Il y a encore peu, j'aurais été surprise de voir cette question soulevée par Christianity Today. Nous pouvons être en désaccord sur les implications de la liberté religieuse ou sur la manière dont elle devrait être conçue ou employée. Cependant, la valeur de la liberté d’exercice de la pratique religieuse est, depuis longtemps et quels que soient les clivages politiques, largement admise au sein de la sphère évangélique américaine ainsi que plus largement dans la majorité des sociétés occidentales.
Une série de commentaires récents du pasteur et théologien John MacArthur rejette pourtant cette liberté en des termes véhéments. Il y a là une volte-face personnelle de MacArthur, Mais la question qui m’importe plus directement est de savoir si cette nouvelle perspective va gagner en popularité. Le point de vue qu'il défend comporte une part de vérité, mais il rejette imprudemment des convictions chrétiennes importantes pourtant défendues de longue date.
L'été dernier les procès se sont multipliés pour contrer les restrictions exceptionnellement strictes imposées par l’état de Californie aux rassemblements cultuels en présentiel en situation de pandémie, MacArthur et son Église, la Grace Community Church (GCC) de Los Angeles, ne parlaient alors que de liberté religieuse. Dans un communiqué publié en août, Jenna Ellis, une avocate qui défend la GCC, dénonçait le fait que le comté de Los Angeles « [dérogeait clairement] au mandat constitutionnel de protéger la liberté religieuse ». MacArthur lui-même citait le premier amendement dans une interview sur Fox News. Et dans une déclaration du mois de juillet, les anciens de la GCC, bien qu'ils aient explicitement refusé d'invoquer l'argument constitutionnel, ont continué à défendre la liberté religieuse et ont affirmé que tout ordre de fermeture d'une Église était une « intrusion illégitime de l'autorité de l'État ».
Six mois plus tard, MacArthur s'opposait catégoriquement à la liberté religieuse du haut de la chaire. Son premier sermon à inclure ce thème date du 17 janvier :
« Je ne soutiens même pas la liberté religieuse. La liberté religieuse envoie les gens en enfer. Dire que je soutiens la liberté religieuse, c'est dire “Je soutiens l'idolâtrie”. C'est dire, “Je soutiens les mensonges ; je soutiens l'enfer ; je soutiens le royaume des ténèbres”. Vous ne pouvez pas dire ça. Aucun chrétien sensé ne pourrait dire : “Nous soutenons la liberté religieuse”. Nous soutenons la vérité ! »
MacArthur a poursuivi sur le même thème le 24 janvier :
« Je vous ai dit la semaine dernière que je ne crois pas, en tant que chrétien, que je puisse soutenir vigoureusement la liberté de religion, parce que ce serait violer le premier commandement, n'est-ce pas ? “N'ayez pas d'autres dieux”. Vous vous dites : “L'Église n'a-t-elle pas besoin de la liberté de religion pour aller de l'avant ?” Non. En aucun cas une loi politique n'aide ou n'entrave l'Église de Jésus-Christ. Nous sommes un royaume séparé. »
Et il est revenu sur le sujet le 28 février :
« J'ai dit que je ne pouvais pas me battre pour la liberté religieuse parce que ce serait se battre pour que Satan réussisse, parce que toutes les religions du monde, sauf la vérité du christianisme, sont des mensonges de l'enfer. Vous vous dites, “Comment cela, la liberté religieuse n'est-elle pas importante pour le christianisme ? ” Non, elle n'a aucun sens. »
Et dans un discours sur « l'état de l'Église », le 3 mars, MacArthur déclarait que défendre la liberté religieuse, c'est « combattre pour l'idolâtrie » et « chercher des alliances avec Satan ».
Je cite extensivement MacArthur ici parce qu’il y a là un terrain étrange, nouveau, pour une figure évangélique de son envergure. Depuis plusieurs années, un débat a lieu parmi les politiciens conservateurs sur la valeur de la liberté religieuse et, plus largement, du libéralisme classique. Les évangéliques qui y participent, comme l'écrivain et avocat David French, sont généralement favorables à la liberté religieuse, affirmant que, malgré tous ses défauts, elle est ce que nous avons de mieux.
Les chrétiens « n'ont pas besoin du gouvernement pour répandre l'Évangile ».
MacArthur semble à présent prendre une autre voie. Une partie de ce qu'il dit est tout à fait juste, bien sûr : le royaume de Dieu est distinct des royaumes du monde, et une législation favorable n'est pas nécessaire pour répandre l'Évangile et faire croître l'Église (bien qu'elle puisse certainement y contribuer). En tant qu'anabaptiste, je soutiens de tout cœur l'affirmation de MacArthur selon laquelle les chrétiens « n'ont pas besoin du gouvernement pour répandre l'Évangile ».
MacArthur a également raison lorsqu'il affirme avec insistance que la Bible « ne préconise pas la démocratie ». De fait, l’énorme différence entre nos modes de gouvernance politique contemporains et ceux que connaissait le Proche-Orient antique constitue une difficulté majeure dans la définition d’une interaction chrétienne fidèle entre Église et État des milliers d’années plus tard. Néanmoins, il existe une longue tradition chrétienne de soutien à la liberté religieuse, en particulier dans des contextes comme le nôtre, dans lequel le gouvernement sollicite notre opinion et prétend refléter notre volonté dans son action.
Au troisième siècle, le théologien chrétien Tertullien plaidait ainsi pour la liberté religieuse auprès d'un fonctionnaire de Carthage : « Nous adorons un seul Dieu. […] Vous regardez aussi comme des dieux ceux que nous savons n'être que des démons. Toutefois, chaque homme reçoit de la loi et de la nature la liberté d'adorer ce que bon lui semble […]. Il est contraire à la religion de contraindre à la religion, qui doit être embrassée volontairement et non par force ».
La liberté religieuse est revenue sur le devant de la scène après la Réforme protestante, lorsque de nouvelles dénominations ont été persécutées par leurs coreligionnaires. Roger Williams, fondateur de l’état de Rhode Island et de la première Église baptiste dans ce qui constitue aujourd'hui les États-Unis, a pris fait et cause pour cette liberté après avoir été banni de la colonie de la baie du Massachusetts pour ses « opinions étranges ».
« Une uniformité forcée de la religion », soutenait Williams en 1644, « confond le civil et le religieux, nie les principes du christianisme et de la courtoisie et le fait que Jésus-Christ soit venu dans la chair ». De plus, ajoute Williams dans une note avisée, la restriction de la liberté de religion se retourne contre nous : « Tôt ou tard », elle occasionne des troubles civils, « le viol de la conscience », la persécution, l'hypocrisie et des occasions perdues pour l'Évangile. La liberté de religion doit être universelle, insistait-il, même – pour reprendre l'expression de MacArthur – pour les mensonges du diable. Des baptistes comme Russell Moore se font l'écho de la pensée de Williams encore aujourd'hui, insistant sur le fait que le royaume du Christ est construit « non par le pouvoir gouvernemental, mais par la “proclamation ouverte de la vérité” » (cf. 2 Co 4.2).
MacArthur n'exprime pas clairement ce qui selon lui adviendrait sans la liberté de conscience. Il a pu dire que les lois n’ont « aucun effet sur le royaume de Dieu », mais aussi affirmer que sans liberté religieuse, « la seule religion qui sera punie » sera le christianisme. Plus tôt, il déclarait que « plus notre gouvernement soutiendra » la liberté religieuse, plus « la persécution s'intensifiera » pour les chrétiens. Quoi qu’il en soit, son affirmation selon laquelle la liberté religieuse « envoie les gens en enfer » laisse imaginer que le christianisme qu’il envisage est une fade religion d'État dans un contexte post-libéral.
Cette confusion est la raison pour laquelle j'ai choisi ces deux exemples tirés de l'histoire de l'Église, écrits dans des contextes très différents : Tertullien était un membre d'une Église persécutée faisant appel à un fonctionnaire hostile au christianisme ; Williams s'adressait à des chrétiens brandissant l'épée contre leurs frères et sœurs en Christ. Pour ma part, je pense que nous passons d'une situation qui ressemble à celle de Williams à une situation qui se rapproche de celle de Tertullien. Une majorité irréligieuse gagne en force, voire se trouve déjà bien en place, selon la façon dont on la mesure. La liberté religieuse est de plus en plus regardée avec suspicion, envisagée comme un stratagème pour obtenir des privilèges spéciaux ou un moyen de priver les autres de leurs droits.
Cette perception fait de la défense équilibrée et irénique de la liberté religieuse une tâche nécessaire et urgente. Il serait incroyablement insensé d'abandonner la cause de la liberté de conscience, surtout maintenant. MacArthur a raison de dire que le royaume de Dieu n'a pas besoin de cette liberté pour se développer. Mais il doit imaginer un royaume bien pitoyable s'il pense que « Satan [aura] du succès » si les gens peuvent pratiquer leur culte comme ils l'entendent.
Bonnie Kristian est chroniqueuse à Christianity Today.
Traduit par Denis Schultz
Révisé par Léo Lehmann