à propos de la croissance fulgurante puis de la chute de l’Église fondée par Mark Driscoll, nous serions aussi tentés d’interroger ceux qui ont quitté cette Église : « Comment n’avez-vous pas vu depuis le début le caractère narcissique et dysfonctionnel d’un tel environnement ? ». Une question semblable me revient encore devant un documentaire à propos du départ de Leah Remini de la scientologie : « Comment ne pas avoir vu qu’il s’agissait d’un système de marketing pyramidal combiné à un culte des extra-terrestres ? »

Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les gens restent dans des systèmes toxiques. Certaines sont ancrées dans les péchés humains que sont l’orgueil et l’ambition, d’autres dans les faiblesses que sont la peur ou l’ignorance. Mais toutes ne le sont pas. Dans certains cas, ce qui est en jeu, c’est le « déni de la trahison » (betrayal blindness). Ce concept nous vient de la psychologue Jennifer Freyd et renvoie au besoin qu’a une personne de pouvoir faire confiance à un conjoint, un parent, un soignant ou un dirigeant, et sa tendance, lorsqu’elle est trahie par ces personnes, à osciller entre la nécessité de mettre fin à l’abus et celle de préserver la relation.

Lori Anne Thompson, la première femme à avoir porté publiquement des accusations contre Zacharias, utilise ce terme dans ses échanges avec l’auteur de l’article. Après que Malhotra ait parlé et ait été mise à l’écart du ministère, Thompson l’a soutenue, a prié pour elle et lui a fourni ses conseils, même si Malhotra avait auparavant travaillé comme responsable des relations publiques pour l’agresseur de Thompson. Thompson affirme que le concept de déni de la trahison l’a aidée à mieux comprendre pourquoi certaines personnes restent dans des situations qui, de l’extérieur, sont clairement toxiques.

Je ne veux pas dire ici que le déni de la trahison tel que Freyd l’articule était nécessairement à l’œuvre dans le cas de Malhotra (qui, en toute transparence, est une amie) ou de tout autre groupe, ici ou ailleurs. Néanmoins, il est essentiel de comprendre ce concept pour que les Églises et autres institutions puissent surmonter l’épidémie d’abus et de dissimulation d’abus à laquelle nous assistons. Il est également essentiel de comprendre les modèles encore courants de pratiques toxiques et spirituellement abusives qui caractérisent un trop grand nombre d’Églises, de ministères, de gouvernements et de mouvements politiques.

Chaque personne est créée avec le besoin d’être aimée et acceptée par ceux qui détiennent l’autorité, à commencer par ses parents. Lorsqu’un parent rejette un enfant en le maltraitant ou en le négligeant, certains enfants ne peuvent pas supporter les conséquences psychologiques liées au fait de penser que quelque chose ne va pas chez leurs parents. Après tout, une telle pensée aboutirait à un monde effrayant et chaotique, où l’enfant se sentirait seul et sans protection. Dans certains cas, l’enfant en conclut donc que quelque chose ne va pas chez lui. Parfois, il en arrive à penser : « Si seulement je me comportais mieux et travaillais plus dur, alors je pourrais trouver la sécurité et aussi aider la personne qui s’occupe de moi à être meilleure ».

Le plus souvent, ce mode de pensée ne s’arrête pas après l’enfance. Nombre d’entre nous ont conseillé des femmes maltraitées qui ont conclu que le problème était qu’elles n’avaient pas suffisamment bien géré le stress de leur partenaire. Un conjoint trompé en déduit parfois qu’il n’est pas assez séduisant ou qu’il est responsable d’une manière ou d’une autre de ce qui s’est passé. Cela se produit souvent dans les situations d’Église, où les gens ont parfois du mal à se rendre compte — parfois des années plus tard — que ce qu’ils croyaient n’être que « les difficultés des relations humaines » relevait en réalité d’un environnement toxique et nuisible.

Cela est particulièrement vrai lorsque des institutions — y compris des Églises — prolongent l’abus des victimes (ou de ceux qui cherchent à les aider) en se retournant contre elles, comme si leur réaction à l’abus — et non l’abus lui-même — était le problème. Ainsi, il arrive que l’on préfère critiquer la manière dont la victime a exprimé sa plainte ou que l’on cherche d’autres problèmes que l’on pourrait mettre sur le dos de la victime.

Dans une Église ou dans le cadre du service chrétien, cette situation est particulièrement périlleuse. Lorsqu’une personne a appris à voir l’Église comme un « foyer » et une « famille », elle peut être tentée de remettre en question la réalité des signaux d’alarme qu’elle perçoit. Lorsque les victimes ou lanceurs d’alerte sont accusés de mettre en péril l’« unité » du ministère, ils commencent parfois à croire à la rhétorique selon laquelle ce sont eux — et non le problème lui-même — qui sont en cause. Toute institution peut intimider un lanceur d’alerte, mais aucune institution ne peut le faire avec plus de pouvoir qu’une institution qui dit : « Si vous faites cela, vous vous éloignez de Jésus ».

Tout comme un enfant avec un parent, certaines personnes ne peuvent supporter de penser qu’une Église, un ministère ou une dénomination — en particulier ceux qui leur ont fait découvrir Jésus — puissent abuser d’elles ou les tromper. La personne commence à s’interroger : « Ce qu’ils m’ont dit sur Jésus et sur l’Évangile est-il aussi une tromperie ? » C’est ainsi que les victimes commencent à chercher d’autres explications possibles : des explications qui leur feront porter le chapeau à elles-mêmes, plutôt qu’à ceux qui agissent mal.

Souvent, ces personnes ne peuvent même pas s’imaginer en dehors de leur Église, de leur ministère ou de leur dénomination, tant leur identité y est étroitement liée. Comme l’ont montré les neurologues et les psychologues, l’expérience de l’exil loin de sa « tribu » est souvent vécue de la même manière que la douleur physique.

On en vient alors à trouver diverses justifications pour rester : « La mission est trop importante pour que je passe du temps à m’attarder sur mes intuitions qui me disent que quelque chose ne va pas » ; « Personne d’autre ne semble voir le problème, c’est moi qui dois être fou » ; ou encore « Si je pars, je serai remplacé par quelqu’un de bien pire. Je serai plus utile de l’intérieur ». À maintes reprises, ces lignes de pensée se sont terminées par un désastre.

Dans ces circonstances, les conseils d’amis extérieurs peuvent faire tout autant l’objet de remises en question que nos propres intuitions. Et parfois, il faut un point de rupture pour comprendre que le départ est nécessaire. Pour certains, comme c’est le cas pour Malhotra, c’est à ce moment-là que l’évidence émerge : ses intuitions étaient réellement fondées.

Alors que j’étais moi-même dans un environnement toxique et spirituellement abusif, j’ai soudain pris conscience que j’avais passé des années à me remettre en question et à trouver des moyens de me blâmer pour les difficultés que je vivais. Cela s’est produit en lisant un livre pour enfants à mon fils. J’ai lu la dernière phrase de Goldilocks and the Three Dinosaurs (« Boucle d’or et les trois dinosaures »), de Mo Willems : « Si tu te trouves dans la mauvaise histoire, pars ». J’ai rangé le livre et me suis dit : « Je suis dans la mauvaise histoire ».

Les scandales, les escroqueries, les tromperies et les abus au sein de l’Église sont la responsabilité de tous ceux qui en font partie. Nous avons de nombreux pas à faire pour progresser, de la création de structures de redevabilité à la formation de personnes capables d’identifier les problèmes, en passant par la formation des dirigeants à la prise en charge des personnes victimes de ces excès. Nous devons insister sur la protection des lanceurs d’alerte. Mais nous devons également prendre des mesures — bien avant que les problèmes n’apparaissent — pour former les gens à la vision de l’Église que Jésus nous a donnée, où la responsabilité n’est pas négligée au profit de l’unité et où l’intégrité n’est pas sacrifiée sur l’autel de la mission.

Dès l’école du dimanche, nous devrions commencer à aider nos frères et sœurs à faire la différence entre la loyauté envers le Christ et la loyauté envers ceux qui revendiquent son nom. Nous devrions consacrer une part de nos ressources à leur enseigner comment détecter quand ils sont manipulés pour retourner la faute sur eux-mêmes et quand ils devraient oser dire que quelque chose ne va pas.

Et nous devons apprendre aux gens que le message et l’histoire de Jésus ne fait pas de mal aux personnes vulnérables. Si donc vous vous trouvez dans la mauvaise histoire, vous pouvez toujours partir.

Russell Moore dirige le projet de théologie publique (Public Theology Project ) de Christianity Today.

Traduit par Léo Lehmann

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