Le soutien des évangéliques américains au président Donald Trump n'a pas suffi à lui faire remporter un nouveau mandat. Mais il a suffi à confirmer la réputation des évangéliques auprès du grand public comme étant peut-être le groupe démographique le plus trumpiste des États-Unis.
Il y a pourtant de quoi se demander si cette perception est juste. L’affirmation plusieurs fois reprise selon laquelle 81% des évangéliques ont voté pour Trump en 2016 n'a jamais vraiment été exacte. Basée sur des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote, elle ignorait les millions d'évangéliques qui n'ont pas voté pour Trump tout simplement parce qu'ils n'ont pas voté du tout. Cette soi-disant description de l'ensemble du vote évangélique se fonde sur une statistique ne prenant en compte que les électeurs blancs, alors que l'évangélisme est de plus en plus diversifié sur le plan ethnique.
On y a aussi compté comme évangéliques tous ceux qui revendiquaient simplement cette appellation, bien que l'auto-identification soit une variable délicate à employer car elle inclut les « évangéliques » qui ne suivent ni en paroles ni en actes les principes de l'évangélisme établis depuis longtemps. Et, une fois mentionnées toutes ces réserves, on n’arrive même pas réellement à 81%. Des études plus récentes et de meilleure qualité situent ce chiffre autour des 75%, ce qui correspond finalement au taux très constant de soutien aux candidats républicains observé chez les électeurs s'identifiant comme évangéliques blancs dans les dernières années.
Mais cette clarification suffira-t-elle à renverser l’opinion publique? Ou encore les données des élections de 2020 qui pourraient avoir révélé de nouvelles tendances ? Je ne crois pas. « Les Américains semblent de plus en plus envisager les évangéliques dans une perspective politique », selon les résultats d'un sondage réalisé fin 2019 par le groupe Barna. Pour beaucoup d’entre eux, les « évangéliques » sont d'abord et avant tout un électorat. Un terme autrefois censé signaler certaines positions quant au salut de l'âme, l’autorité des Écritures et le service chrétien, désigne désormais l'alignement politique avec un seul parti et un seul président.
La question de savoir si les évangéliques auraient dû soutenir Trump a déjà été longuement explorée dans les médias et sur Internet. Je ne discuterai pas ici de l’inévitabilité ou de la pertinence de cette association. Je ne plaide pas non plus en faveur de l'abandon du mot « évangélique » ou d’une campagne pour restaurer son sens initial, si cela était possible.
Non, ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas de savoir qui obtient nos votes ou comment nous sommes appelés, mais plutôt comment il se fait qu'un groupe de chrétiens puisse si facilement – et si rapidement – devenir aussi fortement associé à une autre personne que le Christ. Qu’est-ce que cela dit de nous si le premier nom qui vient à l'esprit de nos voisins lorsqu’ils entendent « évangélique » n'est pas « Jésus » ?
Certes, s’inquiéter de notre réputation peut sembler frivole. « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5.29). Le verdict de Dieu à notre égard passe avant les moqueries ou les éloges des autres. Mais la Bible se préoccupe aussi de la réputation. « Ayez une bonne conduite au milieu des païens. Ainsi, dans les domaines mêmes où ils vous calomnient en vous accusant de faire le mal, ils verront vos bonnes actions et loueront Dieu le jour où il interviendra dans leur vie » (1 P 2.12). Le proverbe dit : « Bon renom vaut mieux que grandes richesses » (Pr 22.1). Et la volonté de Jésus à cet égard est évidente quand il dit que c’est par notre amour les uns pour les autres que « tous connaîtront » qui nous sommes (Jn 13.35).
Le fait que des chrétiens aient acquis une mauvaise réputation n'est pas nécessairement un signe de désobéissance à ces commandements. On se rappellera que l'église primitive a été accusée d'athéisme (pour avoir refusé d'adorer des idoles), de cannibalisme (pour avoir pris la Cène) et d'inceste (pour avoir appelé leur conjoint « frère » ou « sœur » en Christ). Une critique, rapportée par un écrivain chrétien du troisième siècle nommé Minucius Felix, qualifiait l'église de « faction infâme et désespérée » issue de « la lie du peuple » et « s'attaqu[ant] impunément aux dieux ». Mais il y a tout de même un fossé béant entre la mauvaise réputation acquise par des chrétiens s’efforçant simplement d’obéir aux ordonnances de leur foi (c.-à-d. l'adoration, la sainte cène et la communion fraternelle) et la mauvaise réputation acquise par un groupe pour son allégeance manifeste à un politicien. Notre problème de réputation n’a rien à voir avec le leur. L'Empire des Césars soupçonnait que l’insistance des adeptes de cette étrange secte à affirmer que Jésus est Seigneur les rendait incapables d’être de bons citoyens. Les Américains qui considèrent les évangéliques comme un bloc pro-Trump ne sont pas en train de se demander si ceux-ci ne sont pas un peu trop centrés sur Christ.
Malgré cette différence, le remède est le même dans chaque cas. L'Église primitive réfutait ces fausses accusations sur la place publique, et elle a connu une croissance exponentielle parce que les chrétiens avaient « une bonne conduite au milieu des païens » et partageaient cette Bonne Nouvelle si extraordinaire et porteuse d’espérance : Dieu aime toute l'humanité. Notre tâche ne diffère en rien. Peu importe que cela rehausse notre crédibilité ou pas, que cela sauve l’étiquette « évangélique » ou non, nous devrions nous aussi vivre si fidèlement et intégralement que notre allégeance ne fasse plus aucun doute.
Bonnie Kristian est chroniqueuse à Christianity Today.
Traduit par Simon Fournier
Révisé par Léo Lehmann